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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 18 décembre 1997, n° 2307-94

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Pronovias (Sté)

Défendeur :

Galeries Tomy (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gallet

Conseillers :

MM. Boilevin, Raffejeaud

Avoués :

SCP Gas, SCP Lefevre, Tardy

Avocats :

Mes Schecroun, Pons.

T. com. Nanterre, du 25 nov. 1993

25 novembre 1993

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

A la suite de la présentation par la société Pronovias, dans un hôtel parisien, le 8 septembre 1991, de sa collection 1992 de robes de mariées, la société Galeries Tomy lui a, par fax daté du 17 octobre 1991 confirmé par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 5 octobre 1991, commandé 40 robes pour livraison en décembre 1991. Par courrier en réponse du 7 octobre 1991, la société Pronovias a informé la société Galeries Tomy que les prises de commandes étaient arrêtées depuis le 30 septembre 1991 et qu'elle était en rupture de stocks. Par un nouveau fax adressé le 13 décembre 1991, la société Galeries Tomy exigeait la livraison immédiate de leur commande, et par courrier du 17 décembre 1991, la société Pronovias confirmait les termes de sa réponse précédente.

Par acte d'huissier en date du 4 février 1993, la SA Galeries Tomy a assigné la société Pronovias aux fins de voir enjoindre à cette dernière de réaliser la vente et la livraison des marchandises commandées le 1er octobre 1991, sous astreinte de 1 000,00 F par jour de retard, de voir constater le refus de vente et de voir condamner la société Pronovias à lui payer la somme de 100 000,00 F à titre de dommages et intérêts.

Par jugement en date du 25 novembre 1993, le tribunal de commerce de Nanterre a constaté le refus de vente, a débouté la société Galeries Tomy de sa demande relative à la livraison de sa commande, et a condamné la société Pronovias à lui payer la somme de 15 000,00 F à titre de dommages et intérêts.

La société Pronovias et la société Galeries Tomy ont successivement relevé appel de cette décision.

Par conclusions signifiées le 14 octobre 1994, la société Pronovias conteste le refus de vente, en soulignant n'avoir commis aucune faute et ne donnant pas suite à la commande de la société Galeries Tomy faite tardivement, alors qu'elle était en rupture de stocks, la production ne pouvant se faire au coup par coup. Elle ajoute que si même elle avait été l'auteur d'un refus de vente, celui-ci aurait été justifié car la société Galeries Tomy pratiquait des prix inférieurs au marché traditionnel des robes de mariées, ce qui constitue une présomption légale d'anormalité de la commande.

Elle fait état de la mauvaise foi de la société Galeries Tomy qui avait été en relations d'affaires avec elle et connaissait les usages commerciaux, mais qui n'avait pas maintenu ces relations pendant l'année 1991. Elle conteste tout préjudice subi par la société Galeries Tomy et soutient qu'il n'existe aucune relation de causalité entre un prétendu préjudice et la faute alléguée, en soulignant la passivité de l'autre partie. Elle considère que la procédure engagée contre elle est abusive. En définitive, elle demande à la cour de :

- dire et juger la société Pronovias recevable en son appel et l'y dire également bien fondée,

- prendre acte que les robes de mariées correspondant à la collection printemps-été 1992 ne sont plus fabriquées par les ateliers de la société Pronovias,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté la société Galeries Tomy de la partie de sa demande relative à la livraison de cette commande,

- condamner la société Galeries Tomy à payer à la société Pronovias une somme de 20 000,00 F pour procédure abusive et dilatoire,

- condamner la société Galeries Tomy à payer à la société Pronovias une somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC,

- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel dont le montant sera recouvré par la SCP Gas dans les conditions de l'article 699 du NCPC.

Par des conclusions ultérieures, la société Pronovias conteste à nouveau tout préjudice de la société Galeries Tomy, indiquant qu'elle n'a pas davantage commis de refus de vente en 1993, la commande passée après le défilé de septembre 1993 étant tout aussi anormale que la précédente, en raison des conditions dans lesquelles elle a été passée et de l'absence de standing de la société Galeries Tomy qui ne répond pas à ses critères de sélection.

Par conclusions récapitulatives signifiées le 13 janvier 1997, la société Galeries Tomy rappelle les faits initiaux et expose ne pas avoir eu davantage de suite à une commande passée en septembre 1993, la société Pronovias lui ayant fait savoir qu'elle n'acceptait un nouveau client qu'après s'être assurée de son standard et qu'en l'occurrence elle relevait l'image de bas de gamme et le défaut de spécialisation de la société Galeries Tomy. Celle-ci considère que les deux refus de vente sont parfaitement caractérisés, en précisant qu'en 1991 sa commande n'avait aucun caractère anormal puisqu'elle n'avait pas été passée tardivement, que les relations commerciales des parties n'avaient pas été rompues, et que les prix pratiqués était convenables.

En ce qui concerne le refus de vente de 1993, précédé du refus d'une invitation à la présentation de la collection, elle réfute les allégations de la société Pronovias relatives à son image bas de gamme et l'absence de spécialisation. S'agissant de son préjudice, elle soutient qu'il correspond à la fois à la perte de marge brute sur les robes commandées et non livrées, et aux pertes sur les autres rayons. En conséquence, elle demande à la Cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté le refus de vente de la société Pronovias concernant la commande de la SA Galeries Tomy en date du 1er octobre 1991 ;

- infirmer le jugement entrepris pour le surplus et,

Statuant à nouveau,

- condamner la société Pronovias à lui payer la somme de 300 000,00 F à titre de dommages et intérêts outre celle de 30 000,00 F au titre de l'article 700 du NCPC,

- débouter la SA Pronovias de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la SA Pronovias en tous les dépens dont distraction au profit de la SCP Lefevre et Tardy, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.

La procédure a été clôturée par une ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 18 février 1997 et l'affaire a été plaidée à l'audience du 12 novembre 1997.

Sur ce, LA COUR

Considérant que, selon l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence en sa rédaction antérieure à la loi du 1er juillet 1996, en vigueur à l'époque des faits, " engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan. de refuser de satisfaire aux demandes des acheteurs de produits ou aux demandes de prestations de service, lorsque ces demandes ne présentent aucun caractère anormal, qu'elles sont faites de bonne foi et que le refus n'est pas justifié par les dispositions de l'article 10. " ;

Considérant qu'il est constant que la société Pronovias n'a pas donné suite à la commande passée par la société Galeries Tomy, selon un fax en date du 1er octobre 1991 confirmé par une lettre recommandée en date du 5 octobre 1991, portant sur 40 robes livrables début décembre 1991 ;

Que, pour contester le refus de vente qui lui est imputé, la société Pronovias, d'une part, se réfère aux termes de ses courriers des 7 octobre et 17 décembre 1991 par lesquels elle a fait connaître à la société Galeries Tomy ne pas être en mesure de satisfaire sa commande au motif que " les prises d'ordre de commande initiale sont arrêtées depuis le 30 septembre 1991 et que depuis cette même date, elle est hors vente car en rupture de stocks ", et d'autre part, invoque l'anormalité de la commande ;

Que cependant, la société Pronovias ne justifie aucunement des usages qu'elle allègue de la part des professionnels de remettre le bon de commande aussitôt après le défilé de robes auquel ils ont pu assister, non plus que de la rupture de stocks dont elle fait état pour l'ensemble des modèles commandés, compte tenu du délai jusqu'à la livraison souhaitée ;

Qu'elle ne démontre pas davantage le caractère anormal de la commande passée par la société Galeries Tomy ni la mauvaise foi de cette dernière ; qu'à cet égard, il convient de noter que cette société lui a adressé, le 27 septembre 1991, un courrier, dont elle ne conteste pas la teneur, où il est fait état d'un rendez-vous convenu le 13 septembre auquel son représentant, M. Dal Corso, ne s'est pas rendu ; que, dès lors, elle est mal fondée à reprocher à la société Galeries Tomy d'avoir adressé, avec délai, sa commande par un fax non précédé d'une demande téléphonique, alors qu'elle a négligé l'opportunité de l'entretien envisagé après le défilé de robes du 8 septembre 1991 ;

Que son affirmation selon laquelle les parties auraient cessé leurs relations pendant le cours de l'année 1991 est démentie par la production, faite régulièrement par la société Galeries Tomy et non critiquée, de plusieurs bons de commande et de livraison attestant les relations des parties jusqu'en mai et juin 1991 ; qu'elle est malvenue à reprocher l'inaction de la société Galeries Tomy entre la date de sa commande et la lettre de rappel du 13 décembre 1991, alors que dans son propre courrier du 7 octobre elle assurait sa cliente que les possibilités d'une éventuelle livraison de la commande lui seraient indiquées ;

Qu'elle ne justifie pas son allégation selon laquelle la société Galeries Tomy aurait pratiqué des prix inférieurs au marché traditionnel des robes de mariées, alors que, au contraire, cette dernière société démontre, sans être contredite, par la production d'extraits de documents comptables, qu'elle pratiquait un taux de marge de l'ordre de 2,56 % correspondant à la moyenne des taux pratiqués habituellement ; que la présomption d'anormalité de la commande dont elle se prévaut, au demeurant non instaurée à l'époque considérée, implique la preuve, non rapportée en l'occurrence, des pratiques déloyales visées par les articles 32 à 37 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; quelle n'impute pas à la société Galeries Tomy les pratiques visées par l'article 10 de ladite ordonnance ;

Que, dans ces conditions, en refusant de satisfaire, sans justification fondée, la commande passée par la société Galeries Tomy, dont il n'est pas prouvé qu'elle ait été anormale ou faite de mauvaise foi, la société Pronovias a commis une faute qui engage sa responsabilité ;

Que cette faute est génératrice d'un préjudice pour la société Galeries Tomy ainsi privée de la marge bénéficiaire qu'elle pouvait escompter sur les produits considérés et de l'attraction de la clientèle pour ce type de marchandise, avec les effets induits ;

Considérant qu'il est également constant que, lors du défilé de présentation des robes de la collection printemps-été qui a eu lieu le 3 septembre 1993, la société Galeries Tomy a passé une commande de robes de mariées et de robes de cocktail auprès de la société Pronovias qui a refusé d'y donner suite, ainsi que cela ressort explicitement de ses courriers des 9 septembre et 15 novembre 1993 ;

Que, pour justifier son refus, la société Pronovias a fait état de ce que la société Galeries Tomy ne correspondrait pas à son standard de distributeur, invoquant, dans son courrier du 15 novembre 1993, l'emplacement du magasin dans " un endroit de public moyen/bas...", une " publicité donnant une image de bas de gamme " et une " non spécialisation du magasin " ;

Que, cependant, elle ne justifie pas que les produits qu'elle commercialise s'adressent à une clientèle spécifique et nécessitent un réseau de revendeurs particulièrement sélectionnés ; que s'il est légitime qu'elle ait le souci d'une qualité de prestations de la part de ses distributeurs, elle ne rapporte pas la preuve que la société Galeries Tomy ne les remplissait pas, alors que cette dernière justifie, par les pièces régulièrement versées aux débats, d'investissements pour l'amélioration de son magasin et d'une spécialisation dans le domaine de la vente de robes de mariées, que sa localisation ne peut avoir aucun effet dépréciateur pour les produits Pronovias,qu'elle figurait même dans les publicités Pronovias ;

Que, en outre, la société Pronovias ne justifie d'aucun élément accréditant le caractère anormal de la commande ou la mauvaise foi de la société Galeries Tomy ;

Que, dans ces conditions, en refusant de satisfaire, à nouveau, sans justification fondée, la commande passée par la société Galeries Tomy, dont il n'est pas prouvé qu'elle ait été anormale ou faite de mauvaise foi, la société Pronovias a encore commis une faute qui engage pareillement sa responsabilité ;

Que, pour les mêmes raisons que précédemment, cette faute est génératrice d'un préjudice pour la société Galeries Tomy ;

Que, à l'examen des documents produits relatifs tant à la marge bénéficiaire de la société Galeries Tomy qu'à son importance dans le domaine considéré, étant décrite comme l'un des plus importants points de vente de la région parisienne, la cour dispose des éléments pour évaluer à 50 000,00 F le montant du préjudice qu'elle a subi à la suite des deux refus de vente dont elle a été l'objet ;

Considérant que l'équité commande que la société Galeries Tomy n'ait pas à assumer l'intégralité des frais irrépétibles quelle a exposés dans la procédure d'appel ; que la cour est en mesure de fixer à 15 000,00 F la somme que la société Pronovias devra lui payer à ce titre ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, - Déclare recevables les appels formés par la société Pronovias et la société Galeries Tomy, - Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Pronovias à payer à la société Galeries Tomy la somme de 15 000,00 F à titre de dommages et intérêts et a débouté cette dernière du surplus de sa demande, et statuant à nouveau, dans cette limite, - condamne la société Pronovias à payer à la société Galeries Tomy la somme de 50 000,00 F à titre de dommages et intérêts, - Confirme les autres dispositions du jugement entrepris, Y ajoutant, - Condamne la société Pronovias à payer à la société Galeries Tomy la somme de 15 000,00 F en application de l'article 700 du NCPC, ainsi qu'aux entiers dépens, qui pourront être recouvrés directement par la SCP Lefevre-Tardy, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC, - Déboute les parties de leurs conclusions contraires ou plus amples.