CA Rennes, 2e ch., 19 novembre 1997, n° 9606592
RENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Comptoirs Modernes Économiques de Rennes (Sté), Docks de l'Ouest (SA), Franchise Comptoirs Modernes (SA)
Défendeur :
RMJ (EURL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bothorel
Conseillers :
MM. Poumarède, Mesière
Avoués :
Mes Bourges, Castres Colleu & Perrot
Avocats :
Mes Chevallier, Lauriot.
FAITS ET PROCEDURE :
Statuant sur :
1°- les demandes de la société Comptoirs Modernes Économiques de Rennes :
A- en paiement de diverses factures d'un montant total de 730 577,26 F, d'une astreinte journalière de 1 000 F pour non-respect du contrat de franchise (article 36), d'une indemnité de 50 000 F pour résistance abusive, de la somme enfin de 20 000 F au titre des frais non répétibles,
B- en constatation de la résiliation pour inexécution des contrats d'approvisionnement et de franchise dirigées contre l'EURL RMJ ;
2° - les demandes de l'EURL RMJ en résiliation et nullité des contrats d'approvisionnement et de franchise, en nullité pour dol de la vente du fonds de commerce, et en paiement de diverses sommes au titre du remboursement du fonds (961 910 F), des prélèvements indus sur le chiffre d'affaires (686 607 F), des dommages résultant des contrats annulés (85 000 F), outre 60 000 F, montant des frais non répétibles, dirigées contre les sociétés Docks de l'Ouest, SNC Comptoirs Modernes Économiques de Rennes, SA Comptoirs Modernes Économiques de Rennes, Franchise Comptoirs Modernes, solidairement,
le Tribunal de commerce de Nantes, par jugement du 13 mai 1996, assorti de l'exécution provisoire, partageant par moitié les dépens entre le " groupe " Comptoirs Modernes et l'EURL RMJ a notamment :
- prononcé la nullité des contrats de vente du fonds de commerce, de franchise et d'approvisionnement,
- condamné solidairement les défenderesses à payer à l'EURL RMJ les sommes de 491 910 F (vente du fonds), 747 371 F (contrat de franchise et d'approvisionnement) outre diverses indemnités (112 527,75 F) et les frais non répétibles (30 000 F),
- condamné la société RMJ à payer à la SAS Comptoirs Modernes Économiques de Rennes la somme de 730 577,26 F correspondant à la livraison de marchandises,
- ordonné la compensation entre ces créances réciproques, à la date du jugement ;
La SAS Comptoirs Modernes Economiques de Rennes, et les sociétés Docks de l'Ouest et Franchise Comptoirs Modernes ont interjeté appel de ce jugement ; l'EURL RMJ a relevé appel incident;
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Appelante, la SAS Comptoirs Modernes Économiques de Rennes, qui vient aux droits des sociétés du même groupe présentes en première instance, fait grief au jugement d'avoir ainsi statué aux motifs :
D'une part, que les résultats bruts d'exploitation donnés dans l'acte de vente ne répondaient pas aux obligations de la loi du 29 juin 1985, puisqu'ils ne correspondaient pas à des résultats réels ; que les chiffres prévisionnels avaient eu pour effet d'inverser la tendance déficitaire des années précédentes ; que le niveau de marge brute ne résultait pas d'une marge d'exploitation réelle, l'ancien magasin, simple succursale du groupe Comptoirs Modernes Économiques de Rennes, n'achetant pas ses produits, circonstances rendant irréaliste le compte d'exploitation présenté lors de la vente ; que ces éléments étaient constitutifs de manœuvres dolosives, justifiant la nullité de la vente du fonds de commerce ;
D'autre part, que la nullité de cette vente devrait entraîner, avec les réparations et restitutions nécessaires, celle des contrats de franchise et d'approvisionnement, dont elle était le support,
Alors
Qu'il n'y avait pas eu vice de consentement lors de la vente du fonds, conclue après des négociations ayant duré plus de six mois et une formation assurée par la venderesse, entre Mme Guibert de l'EURL RMJ, particulièrement expérimentée et assistée d'un notaire qui l'avait clairement avertie des risques encourus et la société franchiseur qui avait fourni des documents comptables analytiques tous disponibles en raison de l'exploitation jusque là " succursaliste " du fonds - ce qu'avait accepté expressément l'acquéreur - et un compte prévisionnel annonçant, avec des marges prudemment évaluées, une amélioration légitimement espérée du dynamisme du nouvel exploitant ;
La SAS Comptoirs Modernes Économiques de Rennes, demande en conséquence à la Cour de :
Confirmer la décision de première instance en ce qu'elle a fait droit à la demande principale de Comptoirs Modernes Économiques de Rennes,
La réformant pour le surplus dire et juger que l'EURL RMJ n'apporte pas la preuve d'un vice du consentement, de manœuvres dolosives lors de la signature des actes de vente de fonds de commerce, de contrat d'approvisionnement, de contrat de franchise ou de bail,
Débouter en conséquence, l'EURL RMJ de ses demandes,
Condamner celle-ci à payer à la société Comptoirs Modernes Économiques de Rennes la somme de 869 109,98 F au titre des restitutions des sommes réglées au titre de l'exécution provisoire,
Constater que la restitution du fonds de commerce n'est plus à ce jour réalisable et en conséquence, fixer à 200 000 F la créance de l'EURL RMJ au titre de la valeur du fonds de commerce à la suite de l'exécution provisoire de la décision à intervenir,
Subsidiairement, en cas de confirmation de la décision, dire que l'EURL RMJ est débitrice à l'égard de la Comptoirs Modernes de Rennes de la totalité des résultats qu'elle a effectués du 13 mai 1996 au 28 février 1997,
À défaut pour cette dernière d'avoir justifié de l'ensemble de ses pièces comptables sur cette période, la condamner à payer à la Comptoirs Modernes Économiques de Rennes une somme de 200 000 F,
Condamner l'EURL RMJ à payer à la Comptoirs Modernes Économiques de Rennes la somme de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Intimée, l'EURL RMJ conclut à la confirmation du jugement, sur les nullité prononcées, mais relève appel incident sur les sommes allouées, insuffisantes, selon elle ; elle fait siens pour l'essentiel les motifs ci-dessus rappelés du Tribunal, et demande à la Cour de :
Réformer le quantum, condamner solidairement les quatre sociétés :
- société par actions simplifiées SAS Comptoirs Modernes Économiques de Rennes, anciennement société en nom collectif, ayant son siège rue de Bray, ZI Sud Est 35 Cesson Sévigné,
- la Comptoirs Modernes Économiques de Rennes, (société anonyme RCS B 549.200.418 ayant apporté son patrimoine à la SNC Comptoirs Modernes Économiques de Rennes ayant son siège rue de Bray ZI Sud Est 35 Cesson Sévigné,
- la SA Franchise Comptoirs Modernes Économiques de Rennes, société anonyme RCS Le Mans B 320.609.597 ayant son siège boulevard d'Estiennes d'Orves Rocade Sud 72100 Le Mans et 1 place du Gué de Maulny 72000 Le Mans,
À payer à la société EURL RMJ les sommes suivantes :
1- remboursement du prix d'achat du fonds de commerce alimentaire Comod contre commerce boulevard de Sarrebruck à Nantes TTC 600 000 F frais d'actes TTC 91 910 F soit TTC : 691 910,00 F,
2- valeur des matériels d'origine 200 000,00 F,
3- remboursement des matériels achetés par RMJ (autres que les éléments corporels inclus dans le fonds de commerce inclus)
- matériels payés par RMJ et commandés par la Comptoirs Modernes Économiques de Rennes avant la vente au magasin : 83 320,00 F,
- autres matériels : 41 405,60 F,
TOTAL 124 725,60 F
4- remboursement des 2 % de franchise du 1er janvier 1992 au 14 avril 1992 48 467,53 F,
5- remboursement des impôts foncier 92-93-94-95 230 829,59 F,
remboursement des impôts foncier 1996 47 870,20 F,
6- pertes des exercices 89 à 91 747 371,00 F,
7- remboursement des 4 % prélevés indûment sur le chiffre d'affaires hors taxe de l'EURL RMJ du 1er décembre 1989 au 14 avril 1992 (majoration non contractuelle du prix non signalée dans le " compte d'exploitation prévisionnel " HT 13 732,15 x 0,05 % 686 607,00 F,
outre TVA à 18,60 % soit TTC 814 315,00 F,
8- remboursement des 5 % prélevés indûment sur le stock initial racheté par l'EURL RMJ à la Comptoirs Modernes Économiques de Rennes soit 5 % sur 433 377,91 TTC 20 637,04 F,
9- remboursement des débours de l'EURL RMJ vis à vis des banques (Crédit Mutuel - BNP)
montant du découvert 305 438,69 F,
intérêts et agios (33 990,95 + 71 480,61 + 61 360,73) 166 832,29 F,
frais de procédure relatifs au découvert 3 459,55 F,
frais de procédure relatifs au prêt d'achat du fonds
de commerce (article 700 + greffe - signification) 10 612,05 F,
10- remboursement divers frais et paiement indus trop versé sur charge, livraison, Pomona, condamnation, constats huissiers, consignes 72 227,57 F,
11- dommages-intérêts découlant de la faute intentionnelle de la Comptoirs Modernes Économiques de Rennes (tromperie sur les chiffres réels d'exploitation) 300 000,00 F,
12- autres dommages et intérêts (pub mensongère, engagement non respecté, tromperie sur zone de chalandise et sur effectifs) 60 000,00 F,
13- remboursement du manque à gagner par l'EURL RMJ pendant
sept ans et trois mois, soit la somme de 2 393 081,00 F,
14- remboursement du matériel 180 334,66 F,
remboursement du stock 216 840,25 F,
le tout avec intérêts au taux légal à compter du 12-10-92
15- indemnité article 700 NCPC 60 000,00 F,
Subsidiairement
Dire qu'il y a faute contractuelle article 1146 et 1147 du code civil à vendre un fonds en cachant les chiffres réels de déficit et en les maquillant sous forme d'un compte d'exploitation prévisionnel volontairement inexact et sous-estimé,
Prononcer la nullité du contrat d'approvisionnement du 30 novembre 1989 pour absence d'information pré-contractuelle, pour indétermination du prix et vice de consentement et application de prix discriminatoires et pour dols et manœuvres dolosives article 1116 et 1117 du code civil,
Prononcer la nullité du contrat de franchise du 30 novembre 1989 pour absence d'information pré-contractuelle, pour indétermination du prix et pour vice de consentement, application de prix discriminatoires, pour dols, manœuvres dolosives et réticences article 1116 et 1117 du code civil,
Plus subsidiairement,
Recevoir l'action de l'EURL RMJ sur le fondement de la responsabilité délictuelle article 1382 du code civil ;
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision et aux conclusions déposées ;
MOTIFS :
Considérant que par acte au rapport de Maître Gouranton, notaire à Rennes, en date du 27 novembre 1989, l'EURL RMJ a acheté à la société Docks de l'Ouest, pour le prix de 600 000 F, une fonds de commerce d'alimentation générale situé à Nantes, centre commercial Malakoff ; que ce fonds était exploité depuis le 1er janvier 1987, en location-gérance, par la SA Comptoirs Modernes Économiques de Rennes ;
Que, par acte du même jour, l'EURL RMJ signait avec la société Docks de l'Ouest, propriétaire de l'immeuble de 490 m² où s'exerçait l'activité cédée, un bail commercial de neuf ans, stipulant un loyer annuel " hors taxe " de 80 000 F ;
Que, le 30 novembre 1989, l'EURL RMJ passait, pour la même durée, d'une part un contrat de franchise avec la société Franchise des Comptoirs Modernes prévoyant une redevance annuelle de 2 % sur le chiffre d'affaires, frais de publicité inclus (0,5 %) et, d'autre part, un contrat d'approvisionnement, non exclusif, avec la SA Comptoirs Modernes Économiques de Rennes ;
Considérant que seule reste en discussion devant la Cour, la nullité du contrat de vente du fonds de commerce en date du 27 novembre 1989, et des contrats de franchise et d'approvisionnement passés le 30 novembre 1989, entre l'EURL RMJ et les sociétés du groupe Comptoirs Modernes Économiques de Rennes, le sort des deux derniers étant lié à celui du premier cité ;
Considérant que, pour déférer au jugement, assorti de l'exécution provisoire, l'EURL RMJ a restitué les éléments incorporels du fonds de commerce à la société Comptoirs Modernes Économiques de Rennes le 28 février 1997 ; que cette dernière a versé à l'EURL la somme de 869 109 F mise à sa charge par le tribunal ; qu'elle a ensuite cédé lesdits éléments, c'est-à-dire les locaux ou s'exploitait le fonds litigieux, à la société HMP Entreprise, par acte du 12 juin 1997 ; qu'ainsi, les parties, ayant exécuté le jugement, ne peuvent plus ni représenter ni récupérer le fonds dans ses éléments au moment de la vente incriminée ;
Considérant que, selon l'article 14 de la loi du 29 juin 1935, l'action en nullité de vente d'un fonds de commerce pour inexactitude des énonciations de l'acte, visées à l'article 12, " doit être intentée par l'acquéreur dans le délai de un an à courir de la date de prise de possession " ;
Qu'en l'espèce, l'acte de vente étant du 27 novembre 1989 et la prise de possession intervenue dans les jours suivants, l'assignation de la société des Docks de l'Ouest par l'EURL RMJ en octobre 1992, a été délivrée après l'expiration du délai de un an ci-dessus évoqué ; qu'elle ne saurait en raison de sa tardiveté tendre à la nullité de la vente du fonds litigieux pour inexactitude des énonciations portées à l'acte ;
Que rien n'empêche, toutefois, l'acquéreur d'invoquer les dites inexactitudes à l'appui d'une action en nullité fondée sur le droit commun en l'espèce un vice du consentement tel que le dol ou l'erreur ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1116 du code civil :
" le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté, il ne se présume pas et doit être prouvé " ;
Considérant, que d'après son curriculum vitae destiné à obtenir un poste autonome dans le réseau exploité par le groupe Comptoirs Modernes Économiques de Rennes, Mme Guibert mentionnait que, depuis le 12 avril 1980, elle était responsable d'une supérette de 400 m², qu'elle s'occupait ainsi, selon ses propres énonciations, de l'approvisionnement du magasin (commandes, négociations avec les fournisseurs, salons ou autres manifestations) de " la gestion des linéaires ", de la gestion du personnel ; qu'elle indiquait également s'occuper de la tenue des caisses, du grand livre, du coffre, des livres de banque ;
Que l'expérience professionnelle ainsi décrite, faisant de Mme Guibert une candidate à la franchise, habituée aux responsabilités d'un magasin de surface moyenne ; que son ambition d'évoluer dans le réseau était légitime, comme l'acceptation de sa candidature par le groupe Comptoirs Modernes Économiques de Rennes, dont c'était une employée ;
Considérant que le " questionnaire confidentiel " établi par Mme Guibert, dès le premier semestre 1989, témoignait de son vif intérêt pour l'obtention d'une franchise ; qu'entre cette candidature et les contrats de vente, de bail, de franchise, et d'approvisionnement passés avec le groupe Comptoirs Modernes Économiques de Rennes, il s'était écoulé environ six mois ;
Considérant qu'avant de signer les contrats précités, fin novembre 1989, Mme Guibert a consulté Maître Roger Devenyns, notaire à Nantes ; que cet officier ministériel, vraisemblablement inquiet de l'aventure où s'engageait sa cliente, éprouvait le besoin de lui faire parapher une lettre qu'il lui destinait, en date du 9 octobre 1989, sur laquelle celle-ci a fait précéder sa signature de la mention " pris connaissance " ;
Considérant que ce notaire s'y exprimait de la façon suivante :
" Je vous signale que le compromis que vous avez signé est extrêmement incomplet et ne présente aucun des points voulus par la loi et qui doivent permettre à un acquéreur d'apprécier la valeur vénale d'un fonds " ;
Qu'au paragraphe suivant, s'agissant des chiffres d'affaires, des bénéfices commerciaux et de la reprise du personnel, Maître Devenyns ajoutait :
" faites très attention... voir votre comptable ou mieux l'inspection du travail ",
qu'il indiquait aussitôt :
" faites très attention à l'estimation du fonds qui vous est vendu ; en effet les commerces d'alimentation sont depuis de nombreuses années en forte chute au point de vue valeur et rendement " ;
qu'il précisait à ce sujet :
" le centre de Malakoff est tout de même assez spécial et il est peut-être difficile de connaître son évolution future tant du point de vue possibilité de travail, que de genre de clientèle " ;
Considérant que, de façon tout à faite appropriée, cette lettre soulignait que :
" il ne faut pas à mon sens que vous soyez trop liée avec votre vendeur ou la société de franchise afin que si votre commerce ne répondait pas à vos souhaits, vous puissiez éventuellement le réaliser sans trop de mal ou peut-être changer la nature du commerce exploité dans les lieux ",
que cet officier ministériel terminait son avis motivé en ces termes :
" je ne voudrais pas être pessimiste mais je vous avoue qu'il y a fort longtemps que je ne vois plus de clients se lancer dans l'alimentation de détail du fait particulièrement de la très forte concurrence des grandes surfaces. En conséquence, faites très attention, étudiez bien votre dossier et les rapports financiers annoncés par vos vendeurs ; faites les contrôler par votre comptable " ;
Que Maître Devenyns déconseillait ainsi clairement à Mme Guibert de donner suite à l'opération envisagée, à moins, précisait-il, qu'elle ne soit " très au fait du commerce de l'alimentation " et qu'elle ait pu " apprécier personnellement l'intérêt que peut présenter l'acquisition d'un tel commerce " ;
Que les pièces versées aux débats démontrent que Mme Guibert a ignoré, jusque dans le détail, les conseils très pertinents donnés par son notaire ; qu'elle n'a ainsi pas tenu compte du caractère spécial du centre Malakoff, entouré d'une population impécunieuse et en diminution constante ; qu'elle n'a pas fait analyser par son comptable les documents et les chiffres fournis par ses vendeurs ; qu'elle s'est liée étroitement avec ceux-ci par des contrats de bail, de franchise, d'approvisionnement, créant une dépendance économique vivement déconseillée par Maître Devenyns ; qu'elle n'a pas consulté d'avantage sur les droits du personnel ; qu'elle a vraisemblablement surestimé ses capacités propres d'analyse et a cru, pour son dommage, pouvoir négliger l'avis réellement très réservé de son notaire et dont le respect aurait sans doute évité ses déboires ultérieurs ;
Considérant que Mme Guibert, malgré ces conseils, a signé le 27 novembre 1989, c'est-à-dire sept semaines plus tard, le contrat de vente du fonds de commerce exploité dans le centre de Malakoff et le bail des locaux, d'une superficie de 490 m² ;
Que l'acte de vente du fonds stipulait expressément que :
" le cédant précise que les résultats proviennent de documents analytiques propres à la société de par sa structure succursaliste il n'y a pas de comptabilité propre à chaque point de vente, ce que le cessionnaire reconnaît " ;
Que Mme Guibert a ratifié une telle clause sans vérifier si de tels documents révélaient la situation réelle du fonds, malgré le scepticisme du notaire qui avait eu connaissance du compromis; que la consultation d'un expert comptable, conseillée à deux reprises par l'officier ministériel, aurait éclairé définitivement Mme Guibert sur ce point ; qu'ainsi, celle-ci aurait pu obtenir de cet homme de l'art, une projection en comptabilité ordinaire des documents analytiques fournis, et une appréciation de la vraisemblance du document prévisionnel, dont le propre est d'être optimiste, en pareille circonstance, surtout s'il est fourni par le vendeur à un acquéreur de toute évidence très motivé ;
Que Mme Guibert, même en possession de documents analytiques, faisant état de résultats bruts déficitaires, et d'un prévisionnel aux ambitions, somme toute modestes, ne pouvait ignorer qu'elle allait exploiter un magasin en mauvaise santé, dans un quartier déshérité, dans le domaine de l'alimentation en pleine régression, puisque concurrencé par les " grandes surfaces ";
Que la venderesse a produit les documents dont elle disposait, contenant des chiffres réels obtenus par les modes de calcul, eux-mêmes non critiquables ;
Considérant que la masse salariale y a été mentionnée en tenant compte des projets de Mme Guibert, dont la qualité d'associée d'une EURL et de franchisée excluait le contrat de travail ;
Considérant qu'avant la signature des différents actes, le groupe Comptoirs Modernes Économiques de Rennes a permis à Mme Guibert d'effectuer plusieurs stages destinés à la préparer à ses nouvelles responsabilités ;
Considérant qu'en réalité, Mme Guibert, confrontée à une exploitation rendue difficile dans un secteur d'activité très concurrentiel et dans une zone très défavorisée et en voie de dépeuplement, n'a pu relever le magasin dont la rentabilité était médiocre, voire nulle ; que, compte tenu des conseils très réservés de son notaire, et des comptes négatifs produits lors de la vente, Mme Guibert était à même d'apprécier le risque encouru; qu'il n'y a pas eu réticence dolosive du vendeur, ni manquement de celui-ci dans son devoir d'information; qu'avec une légèreté blâmable, Mme Guibert a pris des risques au mépris des conseils donnés, et sans consulter, ni l'inspection du travail pour les salariés, ni un expert comptable pour l'analyse de comptes établis dans le cadre " succursaliste " nécessitant leur interprétation par un professionnel ;
Considérant que le jugement, qui a prononcé l'annulation de ce contre de vente, doit en conséquence être réformé ;
Considérant que les contrats de franchise et d'approvisionnement n'avaient pas davantage lieu d'être annulés ; qu'ils étaient en effet réguliers en la forme ; que leur objet était licite ; que les redevances étaient fixées selon un barème clair et non critiquable ; qu'ils ne contenaient aucune clause abusive ; qu'ils comportaient des obligations équilibrées et réalistes ; que la vente du fonds n'étant pas elle-même annulée, les motifs invoqués pour cette annulation, mais non fondés, ne sauraient entraîner davantage celle des autres contrats concomitants ;
Que le jugement sera donc également réformé en ce qu'il a annulé lesdits contrats ;
Considérant qu'en raison de l'impossibilité actuelle pour la SAS Comptoirs Modernes Économiques de Rennes de restituer le fonds, celle-ci sera condamnée à verser à l'EURL RMJ la somme de 200 000 F correspondant au droit au bail, la dépréciation des autres éléments du fonds s'étant par ailleurs opérée du temps et du fait de la gestion de Mme Guibert, elle-même ;
Considérant que, contrairement à l'opinion des juges, il n'y a pas davantage lieu au remboursement par le groupe Comptoirs Modernes Économiques de Rennes de la majoration de 4 % des prix de marchandises intervenue pendant la première année d'exploitation du magasin ; qu'en effet, il n'existait aucun prix contractuel déterminé pour la période de neuf années du contrat d'approvisionnement ; que le groupe Comptoirs Modernes Économiques de Rennes était libre de pratiquer ses propres tarifs, sans nécessairement continuer le prix théorique de livraison de l'année précédente ; que l'EURL RMJ pouvait s'adresser à d'autres fournisseurs moins chers, aucune exclusivité ne le liant audit groupe ; que le jugement sera réformé en ce qu'il a obtenu de ce chef une somme de 68 388,02 F " hors taxes " ;
Considérant qu'à juste titre, le tribunal, par des motifs que la Cour adopte purement et simplement, a rejeté les demandes de l'EURL RMJ, qui sont pour l'essentiel la conséquence des nullités refusées par la Cour ; qu'ainsi l'EURL RMJ a été déboutée de ses prétentions relatives aux agios sur découvert, à l'écart des marges, au remboursement du matériel, à la saisie-arrêt des comptes, à la tromperie sur l'évolution de la chalandise, à l'état d'ébriété d'un salarié, de l'incompétence des bouchers salariés, à la publicité mensongère, au refus de livraison, au dénigrement, à la rupture du contrat d'approvisionnement et à l'enlèvement de l'enseigne Comod ;
Qu'à juste titre également, le tribunal a accueilli les demandes de l'EURL RMJ concernant les trop versés sur charges (7 067 F et 15 190 F), les dépenses excessives de chauffage (10 000 F), les trop payés sur livraisons Pomona (7 857,57 F), les condamnations judiciaires (4 000 F), soit un total de 44 114,57 F ;
Considérant qu'à tort le tribunal a accueilli, comme conséquence des nullités qu'il a prononcées, les demandes de l'EURL RMJ fondées sur les pertes (747 371 F) ;
Considérant que le montant des factures dues par l'EURL RMJ s'élevant à 732 315,46 F n'est pas contesté ;
Considérant que la créance de l'EURL RMJ sur le groupe Comptoirs Modernes Économiques de Rennes s'élève donc à un montant total de 244 144,57 F se décomposant de la façon ci-après :
- 44 114,57 F au titre de divers remboursement,
- 200 000 F correspondant à la restitution du fonds ;
Qu'après compensation, un solde de 488 201,46 F (732 315,46 F - 244 114 F) se dégage au profit de la SAS Comptoirs Modernes Économiques de Rennes ;
Considérant qu'en exécution du jugement assorti de l'exécution provisoire, l'EURL a reçu 869 109,98 F ; que cette somme doit être restituée ; qu'elle s'ajoute en conséquence au solde ci-dessus calculé, soit un total de 1 357 311,44 F (488 201,46 + 869 109,98 F) ; que l'EURL RMJ sera donc condamné au paiement de cette somme, augmentée des intérêts au taux légal à compter du jugement ;
Considérant que l'EURL RMJ, qui succombe pour l'essentiel, supportera les dépens de première instance et d'appel ; qu'il ne peut de ce fait, bénéficier des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, que l'équité ne commande pas de faire droit à la demande de la SAS Comptoirs Modernes Économiques de Rennes, fondée sur ce texte ;
Par ces motifs, Réforme le jugement ; Dit n'y avoir lieu à la nullité des contrats de vente de fonds de commerce, de franchise et d'approvisionnement souscrits par l'EURL RMJ avec les sociétés du groupe Comptoirs Modernes Économiques de Rennes fin novembre 1989 ; Constate que l'EURL RMJ est créancière de la société SAS Comptoirs Modernes Économiques de Rennes d'une somme totale de 244 114 F ; Constate que la société SAS Comptoirs Modernes Économiques de Rennes est créancière de l'EURL RMJ d'une somme de 732 315,46 F au titre des factures et de 869 109,69 F payée en exécution du jugement réformé par le présent arrêt ; Ordonne la compensation entre ces deux créances ; En conséquence : Condamne l'EURL RMJ à payer à la SAS Comptoirs Modernes Économiques de Rennes la somme de 1 357 311,44 F (un million trois cent cinquante sept mille trois cent onze francs et quarante quatre centimes), augmentée des intérêts au taux légal à compter du jugement ; Déboute les parties de toutes leurs demandes au titre des frais non répétibles ; Condamne l'EURL RMJ aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.