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Décisions

CA Pau, 1re ch., 21 janvier 1998, n° 96001217

PAU

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Desmazières (SA)

Défendeur :

Les Enfantillages (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Selmes

Conseillers :

Mme Massieu, M. Petriat

Avoués :

SCP Longin, Me Vergez

Avocats :

Mes Dissez, Denneulin, Le Mercier.

T. com. Pau, du 31 janv. 1996

31 janvier 1996

Faits et procédure

La SA Desmazières, fabricant de vêtements pour enfants sous la marque " Petit Boy ", a concédé une franchise à la SARL Les Enfantillages, détaillant à Marseille, suivant contrat du 1er avril 1988.

Par lettre recommandée dont accusé de réception signé du 12 janvier 1995 la SARL Les Enfantillages a résilié le contrat au motif que la SA Desmazières ne respectait pas l'exclusivité qu'elle devait lui assurer et fournissait d'autres détaillants à Marseille.

Le 5 avril 1995 la SA Desmazières a assigné la SARL Les Enfantillages devant le Tribunal de Commerce de Pau en paiement des sommes suivantes :

- 223.719,88 F de livraisons impayées,

- 207.289,79 F de commandes non livrées, mais qui auraient été fabriquées,

- 30.000,00 F de dommages-intérêts pour résistance abusive et 5.930,00 F pour frais irrépétibles.

La SARL Les Enfantillages forma de son côté des demandes reconventionnelles de :

- résolution du contrat aux torts de la SA Desmazières,

- 600.000,00 F pour perte de chiffre d'affaires en raison d'un retard de livraison de la collection Automne-Hiver 1994,

- 1.000.000,00 F pour agissements l'ayant contrainte à cesser son activité,

- 10.000,00 F pour frais irrépétibles.

Par jugement du 31 janvier 1996 le Tribunal a :

- prononcé la résolution du contrat de franchise aux torts exclusifs de la SA Desmazières,

- condamné la SA Desmazières à payer à la SARL Les Enfantillages,

-- 500.000,00 F de dommages-intérêts,

-- 10.000,00 F pour frais irrépétibles,

- condamné la SARL Les Enfantillages à payer à la SA Desmazières 179.744,93 F sans facilités de délais de règlement,

La SA Desmazières a interjeté appel le 25 mars 1996 dans des conditions qui n'apparaissent pas contestables.

Moyens et prétentions des parties :

La SA Desmazières, devenue la SA Petit Boy, soutient que :

- la SARL Les Enfantillages ne respectait pas l'obligation que lui faisait le contrat de franchise de ne commercialiser que des produits du franchiseur, ce qui suffit à emporter résiliation du contrat à ses torts,

- elle ne respectait pas non plus les conditions de paiement, ce qui constitue un autre motif de résiliation,

- contrairement à ce que prétend la SARL Les Enfantillages, le contrat ne lui concédait pas l'exclusivité des droits de distribution de la collection Petit Boy sur un secteur donné, mais uniquement l'exclusivité d'une enseigne et de la commercialisation selon les techniques mises au point par le franchiseur dans le magasin concerné,

- la SARL Les Enfantillages se plaint de modifications imposées dans les modalités de paiement ; elle n'a pas fait valoir ce motif lors de la résiliation, et est donc irrecevable à l'invoquer désormais ; néanmoins, en fait, la SARL Les Enfantillages a proposé successivement deux échéanciers qu'elle n'est pas parvenue à respecter,

- la SARL Les Enfantillages souhaitait lui vendre son fonds et lui a expédié le 11 janvier 1994 les caractéristiques de son magasin, mais cela n'a débouché sur aucun accord,

- la SARL Les Enfantillages ne justifie d'aucun préjudice,

- elle reste lui devoir 223.719,88 F de fournitures livrées et facturées,

- la commande enregistrée pour la saison 1995 lui occasionne un manque à gagner de 207.289,79 F,

Et elle demande à la Cour :

- de constater que la résiliation est imputable à la SARL Les Enfantillages,

- de débouter celle-ci de ses demandes,

- de la condamner à lui payer 223.719,88 F + 207.289,79 F avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

La SARL Les Enfantillages répond que :

- le contrat lui concédait l'exclusivité de la distribution des produits Petit Boy sur Marseille,

- s'il a été constaté qu'en 1993 elle commercialisait d'autres produits que ceux de Petit Boy, il n'est pas exact qu'elle ait continué de le faire jusqu'à fin 1994 ; en réalité, la SA Petit Boy a suspendu le 19 août 1994 toute livraison de la commande Automne-Hiver 1994/1995 sans avertissement, pour ne la livrer que fin septembre 1994, d'ailleurs de façon incomplète notamment pour les articles les plus attractifs, si bien qu'elle s'est vue contrainte de recourir à des achats extérieurs,

- si effectivement le contrat stipulait un mode de règlement des commandes de produits des différentes saisons, il s'était instauré un usage différent, le règlement du solde d'une saison s'échelonnant sur la saison suivante, et la SA Petit Boy n'avait aucun droit de revenir brutalement sur cet usage,

- elle reconnaît devoir 179.744,93 F,

- la somme de 207.289,79 F n'est pas due, la commande, passée au mois de novembre 1994 n'ayant pas été confirmée, et les articles n'ayant pas été livrés,

- l'absence de produits d'août au 27 septembre 1994 lui a causé une perte de chiffre d'affaires qui doit être réparée par l'allocation d'une somme de 650.000,00 F,

- il a bien existé un projet de cession du fonds de commerce à la SA Petit Boy, et la rupture des accords est intervenue en juillet 1994, soit un mois avant la décision de la SA Petit Boy de modifier unilatéralement les conditions de paiement du solde de la collection été et surtout de ne pas livrer de produits ; la SA Petit Boy avait manifestement décidé courant 1993/1994 de remplacer les franchisés par des succursales, et a contraint les franchisés à cesser leur activité par tous les moyens ; sa succursale sur Marseille a d'ailleurs ouvert en 1995 à quelques mètres du magasin de la SARL Les Enfantillages, qui a dû cesser son activité ; le préjudice qu'elle lui a ainsi occasionné sera indemnisé par 1.000.000,00 F.

Et elle demande à la Cour :

- de confirmer le jugement en ce qu'il a :

-- débouté la SA Petit Boy de sa demande de paiement de la somme de 207.289,79 F,

-- prononcé la résolution du contrat aux torts exclusifs de la SA Petit Boy,

-- condamné la SARL Les Enfantillages à payer à la SA Petit Boy 179.744,93 F,

- de condamner la SA Petit Boy à lui payer :

-- 1.000.000,00 F de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 6 janvier 1995, date de la résiliation,

-- 650.000,00 F en application des articles 1151 du Code civil avec intérêts à compter de l'assignation,

-- 20.000,00 F pour frais irrépétibles.

Discussion

Le contrat de franchise du 1er avril 1988 stipulait en son article 3 :

Le franchiseur accorde au franchisé le droit exclusif d'user à titre d'enseigne de la marque Petit Boy, et de commercialiser la totalité des produits de la collection Petit Boy selon les techniques mises au point par le franchiseur, dans le magasin sis 11 rue Francis Davro 13001 Marseille et dans ce magasin seulement.

Le franchiseur s'engage à ne pas accorder de droits analogues à ceux résultant du présent contrat à quelque commerçant que ce soit dans la ville de Marseille.

Si la création d'un autre magasin franchisé était envisagée par le franchiseur en raison de la modification favorable des facteurs économiques et commerciaux dans la zone concernée, et après un délai minimum de 2 ans après l'ouverture du premier magasin, ce projet serait en priorité proposé au franchisé.

Ces stipulations accordaient au franchisé l'exclusivité de la distribution des produits Petit Boy à la SARL Les Enfantillages dans la commune de Marseille.

La SA Petit Boy reconnaît qu'elle n'appliquait pas cette clause, à laquelle elle donnait une interprétation non conforme.

Par une lettre du 2 février 1994 la SARL Les Enfantillages rappelait cette obligation à la SA Petit Boy.

Par une lettre du 11 février 1994 la SA Petit Boy rappelait son interprétation de la clause, à savoir l'exclusivité de l'enseigne mais pas de la distribution des produits.

La SARL Les Enfantillages ayant reçu cette réponse a néanmoins passé commande le 15 mai 1994 de la collection Automne-Hiver 1994-1995, et a donc implicitement, mais nécessairement accepté cette modification apportée au contrat par la SA Petit Boy, au moins pour ce qui est de l'exécution du contrat jusqu'à la fin de la période couverte par la commande.

Dans la mesure où rien n'indique que l'acceptation ait été définitive, la violation de ses obligations par la SA Petit Boy autorisait la SARL Les Enfantillages à s'en prévaloir pour résilier ensuite le contrat, ce qu'elle a fait, mais elle ne peut, du fait de son acceptation lors de la commande de la collection Automne-Hiver 1994-1995, motiver des dommages-intérêts pour violation par la SA Petit Boy de ses engagements jusqu'à la fin de la saison Automne- Hiver 1994-1995.

Contrairement aux affirmations de la SA Petit Boy rien n'interdit à la SARL Les Enfantillages de se prévaloir du fait que la SA Petit Boy aurait unilatéralement apporté un brusque changement aux modalités de paiement, ce qui l'aurait placée dans l'impossibilité de poursuivre leurs relations.

Le contrat stipulait :

Dès livraison et sous peine de révocation pure et simple des délais de paiement, le franchisé s'engage à accepter les traites qui lui seront présentées en garantie des échéances convenues. Le retour des traites devra intervenir dans un délai maximum de 3 semaines à compter de la date de la facture.

Le franchisé bénéficiera des conditions de paiement en vigueur chez le franchiseur, conditions toujours susceptibles de modifications.

En cas de retard dans les règlements, les livraisons seront bloquées et des agios bancaires facturés (à moins d'un accord particulier avec le franchiseur).

De façon générale, les règlements d'une saison devront être achevés avant que ne reprennent les livraisons de la saison suivante.

Dans deux lettres des 2 et 8 septembre 1994 la SA Petit Boy reconnaît que, lors des saisons précédentes, elle avait " accepté " (première lettre), " toléré " (deuxième lettre), de livrer la nouvelle collection alors que les arriérés n'étaient pas régularisés.

Aucune autre pièce n'est produite qui rendrait compte d'un accord de la SA Petit Boy pour que la convention soit définitivement modifiée en ce sens, d'autant que ce genre de d'accommodement résulte davantage de la contrainte économique, le retard étant le plus souvent l'effet de difficultés du débiteur à payer, plutôt que d'un libre échange des volontés.

Il y a lieu de considérer qu'il s'agissait donc d'une tolérance de la part de la SA Petit Boy.

Celle-ci n'a pas opéré un brusque changement qui aurait pu mettre la SARL Les Enfantillages dans l'impossibilité de poursuivre les relations contractuelles : déjà par sa lettre du 11 février 1994 la SA Petit Boy rappelait que les règlements d'une saison devaient être achevés avant que ne reprennent les livraisons de la saison suivante ; et elle demandait à la SA Les Enfantillages de prévoir un échéancier anticipant de deux mois les paiements prévus.

Par une lettre du 26 avril 1994 la SA Petit Boy rappelait qu'elle n'avait pas reçu des traites acceptées alors que les premières échéances prévues étaient au 30 avril 1994.

La commande ayant été passée le 15 mai 1994, suivant le bon de commande, la SA Petit Boy, par une lettre du 31 mai 1994, demandait à la SARL Les Enfantillages de lui adresser un plan de régularisation de l'arriéré " d'ici à la fin Août; avant que ne reprennent les livraisons ".

Par lettre du 19 août 1994 la SA Petit Boy annonçait qu'en l'absence de régularisation, elle ne livrait pas la prochaine collection.

Son refus n'apparaît pas abusif, la SARL Les Enfantillages ayant disposé d'un délai suffisant pour prendre ses dispositions.

Après tractations, un nouvel échéancier était arrêté et la SARL Les Enfantillages, par lettre du 16 septembre 1994 écrivait à la SA Petit Boy : " nous acceptons les nouvelles modalités de paiement que vous entendez mettre en place pour les collections suivantes ".

Cette lettre fait référence à celle de la SA Petit Boy du 8 septembre 1994, laquelle subordonne la poursuite de leurs relations pour les saisons à venir au respect des conditions du contrat de franchise.

La livraison de la collection Automne-Hiver 1994-1995 eut finalement lieu le 22 septembre 1994, selon une lettre de la SA Petit Boy à l'avocat de la SARL Les Enfantillages du 28 septembre 1994.

Ce retard était certes préjudiciable à la SARL Les Enfantillages, puisque les importants achats de la rentrée des classes n'ont pu avoir lieu, mais il ne peut pas être fait grief à la SA Petit Boy d'avoir suspendu l'exécution du contrat alors que la SARL Les Enfantillages, en retard dans ses paiements, ne lui offrait pas de garantie de solvabilité.

Par lettre recommandée dont accusé de réception signé du 14 novembre 1994 la SARL Les Enfantillages a mis en demeure la SA Petit Boy de respecter le contrat de franchise en cessant d'approvisionner d'autres détaillants de Marseille, faute de quoi le contrat serait résilié.

Le contrat stipulait en effet qu'il " pourrait être résilié par l'une ou l'autre des parties en cas d'inexécution par l'autre partie de l'une quelconque des clauses et conditions du contrat un mois après la mise en demeure restée sans effet d'avoir à respecter le contrat, signifiée par lettre recommandée avec AR et précisant l'intention de faire jouer la présente clause résolutoire ".

Par lettre du 25 novembre 1994 la SA Petit Boy refusait, maintenant son interprétation erronée du contrat, et la SARL Les Enfantillages procédait à la résiliation par lettre recommandée du 6 janvier 1995 dont accusé de réception signé du 12 janvier 1995.

Cette résiliation apparaît en réalité résulter de ce que la SARL Les Enfantillages, ne parvenant plus à honorer les échéances contractuelles, en a tiré les conséquences et a préféré mettre un terme à son activité, ce qui s'est concrétisé par une demande, formée le 24 mars 1995 au préfet des Bouches du Rhône, de liquidation de son stock, autorisée par arrêté du 27 avril 1995.

La rupture est donc imputable à la SARL Les Enfantillages qui a profité du refus de la SA Petit Boy de se conformer aux clauses de la convention pour mettre un terme rapide à celle-ci sans attendre l'échéance normale, laquelle ne pouvait intervenir autrement qu'annuellement avec préavis de 6 mois.

Il n'est pas établi que ce soit en apprenant que la succursale de la SA Petit Boy ouvrirait à proximité que la décision de fermeture de son magasin ait été prise :

Il est produit un catalogue de la collection Petit Boy Automne-Hiver 1995-1996 portant certes l'adresse de la future succursale, mais rien n'indique que ce document ait été remis à la SARL Les Enfantillages avant qu'elle ait déposé sa demande d'autorisation préfectorale.

D'autre part il est produit une page d'un quotidien comportant une annonce pour le recrutement du responsable de la succursale, mais à une date postérieure à la demande d'autorisation, soit le 13 mai 1995.

En définitive la SARL Les Enfantillages ne peut se prévaloir d'aucune faute de la SA Petit Boy lui ayant occasionné un préjudice, et ses réclamations doivent être rejetées.

Quant à la SA Petit Boy elle ne produit aucun justificatif d'un arriéré de paiement qui excéderait la somme reconnue par la SARL Les Enfantillages, soit 179.744,93 F.

S'agissant de la commande de la collection Printemps-Eté 1995, elle a été passée, selon la lettre de la SA Petit Boy du 20 janvier 1995 prenant acte de la résiliation, le 15 novembre 1994.

A cette date, la SA Petit Boy avait été informée depuis la veille de ce que le contrat était susceptible de prendre fin le mois suivant si elle n'acceptait pas elle-même de respecter la clause d'exclusivité sur Marseille, ce qui n'était pas son intention.

Elle ne peut donc se prévaloir d'aucun préjudice qui résulterait pour elle d'un manque à gagner sur cette commande.

D'autre part la SA Petit Boy ne justifie pas que, par son retard à payer, la SARL Les Enfantillages lui ait causé, de mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, et il y a lieu de rejeter sa demande de dommages-intérêts.

Enfin, il n'est pas inéquitable que chaque partie garde à sa charge ses frais d'instance non compris dans ses dépens.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Reçoit l'appel en la forme, Au fond, confirme le jugement attaqué en ce qu'il a condamné la SARL Les Enfantillages à payer à la SA Petit Boy la somme de 179.744,93 F, Ajoutant, dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 5 avril 1995, date de l'assignation valant mise en demeure, Rejette toute autre demande, Condamne la SARL Les Enfantillages aux dépens de première instance et d'appel, Autorise la SCP Longin à recouvrer directement contre elle ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.