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Décisions

CA Aix-en-Provence, 4e ch. A, 13 novembre 1997, n° 96-14695

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ruschke

Défendeur :

Boulangerie Marseillaise (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Croze

Conseillers :

M. Lonné, Mme Dampfhoffer

Avoués :

SCP Liberas-Buvat-Michotey, SCP Martelly-Maynard

Avocats :

Mes Gautier, Servel

TGI Draguignan, 1re ch., du 25 avr. 1996

25 avril 1996

I- Faits, procédure, demandes et moyens des parties :

Par jugement du 25 avril 1996, auquel la Cour se réfère pour l'exposé du litige opposant les parties, le Tribunal de grande instance de Draguignan a :

- constaté le refus de renouvellement du bail commercial,

- dit que M. Ruschke devra payer à la SARL La Boulangerie Marseillaise, locataire évincée, une indemnité égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.

- débouté les parties du surplus de leur demande,

- avant dire droit sur le montant de l'indemnité d'éviction, ordonné une expertise confiée à M. Odet,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du NCPC.

- réservé les dépens.

Un jugement rectificatif du 20 juin 1996 a corrigé une erreur affectant la mission confiée à l'expert sus désigné en précisant que celui-ci devra " fournir au tribunal tous éléments d'appréciation sur la fixation de l'indemnité d'éviction due par le bailleur au locataire conformément aux dispositions du décret du 30 septembre 1953 régissant la matière. "

M. Ruschke a régulièrement relevé appel du jugement du 25 avril 1996 et, aux termes de conclusions déposées les 17 octobre 1996 et 25 juillet 1997 auxquelles il est expressément fait référence pour le détail de son argumentation et dont le dispositif ci-après reproduit résume l'essentiel de ses moyens, demande à la Cour de :

" constater que les premiers juges ont fait une mauvaise appréciation des faits de la cause,

" au vu des différents actes échangés et de la volonté manifestée dans les termes et délais par M. Ruschke, valider le congé sans offre de renouvellement, sans paiement d'indemnité d'éviction, notifié à la SARL La Boulangerie Marseillaise,

" dire que ledit congé a produit tous ses effets au 29 septembre 1993,

" constater que le contrat de location-gérance signé en effet le 10 décembre 1985 à St-Tropez avec effet au 11 décembre 1985 constitue en fait une sous-location déguisée,

" constater que ce contrat est en effet signé entre la SARL La Boulangerie Marseillaise dont les seuls associés sont MM. Delpui André et Delpui Thierry représentés par M. André Delpui signé avec MM. André et Thierry Delpui,

" constater également que la redevance représente sensiblement le prix de la jouissance des lieux où s'exploite le fonds, notion déterminante de la fraude aux droits du bailleur propriétaire et de la dissimulation d'un contrat de sous-location,

" constater aussi qu'il est imposé au gérant d'exécuter aux lieu et place du bailleur du fonds et dès lors au locataire principal, toutes les charges et conditions des lieux où est exploité le fonds et d'en payer les loyers au propriétaire de l'immeuble comme une véritable sous-locataire,

" juger que ces critères révèlent une dissimulation manifeste d'une sous-location et que la résiliation anticipée, en dehors des délais contractuels de la location-gérance est la preuve de la connaissance par la société locataire de son infraction,

" dire que du fait de la nature de l'infraction, aucune sommation préalable n'était nécessaire à la validité, en la forme, du congé, largement motivé au fond,

" valider le congé sans offre de renouvellement délivré par M. Harry Ruschke et dire que la SARL La Boulangerie Marseillaise ne peut se prévaloir d'aucun droit à indemnité d'éviction du fait de la faute grave par elle commise par la fraude perpétuée durant plus de huit ans pour des motifs juridiques (non-détention par les consorts Delpui de l'intégralité du capital social de la société à l'époque) et fiscaux (amortissement des travaux réalisés par ceux-ci dans le cadre de leur exploitation),

" ordonner, dès lors, l'expulsion de la société locataire ainsi que de tout occupant de son chef, dans le mois de la signification de l'arrêt à intervenir,

" désigner tel expert qui fixera l'indemnité d'occupation due par ladite locataire depuis la date d'effet du congé délivré et ce jusqu'à son départ des lieux, ledit expert devant déterminer la valeur locative desdits lieux à partir de laquelle sera déterminée ladite indemnité d'occupation,

" constater à nouveau l'attitude de la SARL La Boulangerie Marseillaise qui a réalisé soit directement soit par l'intermédiaire de ses " locataires-gérants " des travaux importants changeant la destination des lieux du 1er étage - par la création d'un nouveau laboratoire,

" condamner la SARL La Boulangerie Marseillaise à la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts,

" la condamner de même à la somme de 30 000 F sur la base de l'article 700 du NCPC,

" la condamner enfin aux entiers dépens. "

La SARL La Boulangerie Marseillaise intimée et appelante incidente a conclu comme suit :

" A titre principal,

" annuler les actes signifiés à la requête de M. Ruschke les 29 juillet 1993 et 3 septembre 1993 et reconnaître le droit au renouvellement du bail du 29 septembre 1984,

" dire et juger, compte tenu de la demande de renouvellement formée par la SARL La Boulangerie Marseillaise le 19 juillet 1993, que le bail s'est renouvelé aux mêmes clauses et conditions, à compter du 30 septembre 1993 pour se terminer le 29 septembre 2002.

" Subsidiairement,

" dire et juger que le contrat du 10 décembre 1985 conserve sa qualification de contrat de location-gérance, exclusive de toute sous-location prohibée par le bail,

" dans l'hypothèse où, par extraordinaire, la qualification de contrat de sous-location serait retenue, dire et juger que le bailleur devait, pour refuser le renouvellement du bail, faire signifier préalablement une mise en demeure d'avoir à mettre fin à l'infraction reprochée, selon les formalités prescrites par l'article 9-1 du décret du 30 septembre 1953,

" dire et juger que le bailleur devra dès lors verser (dans l'hypothèse où le refus de renouvellement serait validé) à la SARL La Boulangerie Marseillaise l'indemnité d'éviction prévue par l'article 8 du décret du 30 septembre 1953 et désigner tel expert qu'il plaira à la Cour afin de lui donner tous les éléments pour fixer le montant de cette indemnité, aux frais avancés du bailleur.

" En toute hypothèse, faire droit à la demande reconventionnelle de la SARL La Boulangerie Marseillaise et condamner M. Ruschke à lui régler une somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

" condamner M. Ruschke à régler une somme de 30 000 F en application des dispositions de l'article 700 du NCPC au titre des frais irrépétibles inhérents à la procédure en première instance et une somme de 20 000 F au titre des frais irrépétibles inhérents à l'instance d'appel.

" condamner M. Ruschke aux entiers dépens de première instance et d'appel. "

II- Motifs et décision de la Cour :

1- Sur l'exception de nullité des actes signifiés les 29 juillet et 3 septembre 1993 à la requête de M. Ruschke :

La SARL La Boulangerie Marseillaise fait état de l'incohérence du congé avec refus de renouvellement que M. Ruschke lui a fait délivrer le 29 juillet 1993 dans la mesure où l'acte incriminé mentionne que le bail s'est prolongé par tacite reconduction alors qu'il n'expirait que le 29 septembre 1993 et que congé lui était donné pour le 29 mars 1994 sans qu'on puisse comprendre pourquoi cette date avait été choisie.

En ce qui concerne le refus de renouvellement délivré par le bailleur le 3 septembre 1993 en réponse à la demande faite par la société locataire le 19 juillet, cette dernière prétend que cet acte n'a aucune valeur juridique s'agissant d'un projet.

Contrairement à ce que soutient l'appelant dans ses écritures la SARL La Boulangerie Marseillaise fait bien état dans un acte du 7 septembre 1993 en réponse au congé du 29 juillet 1993 de l'irrégularité de ce congé qu'elle considère comme nul en la forme. En outre, il ne résulte pas du dossier que ces nullités aient été couvertes au sens de l'article 112 du NCPC. L'exception soulevée est donc en l'espèce recevable mais il convient de la rejeter en application de l'article 114 alinéa 2 du NCPC car la SARL La Boulangerie Marseillaise ne rapporte pas la preuve du grief que lui cause les irrégularités en question.

En effet, les deux actes étaient motivés et ont permis au locataire d'y répondre sans subir aucun préjudice.

2- Sur la qualification du contrat du 10 décembre 1985 :

Ce contrat, dit de location-gérance, intervenu entre la SARL La Boulangerie Marseillaise et Thierry et André Delpui est considéré par le bailleur comme une sous-location déguisée.

L'analyse de M. Ruschke est cependant inexacte.

À l'appui de sa thèse, l'appelant fait état de la faible redevance due par les locataires gérants et se fonde sur le contenu même de l'acte du 10 décembre 1985.

S'agissant du montant de la redevance, fixée à 40 000 F par an, alors que les loyers proprement dits n'étaient que de 22 000 F, il ressort du dossier que sa modicité s'explique par l'économie des actes successifs de cession de parts des 15 novembre 1985 et 28 juin 1987, qui ont permis aux frères Delpui de devenir seuls responsables de l'exploitation et les seuls associés de la SARL La Boulangerie Marseillaise en 1987 dans le but de réaliser d'importants investissements que la SARL La Boulangerie Marseillaise, alors composée par l'hoirie Frechingues et Bigorne en 1985, ne voulait pas supporter.

En outre, le contrat litigieux ne pourrait dissimuler une sous-location, c'est à dire une location des murs sans fonds de commerce, que dans l'hypothèse où une nouvelle activité aurait été exercée dans les lieux, ou bien en l'absence de toute activité. Or tel n'est pas le cas puisque les frères Delpui ont poursuivi l'exploitation de la même activité.

Par ailleurs, les clauses de l'acte relatives à l'obligation par le locataire-gérant d'exécuter les charges et conditions du bail, de régler les loyers au nom des bailleurs ou d'effectuer les réparations à la charge du preneur, se retrouvent fréquemment dans les contrats de location-gérance et il suffit de se référer aux " contrats-types " publiés dans les revus spécialisées pour le constater (voir notamment le jurisclasseur notarial formulaire ou le Lamy Droit Commercial).

Enfin, si l'on considère :

- que la durée du contrat signé le 10 décembre 1985 est celle habituelle des locations-gérances, c'est à dire une brève période d'un an, renouvelable par tacite reconduction au gré des parties,

- que le contrat peut être résilié amiablement de façon anticipée,

- qu'il n'existe aucune stipulation d'une indemnité s'apparentant à une indemnité d'éviction en cas de refus de renouvellement,

L'on peut en déduire, ainsi que de tout ce qui précède, que le contrat dont s'agit est bien une location-gérance et non une sous-location, étant ajouté que les conditions dans lesquelles le contrat litigieux a été amiablement résilié ne permet nullement de soutenir, comme le fait M. Ruschke, que la SARL La Boulangerie Marseillaise avait une " connaissance manifeste de son infraction perdurante " (sic) puisque la date de cette résiliation (15 janvier 1993) est antérieure de plus de 6 mois à la date du congé (29 juillet 1993).

3- La bail qui lie la SARL La Boulangerie Marseillaise à M. Ruschke contient une clause (obligation générale § 5) ainsi rédigée :

" le bail est personnel à la Boulangerie Marseillaise qui ne pourra, en aucun cas sous-louer en tout ou partie, ni céder ce dernier à titre gratuit ou onéreux, si ce n'est à son successeur dans son propre commerce et avec l'autorisation écrite du bailleur... "

Cette clause n'exclut nullement un contrat de location-gérance mais prohibe, par contre, une sous-location étant précisé qu'un contrat de location-gérance ne remet pas en cause " le caractère personnel du bail ", à différencier de l'exploitation personnelle du fonds non exigée en l'espèce par le bail.

En outre, " l'autorisation écrite du bailleur " n'est, dans le cas particulier, exigée que pour une cession du bail avec le fonds de commerce ce qui permet de dire que l'appelant fait une mauvaise analyse juridique du cas d'espèce si l'on se place dans l'hypothèse qui vient d'être écartée de la sous-location.

En effet, dans ce cas et de façon surabondante, une mise en demeure préalable s'imposait conformément aux dispositions de l'article 9-1 du décret de 1953 car ce n'est que lorsque le propriétaire n'a pas été appelé à concourir à l'acte de sous-location autorisée qu'il existe un manquement instantané et irréversible tandis que la sous-location prohibée est une infraction continue susceptible de cesser par l'effet d'une résiliation. Or, en l'espèce, il est constant que cette mise en demeure fait défaut.

Il en est de même en ce qui concerne la modification des locaux du 1er étage et l'extension de la surface commerciale réalisée sans l'autorisation du bailleur. Il s'agit, là encore, d'une infraction dont le caractère n'est pas irréversible puisqu'une remise en état des lieux pouvait être demandée par M. Ruschke. Or, il est également constant qu'aucune mise en demeure n'a été signifiée à la SARL La Boulangerie Marseillaise, ce qui prive l'appelant de se prévaloir du manquement allégué pour justifier son refus de renouvellement sans indemnité d'éviction.

4- Dès lors, M. Ruschke n'a pas la possibilité de refuser le renouvellement du bail consenti à la SARL La Boulangerie Marseillaise sans verser à cette dernière l'indemnité d'éviction prévue à l'article 8 du décret de 1953.

Il doit donc être débouté de toutes ses demandes.

5- Il convient de débouter la société intimée de sa demande en paiement d'une somme de 200 000 F en réparation du préjudice qu'elle dit subir du fait de la procédure diligentée par son bailleur.

En effet, l'abus de droit d'ester en justice n'est nullement établi à l'encontre de ce dernier, et en outre, le préjudice allégué n'est pas prouvé.

En revanche, il est équitable d'allouer à la SARL La Boulangerie Marseillaise une somme de 20 000 F en application de l'article 700 du NCPC tant en première instance que pour la présente procédure d'appel.

6- En conséquence, le jugement entrepris, tel que rectifié le 20 juin 1996, doit être confirmé, mais par substitution de motifs, en ce qu'il a :

- constaté le refus de renouvellement du bail commercial,

- dit que M. Ruschke devra payer à la SARL La Boulangerie Marseillaise une indemnité d'éviction et ordonné une expertise confiée à M. Odet,

- débouté M. Ruschke de ses demandes et la SARL La Boulangerie Marseillaise de sa demande en dommages et intérêts pour procure abusive,

Ajoutant et réformant pour le surplus, il convient de dire que :

- l'intimée doit être déboutée de ses exceptions de nullité des actes des 29 juillet et 3 septembre 1993,

- le contrat du 10 décembre 1985 est une location-gérance et non une sous-location,

- M. Ruschke doit être condamné à payer à la SARL La Boulangerie Marseillaise la somme de 20 000 F en dédommagement de ses frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en appel, et par ailleurs, aux entiers dépens tant de première instance que d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, et en premier ressort, Sur l'appel du jugement du 25 avril 1996 (rectifié le 20 juin 1996) rendu par le Tribunal de grande instance de Draguignan, Déclare l'appel recevable mais mal fondé, En conséquence, confirme, mais par substitution de motifs, le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception de celles relatives à l'application de l'article 700 du NCPC et aux dépens (étant précisé qu'il y a une contradiction quant aux dépens entre les motifs et le dispositif du jugement). Ajoutant, Rejette les exceptions de nullité soulevées par la SARL La Boulangerie Marseillaise, Dit que le contrat du 10 décembre 1985 est un contrat de location-gérance non prohibé par le bail liant M. Ruschke à la SARL La Boulangerie Marseillaise, Réformant, Condamne M. Ruschke à payer à la SARL La Boulangerie Marseillaise la somme de 20 000 F (vingt mille francs) en application de l'article 700 du NCPC. Condamne M. Ruschke aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec pour ces derniers applications des dispositions de l'article 699 du NCPC au profit de la SCP Martelly Maynard, avoués.