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Décisions

CA Limoges, ch. civ. sect. 1, 30 octobre 1997, n° 96-00385

LIMOGES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Moulinoux (Époux)

Défendeur :

Nicolas (Consorts)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Foulque

Conseillers :

MM. Payard, Trassoudaine

Avoués :

Me Jupile Boisverd, SCP Durand Marquet

Avocats :

Mes Charmey, Labrousse.

T. com. Tulle, du 22 févr. 1996

22 février 1996

La Cour,

Suivant acte notarié du 24 septembre 1986, Noël Moulinoux et son épouse Yvette Raynaud ont donné en location-gérance à Pierre Nicolas et à son épouse Marie-Josèphe Heyraud un fonds de commerce de boulangerie-charcuterie-alimentation sis à Saint Bonnet près Bort (Corrèze).

Cette location sera reconduite jusqu'au 30 septembre 1993.

Au rang des obligations habituelles à la charges des locataires, il était stipulé qu'ils devaient :

- jouir du fonds et l'exploiter en bon père de famille ;

- l'exploiter de façon à conserver la clientèle et l'achalandage qui y sont attachés ;

- veiller à ne rien faire ni laisser faire qui puisse avoir pour conséquence d'entraîner la dépréciation, la diminution du rendement du fonds ;

- s'interdire à la fin du contrat de fonder, acquérir, et plus largement de s'intéresser directement ou indirectement à un fonds similaire dans un rayon de dix kilomètres à vol d'oiseau, et ce pour une durée de dix années.

Exposant d'une part que les époux Nicolas ont manqué à la loi du contrat en faisant effectuer les tournées constituant un élément déterminant du fonds par leurs fils Fabrice Nicolas et ensuite en s'intéressant à un fonds identique créé par celui-ci à Ussel et Saint Exupery-les-Roches, dans un rayon de dix kilomètres, et d'autre part que Fabrice Nicolas a conservé pour lui-même la clientèle visitée lors des tournées inhérentes à l'exploitation de leur fonds, les époux Moulinoux les ont fait assigner en cessation d'activité et dommages-intérêts.

Désigné par jugement avant dire droit du Tribunal de commerce de Tulle en qualité d'expert, M. Dour a déposé un rapport au vu duquel les parties ont à nouveau conclu.

Noël Moulinoux et son épouse Yvette Raynaud ont régulièrement déclaré appel, le 6 mars 1996, du jugement rendu le 22 février 1996 par le Tribunal de commerce de Tulle qui les a déboutés de l'ensemble de leurs demandes et condamnés à payer aux consorts Nicolas une indemnité de 10 000 F.

Ils demandent à la Cour, réformant le jugement, de condamner les consorts Moulinoux à leur payer la somme de 1 500 000 F à titre de dommages-intérêts, outre celle de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Pierre Nicolas, son épouse Marie-Josèphe Heyraud et leurs fils Fabrice Nicolas concluent à la confirmation du jugement et réclament la somme de 30 000 F par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Dans le dernier état de leurs conclusions à l'appui de leurs prétentions ou en défense, les parties ont soutenu les moyens suivant étant précisé que la Cour se réfère expressément à leurs écritures pour l'exposé exhaustif de leur argumentation ;

Appelants, Noël Moulinoux et son épouse Yvette Raynaud font valoir que :

- dépendaient du fonds donné en location-gérance des tournées dans les localités avoisinantes que M. Nicolas a fait effectuer par son fils Fabrice durant la location-gérance : elles constituaient l'essentiel du chiffre d'affaires ;

- alors qu'ils ont résilié le contrat il est apparu que les époux Nicolas se sont intéressés à l'exploitation de deux fonds de commerce directement concurrentiels dans le rayon de dix kilomètres visé par le bail : à Saint Exupery-les-Roches et à Ussel ;

- Fabrice Nicolas a poursuivi les tournées attachées au fonds en location ce qui constitue un détournement de clientèle inacceptable.

1- Détermination de la consistance du fonds donné en location-gérance en 1986 :

" la location-gérance portait sur l'enseigne, le nom commercial et l'achalandage y attachés " : ce terme couvre bien les tournées en milieu rural ; la clientèle avait été fidélisée par des années de bons et loyaux services et était attachée au fonds ;

2- Sur le détournement de la clientèle des tournées :

- avant de quitter la location-gérance, les époux Nicolas ont organisé un pillage systématique de la clientèle des tournées ;

- en effet, Fabrice Nicolas a effectué des tournées pour son propre compte jusqu'en 1993 et les a, par la suite, conservées pour son propre compte ;

- de plus, ce dernier a ouvert, au 1er décembre 1991, un fonds de pâtisserie-boulangerie et alimentation général avec établissements principal à Ussel, secondaire à Saint Exupery-les-Roches dans un local appartenant à ses parents, cette dernière localité étant proche de Saint Bonnet près Bort ;

- en fait, quoique n'ayant plus d'activité officielle, les époux Nicolas poursuivent une activité directement concurrentielle ;

- la tournée représente dans une boulangerie rurale, de 70 à 80 % du chiffre d'affaires selon l'expert ; selon les appelants de 85 à 90 % ;

- le procédé utilisé a été efficace puisque le locataire-gérant qui a pris la suite des époux Nicolas leur a, aux termes de six mois d'activité, donné congé dans les termes suivants :

" ... je viens par la présente, vous informer de mon départ au 31 mars 1994. N'ayant constaté aucune amélioration dans les tournées avec la présence persistante de M. Nicolas, et un chiffre confirmé au magasin... "

- le montant du loyer de la location-gérance a été calculé en fonction du chiffre d'affaires, lequel comprenait les tournées, sans quoi n'aurait pas été payé un loyer de 49 812 F (article 90, 35 de la loi du 25 janvier 1985).

A- Responsabilité des époux Nicolas :

- le locataire-gérant avait contractuellement l'obligation de jouir du fonds et de l'exploiter en bon père de famille, d'y donner tout son temps et tous ses soins de manière à le faire prospérer ;

- il devait exploiter en bon commerçant de façon à conserver la clientèle et l'achalandage y attachés et même à les augmenter si possible ;

- il devait veiller à ne rien laisser faire qui puisse avoir pour conséquence d'entraîner la dépréciation, la diminution de rendement, la cessation d'exploitation, même provisoire du fonds ;

- en laissant leur fils effectuer les tournées alors qu'il avait installé un fonds concurrent, les époux Nicolas ont violé leurs obligations et sont responsables de la disparition du fonds ;

- contrairement à ses engagements, M. Nicolas a organisé un fonds de commerce concurrent à Saint Exupery, le donnant ensuite à son fils ;

B- Sur la responsabilité de Fabrice Nicolas :

- Fabrice Nicolas a commis un acte de concurrence et une faute dans cet acte : s'étant installé dans une activité directement concurrente, il a détourné à son profit la totalité de la clientèle, ce qui est fautif.

3- Sur la participation fautive des époux Nicolas à l'exploitation du fonds d'Ussel et de Saint Exupery-les-Roches :

- ils ont détourné l'importante clientèle des tournées ;

- ils ont fidélisé à leur personne le surplus de la clientèle : la date d'ouverture du fonds de leur fils, un peu plus d'un an et demi avant leur départ est révélatrice de la manœuvre adoptée ;

- les fonds litigieux sont situés dans la zone de dix kilomètres à vol d'oiseau ;

- alors que les époux Nicolas ont prétendu que, sans emploi, ils ne participaient pas à l'activité de leur fils, l'huissier requis, tant dans le fonds d'Ussel où se fabrique le pain que dans celui de Saint Exupery n'a jamais trouvé Nicolas fils ;

- il résulte des attestations versées aux débats que c'est bien Mme Nicolas qui assure le service du magasin de Saint Exupery ; que M. Nicolas Père est systématiquement aperçu entre 6h15 et 6h30 en train de charger la voiture de pain devant le fonds d'Ussel ;

- il résulte des vérifications de l'expert que les époux Nicolas travaillent bien pour le compte de leur fils ;

- sur vérification téléphonique, il a été répondu par un employé de la boulangerie qu'il n'y avait aucune difficulté à joindre M. Pierre Nicolas, présent dès 17 heures ;

- du reste, les époux Nicolas habitent dans l'immeuble abritant le fonds de Saint Exupery ;

- le fonds de commerce des époux Moulinoux n'a jamais pu être reloué et a disparu ;

- la location du fonds constituant pour ceux-ci un complément retraite indispensable, ils demandent une année de chiffre d'affaires si mieux n'aime la Cour ordonner une expertise ;

- le fait que les propriétaires n'aient pas mis un camion à la disposition du nouveau gérant est sans rapport avec l'existence des tournées ;

Intimés, Pierre Nicolas, son épouse Marie-Josèphe Heyraud et leur fils Fabrice Nicolas exposent à leur tour que :

- ils contestent les affirmations selon lesquelles d'une part M. Nicolas aurait fait effectuer pour son compte et par son fils, durant la location-gérance, des tournées qui dépendraient du fonds, et d'autre part les époux Moulinoux s'intéressaient à l'exploitation des deux fonds de commerce directement ou indirectement concurrentiels à Saint Exupery-les-Roches et Ussel ;

- dans un procès-verbal interpellatif du 5 octobre 1993, à la question de savoir si les consorts Nicolas étaient titulaires d'un bail commercial de boulangerie boucherie alimentation dans le ressort de l'arrondissement d'Ussel, Henri Nicolas a répondu : " je ne suis titulaire d'aucun bail " ;

- sur le problème de savoir si les époux Nicolas exerçaient directement ou indirectement la profession de boulanger-boucher, commerçant en alimentation, Henri Nicolas a répondu : " je n'exerce ni directement ni indirectement les professions ci-dessus énoncées " ;

- le jour où l'huissier a constaté la présence de M. Nicolas, il rendait visite à son fils : il n'était pas en vêtements de travail et ne se livrait à aucun acte de commerce ;

- Henri Nicolas a confirmé qu'il n'était pas le salarié de son fils ;

- le fonds de Saint Exupery-les-Roches était fermé ;

- les obligations de Fabrice Nicolas qui est un tiers ne sauraient résulter du contrat de location-gérance souscrit par son père ;

1- Sur les obligations contractuelles des époux Nicolas :

A) La clause de non-ingérence et non-réinstallation :

- elle est en effet stipulée au bail (page 6) ;

B) L'activité des époux Nicolas :

a) pendant la gestion :

- les époux Nicolas l'ont fait fructifier : sous leur gestion, le chiffre d'affaires est passé de 500 000 F à 1 500 000 F : cela signifie qu'ils ont augmenté la clientèle et l'achalandage :

b) en fin de gestion :

- inscrit au chômage, M. Nicolas n'a exercé aucune activité dans le fonds de son fils : ni lui ni son épouse ne lui donnant même pas " un coup de main " : l'indication de l'expert relative à la présence de M. Nicolas à la boulangerie dès 17 heures n'est pas significative ;

- Henri Nicolas ne perçoit aucun salaire de son fils ;

- le fonds créé par Fabrice Nicolas se trouve à plus de dix kilomètres du fonds des époux Moulinoux ;

- la mise en place de leur successeur dans le fonds qu'ils ont quitté ne pouvait conduire à la baisse du chiffre d'affaires : le nouveau locataire n'a repris la gestion du fonds qu'un mois après leur départ ; il venait de faire l'objet de deux liquidations successives ; il n'y avait pas de camion pour effectuer la tournée, ce qui dénote que l'activité de tournée n'était pas déterminante ; selon le successeur, il n'y avait pas de batteur-mélangeur pour faire la pâtisserie ; et il y avait, à certains moments quatre boulangers sur la même tournée ;

2- Sur les obligations de Fabrice Nicolas :

A) La nature de ses obligations contractuelles :

- il est un tiers dans le contrat de location-gérance, même s'il a été le salarié de son père ;

- il s'est installé à son compte le 11 février 1991 : alors qu'il concurrençait ses parents, ceux-ci ont maintenu un chiffre d'affaires stable, ce qui signifie que son activité n'a pas été déterminante de l'exploitation de la clientèle ;

- dès lors que son père ne travaillait pas dans son fonds, il n'était pas tenu à la règle des dix kilomètres ;

B) Sur l'activité de concurrence déloyale :

- L'expert judiciaire n'a pas été en mesure de préciser quelles étaient les tournées attachées aux fonds Moulinoux ;

- le successeur des époux Nicolas ne s'en souvient pas et déclare que les propriétaires leur auraient donné des indications très précises ;

- déjà lorsque des époux Picard exploitaient, de 1947 à 1962, il existait une certaine concurrence ;

- il n'y a eu ni parasitisme, ni dénigrement, ni démarchage.

Sur quoi, LA COUR,

Attendu que l'objet du litige étant constitué par la clientèle susceptible d'être attachée à des tournées à l'extérieur du lieu principal d'exploitation du commerce des époux Moulinoux, il convient de vérifier si une telle activité a été incluse ne serait-ce que tacitement dans la location-gérance du fonds et si elle était suffisamment caractérisée pour subir une concurrence déloyale ;

Attendu que si l'acte authentique intervenu le 24 septembre 1986 entre les époux Moulinoux, bailleurs et les époux Nicolas, preneurs dans le cadre d'un contrat de location-gérance ne mentionne que la clientèle et l'achalandage du fonds de commerce de boulangerie charcuterie alimentation exploité à Saint Bonnet près Bort (Corrèze), il est constant, au vu des éléments versés aux débats et notamment du rapport d'expertise, qu'étaient régulièrement organisées dans le cadre de l'exploitation dudit fonds des tournées dans les environs ;

Qu'au surplus les attestations produites par les époux Moulinoux établissent la réalité et l'ancienneté de leur tournée : témoignages Couderc, Chardon, Longeanie ;

Qu'il suit que lesdites tournées sont incluses dans sa protection prévue notamment par l'article B-2°/ du contrat en vertu duquel le locataire-gérant devra exploiter le fonds en bon commerçant de façon à lui conserver la clientèle et l'achalandage qui y sont attachées et même à les augmenter s'il est possible ;

Attendu que si les relations contractuelles entre les parties ont, après tacite reconduction d'année en année, pris fin le 30 septembre 1993, il apparaît au vu d'un extrait kbis du registre du commerce que, dès le 11 février 1991, Fabrice Nicolas, fils des locataires-gérants avait ouvert un fonds de commerce de boulangerie pâtisserie et alimentation générale avec établissement principal à Ussel et établissement secondaire à Saint Exupery-les-Roches exploité dans un immeuble dont les époux Nicolas, ses parents, sont propriétaires ;

Qu'alors qu'il est par ailleurs acquis aux débats que Fabrice Nicolas était auparavant salarié de son père, il n'est pas sérieusement contesté par les époux Nicolas, ainsi qu'ils l'ont du reste pratiquement admis au cours des opérations d'expertise et que cela a été attesté notamment par les témoins Couderc, Chardon, Longeanie et Richard que les tournées faisant l'objet de l'exploitation du fonds Moulinoux étaient accomplies par leur fils, même après que celui-ci a créé sa propre entreprise ;

Attendu que s'il a semblé être admis dans les échanges entre les parties que les époux Nicolas avaient pu, à une certaine époque, augmenter le chiffre d'affaires, force est de constater que le dernier résultat annuel avant leur cessation d'activité, soit à la date du 31 décembre 1992, fait apparaître des produits d'exploitation inférieurs à ceux déclarés au moment de la mise en gérance par les propriétaires du fonds, au 30 septembre 1986 : 544 165 F en 1993 contre 686 169 F en 1986 ;

Que cette performance médiocre, surtout si l'on tient compte du taux d'inflation, vient corroborer les éléments tenant à la gérance du successeur des époux Nicolas qui a précisément attesté dans une correspondance écrite dès le 19 novembre 1993 : " voulant continuer les tournées attachées à ce fonds, je me suis aperçu que M. Nicolas fils continue de les faire. Cela me retire presque toute la clientèle des tournées malgré mon passage avant lui ", et d'où il résulte que ladite clientèle s'est progressivement détachée d'un fonds auquel les témoins déjà cités attestent qu'elle était fidélisée depuis une quarantaine d'années ;

Qu'à cet égard, s'avèrent inopérants au moins en partie les arguments tirés par les consorts Nicolas du fait que leur successeur Jérôme Chaudelet ne disposait pas d'un véhicule adéquat pour effectuer ses tournées ou encore que le délai de plus d'un mois écoulé entre la gérance Nicolas et la sienne a suffi à faire disparaître la clientèle ;

Qu'en effet, de telles considérations ne suffisent manifestement pas à expliquer la désaffection d'une clientèle aux habitudes acquises de longue date et qui n'aurait vraisemblablement demandé qu'à renouer avec elles si elle n'avait pas été sollicitée par ailleurs, étant encore ajouté qu'il ne saurait davantage être fait droit à l'argument, entièrement subjectif et non suivi de preuve, fondé sur la prétendue incompétence dudit successeur des époux Nicolas ;

Attendu en conséquence qu'en laissant poursuivre les tournées du fonds dont ils avaient la jouissance mais aussi la responsabilité, par leur fils qui venait de créer de toutes pièces un fonds dans un rayon avoisinant une dizaine de kilomètres, la distance exacte étant ici dépourvue d'incidence - et alors que l'intéressé était bien connu de la clientèle comme ayant effectué lesdites tournées en qualité de préposé de ses parents, les époux Nicolas ont manqué dans des conditions fautives envers leurs bailleurs les époux Moulinoux, à leurs obligations contractuelles de conservation de la clientèle et de l'achalandage ;

Attendu qu'il est encore reproché aux époux Nicolas d'avoir méconnu la clause du contrat de location-gérance leur interdisant de s'intéresser d'une manière directe ou indirecte, pendant dix ans, à un fonds de commerce identique ou assimilable situé dans un rayon de dix kilomètres ;

Que les époux Moulinoux entendent fonder le grief sur la présence et l'activité des époux Nicolas dans les lieux où leur fils exploite son propre fonds ;

Mais attendu qu'outre que ne peut être considéré comme suffisamment probante une attestation isolée émanant d'un témoin portant l'identité d'Éric Moulinoux né à Saint Bonnet près Bort, selon laquelle Pierre Nicolas aurait été vu, vers 6 heures 15 ou 6 heures 30, chargeant sa voiture de pain " boulevard Clemenceau , angle 2°, 1 rue Michelet ", il ne saurait être déduit de la présence constatée par huissier ou par témoin des père et mère de Fabrice Nicolas dans les lieux où il a créé son propre fonds de commerce, tant à Ussel qu'à Saint Exupery-les-Roches, que ces derniers, même s'ils ont pu partiellement aider leur fils à servir les clients, ont excédé la solidarité d'usage entre ascendants et descendants dans des conditions répondant d'un intérêt même indirect, étant précisé que Pierre Nicolas justifie d'une inscription à l'ANPE ;

Que l'activité de concurrence déloyale ne sera donc pas retenue à ce titre à l'encontre des époux Nicolas ;

Que, s'agissant en revanche des faits imputés à Fabrice Nicolas, sa qualité de tiers étranger liant ses père et mère aux époux Moulinoux ne l'exonère pas de toute responsabilité quasi délictuelle dans le processus ayant conduit au transfert en sa faveur de la clientèle des tournées de ces derniers ;

Qu'instrument actif de ce processus lorsqu'il a poursuivi de connivence avec ses parents la tournée du fonds Moulinoux alors qu'il venait de créer, sans avoir à racheter par conséquent les éléments relatifs à la chalandise, son propre fonds situé non loin de là, il a participé solidairement avec les époux Nicolas à la réalisation du préjudice qui en est résulté pour eux ;

Qu'il existe par ailleurs, au vu de la liste des lieux de sa tournée, remise par le fils Nicolas à l'expert, ainsi que des attestations produites et notamment de l'ensemble des documents relatifs à l'expérience du gérant suivant des époux Moulinoux, des présomptions suffisamment précises, graves et concordantes, que Fabrice Nicolas, loin d'informer la clientèle de ses tournées, largement concurrentes de celles du fonds Moulinoux, du changement de situation intervenu, a cherché au contraire à en tirer profit, se rendant ainsi coupable d'un véritable détournement de clientèle constitutif de concurrence déloyale, fait ayant indistinctement participé, avec ceux imputés à ses père et mère, à la réalisation du dommage des époux Moulinoux ;

Et attendu qu'au vu des éléments de l'espèce, et notamment de l'existence d'une concurrence connue dans le secteur où interviennent de nombreux boulangers eux-mêmes concurrencés par d'autres formes d'exercice de leur activité, les prétentions des époux Moulinoux seront ramenés à de plus justes proportions ;

Que les époux Nicolas et Fabrice Nicolas in solidum seront condamnés à leur payer la somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Qu'il ne serait pas équitable de laisser aux époux Moulinoux la charge des frais irrépétibles exposés pour soutenir ce procès ;

Qu'il leur sera alloué, sous la même solidarité, la somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Infirme le jugement rendu le 22 février 1996 par le Tribunal de commerce de Tulle ; Condamne in solidum Pierre Nicolas, son épouse Marie-Josèphe Heyraud et Fabrice Nicolas à payer à Noël Moulinoux et à son épouse Yvette Raynaud la somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts ; Les condamne en outre à leur payer la somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Rejette les conclusions contraires ou plus amples des parties ; Condamne les époux Nicolas et Fabrice Nicolas aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés comme en matière d'aide judiciaire.