CA Rennes, 2e ch., 28 janvier 1998, n° 9609377
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Case Poclain (SA)
Défendeur :
Doucet (Époux), Morbihan Matériel Agricole (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bothorel
Conseillers :
MM. Van Ruymbeke, Poumarede
Avoués :
Mes Cadiou-Nicolle & Guillou, Bourges
Avocats :
Mes Delagrange, Leger.
Exposé des faits, procédure, objet du recours
Par contrat du 30 avril 1969, la société International Harvester France, aux droits de laquelle viendra la société Case Poclain, a consenti à la société Jacques Tessier, aux droits de laquelle se trouve la société Morbihan Matériel Agricole, le droit de vendre dans différents cantons de l'Ille-et-Vilaine des tracteurs, motoculteurs, moissonneuses-batteuses, trieuses ramasseuses et autres machines agricoles.
M. et Mme Doucet se sont portés caution solidaire des engagements de la société Jacques Tessier envers la société International Harvester France par acte sous seing privé en date du 16 juillet 1985 à concurrence de la somme de 500 000 F.
Depuis plusieurs avenants au contrat de concession sont intervenus.
Au vu d'impayés, la société Case Poclain mettait en demeure la société Morbihan Matériel Agricole, par lettres recommandées des 5 et 22 octobre 1993, de lui payer 534 155,07 F, sous peine de résiliation du contrat. Le 7 janvier 1994, elle mettait en demeure M. et Mme Doucet de lui régler la somme de 500 000 F.
Le 15 avril 1994, la société Case Poclain a fait assigner la société Morbihan Matériel Agricole en paiement de la somme de 884 436,01 F outre les intérêts et M. et Mme Doucet en paiement de la somme de 500 000 F.
Par jugement rendu le 25 octobre 1996, le Tribunal de Commerce de Vannes a rejeté les demandes de la société Case Poclain, a pris acte de la renonciation de la société Case Poclain à réclamer à la société Morbihan Matériel Agricole 1 523,85 F au titre du coût de la documentation technique, a condamné la société Case Poclain à effectuer la reprise d'une moissonneuse batteuse et à payer en contrepartie à la société Morbihan Matériel Agricole 296 500 F outre les intérêts au taux de 15 % entre juin 1990 et avril 1995 ainsi que 200 000 F pour le préjudice correspondant à la rupture brutale du contrat de concession, a rejeté la demande de publication présentée par la société Morbihan Matériel Agricole et a enfin condamné la société Case Poclain à payer à la société Morbihan Matériel Agricole 20 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par acte du 13 décembre 1996, la société Case Poclain a formé appel de ce jugement.
Moyens proposés par les parties :
A l'appui de son appel, la société Case Poclain fait valoir que :
- la rupture du contrat résulte d'impayés et a été précédée d'avertissements, la dette s'élevant alors à 884 436,01 F et la société Morbihan Matériel Agricole ayant failli à ses obligations,
- le différend l'ayant opposée à la société Morbihan Matériel Agricole sur la reprise d'une moissonneuse batteuse n'a pas eu d'incidence sur la rupture du contrat,
- le jugement a retenu à tort qu'elle devait prendre à sa charge la reprise d'un matériel à hauteur de 250 000 F alors qu'elle ne s'y était pas engagée et que la valeur du matériel était comprise entre 76 000 et 89 000 F,
- la société Morbihan Matériel Agricole, qui n'a jamais contesté le montant de sa créance, n'établit l'existence d'aucun préjudice lié à la rupture du contrat,
- les cautions sont débitrices envers elle, puisque la société International Harvester France, par une résolution de l'assemblée générale extraordinaire du 8 janvier 1986, a changé de dénomination sociale en adoptant comme dénomination "JI Case S.A.", avant de fusionner avec la société Poclain, prenant comme nouvelle dénomination, selon une assemblée générale extraordinaire du 30 novembre 1987, "Case Poclain", (dénomination devenue "Case France" selon une assemblée générale extraordinaire du 19 mai 1995),
- elle a régulièrement informé les cautions, à la fin de chaque année civile, du montant des dettes de la société Morbihan Matériel Agricole, lesquelles n'ont jamais émis la moindre réserve, alors que M. Doucet était gérant de la société Morbihan Matériel Agricole,
- les frais de stockage de la table de coupe et de la moissonneuse batteuse ne sont pas dus, comme les garanties pour l'année 1994, la rupture étant antérieure.
En conséquence, la société Case Poclain demande à la Cour de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Morbihan Matériel Agricole concernant les frais de stockage de la table de coupe et de la moissonneuse batteuse, de rejeter les demandes de la société Morbihan Matériel Agricole, de la condamner à lui payer 884 436,01 F outre les intérêts au taux légal à compter du 7 janvier 1994, subsidiairement de déduire 94 880 F TTC au titre de la compensation en raison de la reprise de la moissonneuse batteuse, d'ordonner la capitalisation des intérêts à compter du 7 janvier 1995, de condamner M. et Mme Doucet à lui payer 500 000 F outre les intérêts au taux légal à compter du 7 janvier 1994 et d'ordonner la capitalisation des intérêts à compter du 7 janvier 1995.
Enfin, elle réclame à la société Morbihan Matériel Agricole et M. et Mme Doucet, qui devront prendre en charge les frais d'exécution, 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Morbihan Matériel Agricole et M. et Mme Doucet, quoiqu'assignés à personne, n'ont pas constitué avoué. Leur conseil a écrit la veille de l'audience afin de solliciter le rabat de l'ordonnance de clôture et le renvoi de l'affaire.
Motifs de l'arrêt
Considérant au préalable que l'ordonnance de clôture, au vu des dispositions de l'article 784 du nouveau Code de procédure civile, ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue ; qu'en l'espèce, aucune cause grave n'est intervenue, ni même alléguée ; que le renvoi ne saurait en conséquence être accordé, les intimés ayant régulièrement été assignés à personne durant la mise en état et ayant disposé de délais suffisants afin de constituer avoué et de conclure, ce qu'ils n'ont pas fait ;
Le débiteur principal
Considérant que les dispositions du jugement, relatives au rejet des demandes de la société Morbihan Matériel Agricole concernant les frais de stockage de la table de coupe et de la moissonneuse batteuse ainsi que les garanties au titre de l'année 1994 (postérieures à la rupture), appropriées, justifiées et non contestées en instance d'appel, seront confirmées ;
Considérant que la société Case Poclain a adressé à la société Morbihan Matériel Agricole une mise en demeure d'avoir à payer un solde débiteur de 534 155,07 F par lettre recommandée du 5 octobre 1993, sous peine de résiliation du contrat le 30 novembre 1993 ; qu'une seconde mise en demeure a été envoyée le 22 octobre 1993 pour la même somme ; que ce montant correspond à des échéances impayées depuis le 30 avril 1993, outre les intérêts contractuels ;
Considérant que la société Morbihan Matériel Agricole ne justifie pas avoir émis, à la réception de la lettre recommandée, la moindre réserve sur le montant du solde débiteur réclamé par la société Case Poclain, s'élevant à 884 436,01 F, selon la lettre recommandée adressée par la société Case Poclain le 7 janvier 1994 après résiliation du contrat à compter du 6 décembre 1993, et dont il est justifié par la société Case Poclain par la production de pièces comptables ;
Considérant que la rupture unilatérale d'un contrat à durée indéterminée est justifiée, sous la condition que le délai de préavis contractuel ait été respecté, dès lors que le partenaire n'exécute pas ses obligations et que le contrat prévoit cette faculté par une clause résolutoire expresse ; qu'il en est ainsi lorsque le concessionnaire ne paie pas ses achats ;
Considérant en l'espèce que l'article 15 du contrat stipulait que les deux parties se réservaient le droit de mettre fin au contrat sans pouvoir prétendre à une indemnité sous réserve d'un préavis de 4 mois ; que le même article stipulait en outre que chaque partie pourrait résilier le contrat à tout moment sans indemnité si l'un des engagements n'était pas respecté, un mois après sommation de le faire ;
Considérant en outre que, aux termes de l'article 3 du contrat, le concédant avait la faculté de résilier le contrat en l'absence de règlement par le concessionnaire des échéances antérieures à une livraison ;
Considérant en l'espèce que le retard dans les paiements des importantes sommes dues par le concessionnaire constituait un manquement à ses obligations justifiant la rupture du contrat; que le préavis d'un mois, prévu par le contrat, a été respecté par les lettres de mise en demeure adressées par son cocontractant; que le concédant n'a pas commis d'abus en résiliant le contrat en raison des manquements du concessionnaire à ses obligations contractuelles;
Considérant que la rupture ne saurait en l'espèce être qualifiée de brutale puisqu'elle avait été précédée de plusieurs avertissements; que par courrier du 2 octobre 1991, la société Case Poclain attirait en effet l'attention de la société Morbihan Matériel Agricole sur des retards de paiement; qu'elle attirait à nouveau son attention par un courrier du 25 mars 1992 sur l'existence d'un solde débiteur de 360 827 F; que ce solde est allé en croissant;
Considérant que les 8 juillet, 11 août et 19 août 1992, elle adressait en effet à la société Morbihan Matériel Agricole trois lettres recommandées réclamant le paiement du solde débiteur s'élevant respectivement à 599 492 F et 754 558 F; que suite à l'échange de nouveaux courriers et à des règlements partiels, la société Case Poclain adressait à la société Morbihan Matériel Agricole une nouvelle lettre recommandée le 7 mai 1993 exigeant les règlements dus, le montant des engagements atteignant 886 000 F;
Considérant ainsi qu'à juste titre, la société Case Poclain adressait à la société Morbihan Matériel Agricole une mise en demeure d'avoir à payer le solde débiteur de 534 155,07 F par lettre recommandée du 5 octobre 1993, sous peine de résiliation du contrat le 30 novembre 1993 ; que le délai accordé excédait le délai contractuel d'un mois prévu par le contrat en cas de défaillance ; qu'une seconde mise en demeure était adressée le 22 octobre 1993 ; que la société Morbihan Matériel Agricole ne justifie ainsi d'aucun préjudice lié à la rupture du contrat ;
Considérant que contrairement à ce que les premiers juges ont relevé, il n'est pas établi par la société Morbihan Matériel Agricole, qui n'a pas constitué avoué et n'a pas déposé de conclusions, que le litige sur une moissonneuse batteuse a eu une incidence directe sur le montant élevé du solde débiteur ;
Considérant que cette machine fait l'objet d'un litige depuis 1990, au vu des difficultés pour sa reprise, laquelle devait être la contrepartie pour un client de l'achat d'un matériel neuf ; que la société Morbihan Matériel Agricole n'établit pas qu'un engagement ferme ait été pris par la société Case Poclain sur cette reprise, son propre courrier du 30 mars 1992 ne pouvant constituer une telle preuve ;
Considérant à l'inverse que, selon le contrat de concession, le concessionnaire devait en cas de reprise remettre au concédant une copie de la commande signée par le client indiquant, le cas échéant, les modalités de reprise, ce dont il n'est pas justifié en l'espèce ; que la seule annonce versée aux débats ne mentionne pas l'identité de l'annonceur ou du vendeur ; qu'il n'est ainsi dû aucune somme par la société Case Poclain à ce titre ;
Considérant ainsi que la société Morbihan Matériel Agricole sera condamnée à payer à la société Case Poclain l'intégralité du solde débiteur, outre les intérêts au taux légal à compter du 7 janvier 1994, date de la mise en demeure, avec capitalisation des intérêts échus à compter du 7 janvier 1995 ;
Les cautions
Considérant que la société International Harvester France, par une résolution de l'assemblée générale extraordinaire du 8 janvier 1986, a changé de dénomination sociale en adoptant comme dénomination " JI Case SA ", avant de fusionner par absorption avec la société Poclain, selon une assemblée générale extraordinaire du 30 novembre 1987, prenant comme nouvelle dénomination " Case Poclain ", (dénomination devenue " Case France " selon une assemblée générale extraordinaire du 19 mai 1995) ;
Considérant qu'un cautionnement souscrit au profit d'une société absorbée (ce qui est le cas en l'espèce pour les cautions) ne peut, pour les dettes nées postérieurement à la fusion, être étendus en faveur de la nouvelle personne morale, à défaut de manifestation expresse de volonté de la caution de s'engager envers la nouvelle société ;
Considérant que si, en l'espèce, les cautions ont été avisées par lettres des 19 décembre 1990, 16 décembre 1991 et 18 janvier 1993, par la nouvelle société, du montant de leurs engagements et du montant de la dette du débiteur principal, sans avoir émis, au vu des pièces produites, de réserves lors de la réception de ces courriers, force est de constater qu'il n'est pas justifié d'une volonté expresse de leur part de s'engager envers la nouvelle société ;
Considérant que les dettes dont le paiement est réclamé par la société Case Poclain au débiteur principal sont postérieures à la fusion-absorption ; que l'engagement des cautions ne peut ainsi produire ses effets à l'égard de la société Case Poclain ;
Considérant en conséquence que les demandes de la société Case Poclain à l'encontre des cautions seront rejetées ;
Considérant qu'il convient en conséquence de réformer la décision déférée ; que la société Morbihan Matériel Agricole, qui est le débiteur principal et qui échoue en instance d'appel, supportera la totalité des dépens (y compris les frais d'exécution) ;
Considérant qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la société Case Poclain les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens ;
Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Morbihan Matériel Agricole relatives aux frais de stockage de la table de coupe et de la moissonneuse batteuse ainsi qu'aux garanties au titre de l'année 1994, Réforme le jugement en ses autres dispositions, Condamne la société Morbihan Matériel Agricole à payer à la société Case Poclain, devenue Case France à 884 436,01 F outre les intérêts au taux légal à compter du 7 janvier 1994, avec capitalisation des intérêts échus à compter du 7 janvier 1995, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société Morbihan Matériel Agricole à l'ensemble des dépens.