CA Toulouse, 2e ch., 8 janvier 1998, n° 96-02656
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
CV France (Sté), Devos Bot (ès qual.)
Défendeur :
Marchal
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Brignol
Conseillers :
MM. Boyer, Rimour
Avoués :
SCP Boyer-Lescat-Merle, SCP Rives-Podesta
Avocats :
SCP Delrieu-Barèges, SCP Plantie-Decharme.
Par accord verbal du 15 janvier 1993, la SARL CV France a conclu avec M. Marchal un contrat d'agent commercial qui représentait ainsi la société sur un secteur étendu, et percevait en contrepartie une commission représentant 14 % du chiffre d'affaires HT réalisé et 10 % pour les ventes réalisées auprès des magasins " M. Bricolage ".
Estimant que les visites de ces magasins étaient insuffisantes, la Société CV France lui en retirait la prospection le 14 janvier 1994 avant de résilier le contrat d'agent commercial la liant à M. Marchal en invoquant ses résultats insuffisants.
C'est ainsi que M. Marchal a assigné la Société CV France devant le Tribunal de Commerce de Montauban, en paiement de :
- 18 000 F à titre de dommages-intérêts
- 148 000 F à titre d'indemnité de résiliation
- 40 000 F de dommages-intérêts pour modification unilatérale des éléments substantiels du contrat.
- 22 269,34 F TTC au titre des commissions impayées.
Par jugement du 13 mars 1996, le tribunal faisait droit à la demande, après avoir considéré, pour l'essentiel :
- que la société CV France avait modifié unilatéralement un des élements essentiels du contrat et devait donc payer 26 000 F à titre de dommages-intérêts à M. Marchal.
- que la Société CV France n'avait pas respecté le délai de préavis.
- que M. Marchal n'avait commis aucune faute lourde.
La Société CV France a régulièrement relevé appel de ce jugement. Elle en demande la confirmation à propos de l'arriéré de commissions de 22 269,34 F qu'elle accepte de régler et la réformation pour le surplus. Elle estime que la modification contractuelle du 14 janvier 1994 était justifiée par l'inobservation par M. Marchal de ses obligations contractuelles et que la baisse significative de l'activité de M. Marchal constitue une faute au sens des articles 11 et 13 a de la loi du 25 juin 1991, justifiant la résiliation sans délai ni indemnité.
Enfin elle demande 5 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
A propos de la modification contractuelle intervenue le 14 janvier 1994, elle rappelle que M. Marchal, qui devait assurer la prospection des magasins " M. Bricolage " et celle de détaillants de son choix, n'a procédé que très épisodiquement à ces visites.
Elle invoque les pièces adverses dont il résulterait qu'il ne visitait qu'une dizaine de ces centres sur les 46 implantés dans la zone de prospection, ce qui correspond à une visite tous les 4 ans au lieu de toutes les cinq semaines, ainsi que l'exigeait l'ANPF centrale regroupant les magasins " M. Bricolage ". Elle précise que l'ANPF par courrier du 1er septembre 1993 lui a demandé de contrôler la régularité et la fréquence des visites du Sud Ouest. Elle ajoute que plusieurs avertissements téléphoniques et par courrier ont été adressés à M. Marchal, notamment le 7 septembre 1993, dont il n'a pas été tenu compte. C'est pourquoi il a été convenu de lui retirer la prospection des magasins " M. Bricolage ", mesure qu'il n'a pas contesté par la suite ; attendant la résiliation pour en critiquer le bien fondé.
Selon l'appelante la modification contractuelle était justifiée, M. Marchal n'ayant jamais respecté ses obligations contractuelles vis à vis des centres de " M. Bricolage ".
Elle précise que par la suite son rendement ne s'est pas amélioré pour autant, justifiant ainsi la rupture sans préavis, ni indemnité. Elle invoque une activité de plus en plus épisodique de M. Marchal et s'appuie sur la baisse constante du chiffre d'affaires qui a été divisé par quatre en une année. Elle soutient que contrairement à l'avis du tribunal, cette diminution ne provient pas du retrait de la prospection des magasins " M. Bricolage ", puisqu'en février 1994, le chiffre d'affaires réalisé par M. Marchal était encore de 165 400 F, alors qu'il n'assurait déjà plus la prospection des grands centres.
Elle rappelle le courrier adressé le 31 mars 1995 à M. Marchal évoquant un chiffre d'affaire dérisoire.
Elle souligne que ce chiffre d'affaires était de mauvaise qualité en raison des nombreux impayés des clients dont M. Marchal se portait cependant garant : soit au 22 août 1994 des factures impayées pour 44 002,98 F.
Elle invoque une jurisprudence selon laquelle, en pareille hypothèse, le droit à indemnité disparaît en cas de mauvaise gestion de l'agent ou de baisse de rendement notamment. Dans ces conditions la faute de M. Marchal lui paraît caractérisée et justifie la rupture du contrat sans délai ni indemnité, conformément aux articles 11 et 13 a de la loi du 25 juin 1991.
M. Marchal conclut au contraire à la confirmation du jugement en ce qu'il a :
- condamné la société CV France à lui payer 18 000 F à titre de dommages-intérêts en raison de la brusque rupture et du non-respect du délai de préavis prévu par la loi.
- condamné la société CV France à lui payer 148 000 F à titre de l'indemnité de résiliation
- condamné la société CV France au versement de 22 269,34 F TTC avec les intérêts légaux à compter de l'assignation, au titre des commissions restant dues
Relevant appel incident, il soutient que la société CV France a commis une faute en modifiant unilatéralement le contrat, le 14 janvier 1994 et demande 40 000 F à titre de dommages-intérêts.
Il demande en outre 5 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Me Devos Bot a été assigné en reprise d'instance, en sa qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de la société CV France. Par conclusions déposées le 31 janvier 1997 elle a demandé qu'acte lui doit donné de son intervention et de ce qu'elle faisait siennes, les conclusions déposées dans l'intérêt de la société CV France.
Enfin elle a souligné l'impossibilité de faire droit aux conclusions déposées par M. Marchal, compte tenu de l'état de liquidation judiciaire de la société CV France.
Sur quoi,
Ainsi que le souligne l'intimé les documents invoqués par l'appelant ne démontrent pas la négligence de l'agent commercial. En effet les relevés de commissions autorisent uniquement une évaluation du volume des commandes réalisées par M. Marchal. En aucun cas, ces relevés de commission ne permettent d'apprécier l'effort de prospection de l'agent, puisqu'il est constant que chaque visite de clientèle ne donne pas lieu à une commande.
De même les courriers adressés par l'appelant à l'intimé ne sont pas déterminants, puisqu'ils sont de la plume même de l'appelant et qu'ils ne sont étayés par aucun élément objectif.
Ainsi c'est à juste titre que M. Marchal fait observer que la société CV France ne justifie d'aucun motif valable l'autorisant à modifier unilatéralement son contrat.
Il rappelle que la prospection des magasins " Monsieur Bricolage " lui procurait 25 % de ses commissions pour 1993 et que cette suppression, à la seule initiative du mandant constitue manifestement une modification d'un des éléments essentiels du contrat conclu le 15 janvier 1993.
C'est pourquoi le jugement sera confirmé, en ce qu'il a condamné la société CV France à verser à son agent des dommages-intérêts. Il le sera également sur la somme de 26 000 F, retenue par le tribunal et qui tient un juste compte des éléments de la cause.
Par ailleurs et ainsi que le rappelle M. Marchal, seuls sont considérés comme fautifs, les agissements manifestement contraires au caractère commun du mandat. Ainsi la baisse du chiffre d'affaires qui est invoquée ne peut être considérée comme constitutive d'une faute grave. De même il ne peut être reproché à M. Marchal de ne pas avoir suivi les commandes afin de s'assurer de leur règlement, alors qu'un tel rôle ne lui est pas confié par le contrat, ni par les usages de la profession. Dès lors aucune faute ne peut justifier la rupture du contrat et M. Marchal a effectivement droit au respect [du préavis] de trois mois prévu par la loi, ainsi qu'à l'indemnité de résiliation instituée par ce texte.
La Société CV France n'a pas respecté l'article 11 de la loi de 1991, de sorte que le jugement ne peut qu'être confirmé en ce qu'il condamne ladite société à verser à M. Marchal, 18 000 F à titre de dommages-intérêts pour rupture abrupte du contrat.
Par ailleurs il est incontestable que dans ces conditions, M. Marchal est en droit de recevoir une indemnité compensatrice réparant le préjudice subi du fait de la cessation du contrat conclu le 15 janvier 1993.
Il résulte du dossier que M. Marchal a été évincé brutalement et que la société CV France a rapidement procédé à son remplacement, alors que le contrat du 15 janvier 1993, n'avait pas encore été résilié. Ces éléments justifient la condamnation par le tribunal au versement de 148 000 F, représentant deux années de commissions, à titre d'indemnité de résiliation.
Enfin, M. Marchal a régulièrement déclaré sa créance à la procédure collective.
En définitive le jugement déféré sera confirmé, en toutes ses dispositions sauf à tenir compte de la procédure collective instaurée et la société CV France versera 5 000 F à M. Marchal au titre de l'article 700 du NCPC
En revanche la demande de dommages-intérêts présentée par M. Marchal sera rejetée faute pour lui d'établir le caractère abusif de la procédure ainsi que la réalité de son préjudice.
Par ces motifs, LA COUR, Reçoit l'appel jugé régulier ; le déclare mal fondé. Confirme le jugement en toutes ses dispositions, et fixe aux divers montants arbitrés par le Tribunal les créances de M. Marchal à la liquidation judiciaire de la société CV France. Fixe la créance au titre de l'article 700 du NCPC, de M. Marchal en cause d'appel à (cinq mille francs) 5 000 F. Passe les dépens en frais privilégiés de la liquidation judiciaire de la société CV France.