CA Paris, 5e ch. B, 9 octobre 1997, n° 95-28672
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Soreau (SA)
Défendeur :
Arco (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leclercq
Conseillers :
MM. Bouche, Breillat
Avoués :
SCP Bommart-Forster, SCP Taze-Bernard-Belfayol-Broquet
Avocats :
Mes Petit, Saulnier Arrighi.
La société Soreau, spécialisée dans la vente en gros de produits d'épicerie fine a donné mandat le 1er février 1993 à la société Arco de la représenter dans la région parisienne auprès des magasins Carrefour.
Se disant contrainte de réaménager les taux de commissions du fait d'une modification du mode d'approvisionnement des magasins Carrefour, elle a pris acte du refus de la société Arco, a mis fin au mandat le 22 décembre 1994 à compter du 31 décembre suivant et a versé à la société Arco une somme de 90 000 F correspondant selon elle au chiffre d'affaires développé, par rapport à la valeur initiale de la carte, pour deux années de collaboration.
Assignée le 3 février 1995 à la requête de la société Arco en paiement de 70 000 F d'indemnité de préavis et 570 000 F de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat d'agent commercial, la société Soreau a été condamnée par jugement du Tribunal de commerce de Créteil à payer à la société Arco la somme de 56 000 F d'indemnité de préavis et 337 000 F d'indemnité de rupture, venant s'ajouter aux 90 000 F spontanément versés, ainsi que 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Soreau a relevé appel de cette décision assortie de l'exécution provisoire moyennant fourniture d'une caution bancaire.
Elle expose qu'elle pratique deux systèmes de vente qui donnent lieu à des taux de commission différents :
- la vente directe, qui consiste à démarcher les grandes surfaces une à une, et qui implique une action commerciale soutenue,
- la vente entrepôts, qui consiste à suivre la mise en œuvre des plans promotionnels négociés par la direction, lorsque le produit est référencé par les centrales d'achat et qui n'implique pas de démarchage commercial.
Elle ajoute que d'un commun accord aucune convention écrite n'avait été établie afin notamment de faciliter une évolution de la rémunération du mandataire et qu'ainsi la répartition des taux avait été fixée de la manière suivante pour l'année 1993 :
- en vente directe : le pain Krisprolls : 2,50 % ; l'épicerie fine et étrangère : 4,00 %
- en vente entrepôts : le pain Krisprolls : 1,00 %
Elle précise que le 1er janvier 1994 la société Carrefour avec laquelle la société Soreau réalise 15 % de son chiffre d'affaires, lui a imposé de passer de la vente directe à la vente entrepôts mais a garanti en contrepartie la présence de produits Soreau sur l'ensemble des points de vente du secteur attribué à la société Arco, et que la société Soreau qui a dû consentir à cette occasion un effort financier conséquent en compensation de la garantie d'un volume de ventes, a proposé à son agent d'ajuster le taux de commission des pains Krisprolls de 2,50 à 1 %, cette baisse de taux correspondant elle-même à une diminution des contraintes de la société Arco dispensée désormais de démarcher un à un les magasins de grande surface Carrefour de son secteur.
Elle ajoute que la société Arco a refusé après de longues négociations le nouveau taux de commission proposé bien que le volume des ventes de pains ait augmenté de 16,40 % et qu'après une année de transition, l'année 1994, pendant laquelle la société Soreau a maintenu à titre exceptionnel le taux de 2,50 % dans ses relations avec la société Arco, et forte d'une action de référencement particulièrement dynamique de ses agents auprès des épiceries fines et étrangères, elle a étendu pour l'année 1995 à la société Arco la modification de ses taux.
Elle reproche à la société Arco d'avoir saisi ce prétexte de réaménagement pour la contraindre à prendre l'initiative de la rupture du mandat et prétend que la société Arco aurait vraisemblablement vu le montant des commissions progresser si elle avait accepté les nouveaux taux.
L'appelante soutient que l'intimée est responsable de la rupture et ne peut donc prétendre bénéficier des dispositions de l'article 12 de la loi du 25 juin 1991. Subsidiairement elle prétend que l'indemnité de préavis et l'indemnité de rupture font double emploi et conteste au surplus l'existence du préjudice allégué en faisant valoir que la société Arco s'est vu confier, sans avoir de frais à engager, un " secteur performant " disposant de nombreux magasins Carrefour, a bénéficié de plus de 300 000 F de publicité financés par son mandant et d'efforts de référencement des produits émanant de la direction de la société Soreau et a pu poursuivre ses activités après la rupture, n'étant tenue par aucune interdiction de concurrence ;
La société Soreau conclut donc à l'infirmation du jugement critiqué, à la restitution de la somme de 377 000 F qu'elle a versée pour indemnité de rupture, avec intérêts au taux légal à compter du versement, et au débouté de toute demande de préavis. Subsidiairement, elle demande qu'une expertise soit ordonnée.
La société Arco conclut au contraire à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a constaté la rupture du contrat d'agent commercial aux torts de la société Soreau et a accordé 56 000 F d'indemnité de préavis et 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, mais à son infirmation afin d'obtenir la somme de 682 000 F à titre d'indemnité de rupture calculée sur la base de deux fois les commissions de l'année 1994, ainsi que les intérêts au taux légal sur cette somme à compter de l'exploit introductif d'instance. Elle demande enfin 15 000 F de dommages-intérêts pour résistance abusive et 20 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle conteste l'absence de stipulations contractuelles, en précisant que le 1er février 1993 les parties avaient convenu d'un secteur d'activité et de taux de commissions. Elle dénie à la société Soreau le droit de modifier unilatéralement un élément essentiel du mandat. Elle souligne les efforts commerciaux et financiers accomplis que la société Soreau reconnaît, la brutalité de la rupture, et la volonté de la société Soreau de lui faire supporter les incidences des exigences de la clientèle.
MOTIFS DE LA COUR
Considérant que la société Soreau ne nie nullement les efforts de représentation accomplis par la société Arco tant pour les pains Krisprolls que pour ses produits d'épicerie fine et étrangère ; que la substitution de la vente en entrepôt à la vente directe aux magasins présentait pour la société Soreau les avantages d'une diminution des frais de transport et d'une garantie de meilleur approvisionnement des points de vente de ses produits ;
Qu'à l'inverse le référencement des produits dû en particulier à leur qualité ne pouvait qu'engendrer une augmentation sensible des ventes; que les parties s'étaient entendues pour l'année 1993 sur une différenciation des taux selon le mode de vente, que la société Arco avait d'autant moins de raisons de refuser pour l'année 1994 que le référencement devait atténuer sensiblement la fréquence de ses démarchages sinon même les supprimer; qu'il s'en suit que la société Arco a commis une faute et a contribué au dommage qu'elle allègue, en refusant en 1994 toute adaptation des conditions financières de sa collaboration à une situation qu'elle savait avoir évolué et devoir justifier un réajustement des taux à la baisse pour se conformer aux données de l'accord de 1993;
Considérant qu'aucune convention écrite ne régit les relations contractuelles des parties ; que l'existence du mandat allégué se trouve établie par une télécopie du 29 janvier 1993 adressée par la société Soreau à la société Carrefour pour l'informer du remplacement de son ancien agent Renault par la société Arco ; que les modalités financières de cette collaboration n'y sont pas précisées ;
Que la définition des limites géographiques du secteur d'activité de la société Arco et les conditions de rémunération convenues doivent être recherchées dans les pratiques de la société Soreau dans ses relations tant avec un précédent agent qu'avec la société Arco au cours de l'année 1993, première année d'exécution du mandat verbal d'agent commercial ;
Considérant que la société Soreau précise par conclusions d'appel qu'elle versait à ses agents commerciaux des commissions d'un taux différent selon que les ventes s'effectuaient directement en magasin ou par livraison en entrepôts collectifs ; que la société Arco le confirme dans ses écritures et ne conteste pas que la réduction des taux de commissions qu'elle a refusée, procédait de ce que le référencement par la société Carrefour des pains Krisprolls et de produits d'épicerie fine ou d'origine étrangère que la société Soreau vendait par le canal de son agent, avait eu pour conséquence la substitution d'une livraison en entrepôts à la vente directe en magasins ;
Qu'il s'en suit que la société Arco ne pouvait imposer à la société Soreau le maintien de sa rémunération pour des ventes effectuées désormais en entrepôts à un taux qui ne correspondait plus au nouveau mode de livraison pratiqué, source d'économies pour les deux sociétés ; que la société Soreau est fondée à prétendre qu'elle disposait d'un motif légitime pour rompre, pour peu qu'elle le fasse dans des conditions raisonnables ;
Considérant que la société Soreau a assorti la résiliation unilatérale de ses liens contractuels avec la société Arco à laquelle elle a procédé, d'un préavis de huit jours incompatible par sa brièveté avec la durée de la représentation effectuée par la société Arco et avec les nécessités de l'article 11 de la loi du 25 juin 1991 exigeant un préavis d'une durée d'au moins deux mois pour vingt trois mois de relations professionnelles;
Que par des motifs pertinents que la Cour adopte, les premiers juges ont fixé à 56 000 F l'indemnité d'insuffisance de préavis,
Considérant que l'agent commercial dont le contrat est unilatéralement résilié par son mandant, a droit selon les articles 12 et 13 de la loi du 25 juin 1991 à l'indemnisation du préjudice engendré par cette rupture pour peu qu'il n'ait commis aucune faute grave et que la cessation des relations ne résulte pas de son initiative ;
Que la société Arco ne justifie pas de ce que l'augmentation du volume des ventes généré par la modification des modalités de leur livraison n'aurait pas compensé largement la baisse des taux de commissionnement ; qu'elle n'apporte pas en définitive la preuve d'une perte de rémunération que la rupture lui ait causée, dès lors qu'il lui suffisait d'accepter la modification raisonnable proposée des taux afin de prendre loyalement en considération l'évolution imposée par la société Carrefour de rendre les taux conformes aux accords d'origine ;
Que la rupture est en réalité la résultante du refus de se conformer aux conventions qu'elle avait acceptées, dont elle a pris l'initiative; que la société Arco doit en supporter la responsabilité et ne justifie pas d'un préjudice qui ne lui soit pas imputable;
Considérant que la société Soreau a offert et versé une indemnité de 90 000 F qui doit demeurer acquise à la société Arco ;
Considérant qu'il n'est pas équitable que les parties conservent la charge de leurs frais irrépétibles ;
Par ces motifs : Confirme le jugement du 18 octobre 1995 déféré en ce qu'il a condamné la société Soreau à verser à la société Arco la somme de 56 000 F avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 3 février 1995 à titre d'indemnité d'absence de préavis ainsi qu'aux dépens de première instance, L'infirme pour le surplus, Déboute les parties de toutes autres prétentions, Constate que la société Soreau a versé spontanément une indemnité de rupture de 90 000 F, Condamne pour le surplus la société Arco à restituer à la société Soreau les 377 000 F reçus sur exécution provisoire avec intérêts au taux légal à compter de la demande de restitution ; Met les dépens à la charge de la société Arco, Admet la société civile professionnelle Bommart Forster, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.