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Décisions

Cass. com., 16 décembre 1997, n° 96-14.515

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Garage Blandan Donald Buffoli (SARL), Bayle (ès qual.)

Défendeur :

Rover France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Huglo

Avocat général :

Mme Piniot

Avocats :

SCP Lesourd, Me Ricard

Cass. com. n° 96-14.515

16 décembre 1997

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Amiens, 4 décembre 1995), rendu sur renvoi après cassation, que la société Garage Blandan Donald Buffoli (garage Blandan) a assigné la société Austin Rover France, devenue Rover France, devant le tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir l'indemnisation de la rupture par cette dernière du contrat de concession exclusive qui les liait ; que le garage Blandan a notamment soulevé la nullité de la clause prévue à l'article 8 B du contrat de concession permettant à Rover France de résilier immédiatement le contrat en cas de non-réalisation à concurrence d'au moins 75 % de ces objectifs quadrimestriels par le concessionnaire et après une mise en demeure de rattraper son retard dans le délai de deux mois demeurée sans effet ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que le garage Blandan reproche à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en affirmant que l'accroissement de la dépendance économique du concessionnaire ainsi que de sa situation de précarité résultant de l'insertion dans le contrat de concession d'une clause d'objectif de vente non exemptée prenant la forme d'une obligation de résultat sanctionnée par la faculté de résiliation extraordinaire de la part du concédant ne saurait, en aucune façon, caractériser l'existence d'une pratique anticoncurrentielle, mais permet, au contraire, de remédier aux rigidités, tant contractuelles qu'économiques, inhérentes à tout contrat de concession exclusive, la cour d'appel a violé l'article 85, paragraphe 1 et 2 du traité CEE et alors, d'autre part, que l'article 85-I du traité de Rome qui déclare incompatibles avec le Marché commun tous accords entre entreprises qui sont " susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun " prohibe aussi bien les atteintes effectives que les atteintes potentielles à la concurrence ; qu'ainsi, en écartant la nullité de l'article 8 B du contrat de concession aux motifs que, à supposer que cette clause ait pu avoir un effet anti-concurrentiel, le garage Blandan n'aurait ni établi ni allégué qu'elle ait eu un effet sensible sur le commerce entre Etats membres de l'Union européenne, sans au préalable - comme il lui appartenait de le faire - vérifier elle-même si ladite clause ne recélait pas à tout le moins un risque d'atteinte potentielle à la concurrence de nature à avoir un effet sensible sur le commerce entre Etats membres, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 85-1 du traité de Rome et alors enfin, que dans leurs conclusions d'appel signifiées le 7 février 1995, le garage Blandan soulignait les risques d'atteintes à la concurrence que recélait la clause litigieuse, reproduite dans un contrat type souscrit à titre individuel par plusieurs centaines de concessionnaires et organisant la distribution de produits au travers de laquelle les entreprises parties à l'accord réalisent un chiffre d'affaires supérieur à 200 000 écus, ce qui confère un caractère sensible aux restrictions de concurrence constatées ; qu'en affirmant néanmoins qu'" à supposer même que la clause contestée ait pu avoir un aspect anti-concurrentiel, les intimés n'établissent, ni même n'allèguent, qu'elle ait été de nature à avoir un effet sensible sur le commerce entre les Etats membres de l'Union européenne ", la cour d'appel a dénaturé les écritures d'appel du garage Blandan, violant ainsi l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt retient à bon droit que la clause d'objectif litigieuse contribue, dans l'intérêt du consommateur final, à maintenir une concurrence effective entre les concessionnaires et, en prévenant toute inaction ou passivité commerciale de leur part, à assurer la fluidité des marchés locaux ainsi qu'à empêcher la paralysie des règles normales de commerce née de l'exclusivité réciproque à laquelle les parties s'engagent mutuellement et qu'une telle clause n'est pas contraire à l'article 85, paragraphe 1er, du Traité instituant la Communauté européenne;

Attendu, en second lieu, que les motifs critiqués par les deux dernières branches du moyen sont surabondants ;

Que le moyen, qui n'est pas fondé en sa première branche, ne peut être accueilli pour le surplus ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses quatre branches : - Attendu que le garage Blandan fait encore grief à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'ainsi qu'il le rappelait dans ses conclusions, il appartenait à la société Rover France France de démontrer la non-réalisation par le garage Blandan de ses objectifs de vente constituant l'une des deux conditions requises pour justifier une décision du concédant de prononcer la résiliation extraordinaire du contrat sur le fondement de son article 8 ; qu'en l'espèce, il ne ressort nullement des constatations de l'arrêt que cette preuve ait été formellement rapportée ; que dès lors, la cour d'appel, en dispensant la société Rover de rapporter la preuve qui lui incombait, aux seuls motifs que la société garage Blandan ne contestait pas, en tant que tel, le retard que le concédant lui reprochait de détenir sur les objectifs de vente qui lui avaient été impartis et que cette condition n'était pas discutée, a procédé à un renversement de la charge de la preuve et violé du même coup l'article 1315 du Code civil et alors, d'autre part, qu'en décidant que la résiliation intervenue sur le fondement de l'article 8 du contrat de concession ne revêtait pas un caractère abusif et qu'il convenait donc d'infirmer le jugement entrepris, sans avoir constaté au préalable que la preuve de la non-réalisation par le concessionnaire de ses objectifs de vente constituant une condition de la résiliation extraordinaire était rapportée, la cour d'appel a encore entaché sa décision d'une insuffisance de motifs, violant ainsi de surcroît l'article 455 du nouveau Code de procédure civile et alors, en outre, que l'article 4 A g) de l'annexe IV du contrat de concession stipulait que " le concessionnaire s'efforcera de réaliser par année civile et par quadrimestre les objectifs de vente de véhicules... " et que l'article 8 A d) de la même annexe précisait quant à lui que : " ... si par suite de l'insuffisance de ses efforts, le concessionnaire n'a pas atteint au moins à 75 % les objectifs d'un des quadrimestres définis à l'annexe 1 du présent contrat de concessionnaire, la société pourra le mettre en demeure de rattraper son retard dans le délai de 2 mois... " ; que dès lors les juges d'appel ne pouvaient décider qu' " ... il n'y a pas à s'interroger sur l'effectivité des efforts de la société garage Blandan dès lors que les objectifs minimaux de vente, tels que prévus dans les accords contractuels entre les parties, exprimaient précisément les diligences attendues " ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu la volonté des parties telle qu'elle était clairement exprimée dans les dispositions contractuelles susmentionnées, violant ainsi l'article 1134 du Code civil, et alors enfin, que dans ses écritures d'appel signifiées le 7 février 1995 le garage Blandan faisaient valoir que les objectifs qui avaient été fixés au garage Blandan s'avéraient incohérents au regard de leur répartition en soulignant que " ... plus les Range Rover ont remporté de succès sur le marché, plus Rover France a augmenté la part des objectifs Land Rover... que pour 1987, le garage Blandan s'est vu impartir un objectif de vente de 27 Land Rover et 20 Range Rover alors que les ventes effectivement réalisées au plan national se sont réparties, même si l'on se réfère aux propres chiffres de la société Rover, à concurrence de près des 2/3 pour Range Rover (2718 véhicules et de 1/3 seulement pour les véhicules Land Rover (1 323 véhicules) " ; que dès lors, en ne recherchant pas, comme l'y invitaient les écritures du garage Blandan, si la fixation par le concédant, d'un objectif pour 1987, imposant au concessionnaire de vendre un nombre de véhicules de type Land Rover (27) sensiblement plus important que celui fixé pour les véhicules de type Range Rover (20) s'avérait cohérent et justifié au regard des parts respectives de diffusion de ces différents modèles, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions, violant ainsi l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt constate que le garage Blandan a été mis en demeure à deux reprises de rattraper son retard, lequel n'était pas contesté, sur les objectifs de vente qui lui avaient été impartis, que la non-réalisation par le concessionnaire d'au moins 75 % de ces objectifs quadrimestriels n'était pas plus contestée; que c'est sans inverser la charge de la preuve et sans dénaturer la convention des parties que la cour d'appel retient par une décision motivée qu'il n'y a pas lieu à s'interroger sur l'effectivité des efforts du garage Blandan dès lors que les objectifs de vente prévus au contrat exprimaient clairement les diligences attendues;

Attendu, en second lieu, que l'arrêt retient que l'objectif de vente assigné au garage Blandan traduisait une augmentation de 14 % par rapport à celui qui lui avait été assigné l'année précédente tandis que la progression des ventes des véhicules de marque Land Rover ou Range Rover constatée au cours de la même période sur l'ensemble du territoire national avait été de 26 % et que, dès lors l'obligation de résultat imposée au garage Blandan ne reposait pas sur des critères subjectifs ou potestatifs mais répondait à des quotas minimaux fixés de façon objective en fonction des performances commerciales concrètes réalisées par la marque en France; qu'ainsi la cour d'appel a répondu en les écartant aux conclusions prétendument délaissées ;

Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que le garage Blandan fait enfin grief à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait, alors, selon le pourvoi, d'une part, que les juges doivent statuer sur l'ensemble des prétentions soulevées par les parties ; que le garage Blandan avait soutenu devant les juges de la cour d'appel d'Amiens, que la société Rover France n'avait pas appliqué de bonne foi les stipulations des conventions qu'elle avait conclues avec la société garage Blandan ; qu'il résulte des motifs de l'arrêt attaqué, que ce dernier n'a pas répondu auxdites conclusions ; qu'ainsi, l'arrêt attaqué a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, d'autre part, que la contradiction de motifs équivaut au défaut de motifs ; que l'arrêt attaqué a énoncé que l'avenant signé le 6 février 1987 par la société Rover France et la société garage Blandan, devait être regardé comme faisant la loi des parties conformément à l'article 1134 du Code civil ; que l'arrêt attaqué en a pourtant conclu que la circulaire publiée unilatéralement par la société Rover France à l'attention de ses concessionnaires le 24 février 1987, c'est-à-dire 18 jours après la conclusion dudit avenant, et qui en bouleversait profondément les stipulations, ne constituait pas une modification unilatérale du contrat ; que par cette évidente contradiction de motifs, l'arrêt attaqué a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à des conclusions imprécises ;

Attendu, d'autre part, qu'en retenant d'un côté, que l'avenant du 6 février 1987 définissant les objectifs de vente, signé sans réserves par le concédant et par le concessionnaire, devait être regardé comme la loi des parties, et d'un autre côté, que, par la circulaire du 24 février 1987, Rover France n'a fait qu'informer les concessionnaires de son réseau que, compte tenu de l'importante progression de sa clientèle, elle ne traiterait dorénavant que les commandes accompagnées d'un chèque d'acompte provenant du client, décision sans influence sur la possibilité pour les concessionnaires de réaliser leurs objectifs de vente, la cour d'appel ne s'est pas contredite ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.