Cass. com., 13 janvier 1998, n° 95-13.423
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Gift Shop (SA)
Défendeur :
Boucheron Parfums (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Gomez
Avocat général :
M. Lafortune
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, Me Foussard
LA COUR : - Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches : Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 10 février 1995), que la société Boucheron Parfums, distributeur exclusif en France de la société suisse Parfums et Cosmétiques International et titulaire de la licence de la marque Boucheron consentie par la société Boucheron Joaillerie, a refusé de donner son accord à la société Gift Shop qui lui avait demandé la possibilité de commercialiser ses produits dans un centre commercial situé à La Défense en arguant des conditions dans lesquelles la marque Boucheron lui avait été concédée ; qu'à une deuxième demande formulée par la société Gift Shop, la société Boucheron Parfums a répondu négativement en faisant valoir l'existence de trois autres points de vente dans la zone commerciale concernée ; qu'enfin à une troisième demande, le refus de la société Boucheron Parfums a été motivé par les limites de sa capacité de production et de développement ; que la société Gift Shop a assigné la société Boucheron Parfums en soutenant que ces trois refus de vente étaient prohibés par le Traité instituant la Communauté européenne (Traité de Rome) ;
Attendu que la société Gift Shop fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que la limitation par la société Boucheron Parfums était justifiée et que son refus de l'agréer dans son réseau de distribution sélective n'était pas discriminatoire alors, selon le pourvoi, d'une part, que la notion d'accords non restrictifs de concurrence, tels que définis par la Commission des communautés européennes dans sa communication du 3 septembre 1986, vise à favoriser la coopération entre petites et moyennes entreprises ; que pour apprécier la part de marché et le chiffre d'affaires plancher, la Commission a précisé qu'il fallait tenir compte non seulement des entreprises participant elles-mêmes à l'accord mais aussi des entreprises détenant au sein desdites entreprises un pouvoir de contrôle ou de direction ; qu'en l'espèce, la société Boucheron Parfums fait partie du groupe suisse Schweizerhall, société de produits chimiques et pharmaceutiques, qui a investi 100 000 000 F pour la mise en place du réseau de distribution des parfums Boucheron et dont le chiffre d'affaires représente 700 000 000 F suisse par an ; que dès lors, en considérant que la société Boucheron Parfums pouvait se prévaloir des dispositions de la communication du 3 septembre 1986, sans rechercher si son appartenance à un groupe qui réalise un chiffre d'affaires annuel de 700 000 000 F suisse et qui a investi 100 000 000 F dans la mise en place du réseau litigieux était de nature à l'exclure du bénéfice de cette tolérance, la cour d'appel n'a pas légalement fondé sa décision au regard de l'article 85, paragraphe 1, du Traité de Rome ; alors, d'autre part, que pour qu'un réseau de distribution sélective puisse être déclaré licite, le choix des distributeurs doit notamment être effectué en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif à l'exclusion de tout critère de nature quantitative ; - qu'en l'espèce le refus d'agrément opposé à sa demande par la société Boucheron Parfums reposait exclusivement sur la présence antérieure de trois points de vente de ses produits sur la zone d'activité concernée ; que dès lors en considérant que le réseau de distribution sélective mis en place par la société Boucheron Parfums était licite, après avoir constaté que le refus d'agrément qui lui avait été opposé reposait sur un critère quantitatif, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences qui s'évinçaient de ses constatations et de ce fait a violé l'article 85 du Traité de Rome et l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, en outre, qu'en toute hypothèse, la sélection quantitative des distributeurs ne pourrait être admise que si elle contribue au progrès économique et qu'elle est appliquée de façon non discriminatoire selon des critères objectifs ; qu'il appartient à celui qui se prévaut de la licéité d'un tel critère d'en apporter la preuve ; que dès lors, en considérant que le refus d'agrément opposé à elle était justifié, sans constater que le critère de sélection quantitatif invoqué par la société Boucheron Parfums avait un caractère objectif, la cour d'appel a violé l'article 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et l'article 85, paragraphe 1, du Traité de Rome ; et alors, enfin, que l'appréciation du caractère non discriminatoire de l'application d'un critère de sélection quantitatif doit se faire à la date à laquelle l'existence du réseau a été opposée au distributeur peu important que la situation juridique qui commandait la qualification fautive ou illicite se soit modifiée postérieurement ; que dès lors la cour d'appel ne pouvait justifier le refus d'agrément dont elle a fait l'objet du fait de l'application de critères de sélection quantitatifs du réseau mis en place par la société Boucheron Parfums en se fondant sur une situation juridique modifiée postérieurement au refus d'agrément litigieux sans violer l'article 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et l'article 85, paragraphe 1, du Traité de Rome ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir relevé que la société Boucheron Parfums détenait 0,5 pour cent de la part du marché concerné et avait un chiffre d'affaires de 36 596 801 F, et en avoir déduit qu'elle n'avait pas à soumettre son réseau à l'agrément de la Commission des communautés européennes, la cour d'appel n'avait pas à procéder à la recherche inopérante prétendument omise ;
Et attendu, en second lieu, qu'après avoir rappelé que chaque fabricant doit pouvoir sans inconvénient sensible pour la concurrence rester maître de la détermination du nombre des revendeurs en fonction de ses objectifs de productionet relevé que la société Boucheron Parfums justifiait d'une étude faisant apparaître le nombre des points de vente potentiel en fonction du nombre d'habitants, la cour d'appel a pu décider que cette société avait justifié le refus d'admettre la société Gift Shop dans son réseau; - D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.