Livv
Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 16 janvier 1998, n° 96-15174

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

de Neuville (SA)

Défendeur :

Patou (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Desgrange

Conseillers :

Mme Cabat, M. Betch,

Avoués :

SCP Goirand, SCP Roblin-Chaix de Lavarene

Avocats :

Mes Meresse, Gast

T. com. Paris, 1re ch., du 15 avr. 1996

15 avril 1996

LA COUR statue sur l'appel formé par la société anonyme De Neuville d'un jugement rendu le 15 avril 1996 par le tribunal de Commerce de Paris qu'il l'a condamnée à payer à la SARL Patou la somme de 700 000 F à titre de dommages intérêts avec intérêts au taux légal courus à compter du 30 janvier 1995, date de l'assignation et qui a déclaré irrecevable sa demande reconventionnelle, ce après avoir prononcé la résiliation du contrat de franchise à ses torts exclusifs à compter du 30 janvier 1995.

La Cour se réfère pour l'exposé des faits et de la procédure à la relation exacte qu'en ont fait les Premiers Juges ;

Il suffit de rappeler que le contrat litigieux a été signé le 9 décembre 1991 ; les Premiers Juges ont dit que la société De Neuville avait commis une faute en remettant des informations inexactes par le biais d'une étude de marché qui s'est révélée erronée et incomplète ; l'irrecevabilité de la demande reconventionnelle a été prononcée en raison de ce qu'elle était dirigée contre une personne non attraite en la cause.

La Société De Neuville, appelante reproche aux premiers Juges d'avoir admis sa responsabilité dans le choix de l'emplacement commercial sis à Angers au vu du paiement du droit d'entrée de 55 000 F alors que selon De Neuville, cette somme n'a pas pour but de rémunérer cette prestation.

L'appelante affirme que l'agrément des époux Pean qui se présentaient comme des familiers du commerce de bouche n'est pas fautif, que l'étude prévisionnelle qu'elle a présenté aux candidats franchisés était correcte et que l'échec commercial était dû en l'espèce au désintérêt total de la société Patou pour sa politique commerciale et publicitaire et à la très mauvaise gestion de la franchisée, la société De Neuville prétendant avoir rempli toutes ses obligations.

Aussi, la société De Neuville prie-t-elle la cour, d'infirmer le jugement entrepris, de dire que la société Patou n'a pas rempli ses obligations contractuelles ce qui, conjugué à sa mauvaise gestion, l'a conduite à son échec, de reconnaître la violation de la clause 6.2.1 du contrat de franchise, de condamner la société Patou à lui régler une somme de 25 000 F représentant une atteinte à l'image et à l'unité du réseau, de prononcer la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusifs de la société Patou, et de décharger De Neuville de toutes condamnations, en condamnant la société Patou au paiement de la somme de 30 000 F au titre de l'application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société Patou, intimée, conclut à la confirmation du jugement sauf pour ce qui concerne le quantum de son préjudice, au débouté des demandes de l'appelante, et en application des articles 1134 alinéas 3, 1149 et 1150 du Code Civil, de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989 et de son décret d'application du 4 avril 1991, et du Code de Déontologie Européen, à la condamnation de la société De Neuville au paiement des sommes suivantes :

- remboursement des pertes essuyées et qui s'élèvent au bilan clos au 28 février 1995 à la somme de 612 108 F en cumul ;

- remboursement de la somme de 891 115 F correspondant aux marges brutes perdues, déduction faite de la part des pertes dont l'indemnité est demandée,

- remboursement des marges brutes qu'elle avait vocation à réaliser jusqu'au terme du contrat qui, selon les prévisions de la société De Neuville s'élevant à 5 530 000 F

- le tout avec intérêts au taux légal à compter du jour de l'assignation, outre la capitalisation des intérêts échus,

- la somme de 50 000 F au titre de l'application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

A ces fins, l'intimée fait valoir que la société De Neuville est responsable du choix du lieu d'implantation et de l'élaboration de l'étude prévisionnelle lourdement fautive et que ces fautes ont entraîné pour la société Patou, un très important préjudice ; elle fait siens les motifs des Premiers Juges qui concernent les fautes du franchiseur relatives au choix de l'emplacement commercial du magasin, à l'erreur grossière de calcul du budget prévisionnel et à l'absence d'assistance aux fins de redressement de sa situation financière ; elle dénie le désintérêt que lui prête sa cocontractante quant à sa politique commerciale et publicitaire et affirme s'être débattue seule contre ses difficultés financières, pour avoir notamment essuyé un refus d'exonération des royautés dues

Sur ce, LA COUR :

1) Sur les fautes contractuelles reprochées par la SARL Patou à la société De Neuville.

Considérant que pour ce qui concerne le respect des dispositions de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989, un récépissé signé le 10 octobre 1991 du candidat franchisé, justifie de la remise plus de vingt jours avant la signature du contrat intervenu le 9 décembre 1991, du projet de contrat et de l'étude provisionnelle ; que ces dispositions ont donc été respectées.

Considérant que la Cour ne doit pas appréhender de manière distincte les deux reproches que fait la franchisée à la société franchiseuse quant au choix du lieu d'implantation et quant au contenu de l'étude provisionnelle qu'elle a réalisée.

Qu'en effet, ce choix, qui incombait contractuellement au franchiseur en concertation avec le franchisé, procède de l'expérience professionnelle recueillie par le franchiseur au fur et à mesure de l'évolution de son réseau, expérience professionnelle qui s'intègre dans son savoir-faire ; que ce savoir-faire est l'un des trois éléments justifiant l'existence même de tout contrat de franchise ; que ce savoir-faire autorise le franchisé à se fier :

- au choix d'un emplacement commercial optimisé, établi en fonction des critères de sélection qui ont été dégagés par le franchiseur au fil des années, selon la forme et le type de produits concernés,

- aux prévisions de chiffre d'affaires élaborées sur les mêmes critères ;

Qu'en outre, l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989 met à la charge du fournisseur, la prise en compte du marché local, ce qui se rapproche d'une étude des facteurs locaux de commercialité à laquelle s'ajoute une étude de la concurrence locale sur les produits concernés par la franchise.

Considérant que la comparaison entre les chiffres d'affaires prévus par la société De Neuville pour les trois premières années et ceux obtenus par la société Patou, met en lumière les données suivantes :

PREVISIONS REALISATIONS

1992-1993

(28.02.92 au 28.02.93)

949 KF

257 KF

1993-1994 1.143 KF 295 KF

1994-1995

1.392 KF

294 KF

ensuite revente du droit au bail en novembre 1995

Moyenne prévue sur 3 ans 1 161 KF 282 KF

qu'ainsi, pour la première année comme pour la deuxième, le rapport entre les prévisions et les réalisations a été de 3,8 à 1.

Considérant que la fourniture d'une prévision près de quatre fois supérieure aux résultats obtenus constitue une faute lourde si ce rapport n'a pas d'autre cause que la faute du franchiseur.

Considérant que pour seule preuve de la mauvaise gestion de la société Patou qui serait à l'origine de la non réalisation du chiffre d'affaires prévu, la société De Neuville se contente de déplorer l'absence de participation en 1993 et 1994 aux stages et séminaires qu'elle a organisés aux fins de doper les ventes, à chaque moment important de l'année.

Considérant que les époux Pean expliquent ces absences par la faiblesse de leurs revenus (de l'ordre de 2500 F par mois pour chacun) qui ne leur auraient pas permis d'exposer les frais de déplacement demeurés contractuellement à leur charge.

Mais, considérant que ce fait fautif n'a concerné que les années postérieures à la première année d'exercice ; qu'il n'a donc pu avoir d'effet sur le premier écart de 257 KF à 949 KF.

Considérant qu'il en est de même pour les quelques offres promotionnelles de De Neuville auxquelles la société Patou a pu ne pas donner régulièrement suite ; qu'il s'ensuit que l'absence d'évolution réelle du chiffre d'affaires entre le début d'activité et la troisième année peut seule être attribuée à cette participation tiède de la franchisée aux actions commerciales ; qu'il n'en est pas de même du rapport de 3,8 à 1 ci-dessus constaté avec constance durant la période des trois ans ;

Considérant que contrairement aux assertions de la société Patou, le droit d'entrée de l'ordre de 55.000 F ne rémunère pas le seul choix par le franchiseur de l'emplacement commercial du franchisé, mais il est la contrepartie de l'ensemble des autres prestations dues par le franchiseur au début de leurs relations contractuelles.

Considérant que les éléments fournis par les deux parties permettent en l'espèce d'attribuer au choix de l'emplacement susvisé, l'une des causes de l'échec de la société Patou ; qu'en effet, l'étude provisionnelle effectuée en janvier et février 1997 par un cabinet spécialisé mandaté à Angers par la société De Neuville en vue de la réouverture d'une boutique De Neuville dans la même ville, permet de constater qu'au début de l'année 1992, comme d'ailleurs en 1997, la rue Chaperonnière n'était pas située dans le meilleur endroit commercial de la ville, pour le commerce considéré, ce qui minorait les chances de réussite.

Considérant que De Neuville n'est pas entièrement responsable des conséquences de ce choix qui a été guidé notamment par l'importance en 1992, des prix très élevés de cession des baux commerciaux, même en zone secondaire, le prix réglé par la société Patou ayant été à l'époque de 600 000 F.

Considérant que l'importance de cet investissement auquel s'ajoutait le coût de réalisation des travaux d'aménagement (entre 300 et 400 KF) supposait un calcul sérieux du chiffre d'affaires prévu, en fonction de l'endroit commercial choisi.

Considérant que ce sérieux a fait défaut en l'espèce.

Qu'en effet, l'étude de 1997 susvisée ainsi que les éléments factuels fournis par la SA De Neuville, montrent que la forte proportion d'une population très jeune à Angers n'a pas été prise en compte ni même été recherchée en 1991, par De Neuville ; qu'il en est de même pour la concurrence très forte exercée alors par des artisans chocolatiers de grande renommée, la société De Neuville ayant sur l'étude professionnelle, estimé moyenne, la concurrence des produits De Neuville à prévoir.

Considérant que durant l'année 1995-1996, le concurrent Jeff De Bruges a réalisé un chiffre d'affaires de 845 818 F alors qu'il est situé en zone primaire (Rue St Aubin) et non en zone secondaire comme la société Patou.

Considérant que l'étude prévisionnelle de 1997 a constaté que cette " rue St Aubin " avait subi une légère baisse de chalandise, alors que la " rue Lenepveu " bénéficiait d'un léger accroissement.

Considérant que c'est la raison pour laquelle cette étude a estimé entre 1,02 MF et 1,08 MF le chiffre d'affaires prévisible, si De Neuville ouvrait un nouveau magasin dans cette rue.

Considérant que la simple comparaison des prévisions de 1991 pour la société Patou située en zone secondaire d'une moyenne de 1,161 MF pour les trois premières années, et de 1,392 " en période de croisière ", au chiffre d'affaires réalisé en 1995 par un concurrent situé en zone primaire (0,845 MF) et au chiffre d'affaires estimé pour 1997, pour le nouveau franchisé De Neuville dans l'endroit n° 1 de la zone primaire 1,02 à 1,08 MF démontre à elle seule que la grossièreté de l'erreur prévisionnelle commise par la société De Neuville en 1991.

Considérant que point n'est besoin d'examiner la pertinence des autres reproches faits à De Neuville, tant l'importance de la faute contractuelle susvisée suffit au prononcé de la résiliation du contrat aux torts de De Neuville.

Considérant que la grossièreté de cette erreur rend inapplicable la clause selon laquelle la société De Neuville s'est exonérée par avance de toute responsabilité du chef de ses prévisions.

Considérant que si l'obligation prévue par la loi du 31 décembre 1989 et son décret d'application du 4 avril 1991, n'est pas une obligation de résultat, elle n'en exige pas moins du franchiseur que pour l'établissement du budget prévisionnel du franchisé qu'il va voir installé dans un endroit précis d'une ville, il mette en œuvre les moyens statistiques, informatiques, économiques qu'il possède déjà en sa qualité de professionnel de la franchise dans le commerce envisagé, ainsi que les moyens d'investigations suffisants pour la connaissance du marché local, aux fins de proposer un étude prévisionnelle sérieuse ; qu'en l'espèce, De Neuville n'a utilisé aucun de ces moyens ; que la décision des Premiers juges doit donc être confirmée de ce chef.

2) Sur les fautes contractuelles de la société franchisée :

Considérant que bien que son chiffre d'affaires n'ait été que de l'ordre du quart de celui qu'elle espérait, la société Patou n'avait en juillet 1994, qu'une dette de 57 514 F et en janvier 1995, de l'ordre de 69 500 F envers le franchiseur ; qu'elle avait réduit ses charges salariales pour faire face aux pertes qu'elle enregistrait et n'avait pu obtenir aucune dispense de paiement des royautés ; que face aux graves difficultés qu'elle a connues par la faute du franchiseur, cette faute contractuelle ayant consisté à s'abstenir des paiements dans les délais contractuels, n'a revêtu en l'espèce qu'un caractère minime, qui ne pouvait justifier le prononcé de la résiliation à ses torts.

Considérant que comme il a été ci-dessus constaté, sa non participation en 1993 et 1994 aux stages et actions commerciales de De Neuville a seulement constitué à l'absence de progression de son chiffre d'affaires entre 1992 et 1995 ; qu'il en sera éventuellement tenu compte dans l'évaluation de son préjudice ; que ce fait n'est pas de gravité suffisante pour justifier le prononcé de la résiliation du contrat de franchise aux torts de la société Patou ; qu'en outre, la société De Neuville ne démontre pas l'atteinte à son image et à sa réputation qu'elle chiffre à 25 000 F.

Considérant que l'important des pertes justifiait sa demande en résiliation formée par assignation du 30 janvier 1995, ainsi que la revente de son droit au bail ; qu'il échet en conséquence de confirmer la décision entreprise, en ce qu'elle a prononcé cette résiliation aux torts exclusifs de la société De Neuville ; que cette dernière sera également déboutée de sa demande en dommages-intérêts.

Considérant que l'appel de De Neuville ne concerne pas la fin de non recevoir de sa demande reconventionnelle décidée par les Premiers Juges.

3) Sur l'indemnisation du préjudice de la société Patou :

Considérant que les développements précédents permettent à la Cour de constater qu'à supposer même que la société Patou ait fait preuve d'un dynamisme commercial exceptionnel, elle n'aurait pu réaliser le chiffre d'affaires prévu par la société De Neuville.

Considérant que compte tenu des prix très élevés pratiqués en 1991-1992 pour la cession des droits au bail commercial du cour de la ville (zone primaire), compte tenu de la nécessité d'investissements supplémentaires liés à l'installation du magasin, enfin, eu égard, aux particularités locales qui exposaient De Neuville à une concurrence importante, la réussite commerciale de la SARL Patou n'était pas possible, même si De Neuville avait préconisé une installation dans la zone de chalandise la meilleure d'Angers ; qu'il s'ensuit que la SARL Patou ne peut réclamer l'indemnisation de gains calculés sur un chiffre d'affaires irréalisable, mais ne peut solliciter que la condamnation de De Neuville au paiement des sommes perdues par le fait fautif de cette dernière.

Considérant que compte tenu du montant des pertes cumulées de 612 108 F au 28 février 1995, de l'incidence qu'a eu sur ces pertes, le manque de dynamisme commercial de la société Patou, et du montant de la différence entre le prix d'achat et le prix de revente du droit au bail (200 KF), la Cour estime que les Premiers Juges ont fait une exacte appréciation du préjudice en le fixant à 700 000 F.

Qu'il y a donc lieu de confirmer cette disposition, la société Patou ne justifiant pas d'un préjudice supérieur, ses frais d'installation ayant été amortis sur trois ans et ses meubles meublants garnissant la boutique, lui ayant été rachetés ;

Considérant qu'à la date de la demande de capitalisation du 3 janvier 1997 les intérêts ayant couru sur la somme principale de 700 000 F étaient dûs depuis plus d'un an.

Qu'il échet en conséquence d'accueillir cette demande, les conditions d'application de l'article 1154 du Code Civil étant en l'espèce remplies.

Considérant que la société de Neuville qui succombe et qui sera condamnée aux dépens, ne peut prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Considérant qu'en revanche, qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Patou les frais irrépétibles qu'elle a exposés en appel et que la Cour estime à la somme de 25 000 F.

Par ces motifs, Et ceux non contraires des Premiers Juges, LA COUR, Confirme en toutes ses dispositions la décision déférée ; Et y ajoutant, Dit que les intérêts courus sur la somme principale de 700 000 F et dus à la date du 3 janvier 1997 porteront eux-mêmes intérêts au taux légal à compter de cette dernière date ; Condamne la société De Neuville à payer à la société Patou la somme complémentaire de 25 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Déboute la société De Neuville de ses demandes incompatibles avec la motivation ci-dessus retenue. Condamne la société De Neuville aux dépens d'appel et admet la SCP Roblin-Chaix de Lavarene, titulaire d'un Office d'Avoué, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.