CA Montpellier, 2e ch. A, 18 décembre 1997, n° 96-0003239
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Moly (SA)
Défendeur :
Vivez Tradipain (EURL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ottavy
Conseillers :
Mme Minini, M. Prouzat
Avoués :
SCP Estival- Divisia, SCP Salvignol-Guilhem
Avocats :
Mes Jauffret, Visseron.
Les Faits :
Jean Vivez (diplômé en horlogerie et ayant exercé diverses activités dans le domaine de la vente avant d'être placé en situation de chômage) est entré en relations au début de l'année 1987 avec la SARL Moly Gel, devenue la SA Moly, implantée à Villefranche-de-Rouergue et qui était spécialisée depuis de nombreuses années dans la fabrication de produits surgelés dans le secteur de la boulangerie-pâtisserie et qui distribuait ses produits dans plusieurs magasins sous la marque Au Four à Bois.
Après avoir ouvert en 1985 et 1986 quatre magasins pilotes chargés de la distribution de ses produits (magasins sis à Albi, Agen, Béziers et Bègles) la SA Moly a envisagé, fin 1986, de mettre en place un réseau de franchise.
C'est en répondant à une annonce publicitaire que Jean Vivez est devenu l'un des premiers franchisés du réseau Moly.
Afin de satisfaire à l'obligation d'information précontractuelle pesant sur le franchiseur, la SA Moly avait fait éditer une plaquette publicitaire exposant les éléments essentiels et spécifiques du contrat de franchise et les avantages de l'entrée dans le réseau. Notamment, elle avait établi des comptes de résultat type permettant aux futurs franchisés d'envisager la réalisation d'un chiffe d'affaires de base de 3 600 000 francs, une marge brute de 50 % et un résultat d'exploitation de 12 %.
Après avoir visité les magasins pilotes, Jean Vivez a signé avec la SA Moly le 5 mai 1987 un contrat de réservation, lui-même s'engageant en son nom personnel et au nom de la société en formation EURL Vivez Tradipain.
Les parties ont ensuite signé le 20 mai 1987 un contrat de franchise en vue de l'exploitation par la société Vivez Tradipain d'un magasin à l'enseigne Au Four à Bois à Eysines dans l'agglomération bordelaise.
Le contrat, conclu pour une durée de 9 années, prévoyait :
- le versement d'une somme de 41 510 francs à titre de redevance de prestations de service et d'une somme de 15 000 francs à titre de droit de franchise pour la première année,
- le versement d'une redevance mensuelle de 3 % HT du chiffre d'affaires.
Le contrat définissait les obligations du franchiseur et du franchisé.
Il comportait par ailleurs une Annexe I fournissant toutes indications sur le chiffre d'affaires de base que devait réaliser le franchisé pendant la durée des 9 années du contrat avec un point de départ minimum de 2 400 000 francs et une augmentation d'environ 10 % chaque aimée. Cette Annexe I établie pour une zone de chalandise d'environ 50 000 habitants, spécifiait qu'en dessous du chiffre d'affaires minimum (qualifié de proche du point mort), la rentabilité du point de vente n'était plus assurée.
La société Vivez Tradipain a ouvert le fonds de commerce d'Eysines le 11 décembre 1987 après avoir réalisé un investissement de 1 500 000 francs (achat des murs et apport en compte courant).
Les exercices 1987/1988 (10 mois) et 1988/1989 (12 mois) ont fait apparaître les données comptables suivantes :
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En janvier 1989, la SA Moly a ouvert dans l'agglomération bordelaise, à Mérignac, un nouveau magasin franchisé situé à environ 2,5 kms du fonds exploité par la société Vivez Tradipain,
La concurrence directe réalisée par ce nouveau franchisé a contraint la société Vivez Tradipain à augmenter ses ventes par la création de nouveaux points de vente des produits Moly : création en accord avec le franchiseur d'un magasin sous-franchisé à Martignas (du 13 octobre 1989 au 15 août 1990), d'un dépôt au Taillan à compter du 15 juin 1990) et d'un autre dépôt à Blanquefort (du 12 septembre 1991 au 15 janvier 1992).
Les exercices suivants ont fait apparaître les données comptables suivantes :
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En 1992, la SA Moly a ouvert deux nouveaux magasins franchisés dans l'agglomération bordelaise (au Bouscat) et à Bordeaux (rue Wilson).
Après avoir attiré l'attention de la SA Moly sur la stagnation de son chiffe d'affaires ne lui permettant pas de réaliser les objectifs fixés, la société Vivez Tradipain n'a plus acquitté en 1991 les redevances dues au franchiseur.
Par courrier en date du 6 avril 1992, la société Vivez Tradipain a à nouveau attiré l'attention de la SA Moly sur ses difficultés financières, sur l'impossibilité d'assurer à son gérant un salaire convenable (salaire réduit à 6 600 francs d'octobre 1991 à mars 1992) et a sollicité l'intervention du franchiseur.
N'ayant obtenu aucune réponse, la société Vivez Tradipain a pris l'initiative le 2 mai 1992 de rompre le contrat de franchise.
La procédure
Suivant exploit d'huissier en date du 22 juillet 1992, la SA Moly a attrait la société Vivez Tradipain devant le Tribunal de Commerce de Rodez en paiement de la somme de 102 311,43 francs représentant les redevances de franchise restées impayées d'août 1991 à avril 1992 (101 031,43 francs) et une facture d'emballages consignés (1 280 francs) outre l'indemnisation des frais non taxables exposés.
La société Vivez Tradipain a fait valoir qu'elle avait résilié le contrat de franchise en raison des fautes commises par la SA Moly : information précontractuelle trompeuse et surestimée - concurrence déloyale par l'ouverture dans la zone de chalandise en 1989 d'un autre magasin franchisé - absence de conseils. Elle a formé une demande reconventionnelle en paiement de la somme de 2 884 822 francs à titre de dommages et intérêts représentant la différence entre les résultats réalisés et les résultats prévus à l'Annexe I du contrat de franchise.
Par un premier Jugement en date du 26 octobre 1993, le Tribunal de Commerce de Rodez a ordonné une expertise confiée à Monsieur Verdier expert-comptable à Decazeville.
La SA Moly, qui estimait que certaines missions confiées à l'expert étaient illégales, a sollicité l'autorisation de faire appel immédiat de cette décision. Par ordonnance en date du 22 décembre 1993, le Premier Président près la Cour d'appel de Montpellier a refusé cette autorisation.
L'expert a déposé son rapport le 30 octobre 1995.
La SA Moly a repris ses demandes initiales et a sollicité en outre la condamnation de la société Vivez Tradipain au paiement de la somme de 2 347 100 francs représentant l'indemnisation de son préjudice par suite de la résiliation abusive du contrat de franchise.
De son côté, la société Vivez Tradipain a évalué son préjudice à la somme de 1 678 577 francs en fonction de l'écart existant entre ses propres résultats et ceux réalisés par le magasin pilote d'Albi pris comme référence lors de l'établissement de la plaquette publicitaire.
Par un second Jugement en date du 28 mai 1996, le Tribunal de Commerce de Rodez a :
- condamné la société Vivez Tradipain à payer à la SA Moly la somme de 102 311,43 francs majorée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation,
- dit que la responsabilité de la rupture du contrat de franchise est imputable à la SA Moly,
- débouté la SA Moly du surplus de ses demandes,
- Fait droit à la demande reconventionnelle présentée par la société Vivez Tradipain et condamné la SA Moly à payer à cette société franchisée la somme de 1 618 577 francs à titre de dommages et intérêts outre intérêts au taux légal à compter de la décision,
- débouté la société Vivez Tradipain du surplus de ses demandes,
- condamné la SA Moly aux entiers dépens.
La SA Moly a relevé appel des deux décisions.
Elle sollicite la nullité du Jugement avant dire droit en ce qu'il a confié à l'expert des missions autres que comptables ayant eu pour but d'une part de porter une appréciation juridique sur l'étendue des droits des parties et les conditions ayant facilité à la société Vivez Tradipain la souscription du contrat de franchise et d'autre part de porter une appréciation sur des faits ne nécessitant aucune approche technique (points 3 et 4 de la mission de l'expert). Elle a sollicité par voie de conséquence la nullité du rapport de l'expert sur les missions critiquées.
La SA Moly a conclu en outre à la réformation du Jugement ayant statué sur le fond du litige. Elle conteste les fautes retenues par les premiers juges à son encontre et les ayant conduits à mettre à sa charge la responsabilité de la rupture du contrat et à indemniser la société franchisée des préjudices subis. Elle fait en effet valoir :
- que le document publicitaire édité à l'attention des franchisés a été établi à partir d'éléments réels (s'agissant des résultats des 4 magasins pilotes en activité depuis mars 1985 et principalement des magasins d'Albi et de Bègles) et en fonction d'une expérience acquise dans le domaine de la boulangerie-pâtisserie depuis 1969,
- que Monsieur Vivez avait visité les 4 magasins pilotes et avait pu ainsi avoir connaissance des informations nécessaires tant techniques que financières avant de signer le contrat de franchise (celui-ci ayant été en outre informé qu'il était l'un des premiers franchisés du réseau),
- que les chiffres mentionnés dans l'Annexe I du contrat sont largement en deçà de ceux réalisés par les magasins pilotes,
- qu'en toute hypothèse aucun engagement de résultat pour le franchisé n'a été pris, ce dernier restant toujours un commerçant indépendant,
- que la société Vivez Tradipain a présenté des résultats bénéficiaires tout au long de l'exécution du contrat ce qui démontre que les conditions d'exploitation n'étaient pas défavorables (seul le chiffe d'affaires et la rentabilité mentionnés dans la plaquette publicitaire n'ayant pas été atteints),
- que Monsieur Vivez a commis des fautes de gestion (attribution de salaires élevés supérieurs à ceux préconisés - distribution par la société franchisée des bénéfices),
- qu'elle n'a pas porté atteinte aux droits acquis de la société franchisée en ouvrant d'autres points de vente dans l'agglomération bordelaise et notamment à Mérignac dès lors que la société Vivez Tradipain ne bénéficiait pas d'une exclusivité territoriale (l'avenant n° 1 qui devait délimiter la protection territoriale n'ayant jamais été signé), dès lors qu'aucun potentiel de clientèle n'a été supprimé (le point de vente de Mérignac n'étant pas situé sur le même axe que le magasin Vivez Tradipain) et dès lors que la société franchisée a toujours conservé au minimum comme zone de chalandise les communes d'Eysines et de Caudéran soit au total 55 188 habitants,
- qu'elle a respecté ses engagements en qualité de franchiseur (visites sur place - informations régulières - dialogue permanent notamment au cours des réunions du Comité Consultatif des Franchisés).
La SA Moly estime en conséquence qu'elle n'a commis aucun manquement à ses obligations contractuelles et que la société Vivez Tradipain n'a subi aucun préjudice (en tous cas son préjudice ne saurait être calculé par rapport aux résultats mentionnés sur la plaquette publicitaire ou par rapport aux résultats effectivement réalisés par le magasin pilote d'Albi).
Par contre, la SA Moly a conclu à la confirmation du Jugement ayant condamné la société franchisée au paiement des royalties.
La SA Moly a sollicité la condamnation complémentaire de la société Vivez Tradipain au paiement de la somme de 2 347 100 francs à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice occasionné par la résiliation abusive du contrat qui devait s'exécuter jusqu'en juin 1996 (perte des redevances mensuelles de 3% du chiffe d'affaires- perte de bénéfice brut sur les achats de marchandises par le franchisé). Enfin, elle a sollicité l'indemnisation de ses frais non taxables à hauteur de la somme de 10 000 francs.
La société Vivez Tradipain a conclu à la confirmation pure et simple du Jugement avant dire droit ayant ordonné une expertise.
Elle a également conclu à la confirmation du Jugement ayant statué sur le fond du litige en ce qu'il a retenu des fautes commises par la société Moly tant dans le cadre pré-contractuel que dans le cadre contractuel et qui peuvent se résumer ainsi :
- présentation d'une plaquette publicitaire et d'une Annexe I portant mentions de chiffes d'affaires et de résultats d'exploitation totalement surestimés et ne correspondant à aucune réalité (un seul magasin pilote, Albi, ouvert en mars 1985 ayant permis la réalisation de la plaquette),
- non-respect de la zone de chalandise accordée en exclusivité (50 000 habitants) et suppression d'un potentiel de clientèle par l'ouverture en janvier 1989 du magasin franchisé de Mérignac,
- absence de toute aide apportée pendant l'exécution du contrat et surtout au moment des gaves difficultés financières rencontrées après les deux premières années d'activité et signalées par des courriers circonstanciés en date des 3 mars. 10 mais et 5 avril 1989 puis du 6 avril 1992.
La société Vivez Tradipain a fait observer par ailleurs qu'aucune faute n'avait été établie à son encontre lors des investigations expertales.
Elle estime donc qu'en l'état des fautes commises par la société Moly ayant entraîné les difficultés considérables rencontrées en 1992, elle était légitimement en droit de mettre fin unilatéralement au contrat de franchise le 2 mai 1992.
La société Vivez Tradipain a formé appel incident en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts accordés réparant son préjudice. Elle estime que ce préjudice doit être apprécié en fonction de la différence existant entre le résultat réalisé et les chiffes affichés par le franchiseur et prenant en considération l'augmentation de 10 % par an prévu dans l'Annexe I. Elle demande donc à la Cour de condamner la SA Moly à lui verser la somme de 2 884 822 francs.
La société Vivez Tradipain a demandé en outre à la Cour de réformer le Jugement au fond déféré en ce qu'il a mis à sa charge le règlement des royalties pour la période d'août 1991 à avril 1992 dès lors que la société Moly ne saurait prétendre au paiement des redevances fixées puisqu'elle n' a pas rempli ses obligations en sa qualité de franchiseur.
Elle reconnaît devoir la somme de 1 280 francs au titre des marchandises livrées restées impayées.
Enfin elle a conclu à la confirmation du Jugement statuant au fond ayant débouté la société Moly de sa demande en indemnisation d'un préjudice non justifié et à la condamnation de cette société au paiement de la somme de 30 000 francs au titre des frais non taxables exposés outre les entiers dépens.
Sur ce :
Motifs de la décision
1- Sur l'appel formé par la SA Moly à l'encontre du Jugement avant dire droit en date du 26 octobre 1993.
La SA Moly critique plus spécialement les points 3 et 4 de la mission confiée par les premiers juges à l'expert, estimant que ces investigations sont contraires aux dispositions des articles 232 et 238 du nouveau code de procédure civile dès lors qu'elles ont pour conséquence d'obliger l'expert à porter une appréciation sur des points de droit et sur des questions de fait sans que cette appréciation nécessite une compétence spécifique sur le plan technique.
L'examen des missions critiquées permet de constater que les premiers juges n'ont nullement délégué à l'expert l'appréciation juridique des conventions liant les parties ni même la recherche des responsabilités encourues par l'une ou l'autre de celles-ci. Les investigations confiées à ce technicien n'ont tout d'abord consisté qu'en la recherche des éléments matériels (plaquette publicitaire- avenant- annexe I) ayant permis la signature du contrat de franchise et en une analyse comptable de ceux-ci permettant ultérieurement aux magistrats de déterminer la fiabilité et l'étendue de l'information précontractuelle fournie par le franchiseur au franchisé. Ces investigations ont ensuite conduit l'expert à fournir les éléments purement comptables de nature à permettre de porter une appréciation sur la gestion du magasin franchisé et sur ses capacités à respecter les objectifs fixés. Enfin ces investigations ont permis aux magistrats consulaires d'appréhender les éléments des préjudices commerciaux invoqués par les deux parties sans pour autant qu'il y ait eu une quelconque délégation de pouvoir s'agissant de la recherche et de l'analyse des seuls documents comptables produits par les parties au soutien de leurs demandes respectives.
En conclusion, la Cour écarte les moyens soulevés par la SA Moly et tendant à obtenir l'annulation des missions 3 et 4 de l'expertise et par voie de conséquence l'annulation des investigations expertales effectuées en exécution de ces missions.
Le jugement avant dire droit est donc confirmé.
2- Sur les appels formés par les deux punies à l'encontre du Jugement rendu sur le fond du litige le 28 mai 1996.
La société Vivez Tradipain ayant pris l'initiative d'une rupture du contrat de franchise pendant l'exécution de celui-ci (rupture après 5 années d'exécution sur les 9 années initialement convenues), la Cour, comme les premiers juges, doit apprécier la gravité des manquements imputés à la SA Moly, franchiseur, statuer sur la responsabilité des deux parties en ce qui concerne la cause exacte de la rupture des relations et déterminer les préjudices consécutifs à cette résiliation.
La société Vivez Tradipain reproche à la SA Moly trois manquements graves à ses obligations précontractuelle et contractuelle de nature à justifier la rupture du contrat en application des dispositions de l'article 1184 du code civil :
- manquement à l'obligation d'information,
- concurrence déloyale et non-respect de la zone de chalandise,
- manquement à l'obligation de conseil.
A- manquement à l'obligation d'information.
Bien que conclu antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi 89-1008 du 31 décembre 1989 (dite loi Doubin) et des décrets d'application obligeant le franchiseur à la fourniture au futur franchisé d'informations déterminées, la SA Moly avait l'obligation de donner à Jean Vivez, son CCO-contractant, des renseignements fiables basés sur des examens sérieux lui permettant de s'engager en connaissance de cause (Jean Vivez n' ayant aucune compétence en matière de boulangerie pâtisserie).
Il convient cependant de préciser que si le franchiseur n'est pas tenu d'une obligation de résultat et de garantie dans l'établissement des prévisions d'activité du franchisé, il reste toutefois tenu d'exécuter sa mission d'information de bonne foi, les prévisions fournies devant être sérieuses et sincères.
Dans le cas présent, la SA Moly a fourni à Jean Vivez puis à la société Vivez Tradipain des informations sous la forme de la remise d'une plaquette publicitaire au moment des pourparlers et d'une Annexe I lors de la signature du contrat de franchise.
Ces documents portaient à la connaissance du franchisé des prévisions d'activité en ce qui concerne les résultats d'exploitation et la marge brute et en ce qui concerne le chiffe d'affaires minimum à réaliser chaque année ainsi que les augmentations facilement réalisables année après année.
Il a été établi au cours des opérations d'expertise (pages 91, 92, 95 et 97 du rapport) que la société Vivez Tradipain n'a pu parvenir à maintenir les chiffes d'affaires et la marge brute affichés qu'en ayant recours à partir de 1989 à l'ouverture de nouveaux points de vente sans toutefois réussir à augmenter le chiffre d'affaires conformément aux prévisions annuelles. Par contre cette société a vu ses résultats d'exploitation se réduire gravement année après année postérieurement à la première année d'exploitation en raison des charges financières de plus en plus lourdes sans que la gestion comptable et financière de la société puisse faire l'objet de critiques (page 101 du rapport).
L'expert judiciaire a en fait mis clairement en évidence que les éléments constitutifs du prévisionnel diffusé par la SA Moly avaient été rédigés à partir d'une étude de marché très insuffisante puisqu'elle ne portait que sur les résultats d'un seul magasin pilote ouvert à Albi le 12 mars 1995 et ayant arrêté son premier exercice comptable au 30 septembre 1996 (pages 103 et 105 du rapport). L'expert a en outre fait observer que le prévisionnel actuel présenté aux candidats à la franchise fixait des objectifs très inférieurs à ceux présentés en 1987 à Jean Vivez.
En conclusion, si la SA Moly avait une expérience en matière d'exploitation et de production dans le secteur de la boulangerie industrielle, elle n'avait, fin l986/début 1987, qu'une très faible expérience en matière de distribution pour se lancer dans la mise en route d'un réseau de magasins franchisés et pour pouvoir fournir aux futurs candidats des prévisions réalistes et fondées sur des bases solides garantissant une information fiable et sincère.
En surestimant largement le volume des ventes prévisibles et les résultats d'exploitation, la SA Moly n'a pas permis à la société Vivez Tradipain de s'engager en connaissance de cause et l'a laissée effectuer des investissements importants lors de l'ouverture du magasin puis des investissements excessifs en cours d'exécution du contrat (création de nouveaux points de vente- augmentation du personnel) pour parvenir à maintenir l'activité à un niveau rentable. En cela, elle a commis une faute engageant sa responsabilité.
B- manquement à l'obligation de non-concurrence et de respect de la zone de chalandise.
En janvier 1989, la SA Moly a ouvert dans l'agglomération bordelaise, à Mérignac. un nouveau magasin franchisé c'est-à-dire à 2,5 kms du fonds exploité par la société Vivez Tradipain.
La société Vivez Tradipain a fait valoir que cette implantation avait été réalisée en infraction avec l'exclusivité accordée par le contrat de franchise et avait eu pour effet de la priver d'un potentiel important de clientèle à une période où elle-même rencontrait des difficultés financières et ne parvenait pas à respecter les objectifs fixés par le franchiseur.
La SA Moly estime au contraire que cette nouvelle implantation était parfaitement possible dès lors qu'elle n'avait concédé aucune exclusivité territoriale à la société Vivez Tradipain notamment sur la commune de Mérignac et dès lors qu'elle avait maintenu à cette société la zone de chalandise attribuée.
L'analyse du contrat de franchise liant les parties fait apparaître "article I § 3 page 3 " que le franchiseur << s'interdit d'octroyer une nouvelle franchise à l'intérieur du territoire donné en exclusivité tel que prévu par l'avenant n° 1 annexé aux présentes >>. Or, il n'est pas contesté que la SA Moly n'a jamais soumis aucun avenant à la signature de la société Vivez Tradipain pour définir le périmètre protégé.
Il est cependant constant que lors de la signature du contrat de réservation, les parties ont entendu définir une zone de chalandise pour délimiter et protéger l'activité du franchisé, celle-ci étant alors déterminée en fonction d'un périmètre "d'environ 30 000 habitants autour du point de vente" (article 1 page 3). Il est par ailleurs certain qu'en application de l'Annexe I du contrat de franchise, le premier droit de franchise acquitté par la société Vivez Tradipain a été calculé en fonction d'une zone de chalandise de 50 000 habitants.
En conséquence, il est certain que la société Vivez Tradipain n'a entendu effectuer d'importants investissements qu'en contrepartie de l'assurance d'une certaine protection territoriale.
Or les investigations expertales ont permis d'établir que l'implantation de la nouvelle franchise à Mérignac a eu directement pour conséquence de priver la société Vivez Tradipain d'un potentiel de clientèle dès lors que cette nouvelle franchise est située à 2 500 mètres seulement, dans le même axe de circulation emprunté par les véhicules et sur une place très commerçante (pages 109 et 110 du rapport). Par ailleurs, il résulte de la consultation du plan de l'agglomération bordelaise que le magasin de la société Vivez Tradipain est situé à l'extrémité sud de la commune d'Eysines et qu'en conséquence sa clientèle (30 000 ou 50 000 habitants autour du point de vente ) provenait aussi bien de la commune d'implantation que de la commune voisine de Mérignac.
Dès lors en laissant ouvrir dès janvier 1989 un nouveau magasin franchisé à Mérignac, la SA Moly a mis en concurrence directe sur le même secteur géographique deux franchisés de son réseau, réduisant ainsi la zone de chalandise attribuée à la société Vivez Tradipain première installée. En cela, la SA Moly a manqué gravement à ses obligations contractuelles et contraint la société Vivez Tradipain à augmenter ses investissements (création de nouveaux points de vente) pour maintenir la rentabilité de son exploitation, entraînant à partir de 1989 une très sensible réduction des bénéfices et de la rémunération de l'associé gérant, Jean Vivez.
C- manquement à l'obligation de conseil
Le franchiseur doit au franchisé la fourniture continue d'une assistance commerciale et technique pendant toute la durée du contrat.
L'assistance technique a été réalisée dans la mesure où Jean Vivez a admis avoir eu la visite régulière des dirigeants de la SA Moly dans son magasin d'Eysines et avoir participé aux réunions du Comité Consultatif des Franchisés.
Par contre, les investigations expertales ont mis en évidence la défaillance de la SA Moly quant à son obligation d'assistance commerciale lorsque la société Vivez Tradipain l'a alertée en 1989 sur ses difficultés financières puis en 1992 sur son impossibilité de faire face à ses engagements. Pourtant il est acquis que la SA Moly a été régulièrement destinataire des documents comptables révélant les résultats du magasin d'Eysines et a donc eu une parfaite connaissance de la stagnation du chiffre d'affaires malgré les efforts réalisés par son franchisé et surtout de la baisse constante des résultats d'exploitation. Or, il est établi que la société Moly n'a formulé aucun conseil ni mis en œuvre aucune des mesures de rétablissement comme elle s'y était engagée expressément (article 6 § 617 page 11 du contrat de franchise - pages 111 à 114 du rapport d'expertise) manquant ainsi à ses obligations contractuelles.
En conclusion, la Cour, comme les premiers juges. dit que la SA Moly a commis des fautes tant lors des pourparlers qu'en cours d'exécution du contrat de franchise manquant ainsi gravement à ses obligations en sa qualité de franchiseur. L'inexécution et la mauvaise exécution par la société Moly de ses obligations permet de considérer que la société Vivez Tradipain a pu, sans abus de sa part, mettre fin au contrat par son courrier en date du 2 mai 1992 avant le terme fixé au mois de juin 1996. La décision de première instance est confirmée en ce qu'elle a dit que la rupture du contrat de franchise était imputable à la SA Moly.
Toutefois, n'ayant pas reçu la contrepartie telle que prévue au contrat, la société Vivez Tradipain n'a pas à assurer le paiement des redevances laissées impayées à partir du mois d'août 1991. La décision de première instance est donc de ce chef réformée.
La Cour réforme également le Jugement déféré en ce qu'il a chiffré l'indemnisation du préjudice subi par la société Vivez Tradipain en allouant à celle-ci une somme égale à la différence entre ses résultats et ceux réalisés par le magasin pilote d'Albi pris comme référence par le franchiseur. De même, la Cour écarte la nouvelle réclamation présentée par la société Vivez Tradipain et tendant à obtenir l'indemnisation de son préjudice par référence aux éléments fournis par la plaquette publicitaire.
En effet, tant ces derniers éléments que ceux afférents au magasin pilote d'Albi, constituaient des objectifs fixés par le franchiseur, objectifs considérés comme surestimés dès lors qu'ils étaient basés sur une étude trop restreinte dans l'espace et dans le temps. Il faut par ailleurs considérer qu'étant une entité distincte du franchiseur, la société franchisée est responsable de son activité commerciale et doit également s'adapter aux contraintes économiques et aux fluctuations de la clientèle (la société Vivez Tradipain ayant en outre poursuivi, postérieurement à la rupture du contrat de franchise, son activité de boulanger-pâtissier sur la commune d'Eysines en enregistrant des résultats bénéficiaires).
Dès lors, les fautes commises par la SA Moly n'ont eu pour conséquence que de faire perdre à la société Vivez Tradipain une chance de parvenir aux objectifs fixés. Elles ont eu également pour effet d'augmenter les investissements (créations de trois nouveaux points de vente dont deux ont dû finalement être abandonnés - augmentation du personnel et des charges salariales augmentation des publicités) et de réduire les bénéfices et la rémunération du seul associé gérant.
En l'état des éléments recueillis au cours des opérations expertales, la Cour fixe à 500 000 francs l'indemnisation que devra verser la SA Moly à la société Vivez Tradipain.
La Cour confirme le Jugement déféré ayant mis à la charge de la société Vivez Tradipain le règlement de la facture d'emballages consignés et débouté la SA Moly de sa demande d'indemnisation.
Enfin, la Cour accorde à la société Vivez Tradipain la somme de 30 000 francs au titre des frais non taxables exposés pour la défense de ses intérêts.
Vu l'article 696 du nouveau code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et après en avoir délibéré. Reçoit les appels en la forme. Confirme le Jugement rendu le 26 octobre 1993 par le Tribunal de Commerce de Rodez. Infirme dans la mesure utile le Jugement rendu le 28 mai 1996 par le Tribunal de Commerce de Rodez et statuant à nouveau ; Constate la résiliation du contrat de franchise par la société Vivez Tradipain et dit que celle-ci est imputable aux seules fautes commises par la SA Moly. Condamne en conséquence la SA Moly à payer à la société Vivez Tradipain la somme de 500 000 francs à titre de dommages et intérêts. Condamne la société Vivez Tradipain à payer à la SA Moly la somme de 1 280 francs correspondant à la facture d'emballages consignés outre intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 1992. Condamne la SA Moly à payer à la société Vivez Tradipain la somme de 30 000 francs au titre des frais non taxables exposés. Déboute les parties du surplus de leurs demandes. Condamne la SA Moly aux entiers dépens comprenant les frais d'expertise et autorise la SCP d'Avoués Salvignol-Guilhem à recouvrer directement ceux exposés en appel conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.