CA Douai, 3e ch., 11 décembre 1997, n° 95-00857
DOUAI
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Brasserie et Développement (SA), Interbrew France (SA), Brasserie et Développement Patrimoine (EURL)
Défendeur :
Vieren (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Maîtreau
Conseillers :
MM. Crousier, Cagnard
Avoués :
Mes Congos Vandendaele, Le Marc'Hadour Pouille-Groulez, Masurel-Thery
Avocats :
Mes Marchal, Raynaud-Contamine, Auque.
Attendu que par un acte sous seing privé en date du 6 septembre 1978 la société Jupiler, aux droits de laquelle se sont trouvées successivement les sociétés Motte Cordonnier, Interbrew puis Brasserie et Développement, a donné à bail un immeuble à usage de débit de boissons sis 9 place du Général de Gaulle à Armentières, pour une durée de neuf années à compter du 1er septembre 1978, aux époux Salembier-Breton aux droits desquels se trouve la SARL Vieren ensuite d'une cession intervenue le 4 juillet 1985 ; Que ce bail est assorti, notamment, d'une clause de fourniture exclusive de bière au profit du bailleur ; Que par un acte extrajudiciaire en date du 22 décembre 1989 la SARL Vieren a fait, auprès de la société Motte Cordonnier alors propriétaire, une demande de renouvellement du bail précité à laquelle la bailleresse n'a opposé aucun refus ; Que des projets de bail renouvelé comportant des modifications de clause ont été échangés entre les parties mais n'ont pas abouti à un accord ;
Que la société Motte Cordonnier, alléguant que la clause de fourniture de bière n'était pas respectée, a délivré le 27 mars 1991, à la SARL Vieren, une sommation d'avoir à assurer ses obligations à cet égard puis, le 4 septembre 1991, un congé, pour le 30 mars 1992, comportant refus de renouvellement et d'indemnité d'éviction fondé sur ce même manquement ;
Que la société Motte cordonnier a, suivant acte du 4 septembre 1991, saisi le tribunal de grande instance de Lille d'une demande principale tendant à la validation dudit congé et à l'expulsion sous astreinte de la société Vieren; Que la société Brasserie et Développement, par voie de conclusions d'intervention volontaire a repris cette demande et, y ajoutant, a sollicité subsidiairement la résiliation du bail en raison de l'existence de sous-locations et d'une déspécialisation non autorisée, plus subsidiairement encore l'annulation du bail si la clause de fourniture de bière devait être reconnue comme nulle et très subsidiairement, la résiliation du bail en raison du climat de menace créé par la société Vieren ;
Que cette société s'étant opposée à l'ensemble de ces prétentions, invoquant subsidiairement la nullité de la clause de fourniture exclusive de bière, et la société Interbrew étant intervenue volontairement en la cause pour faire reconnaître la validité de ladite clause ou à défaut, faire prononcer la nullité du bail, le tribunal, par un jugement rendu le 5 janvier 1995, dont les sociétés Brasserie et Développement et Interbrew France ont régulièrement relevé des appels qui ont fait l'objet d'une ordonnance de jonction, a :
- dit la SA Interbrew irrecevable en son intervention,
- dit que le bail sous seing privé du 6 septembre 1978 s'est renouvelé pour neuf années à compter du 1er janvier 1990 à la suite de la demande de renouvellement du 22 septembre 1989 faute de contestation de la société bailleresse (article 7 décret du 30 septembre 1953) aux mêmes conditions et charges dudit bail et de l'acte du 4 juillet 1985 comportant intervention du bailleur quant à la distribution des lieux loués et des modalités de la clause de fourniture exclusive,
- dit que le congé du 4 septembre 1991 est inopérant et dépourvu d'effets,
- dit n'y avoir lieu à résiliation judiciaire du bail du 6 septembre 1978,
- rejeté toutes les demandes en dommages et intérêts et fondées sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
- condamné la SA Brasserie et Développement en tous les dépens ;
Attendu que la SA Brasserie et Développement, appelante, et l'EURL Brasserie et Développement Patrimoine, intervenante, devenue depuis propriétaire de l'immeuble, soutiennent essentiellement, s'agissant du congé avec refus de renouvellement et refus d'indemnité d'éviction signifié au locataire, d'une part que la SARL Vieren ne respecte pas ses engagements de fourniture, d'autre part que, en application de l'article 14 du bail, la clause de fourniture de bière bénéficie aux ayants droit et à toute personne que le bénéficiaire se substitue, de troisième part, que ladite clause est valable au regard des dispositions des articles 1129 et 1131 du code civil comme au regard du statut des baux commerciaux, du droit communautaire, la clause ayant fait l'objet d'un avenant le 8 avril 1985, et de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la loi du 14 octobre 1943 étant inapplicable en l'espèce ;
Attendu qu'ajoutant au seul motif invoqué dans le congé tiré du non respect de la clause d'approvisionnement, les appelantes soutiennent également, qu'elles sont fondées, au soutien de la validité dudit congé comme au soutien de leur demande de résiliation du bail, à invoquer deux autres motifs, apparus postérieurement à la signification du congé, tirés, le premier de sous- ocations prohibées et, le second, d'une déspécialisation en infraction avec les articles 34 et suivants du décret du 30 septembre 1953 la SARL Vieren ayant adjoint à la seule activité de débit de boissons autorisée par le bail une activité de restauration, les autorisations des précédents bailleurs, invoquées dans l'un et l'autre cas mais déniées, leur étant inopposables en application de l'article 1743 du code civil ;
Que les appelantes invoquent encore, à l'appui de leur demande de résiliation du bail de première part, la mise en gage du fonds de commerce en infraction à l'article 15 du bail, de deuxième part, l'installation d'une terrasse en violation de l'article 7 de ce contrat, de troisième part, des injures et des menaces ;
Qu'enfin elles soutiennent, au visa des articles 1328 et 1743 du code civil, que les modifications apportées au bail du 6 septembre 1978, lequel a acquis date certaine le 4 juillet 1985, leur sont inopposables et que l'acte de vente du 21 mai 1992 prévoit bien la subrogation de l'acquéreur dans les droits et actions du vendeur ;
Que dès lors, aux termes de leurs conclusions signifiées le 30 mai 1995, la SA Brasserie et Développement et l'EURL Brasserie et Développement Patrimoine demandent à la Cour de :
- donner acte à l'EURL Brasserie et Développement Patrimoine de sa poursuite d'instance aux lieu et place de la SA Brasserie et Développement et lui adjuger l'ensemble des écritures et communications faites par celle-ci,
- infirmer la décision déférée,
- débouter la SARL R et JJ Vieren de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- dire que ladite société ne peut bénéficier du renouvellement de son bail,
- valider le congé délivré le 4 septembre 1991,
- subsidiairement prononcer la résiliation du bail aux torts et griefs de la partie locataire,
- très subsidiairement dire que si la clause de fourniture était nulle le bail cesserait d'exister à la date de l'arrêt à intervenir,
- ordonner en tout état de cause l'expulsion de la SARL Vieren ainsi que de tout occupant de son chef, avec si besoin est l'assistance de la force publique, dans les 24 heures du jugement à intervenir,
- la condamner à une astreinte de 500 F par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir jusqu'à complète libération des locaux,
- la condamner au paiement d'une indemnité d'occupation de 15.000 F par mois jusqu'à complète libération des locaux,
- dire que la licence IV devra être transférée au bénéfice de l'EURL Brasserie et Développement Patrimoine ou de toute personne qu'elle se réserve de désigner moyennant le franc symbolique,
- condamner la SARL Vieren au paiement d'une somme de 20.000 F à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée,
- la condamner au paiement d'une somme de 10.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
- condamner la SARL Vieren aux frais et entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction ;
Attendu que la société Interbrew France qui fait valoir que c'est à tort que le tribunal a déclaré son intervention irrecevable alors qu'en sa qualité d'ayant droit de Jupiler elle est bénéficiaire de la clause de fourniture stipulée au bail du 6 septembre 1978 modifiée par avenant du 8 avril 1985 de sorte qu'elle est bien fondée à exiger l'exécution du contrat dont elle est bénéficiaire, demande quant à elle à la Cour, par ses conclusions signifiées le 16 juin 1995, de
- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
- la déclarer recevable en son intervention volontaire,
- "constater son caractère déterminant et qu'elle doit figurer dans le bail renouvelé",
- débouter la société Vieren de toutes ses demandes,
- la condamner aux dépens de première instance et d'appel dont distraction ;
Attendu que la SARL Vieren soutient quant à elle essentiellement, s'agissant de la clause de fourniture de bière dont la prétendue violation est invoquée par le bailleur au soutien de la validité du congé qu'il a délivré d'une part que, en dépit de la nullité de ladite clause, elle a toujours respecté celle-ci dans l'attente des décisions à intervenir dans ce domaine et, d'autre part, que ladite clause ne peut être valablement invoquée dès lors que cette clause est nulle pour non respect de la loi du 14 octobre 1943 sa durée tenant en échec les exigences légales, et en ce qu'elle a pour effet de faire échec au droit de renouvellement du locataire en lui imposant une condition restrictive non prévue par le décret du 30 septembre 1953, le preneur se trouvant dans l'impossibilité de recouvrer sa liberté commerciale sans perdre le droit au renouvellement ;
Qu'elle fait également valoir au soutien de ce moyen de nullité, le contrat de fourniture de bière étant une convention cadre distincte des contrats d'application auxquels elle donne lieu, qui seuls sont assimilables à des contrats de vente, entrant dans les prévisions du règlement d'exemption par catégorie numéro 1984-83 de la commission du 22 juin 1983 que l'article 6 définit comme "des accords auxquels ne participent que deux entreprises et dans lesquels l'une, revendeur, s'engage vis à vis de l'autre, le fournisseur, en contrepartie de l'octroi d'avantages économiques ou financiers à n'acheter qu'à celui-ci" que, l'engagement d'assistance du fournisseur, assumé à travers le contrat de bail commercial consenti au fourni moyennant des conditions économiques avantageuses, cause de l'obligation du fourni, se trouvant nécessairement supprimée en cas de dissociation de la personne du bailleur et du fournisseur, le bailleur n'ayant ni avantage ni intérêt au respect de la convention de fournitures, l'obligation du preneur est devenue sans cause ce qui impose de constater la nullité de la convention de fournitures en application de l'article 1131 du code civil ;
Que la SARL Vieren soutient encore, l'obligation de fournitures c'est-à-dire l'entrave volontaire à la liberté commerciale du preneur ayant nécessairement pour contrepartie l'engagement du fournisseur de mettre à disposition des locaux dans des conditions économiques spécifiques tenant à la fois au loyer, aux réparations à la destination du bail... etc..., que la vente de l'immeuble à une société qui n'exerce plus l'activité de brasserie mais qui exerce une activité purement immobilière par laquelle le fournisseur s'est unilatéralement déchargé de son devoir de collaboration à l'égard du fourni constitue une faute contractuelle directement à l'origine du bouleversement économique de la convention que le fournisseur n'a pas cherché à rééquilibrer en dépit de l'obligation de bonne foi dans l'exécution des conventions que lui impose l'article 1134 du code civil de sorte que, à titre subsidiaire, elle est fondée à solliciter le prononcé de la résiliation de la clause de fournitures, cette résiliation devant rester sans incidence sur le contrat de bail ;
Qu'elle prétend à cet égard que ni la nullité de la clause illicite de fournitures ni la résiliation de celle-ci n'entraînent la nullité du bail, contrairement à ce qui est soutenu, dès lors que, en premier lieu cette clause prétendument essentielle pour le brasseur n'est plus qu'une clause sans intérêt pour une société immobilière, qu'en second lieu, il est de principe constant, en droit des baux commerciaux, que la nullité de la clause illicite n'entraîne jamais la nullité du bail lui-même quelle que soit la position des parties et leur intention au regard de la stipulation, les solutions mises en œuvre sur le fondement de l'article 1172 du code civil ne pouvant s'appliquer en raison de la spécificité du décret du 30 septembre 1953 et des solutions de l'article 35 relatif à la nullité des arrangements faisant échec au droit de renouvellement du locataire, la nullité prononcée devant se limiter à la clause elle-même ;
Attendu que, s'agissant des autres griefs invoqués contre elle, la SARL Vieren excipe de ce que, en ce qui concerne la prétendue déspécialisation, celle-ci n'est pas démontrée à son endroit, l'activité de restauration exercée antérieurement à son acquisition n'ayant pas été poursuivie par elle, son activité se bornant désormais à un service dit " casse-croûte " (sandwichs, hot-dogs, croque- monsieur) qui doit être considérée comme incluse à la notion de café, conforme aux usages et autorisée par le bailleur qui avait même permis l'activité de brasserie-restaurant par des actes positifs opposables à l'actuel bailleur lequel avait une connaissance exacte de la situation lors de son acquisition et qui ne peut se prévaloir ni de l'article 1743 du code civil ni de la jurisprudence qu'il invoque ; qu'en ce qui concerne les prétendues sous-locations interdites elle fait valoir, s'agissant des salles de réunion qui font partie intégrante du bail, que leur mise à disposition gratuite de la clientèle ne constitue pas une sous-location mais un commodat et, s'agissant des chambres, que la présence de sous-locataires était, aux termes du bail, une charge pour elle-même, que la Cour déduira des énonciations du bail, en application des articles 1156, 1161 et 1162 du code civil que l'interdiction de sous-louer porte exclusivement sur la partie commerciale, que, s'étant refusée à prendre de nouveaux locataires, il ne restait, lors du jugement que deux des anciens locataires et qu'aujourd'hui il n'en reste plus aucun ;
Attendu que s'agissant du grief tiré de la mise en gage du fonds de commerce elle soutient que cette clause est nulle et de nul effet en application de l'article 35 du décret dès lors qu'interdisant au preneur de nantir son fonds elle lui interdit purement et simplement la cession, le maintien de l'inscription résultant au surplus d'une erreur le prêt ayant servi à l'acquisition du fonds ayant été intégralement remboursé ; qu'en ce qui concerne la terrasse elle soutient que l'installation pendant la belle saison de quatre tables et de quatre parasols, au surplus prêtés par le bailleur, n'est nullement contraire à l'article 7 du bail ; que s'agissant des prétendues menaces et injures elle fait valoir qu'aucune des informations adressées à l'ensemble des locataires ne peut constituer une injure ou une menace ;
Que subsidiairement, si la Cour ne s'estimait pas suffisamment convaincue par son raisonnement, la SARL Vieren demande à la Cour de bien vouloir constater la mauvaise foi de Brasserie et Développement pour rejeter les demandes ;
Que dès lors, par ses conclusions signifiées le 12 septembre 1995 et 31 mai 1996 la SARL Vieren demande à la Cour de :
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
* dit le bail sous seing privé du 6 septembre 1978 renouvelé pour neuf années à compter du 1er janvier 1990 à la suite de la demande de renouvellement du 22 septembre 1989 aux mêmes conditions et charges dudit bail,
* dit le congé du 4 septembre 1991 inopérant et dépourvu d'effets,
* refusé de prononcer la résiliation judiciaire du bail et débouté la société Brasserie et Développement de l'intégralité de ses demandes,
- constater, dire et juger que la clause de fourniture stipulée dans le bail du 6 septembre 1978 et reprise à l'avenant du 8 avril 1985 est nulle d'une nullité d'ordre public, à titre subsidiaire qu'elle est nulle pour disparition de la cause et, à titre plus subsidiaire encore, prononcer la résiliation du contrat de fourniture aux torts exclusifs du fournisseur,
- constater, dire et juger que le bail reste valide nonobstant la nullité ou la résiliation de la convention de fourniture,
- constater la mauvaise foi de Brasserie et Développement et condamner cette dernière à une indemnité de 50.000 F pour procédure abusive,
- la condamner à une indemnité de 25.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
- condamner la société Interbrew à une indemnité de 5.000 F sur le même fondement,
- condamner la société Brasserie et Développement et la société Interbrew aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction ;
Attendu que la société Interbrew France fait valoir, dans ses conclusions en réponse signifiées le 5 octobre 1995, d'une part que la loi du 14 octobre 1943 est inapplicable en l'espèce le texte ne visant que les contrats ayant pour objet des biens meubles et ne pouvant être étendu aux contrats ayant pour objet un immeuble comme un contrat de bail commercial, d'autre part, que la clause litigieuse ne fait nullement obstacle au renouvellement du bail, les contestations du preneur sur les conditions du bail renouvelé relevant en outre d'une procédure particulière, de troisième part, que le raisonnement de la société Vieren sur la prétendue disparition de la cause ne saurait prospérer dans la mesure où l'article 85 du traité de Rome ne peut recevoir application ce texte ne s'appliquant pas aux accords d'importance mineure, dans la mesure où, en application de l'article 1131 du code civil, la cause devant exister au moment de la formation du contrat sa disparition n'est pas susceptible de remettre en cause l'efficacité du contrat valablement conclu, et dans la mesure où le changement de la personne du propriétaire est sans incidence, le preneur continuant à recevoir toutes les prestations qui lui ont été promises ;
Que subsidiairement, sur l'incidence de la disparition du contrat de fourniture, elle soutient qu'il est inexact d'affirmer que la clause serait sans intérêt pour une société immobilière dans la mesure où cette société a souscrit dans l'acte du 21 mai 1992 une clause qu'elle s'engageait à faire figurer ladite clause dans les contrats de bail, engagement qu'elle a tout intérêt à respecter et qu'il est tout aussi inexact d'affirmer que la clause illicite n'entraînerait jamais la nullité du bail alors que le droit des baux commerciaux ne déroge au droit commun que dans la mesure où le législateur lui-même le prévoit ce qui n'est pas le cas en l'espèce la solution dégagée à propos de l'article 35 du décret ne pouvant être étendue à d'autre cas de figure ;
Que dès lors, aux termes de ces écritures, elle demande à la Cour, outre l'adjudication des précédentes, de :
- constater, dire et juger que la clause de fourniture exclusive est valable et exécutée par le brasseur,
- constater, dire et juger que, "dans l'hypothèse où la Cour devait prononcer" la nullité de cette clause cette nullité devrait entraîner celle du contrat de bail lui-même ;
Attendu que la société Brasserie et Développement et l'EURL Brasserie et Développement Patrimoine, dans leurs conclusions responsives signifiées le 21 juin 1996, faisant valoir que la matérialité des infractions au bail relatives à la sous-location et à la restauration, lesquelles constituent une infraction grave et irréversible justifiant le refus de renouvellement et la résiliation du bail, sont reconnues et développant son argumentation relative à l'application en l'espèce de l'article 1743 du code civil auxquelles elle ajoute diverses considérations sur la nature personnelle du bail et l'effet relatif des conventions, sollicitent le bénéfice de leurs conclusions antérieures, excipant de ce que les assertions de la SARL Vieren quant à leur comportement à l'égard de ses locataires sont fausses et fallacieuses, alors qu'elle tente légitimement de faire respecter les baux dont les clauses et conditions sont souvent bafouées par les locataires ;
Sur ce, LA COUR :
Attendu que le bail dont la SARL Vieren est bénéficiaire, consenti le 6 septembre 1978 pour une durée de neuf années à compter du 1er septembre 1978, arrivé à expiration le 31 août 1987 s'est trouvé renouvelé aux clauses et conditions du bail expiré à compter du 1er janvier 1990, terme d'usage suivant la demande de renouvellement formée par acte extrajudiciaire du 22 décembre 1989 par la SARL Vieren, pour une nouvelle durée de neuf années, soit jusqu'au 31 décembre 1998, en application des articles 6 et 7 du décret du 30 septembre 1953, le bailleur d'alors n'ayant pas fait connaître ses intentions dans le délai de trois mois de la signification, un congé n'ayant été délivré que le 4 septembre 1991 ; que la décision du tribunal doit donc être approuvée sur ce point ; qu'il s'infère par ailleurs de ces constatations et des dispositions législatives précitées que, même à supposer fondé le congé délivré le 4 septembre 1991 celui-ci ne pourrait avoir aucun effet à la date du 30 mars 1992 pour laquelle il a été délivré, cet acte ne pouvant produire effet qu'à l'expiration du bail renouvelé soit au 31 décembre 1998 ;
Attendu que le seul motif invoqué dans le congé précité portant refus de renouvellement et d'indemnité d'éviction est la violation par la SARL Vieren de la clause de fourniture exclusive de bière stipulée au bail ; que la bailleresse ne produit pas le moindre justificatif de la violation alléguée, contestée par la SARL Vieren, la seule contestation élevée par cette société, qui prétend, sans être démentie de quelque façon que ce soit, avoir respecté son obligation dans l'attente de la décision sur sa contestation quant à la licéité de ladite clause, ne pouvant être considérée, en soi, comme une infraction, contrairement à ce qui est soutenu ;
Attendu que, aux termes du bail, les lieux sont loués à usage de café, seule destination prévue par le bail ; Que lors de ses constatations, dont les sociétés Brasserie Développement et Brasserie Développement Patrimoine se prévalent, opérées le 25 juin 1992, Maître Guepin, huissier de justice à Lille, a constaté la présence d'une enseigne portant les indications suivantes "Café Brasserie Restaurant l'Harmonie" ; Qu'il s'agit là des seules constatations objectives opérées par cet officier ministériel lequel a constaté que, à la suite de la sommation d'avoir à respecter la destination des lieux loués signifiée au locataire le 11 août 1992, celle-ci avait supprimé de l'enseigne les mots "Brasserie Restaurant" ; Que les sociétés précitées qui déclarent "émettre toutes réserves sur la cessation complète par la SARL Vieren d'une activité de restauration" comme celle-ci l'affirme ne démontrent pas qu'une telle activité se serait poursuivie, la vente de casse-croûte, de sandwichs, hot-dogs et croque-monsieur admise par la SARL Vieren ne pouvant être considérée comme une activité de restauration et, partant, comme une déspécialisation partielle ou totale, contrairement à ce qui est soutenu, s'agissant d'une activité, commandée par l'évolution des usages et des goûts de la clientèle, comprise dans celle de débitant de boissons autorisée ;
Attendu que lors de ses constatations opérées le 25 juin 1992 l'huissier précité a relevé, d'une part, que le premier étage était constitué d'une grande salle de réunions et, d'autre part, qu'il existait cinq chambres sous-louées en meublé que si le bail prévoit, ainsi que le prétendent les société Brasserie et Développement et Brasserie Développement Patrimoine, en son article 10 intitulé " sous-location et cession ", que "la preneuse ne pourra sous-louer les lieux qui font l'objet du présent bail ni donner en location le fonds de commerce exploité dans les dits lieux," ce même acte indique en son article 1 intitulé "lieux loués", après la désignation de ceux-ci : "la preneuse déclare avoir connaissance des sous-locations existantes tant du point de vue de l'occupation des lieux que des conditions de celle-ci ; à partir de l'entrée en jouissance la preneuse assumera donc seule vis à vis de la bailleresse la responsabilité pour la totalité des lieux loués à charge pour elle d'exercer vis à vis des sous-locataires les droits et obligations de bailleresse" ; que conformément aux principes dégagés par les articles 1156, 1161 et 1162 du code civil invoqués par l'intimée, ces clauses, contradictoires, doivent s'interpréter les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l'acte entier, en recherchant qu'elle a été la commune intention des parties ; Que ces dispositions peuvent signifier soit, comme le soutient la société Vieren, que la sous-location est autorisée pour la partie habitation et interdite pour la partie commerciale auquel cas il n'y aurait pas d'infraction les chambres sous louées se trouvant dans la partie habitation soit encore que les sous-locations sont interdites pour l'avenir ; Que, quoiqu'il en soit, l'interprétation que requièrent ces dispositions interdit de considérer comme fautives les sous-locations pratiquées, dont la société Vieren démontre, par la production d'un constat de Maître Goret en date du 25 avril 1995 qu'elles ont cessé, observation devant être faite que l'article 1743 du code civil sur lequel les sociétés Brasserie Développement et Brasserie et Développement Patrimoine font de longues digressions est sans application en l'espèce les clauses contradictoires se trouvant contenues dans l'acte de bail opposable aux acquéreurs successifs de l'immeuble loué ;
Que par ailleurs la mise à disposition de la clientèle et en particulier d'associations, dont la société de musique "l'harmonie du commerce", de la grande salle de réunion aménagée au premier étage ne saurait être considérée comme une sous-location dès lors que, selon les attestations produites et non discutées de Jean-Marie Lectez, Dominique Delerive, Philippe Buisine et Constant Desagher ces mises à disposition, qui n'entraînent par ailleurs aucune dépossession du locataire, se font à titre gratuit, seules les consommations étant facturées ;
Attendu qu'il est stipulé au paragraphe 15 du bail "la bailleresse sera également fondée à demander la résiliation du bail... si le preneur mettait son fonds de commerce en gage" ; Que cette clause, tend à interdire la cession du bail à tous les acquéreurs potentiels ayant besoin de recourir au crédit pour financer leur acquisition soit à une proportion très importante d'acquéreurs ; Que, eu égard aux dispositions de l'article 35 du décret du 30 septembre 1953 elle doit donc, en raison de son caractère général et absolu, être déclarée nulle et, partant, s'agissant d'une clause que les parties n'ont pas considérée comme essentielle, réputée non écrite de sorte que les sociétés précitées ne peuvent se prévaloir de l'inscription du privilège de nantissement du 9 juillet 1985 dont elles font état dans leurs conclusions comme constitutive d'une infraction au bail ;
Attendu que la disposition, à la belle saison, de quelques tables et chaises sur le trottoir situé devant le café exploité par la SARL Vieren ne peut constituer, à défaut de caractère de fixité, une "installation" que le bail soumet à l'autorisation préalable du bailleur aux termes des dispositions du paragraphe 7 du bail ; Qu'il s'ensuit que les sociétés Brasserie et Développement et Brasserie et Développement Patrimoine ne peuvent exciper d'aucune infraction de ce chef ;
Attendu que les injures et menaces dont ces sociétés font enfin état, tirées de la diffusion d'un tract conçu en ces termes "nous pouvons renverser le rapport de forces à notre avantage en constituant un solide dossier, bien argumenté pour saisir le conseil national de la concurrence qui est un organisme de contrôle de l'Etat et non pas un tribunal auquel nous pouvons toujours avoir recours" et encore "nous y dénoncerons la SA Brasserie et Développement pour abus du droit et abus de position dominante, ce qui aura pour conséquence un affaiblissement incontestable de notre propriétaire" ne sauraient être considérés comme constitutives d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier la résiliation du bail de la SARL Vieren alors que d'une part, de tels propos n'ont rien d'injurieux, que, de deuxième part, ils ne dépassent pas le cadre de ce qui est admissible dans la libre expression d'une opinion, fut-elle exagérée pour les besoins de la cause, en réponse à de nombreuses procédures engagées à l'encontre des preneurs par le même bailleur, que, de troisième part, le recours à justice ne peut être considéré comme une menace, observation devant être faite que la diffusion du tract en question est le fait non de la SARL Vieren elle-même mais celui de René Vieren, associé au sein de cette société, en sa qualité de président d'une association de défense de cafetiers ;
Qu'il suit de tout ce qui précède d'une part que c'est à raison que le tribunal, dont la décision sera confirmée sur ce point, a rejeté la demande de résiliation et, d'autre part, que le congé n'était fondé ni au regard du motif invoqué lors de sa délivrance ni au regard des motifs, découverts postérieurement à sa délivrance, invoqués en cours de procédure ; Qu'en revanche c'est à tort qu'il a considéré que ledit congé était inopérant et dépourvu d'effets alors qu'un congé, dont la régularité formelle n'est pas discutée, met fin au bail à la date précédemment indiquée sauf la faculté pour le bailleur d'exercer le droit à repentir qu'il tient de l'article 32 du décret du 30 septembre 1953, l'absence de fondement des griefs invoqués à l'appui du refus de renouvellement avec refus d'une indemnité d'éviction ayant pour seul effet de le rendre redevable d'une telle indemnité ; Que la décision déférée sera donc réformée en ce sens ;
Attendu que la clause de fourniture exclusive de bière contestée par la SARL Vieren, insérée au bail initial du 1er septembre 1978 qui constitue les clauses et conditions du bail renouvelé à défaut d'accord sur les modifications à y apporter est ainsi libellée :
"Engagement de fournitures - La bailleresse déclare qu'elle a acquis la propriété du bien faisant l'objet du présent bail et le loue à la preneuse dans le but essentiel d'y débiter la plus grande quantité possible des produits fabriqués ou vendus par elle.
En conséquence, la preneuse, pendant toute la durée du bail et des renouvellements qui lui seront éventuellement accordés en application des lois sur les baux commerciaux, s'engage à se fournir exclusivement à Jupiler France ou ses ayants droit ou successeurs, de toutes les boissons généralement quelconques qui seront débitées ou consommées dans les lieux loués.
L'engagement pris ci-dessus par la preneuse sera exécuté conformément aux clauses et conditions du contrat de fournitures intervenu entre parties ; si le présent bail est renouvelé, les clauses et conditions de ce contrat resteront, en tout cas, d'application pour l'immeuble visé ci-dessus.
La présente clause est de rigueur et constitue une condition essentielle sans laquelle le présent bail n'aurait pas été consenti".
Qu'il a ensuite été inséré dans l'acte de cession du fonds de commerce du 4 juillet 1985, auquel la société Jupiler France, alors bailleur, est intervenu un "engagement de fourniture" que les parties invoquent en faisant état d'un "avenant", destiné, selon les énonciations de cet acte, à mettre les obligations souscrites en conformité avec la réglementation européenne telle qu'elle résulte du règlement CEE 1984/83 du 22 juin 1983 de la commission des Communautés Européennes, aux termes duquel Jean-Jacques Vieren s'est engagé, au nom de la société qu'il représente, en vertu de l'article 14 précité, "à se fournir exclusivement auprès de la SA Jupiler France ou de tout tiers qu'elle jugerait utile de désigner, en bières, eaux de boissons, jus de fruits et limonades, sodas, vins de consommation courante", désignés à l'acte, et "à imposer à son successeur et à lui faire accepter par écrit" "en cas de cession, vente ou location, tant que durera l'obligation de fourniture, le respect de toutes les obligations résultant de la convention" ; Que cet avenant ne porte cependant aucune indication de durée ;
Attendu que, aux termes de l'article 1er de la loi du 14 octobre 1943 "est limité à dix ans la durée maxima de validité de toute clause d'exclusivité par laquelle l'acheteur, cessionnaire ou locataire de biens meubles s'engage vis à vis de son vendeur, cédant ou bailleur à ne pas faire usage d'objets semblables ou complémentaires en provenance d'un autre fournisseur"; Que cette disposition est applicable, même si la vente n'est pas encore parfaite au moment de la souscription de l'exclusivité et se réalisera par des actes d'exécution successive, aux clauses de fourniture exclusive de bière ; Que le fait qu'une telle clause fut insérée dans un contrat de bail portant sur un immeuble ne peut avoir pour effet, ainsi que le fait valoir la SARL Vieren, de faire échapper ladite clause aux dispositions précitées dès lors que, d'une part, la volonté des parties ne peut soustraire une convention de ce genre à des dispositions d'ordre public en l'insérant dans un contrat non visé par le texte précité et que, d'autre part, son insertion dans un contrat de bail d'immeuble ne modifie pas la nature de la convention qui demeure un contrat assimilé à un achat portant sur un bien meuble entrant dans les prévisions de ce texte ; Qu'il s'ensuit, la clause précitée ne répondant pas aux exigences de durée prévue par l'article 1er de la loi du 14 octobre 1943 en raison de sa reconduction automatique à chaque renouvellement de bail et de l'obligation qui est faite à tout cédant de l'imposer à son cessionnaire sans aucune limitation dans le temps, que sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens la clause litigieuse doit être annulée en ce qu'elle dépasse la durée maxima autorisée au-delà de laquelle les parties ne pouvaient valablement contracterc'est-à-dire, la SARL Vieren ayant contracté personnellement son obligation le 4 juillet 1985, après le 4 juillet 1995 ; qu'à cet égard il n'est pas inintéressant d'observer que dans la convention qui lie Interbrew à la société Brasserie et Développement, aux termes de laquelle cette société s'oblige "à faire figurer les conventions de fourniture stipulées aux termes des contrats de location de ces immeubles lors des renouvellements de baux en cours ou de nouveaux baux", la durée de l'obligation est limitée à dix ans ;
Attendu que l'annulation de cette clause ne peut avoir pour conséquence l'annulation du contrat de bail tout entier, bien que les parties eussent convenu que la clause de fourniture exclusive était une condition essentielle du bail sans laquelle elles n'auraient point contracté dès lors que, en premier lieu, elle porte atteinte, en raison de son caractère général et absolu, au droit à renouvellement du preneur qui n'y consentirait point et que, en second lieu, décider du contraire conduirait à assurer, au profit du bailleur, en raison de la menace d'annulation du bail tout entier, la pérennité d'une clause interdite par une disposition d'ordre public; Que dès lors il y a lieu de rejeter la demande d'annulation du bail ;
Que le rejet des prétentions principales des sociétés Brasserie et Développement, Brasserie et Développement Patrimoine et Interbrew entraîne celui de leurs demandes accessoires ;
Attendu que les sociétés Brasserie et Développement et Brasserie et Développement Patrimoine ne peuvent, dans la présente procédure, encourir le grief qui leur est adressé par la SARL Vieren tenant à ce que la procédure dirigée contre elle fait partie d'une stratégie tendant à obtenir des locataires à moindre frais un maximum de contreparties dès lors que la présente procédure a été initiée par la société Motte Cordonnier, avant même le transfert de propriété de ses immeubles, dans un but manifestement étranger à la stratégie dont il est fait état, son seul souci étant le respect de la clause de fourniture exclusive de bière ; Que partant, le climat de menaces dont il est également fait état, tiré de la procédure dans laquelle ces sociétés sont ultérieurement intervenues, ne pouvant résulter du seul recours à justice comme cela a déjà été indiqué et que l'a soutenu pour son propre compte la SARL Vieren, la demande de dommages et intérêts de cette dernière, fondée sur ces motifs, ne peut qu'être rejetée ;
Attendu qu'il échet d'allouer en revanche, à la SARL Vieren, au titre des frais irrépétibles qu'elle a dû exposer, la somme de 20.000 F au paiement de laquelle la société Brasserie et Développement à l'encontre de laquelle est sollicitée cette indemnité sera condamnée, la demande dirigée contre la société Interbrew étant rejetée l'équité ne commandant pas d'y faire droit ;
Que les sociétés Brasserie et Développement, Brasserie et Développement Patrimoine et Interbrew qui succombent pour l'essentiel seront condamnées aux dépens ; Que, partant, elles ne peuvent prétendre au bénéfice de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, Confirme la décision déférée en ses dispositions relatives au renouvellement du bail ainsi qu'en celles par lesquelles elle a déclaré n'y avoir lieu à résiliation de ce contrat, L'infirme du surplus, statuant à nouveau et y ajoutant, Déclare non fondé le congé délivré le 4 septembre 1991 à la requête de la Société Motte Cordonnier à la SARL Vieren portant refus de renouvellement et d' indemnité d'éviction, Dit en conséquence que ledit congé mettra fin au bail dont est titulaire la SARL Vieren à la date du 31 décembre 1998, sauf à la société bailleresse à exercer son droit à repentir dans les formes et conditions prévues par l'article 32 du décret du 30 septembre 1953, et que ladite société est redevable à la SARL Vieren d'une indemnité d'éviction, Déclare nulle et de nul effet, à compter du 4 juillet 1995, la clause de fourniture exclusive de bière stipulée au bail précité, Condamne la société Brasserie et Développement à payer à la SARL Vieren, sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, la somme de 20.000 F, Condamne les sociétés Brasserie et Développement, Brasserie et Développement Patrimoine et Interbrew aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ces derniers au profit des avoués de la cause dans les conditions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile, Déboute les parties de leurs demandes, fins et conclusions autres, plus amples ou contraires.