CA Paris, 25e ch. B, 5 décembre 1997, n° 95-26420
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Leneveu (SA)
Défendeur :
Industrielle de Rochebonne (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pinot
Conseillers :
M. Cailliau, Mme Maestracci
Avoués :
SCP Jobin, SCP Fisselier Chiloux Boulay
Avocats :
Mes Leroy, Archer.
LA COUR statue sur l'appel relevé par la société Leneveu du jugement du Tribunal de commerce de Paris, 16ème chambre, qui l'a déboutée de ses demandes de réparation de ses demandes de réparation de divers préjudices résultant de la rupture sans préavis d'un contrat de concession à durée déterminée.
Il convient de se référer aux énonciations du jugement pour l'exposé détaillé des faits de l'espèce, des prétentions et moyens des parties en première instance. Il en résulte pour l'essentiel les éléments suivants.
La société Industrielle de Rochebonne (SIR), venant aux droits de la Compagnie Internationale des Véhicules de Loisirs, a rompu le contrat de concession non exclusive, à durée déterminée d'une année non tacitement renouvelable, consenti par cette dernière à la société Leneveu le 21 juillet 1988, avec effet au 1er juillet, pour la vente des véhicules Sterckeman dans les départements de la Manche et du Calvados. Les circonstances de la rupture, intervenue le 29 juin 1993 par télécopie, confirmée par lettre RAR, le 30 juin 1993, ont déterminé la société Leneveu à demander réparation des divers préjudices subis, en se fondant sur les usages commerciaux pour soutenir que la rupture avait été abusive.
La société SIR estimait, pour sa part, n'être tenue d'aucune obligation de préavis en cas de non renouvellement du contrat à durée déterminée, aucune disposition contractuelle ne prévoyant même l'obligation de notifier à la partie adverse la décision de ne pas renouveler le contrat. Sa décision ne comportait, selon elle, aucun caractère abusif, dès lors qu'elle était dictée par la nécessité de réorganiser ses services, visant à regrouper chaque marque chez un seul distributeur, et qu'elle maintenait par ailleurs sa confiance à la société Leneveu qui assurait pour son compte la distribution de sa marque " pilote " Caravelair.
Les premiers juges ont estimé que la rupture du contrat n'avait pas été réalisée de manière abusive par la société SIR, compte tenu de l'absence d'intention de nuire de la part du concédant.
Appelante, la société Leneveu conclut à l'infirmation du jugement et reprend ses demandes initiales tendant à la condamnation de la SIR à lui payer la somme de 1 500 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation de ses divers préjudices, outre une indemnité de procédure de 20 000 F en application de l'article 700 du NCPC.
Elle fait valoir principalement que :
la distribution des caravanes de la marque Sterckeman, propriété de la société SIR, était assurée par ses soins depuis trente ans dans les départements de la Manche et du Calvados,
elle ne met pas en cause le principe du non renouvellement du contrat mais les conditions dans lesquelles il a été appliqué,
bien qu'il ne fût pas prévu par le contrat du 21 juillet 1988, un préavis devait être respecté par la société SIR, qui, à défaut, lui doit des dommages-intérêts pour brusque rupture,
en raison de l'ancienneté de la concession, elle estime que la société SIR devait respecter à son égard un préavis de six mois, les réunions préalables, auxquelles la société Leneveu reconnaît avoir assisté, n'ayant pas eu pour objet d'évoquer la question du non renouvellement de la concession de la marque Sterckeman à la société Leneveu.
Intimée, la société Industrielle de Rochebonne sollicite la confirmation du jugement et la condamnation de la société Leneveu à lui payer la somme de 20 000 F en application de l'article 700 du NCPC.
Elle soutient en substance que :
le contrat de concession liant les parties pour la saison 1992-1993 était, comme les précédents, un contrat à durée déterminée d'un an non tacitement renouvelable, qui prenait fin de plein droit à sa date contractuelle d'expiration, sans qu'aucune notification fût requise légalement ou contractuellement,
aucune obligation d'information préalable n'existe à la charge du concédant, s'agissant d'un contrat à durée déterminée, au surplus d'une concession non exclusive,
le concédant désireux de ne pas renouveler un contrat à durée déterminée n'est pas tenu de motiver sa décision et il appartient en l'espèce à la société Leneveu, qui se prétend victime d'un abus dans l'exercice du droit de non renouvellement, de rapporter la preuve des circonstances qui ont pu rendre cet exercice abusif,
le retrait de la concession de la marque Sterckeman à la société Leneveu se justifie par le souci de réorganisation de ses services, consistant à ne maintenir, chez ses concessionnaires, soit la seule marque principale Caravelair, distribuée en l'occurrence par la société Leneveu, soit deux marques secondaires.
Sur quoi, LA COUR,
Considérant que le droit au non renouvellement d'un contrat de concession à durée déterminée est reconnu à son expiration à chacune des parties, qui peut en faire usage sans avoir à en donner les motifs ni respecter de condition de forme ou de délai, sauf stipulation particulière prévue par la convention ;
Considérant qu'aux termes du contrat du 21 juillet 1988, renouvelé jusqu'à la saison 1992-1993, par avenant du 29 juin 1992, il est expressément prévu que le contrat " n'est pas renouvelable par tacite reconduction " et qu' " aucune indemnité ne sera due de part et d'autre si le contrat n'est pas renouvelé " ;
Considérant que la décision prise par la société SIR de ne pas conclure un nouveau contrat avec la société Leneveu ne peut être critiquée dans son principe, à condition qu'il n'ait pas été fait usage de cette faculté de manière abusive par la société concédante ;
Considérant que, contrairement aux allégations de la société SIR, selon lesquelles la décision de non renouvellement aurait été préparée et annoncée lors de plusieurs réunions préalables avec la société Leneveu, cette dernière soutient, sans être démentie utilement par les éléments du dossier, que la question du non renouvellement du contrat de concession de la marque Sterckeman n'a pas été abordée lors de ces rencontres ;
Considérant qu'il n'est pas contesté par la société SIR que la société Leneveu a assuré la diffusion des caravanes de marque Sterckeman pendant trente ans ;
Considérant que cette concession de longue durée, poursuivie à partir de 1988, sous la forme de contrats à durée déterminée d'une année avec la société Compagnie Internationale des Véhicules de Loisirs, puis avec la société SIR jusqu'à la saison 1992-1993, a été interrompue sans préavis, puisque la notification de la rupture a eu lieu la veille de l'expiration du contrat ;
Mais considérant que la dispense de préavis, admissible en matière de contrat à durée déterminée, ne pouvait se justifier en l'occurrence, dès lors que les relations commerciales étaient très anciennes, qu'elles avaient été constamment poursuivies par de nouveaux contrats, sous forme d'avenants, et que des investissements réalisés par le concessionnaire, pour assurer la poursuite de son activité de diffusion de la marque, portaient nécessairement sur une longue période ;
Considérant qu'il appartient au concessionnaire d'établir que les circonstances de la rupture sont abusives et contraires aux usages commerciaux ;
Considérant que le caractère abusif de la rupture des relations contractuelles entre la société Leneveu et la société SIR résulte des modalités de sa notification à la société Leneveu, la veille de l'expiration du contrat par une télécopie invoquant des motifs de stratégie commerciale, confirmée le lendemain par lettre recommandée dépourvue de motif, alors que la concession de la marque qui lui avait été confiée depuis trente ans et que, n'ayant commis aucune faute dans l'exécution de ses obligations, elle n'avait aucune raison de craindre un brusque revirement de la part de la société concédante et n'a pu prendre les mesures utiles à l'organisation de sa propre entreprise ;
Considérant que la société SIR ne saurait se soustraire aux conséquences de son comportement fautif en tentant de justifier sa décision par une réorganisation de ses services et de sa stratégie commerciale ; qu'elle se défend d'avoir cherché à nuire à la société Leneveu et en apporte la démonstration par le maintien de sa confiance à cette dernière, en continuant de lui attribuer la concession de la marque Caravelair et par sa proposition de continuer à lui fournir les pièces détachées Sterckeman pendant la saison 1993-1994 ;
Qu'en effet, sa décision, dénoncée avec précipitation, a néanmoins causé un préjudice à la société Leneveu, dont celle-ci réclame légitimement réparation ;
Considérant toutefois que la société Leneveu ne justifie que partiellement le préjudice dont elle demande réparation et procède à son évaluation sur la base d'un délai de préavis de six mois qu'elle estime, arbitrairement, devoir être appliqué en l'espèce ;
Considérant que la Cour ne retiendra des divers chefs de préjudices commerciaux invoqués par la société Leneveu que celui résultant du stock des caravanes revendues à marge réduite du fait du refus de reprise opposé par le fabricant, les autres préjudices allégués étant de nature hypothétique ;
Qu'il sera tenu compte en outre, dans l'évaluation de son préjudice, de l'atteinte portée à l'image commerciale de la société Leneveu, par la rupture brutale du contrat ;
Considérant que la Cour dispose d'éléments suffisants pour fixer à la somme de 50 000 F le montant des dommages-intérêts que la société SIR devra payer à la société Leneveu en réparation de son préjudice ;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Leneveu les frais non recouvrables de procédure exposés en cause d'appel et qu'il convient de condamner la société SIR à lui verser à ce titre la somme de 5 000 F ;
Par ces motifs : Infirme le jugement en toutes ses dispositions, Condamne la société Industrielle de Rochebonne à payer à la société Leneveu la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 5 000 F en application de l'article 700 du NCPC, Condamne la société Industrielle de Rochebonne aux entiers dépens de première instance et d'appel et dit que ceux d'appel seront recouvrés directement par la SCP Jobin, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.