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Décisions

CA Orléans, ch. com., économique et financière, 27 novembre 1997, n° 96003469

ORLÉANS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Electro Loisirs (SARL)

Défendeur :

Picquier

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lardennois

Conseillers :

MM. Bureau, Puechmaille

Avoués :

Me Bordier, SCP Laval-Lueger

Avocats :

Mes Celce-Vilain, Stoven.

T. com. Orléans, du 30 oct. 1996

30 octobre 1996

Statuant sur les appels principal et incident régulièrement formés, respectivement par la société Electro Loisirs et Madame Catherine Picquier contre un jugement rendu le 30 octobre 1996 par le tribunal de commerce d'Orléans qui a ordonné à la première de quitter les locaux situés 20 rue Ste Catherine à Orléans, dès la signification du jugement, sous astreinte de 500 F par jour de retard, l'a condamnée à payer à la seconde l'ensemble des loyers impayés depuis octobre 1995, outre 30 000 F à titre de dommages-intérêts depuis octobre 1995, et 5 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure, a ordonné l'exécution provisoire.

Suivant acte notarié du 6 mars 1993, madame Catherine Picquier a donné en location gérance à la société Electro Loisirs pour une durée de 23 mois, courant du 1er mars 1993 au 28 février 1995 inclus (sic), un fonds de commerce d'exploitation de jeux exploité à Orléans 20 rue Ste Catherine comprenant l'enseigne, le nom commercial, la clientèle, l'achalandage et le droit au bail.

Cette location-gérance a été consentie moyennant un loyer annuel calculé HT de 84 000 F s'appliquant à la redevance des locaux (par mois 5 000 F ) soit au total 170 784 F TTC.

Par avenant du 31 juillet 1994, le dit loyer a été réduit à 149 436 F TTC soit 84 000 F HT pour la redevance du fonds de commerce et 42 000 F pour celle des locaux.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 décembre 1994, madame Picquier a fait connaître à la SARL Electro Loisirs que le contrat ne serait pas renouvelé et qu'elle reprendrait les lieux le 31 janvier 1995. Cette lettre a été suivie d'un commandement du 26 janvier 1995. La SARL s'étant maintenue, deux nouveaux commandements des 24 et 27 février 1995 ont été délivrés.

Suivant actes des 1er février et 9 mars 1995, la SARL Electro Loisirs a fait assigner madame Picquier en nullité des commandements des 26 janvier et 24 février devant le Tribunal de commerce.

Suivant acte du 6 mars 1993, madame Picquier a saisi le Juge des référés du même tribunal aux fins d'expulsion.

Ces affaires ont été jointes et le jugement déféré a été rendu.

Devant la Cour, la SARL Electro Loisirs conclut d'abord à la nullité du dit jugement et au renvoi des parties à se pourvoir devant les Juges du premier degré. Elle reproche au Premier Juge d'avoir statué par une même décision sur une instance en référé et sur une instance au fond en utilisant irrégulièrement la voie de la passerelle. Elle prétend que son action a pour but de se faire reconnaître soit un bail commercial, soit un contrat de location gérance à durée indéterminée et qu'une fois expulsée, elle va se trouver dans une situation irréversible la ruinant complètement.

Subsidiairement, dans l'hypothèse où cette exception serait écartée ou si la Cour s'estimait en mesure d'évoquer, la SARL Electro Loisirs sollicite la requalification du contrat de location gérance en bail commercial, avec pour loyer le montant de la redevance applicable aux locaux, soit 3 500 F HT. En soutenant n'avoir trouvé aucun fonds de commerce exploitable lors de son entrée dans les lieux, elle fait valoir que :

- madame Picquier n'était pas, au 9 mars 1993, déclarée au greffe du tribunal de commerce comme exploitant le dit fonds, déclaration qu'elle n'aurait faite que le 17 mai 1993, avec effet rétroactif au 10 septembre 1990, pour une activité d'exploitation de jeux ainsi que de vente de vêtements.

- elle n'aurait produit aucune pièce justificative de l'existence du fonds (clientèle, exploitation des jeux, droit de les exploiter avec autorisations administratives, etc.).

- la location gérance aurait donc un caractère fictif.

A titre subsidiaire, la SARL Electro Loisirs prétend à la nullité du contrat de location gérance pour violation des dispositions d'ordre public du " décret " du 20 mars 1956 (sic) puisque Madame Picquier ne pourrait justifier ni de deux années d'exploitation personnelle du fonds ni de 7 années d'exercice du commerce. Elle en veut pour preuve l'absence d'inscription au registre du commerce et l'absence de mention dans l'acte de location-gérance de la date de création du dit fonds.

Elle invoque aussi le vice du consentement au motif que le contrat de location gérance serait dépourvu d'objet. Dans cette hypothèse, elle sollicite la condamnation de madame Picquier à lui rembourser le montant de la location-gérance soit la totalité des mensualités de 7 000 F majorées des intérêts au taux légal depuis la date du paiement de chacune d'elles, la restitution de la caution de 16 884 F TTC avec intérêts au taux légal à compter du 9 mars 1993, outre 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

En réponse au moyen opposé par l'intimé, la SARL Electro Loisirs fait valoir avoir justifié de son nouveau siège social.

Madame Catherine Picquier conclut au rejet de l'appel de la SARL Electro Loisirs et par voie d'appel incident, réclame sa condamnation à lui payer 400 000 F à titre de dommages-intérêts outre 20 000 F sur la base de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ainsi que soit ordonnée son expulsion.

A titre principal, elle soulève l'irrecevabilité des conclusions de l'appelante au motif que celle-ci n'aurait pas communiqué son nouveau siège social alors qu'elle a quitté les lieux litigieux.

Sur la procédure, elle soutient que le débat ayant été lié au fond, l'appelante ne peut arguer d'aucune irrégularité et qu'en toute hypothèse, la Cour doit évoquer.

Au fond, faisant valoir que chacune des parties entendait limiter à 23 mois la durée de la location-gérance et que l'appelante serait dans l'incapacité de démontrer un accord tacite de sa part pour que le dit contrat se prolonge, madame Picquier prétend justifier de son immatriculation au registre du commerce pour l'exercice d'un fonds de jeux automatiques depuis le 5 avril 1986. Elle indique aussi avoir exploité celui-ci pendant plus deux ans, l'omission dans l'acte de la date de création étant sans incidence puisqu'elle verse aux débats des factures justifiant de ses dires et que l'appelante qui a, par avenant, obtenu une diminution de la redevance pour l'occupation des locaux n'a jamais remis en cause, avant la présente instance, la valeur du fonds.

Elle allègue enfin avoir subi un préjudice important du fait de l'attitude de la SARL Electro Loisirs qui a persisté à occuper les lieux sans droit ni titre et l'a empêché de reprendre son exploitation ou de conclure un nouveau contrat.

Sur ce,

Sur la procédure :

Attendu que madame Picquier sollicite le rejet des pièces communiquées par son adversaire les 13 et 14 décembre 1997 ;

Attendu que l'ordonnance de clôture est intervenue le 1er octobre 1997 ;

Que lesdites pièces doivent donc être écartées des débats comme portant atteinte au principe de la contradiction à l'exclusion du procès-verbal d'assemblée générale du 16 août 1997 ayant déjà été communiqué le 18 septembre 1997 ;

Attendu que par ledit procès-verbal, la SARL Electro Loisirs justifie avoir transféré son siège social du 20 rue Ste Catherine à Orléans à Vitry aux Loges La Pantouflerie ; que l'exception d'irrecevabilité des écritures doit donc être écartée ;

Attendu que la SARL Electro Loisirs est mal fondée en son moyen tiré de la nullité du jugement au motif qu'ensuite d'une jonction, le tribunal aurait statué sur une assignation en référé et sur une assignation au fond ;

Qu'en effet, il résulte d'une lecture attentive dudit jugement que la jonction n'a pas été faite par cette décision puisque notamment pour l'audience du 15 mai 1996, le conseil de l'appelante a déposé des écritures pour :

" la SARL Electro Loisirs

Défenderesse au référé

Demanderesse au fond

Défenderesse reconventionnelle au fond "

En visant les trois numéros de RG concernés (95001149, 95002282, 950001219) ;

Que pages 4 et 5 des dites écritures, il est écrit :

Sur la procédure :

Attendu que la société Electro Loisirs a saisi la juridiction du fond par assignations en date des 1er février et 2 mars 1995 d'une demande tendant à voir constater l'irrégularité et la nullité des commandements de quitter les lieux des 26 janvier et 24 février 1995 ;

Que l'affaire a été portée au rôle de l'audience du 12 avril 1995 ;

Attendu que ces assignations au fond ont été signifiées avant même que madame Picquier n'assigne en référé le 6 mars 1995 ;

Attendu que la juridiction des référés étant dès lors incompétente pour trancher un litige alors que la juridiction du fond avait déjà été saisie, madame Picquier a fait renvoyer sa demande en référé devant la formation collégiale du tribunal ;

Que d'ailleurs les questions soulevées dans le cadre du présent litige relèvent de la juridiction collégiale statuant au fond ;

Que la gravité de l'enjeu nécessitait un débat contradictoire devant le tribunal puisqu'il y va en définitive de l'existence même d'Electro Loisirs ;

Que la SARL Electro Loisirs qui, en l'espèce, fait preuve d'une mauvaise foi certaine ne peut donc plus, en cause d'appel, se prévaloir d'une irrégularité qu'elle a acceptée devant le Premier Juge en toute connaissance de cause ;

Que son moyen d'irrégularité de la procédure doit en conséquence être rejetée ;

Au fond :

Attendu qu'en cause d'appel, la société Electro Loisirs ne développe plus son argumentation relative à la durée du contrat laquelle tendait à faire juger qu'il était à durée indéterminée ou à tout le moins qu'il avait été renouvelé tacitement à durée indéterminée ;

Sur la requalification en bail commercial :

Attendu que cette requalification n'est possible que si la fictivité de la location gérance est établie et s'il est démontré que madame Picquier ne disposait pas d'un fonds de commerce ;

Attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats et contrairement à ce que soutient la SARL Electro Loisirs que madame Picquier était inscrite au registre du commerce depuis le 4 juin 1986 comme exerçant une activité de vente de vêtements " hommes, dames, enfants " gros demi, gros détail et vente ambulante sur les marchés exploitation de jeux automatiques, le début de l'exploitation étant au 9 avril 1986 ;

Qu'elle disposait d'un établissement principal 11 rue Jeanne D'Arc à Orléans et d'un établissement secondaire 20 rue Ste Catherine lequel est devenu à compter du 10 septembre 1990, l'établissement principal lorsqu'elle a cédé son droit au bail sur le premier ;

Que l'examen de bilans démontre qu'elle a réalisé, s'agissant des recettes de jeux, pour l'exercice 1990 : 233 764,08 F outre les indemnité Jeux Vidéo, pour l'exercice 1991 : 434 890,79 F, pour l'exercice 1992 et jusqu'au 28 février 1993 : 504 799 F ;

Qu'elle a d'ailleurs courant 1992 fait l'objet d'un rappel de droits de la part des services fiscaux s'agissant de l'exploitation des jeux automatiques ;

Qu'elle verse aux débats la liste des appareils mis en service chez elle par la SEE Bussoz ;

Que l'absence éventuelle de rentabilité du fonds est sans incidence au regard de la qualification du contrat, la SARL Electro Loisirs ne pouvant par ailleurs sérieusement prétendre qu'aucun matériel n'était dans les lieux lors de son entrée en mars 1993 alors que les factures dont elle se prévaut datent de décembre 1994, novembre 1995, janvier, mars et avril 1996 ;

Que l'existence du fonds de commerce de madame Picquier étant démontrée, l'appelante est mal fondée en sa demande de requalification du contrat ;

Sur la nullité du contrat de location gérance :

Attendu qu'aux termes de l'article 4 de la loi (et non du décret) du 20 mars 1956, les personnes physiques qui concèdent une location gérance doivent avoir été commerçants ou artisans pendant sept années ou avoir exercé pendant une durée équivalente les fonctions de gérant ou de directeur commercial ou directeur technique et avoir exploité pendant deux années au moins le fonds ou l'établissement donné en gérance;

Que faute que soient remplies ces conditions cumulatives, la nullité du contrat est d'ordre public et peut être invoquée par tout intéressé ;

Attendu qu'en l'espèce, si au regard de ce qui a été dit précédemment, la condition d'exploitation du fonds pendant deux ans est remplie, en revanche, madame Picquier n'établit pas avoir été commerçante pendant sept années avant le 1er mars 1993, date de mise en location gérance ;

Qu'en effet, elle ne justifie de son immatriculation au registre de commerce qu'à compter du 4 juin 1986 avec un début d'exploitation du 9 avril 1986 ;

Que dès lors, la SARL Electro Loisirs est fondée à obtenir la nullité du contrat de location-gérance et la restitution des redevances se rapportant au fonds de commerce et du dépôt de garantie correspondant à ces redevances, le tout avec intérêts au taux légal à compter du jour de la demande soit le 15 mai 1996 ;

Sur la demande reconventionnelle :

Attendu que la SARL Electro Loisirs ayant quitté les lieux, la demande d'expulsion est devenue sans objet ;

Que jusqu'à la date du départ, madame Picquier est fondée à solliciter une indemnité compensatrice du préjudice subi par elle du fait que ladite SARL était occupante sans droit ni titre ; qu'au regard du montant de la redevance en définitive fixée pour les locaux, il doit être alloué à l'intéressé de ce chef une somme de 101 500 F ;

Attendu que l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

Par ces motifs : LA COUR ; Écarte des débats les pièces communiquées par la SARL Electro Loisirs de son moyen tiré de l'irrégularité de la procédure et de la nullité du jugement ; Au fond , Sur la demande de la SARL Electro Loisirs : Infirmant le jugement déféré ; Annule le contrat de location-gérance du 6 mars 1993 ; En conséquence ; Condamne madame Picquier à restituer à la SARL Electro Loisirs la totalité des mensualités de 7 000 F payées depuis le 9 mars 1993 et le dépôt de garantie applicable au fonds soit 14 000 F HT au 16 884 F TTC, le tout avec intérêts au taux légal à compter du 15 mai 1996 ; Sur la demande reconventionnelle de Madame Picquier : Dit que la demande d'expulsion est devenue sans objet ; Infirmant pour le surplus et statuant à nouveau ; Condamne la SARL Electro Loisirs à payer à Madame Picquier la somme de 101 500 F à titre d'indemnité d'occupation ; Déboute les parties du surplus de leurs prétentions ; Dit que chacune des parties supportera la charge de ses dépens de première instance et d'appel.