CA Paris, 5e ch. B, 30 janvier 1998, n° 95-15957
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Automobiles Peugeot (SA)
Défendeur :
Santerre Automobiles (SA), Berkowicz (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leclercq
Conseillers :
M. Bouche, Mme Cabat
Avoués :
SCP Bourdais-Virenque, SCP Roblin-Chaix de Lavarenne
Avocats :
Mes Micheli, Mihaillon
Considérant que la société Automobiles Peugeot ci-après appelée Peugeot a fait appel le 29 juin 1995 d'un jugement contradictoire du 15 mai 1995 du Tribunal de commerce de Paris qui l'a condamnée à payer à la société Santerre Automobiles, ci-après appelée Santerre et à son administrateur judiciaire Maître Richard Berkowicz, 470 000 F de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant d'une résiliation abusive du contrat de concession les liant et 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Considérant que la société Santerre Automobiles et Maître Richard Berkowicz, désormais commissaire à l'exécution de son plan de cession partielle, sollicitent de la Cour, sur appel incident, qu'elle
- déboute la société Peugeot de l'ensemble de ses demandes,
-confirme le jugement déféré en ce qu'il a jugé que la société Peugeot avait abusé de son droit de résiliation,
- réforme le jugement en ce qu'il a écarté certains des griefs formulés et minorés le préjudice,
- ordonne une expertise et lui alloue d'ores et déjà 4 330 000 F de dommages et intérêts,
- condamne la société Peugeot à lui verser 60 000 F pour ses frais irrépétibles ;
Qu'il exposent par conclusions signifiées le 30 octobre 1995 que
- succédant au garage Léger, agent Peugeot " de longue date " à Peronne, la société Santerre a été constituée en 1978 et l'agence a accédé au statut de concessionnaire Peugeot sur un secteur concédé depuis 1982 par contrats d'une durée de quatre ans et couvrant un peu plus de quatre cantons que la société Peugeot se serait engagée à étendre,
- la société Peugeot n'a pas tenu sa promesse d'extension du secteur concédé, a émis en 1990 des critiques concernant l'insuffisance des performances de la société Santerre, lui a proposé quelques semaines plus tard, au lieu du renouvellement de la concession pour une nouvelle durée de quatre ans, un contrat de concession à durée indéterminée mais résiliable à tout moment avec préavis d'un an, et lui a demandé d'engager de nouveaux moyens matériels et humains " dans la poursuite des objectifs commerciaux fixés ", ce que la société Santerre a fait,
- le 1er octobre 1992, en dépit de la très nette progression des résultats commerciaux de la concession, la société Peugeot a notifié à la société Santerre la résiliation du contrat à effet du 31 octobre 1993 et s'est employée à déstabiliser l'entreprise en divulguant la rupture, en favorisant le démarchage de la clientèle par les concessionnaires voisins et en la privant des primes constituant une partie de sa rémunération, au point de la contraindre à déclarer sa cessation des paiements le 2 juin 1993 ;
Qu'ils dénoncent l'étroitesse du secteur concédé deux fois moins étendu que ceux des concessionnaires Peugeot voisins et que les territoires des concessionnaires d'autres marques établis à Peronne, et le refus de la société Peugeot de tenir sa promesse d'extension et de tenir compte dans l'appréciation des résultats de la concession de la concurrence de " distributeurs hors marché ", un " mandataire " important de Belgique des véhicules Peugeot qu y étaient vendus moins cher, et la société Sian, agent Peugeot d'Amiens.
Qu'ils reprochent à la société Peugeot d'avoir décidé dès 1990 d'évincer la société Santerre de son réseau afin de le restructurer et d'avoir déloyalement conduit cette éviction par une critique soudaine de l'insuffisance des résultats en avril 1990 suivie dès le 18 juin 1990 de l'annonce de la substitution au régime des contrats successifs d'une durée unitaire de quatre ans, d'une convention précaire de concession à durée indéterminée mais résiliable à tout moment avec préavis d'un an qui était inhabituelle dans le réseau mais que la société Santerre ne pouvait refuser de signer à l'approche de l'expiration de la durée du contrat de quatre ans en cours ;
Qu'ils reprochent de même à la société Peugeot d'avoir imposé à la société Santerre une restructuration de son organisation commerciale, le recrutement d'un chef des ventes et de jeunes vendeurs, une réhabilitation des locaux qui a coûté 660 000 F, une restructuration des secteurs pièces détachées et après vente et l'élaboration d'un plan de communication, alourdissant les charges alors que la réalisation des objectifs nécessitait une réduction des marges, de telle sorte que la société Santerre qui dégageait des bénéfices jusqu'en 1989, a constaté des pertes croissantes atteignant 560 089 F en 1992 ;
Qu'ils reprochent enfin à la société Peugeot d'avoir notifié la résiliation de la concession en période de " vulnérabilité financière " provoquée alors que la société Santerre était parvenue à augmenter le taux de pénétration de la marque et à passer du 43ème rang en performance au 27ème parmi les concessionnaires, et d'avoir " achevé " son concessionnaire durant le délai de préavis en lui imposant des objectifs de ventes irréalistes, en cessant de lui verser les primes dues, en l'excluant des opérations promotionnelles, en supprimant brutalement le financement Crédipar accordé à sa clientèle, en divulguant la rupture, en encourageant de ce fait les démarchages déloyaux des concessionnaires limitrophes et en compromettant la cession amiable de la concession ;
Qu'ils en déduisent que la société Peugeot a abusé de son droit de résiliation, a provoqué une perte de marge brute durant la période de préavis à chiffrer par expertise et a privé la société Santerre de 4 330 000 F au niveau de la cession d'un fonds de commerce hors murs conclue pour 1 000 000 F alors que sa valeur était estimée à 4 350 000 F, avec minoration de 120 000 F par an du loyer annuel ; Qu'il était possible de tirer de la location des actifs immobiliers ;
Considérant que la société Automobiles Peugeot a conclu les 4 octobre 1995 et 4 septembre 1997 en demandant l'infirmation du jugement, le rejet des prétentions des intimés et leur condamnation à lui verser 60 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Qu'elle soutient qu'elle n'a fait qu'exercer son droit de mettre fin aux relations contractuelles en
- notifiant par lettre du 18 juin 1990 à la société Santerre plus de six mois avant la date du renouvellement du contrat à durée déterminée les liant, sa décision de substituer à cette convention qu'elle pouvait refuser de renouveler sans devoir d'indemnité, un contrat à durée indéterminée résiliable avec préavis d'un an, et en écrivant le 18 juillet 1990 à la société Santerre qu'elle " n'avait pas à justifier ce choix qui relevait de sa seule appréciation " ;
- notifiant le 1er octobre 1992 la résiliation du nouveau contrat à effet du 31 octobre 1993 afin de respecter son obligation contractuelle de préavis désormais d'une année, sans être davantage tenue de se justifier ;
Qu'elle dément tout abus d'une quelconque " supériorité " ou dépendance économique et conteste qu'elle puisse être condamnée sans avoir commis de faute à réparer un préjudice fut-il jugé " anormal " ; qu'elle observe que la société Santerre s'est engagée en parfaite connaissance de l'étendue du secteur qui lui était concédé, dément toute tentative de réduction de territoire et dénonce l'insuffisance de la pénétration commerciale de la société Santerre par comparaison avec les résultats des concessions limitrophes soumises à la même concurrence et avec ceux d'un précédent concessionnaire ;
Qu'elle réfute le grief d'agissements déloyaux fragilisant le concessionnaire et dément toute pression en vue d'embauche ou d'investissements, toute exécution irrégulière de ses obligations durant la période de préavis et toute concurrence déloyale des concessionnaires limitrophes ; qu'elle en déduit qu'elle n'est pas responsable de ce que le fonds de commerce de la société Santerre ait été cédé à un prix inférieur à celui espéré par son dirigeant ;
Considérant que par conclusions signifiées le 14 novembre 1997 la société Santerre Automobiles et Maître Richard Berkowicz ès qualités réitèrent leurs accusations et leurs demandes ;
Considérant que la société Peugeot était en droit, aux termes des deux dernières en date des conventions la liant à la société Santerre Automobiles de mettre un terme aux relations contractuelles sans indemnité du concessionnaire au 31 décembre 1990 avec préavis de six mois pour l'avant dernier contrat, à durée déterminée, et au 31 octobre 1993 avec préavis d'un an pour le dernier contrat, à durée indéterminée ;
Qu'elle exerçait son droit de refus de renouvellement lorsqu'elle a imposé à la société Santerre en 1990 de substituer un contrat à durée indéterminée résiliable avec préavis d'un an au dernier en date des contrats successifs à durée de quatre ans qui les liaient depuis 1982 ; qu'elle a proposé cette substitution avant l'ouverture du délai contractuel de six mois ; qu'il n'est pas démontré que cette substitution proposée et acceptée avait pour seul but de faciliter une rupture sans indemnité des relations contractuelles qu'autorisait un simple refus de renouvellement, et que la société Peugeot ait abusé en 1990 de la position privilégiée dans laquelle elle se trouvait, pour fausser le jeu normal de la liberté contractuelle et de la concurrence ;
Que la société Peugeot exerçait de même en 1992 son droit de résilier à tout moment le nouveau contrat à durée indéterminée dès lors qu'elle respectait, comme elle l'a fait, son obligation contractuelle de préavis d'une année ;
Considérant toutefois que les conventions légalement formées si elles " tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ", doivent " être exécutées de bonne foi " selon l'article 1134 du Code civil " ; que tout contractant doit répondre des conséquence dommageables de l'utilisation abusive qu'il fait de ses droits ;
Considérant que les premiers juges ont eu raison, à s'en tenir à la lettre du contrat, de reconnaître à la société Peugeot la " liberté d'exercice de son droit de rupture " sans qu'il y ait lieu d'en contrôler les motifs dès lors que le préavis avait été respecté ;
Qu'ils ne pouvaient en revanche tirer du préjudice, en résultant pour la société Santerre, fût-il qualifié " d'anormal ", la preuve d'un abus de l'exercice du droit de résiliation ;
Qu'il se sont d'ailleurs empressés de revenir à la définition de fautes en dénonçant l'insuffisance géographique du secteur concédé, l'imposition d'objectifs de vente excessifs et la diminution " drastique " des primes constituant un élément substantiel de la marge du concessionnaire ; qu'il s'en suit que le premier grief que la société Peugeot tire d'une apparente définition de la faute à travers le dommage qui en est résulté, n'est fondé qu'en apparence ;
Considérant que par lettre du 7 juillet 1990 la société Santerre
- a accusé réception d'une lettre recommandée avec avis de réception du 20 juin 1990 de la société Peugeot lui annonçant qu'il lui serait proposé de signer un contrat à durée indéterminée à effet du 1er janvier 1991 résiliable avec préavis d'un an, laquelle valait renonciation conditionnelle à la faculté de non renouvellement,
- mais a manifesté sa surprise de ne pas bénéficier à nouveau d'un contrat à durée déterminée de quatre ans " conforme au choix qui a été convenu entre Automobiles Peugeot et le Groupement des concessionnaires Automobiles Peugeot GCAP lors des discussions qui ont présidées à la mise au point du contrat de concession actuel ressortissant du règlement CEE 123-85 ",
- a demandé en vain la raison de " ce changement de nature de contrat " et a réitéré ses demandes antérieures d'extension de territoire afin qu'elle " puisse lutter à armes égales avec ses concurrents en termes de coût de distribution " ;
que la société Peugeot avait pris soin dans sa lettre du 20 juin 1990 de subordonner la signature du nouveau contrat à " la bonne exécution du contrat actuellement en cours " et de souligner par deux fois " la durée indéterminée " de la convention proposée ; qu'elle a revendiqué, dans sa réponse du 18 juillet 1990, le droit d'opter pour une durée indéterminée du contrat de concession en dépit des dispositions différentes " élaborées après concertation avec le GCAP " et a maintenu ses exigences et le refus d'aménagement du territoire concédé qu'elle avait notifié implicitement le 20 juin 1990 ;
Qu'il ressort à l'évidence de ces trois lettres concordantes, que la société Santerre souffrait d'une insuffisance de l'étendue du secteur qui lui était concédé, très inférieure à celle des secteurs des concessionnaires limitrophes et confirmée par la reprise de ce secteur après résiliation de la concession non par un nouveau concessionnaire mais par l'un des concessionnaires limitrophes qui l'adjoindra à la sienne ; qu'il en résulte aussi ainsi que le confirme implicitement une lettre du 23 avril 1990 de la société Peugeot liant la novation contractuelle à un grief d'inefficacité, que la société Peugeot envisageait déjà une résiliation du contrat de concession la liant à la société Santerre, qu'elle n'entendait plus être tenue envers son concessionnaire de ses obligations de concédant pendant la durée de quatre années qu'elle accordait généralement à ses autres concessionnaires, et qu'elle voulait au contraire pouvoir saisir, avec préavis d'une année, toute opportunité de restructuration qui se présenterait ;
Que la loyauté exigeait d'elle qu'elle en informe la société Santerre ce qu'elle n'a pas fait, et qu'elle l'aide à trouver l'inévitable et indispensable solution à ses difficultés tenant à la prolifération de concessions soumises à exclusivité tant d'approvisionnement que de distribution dans une zone géographique insuffisante pour qu'elles soient toutes rentables ; qu'elle l'exigeait d'autant plus que la société Santerre avait été constituée en 1978 pour permettre à un agent Peugeot d'accéder au statut de concessionnaire et qu'elle bénéficiait depuis 1982 du régime des contrats renouvelés de quatre ans en quatre ans ;
Considérant que la résiliation a été notifiée par lettre recommandée avec avis de réception du 1er octobre 1992 après vingt et un mois d'exécution du nouveau contrat à durée indéterminée ; que même si la résiliation ne devait prendre effet qu'au 31 octobre 1993 ce qui implique déjà que la société Peugeot n'estimait pas avoir de griefs à formuler d'une gravité telle qu'ils puissent justifier une rupture immédiate, cette décision unilatérale abrégeait sensiblement la durée des relations commerciales résultant des habitudes du réseau et des usages antérieurs entre les deux parties que la loyauté commerciale commandait de pérenniser à défaut de motif sérieux ;
Qu'il s'en suit que la société Peugeot, compte tenu des conditions dans lesquelles elle a imposé à la société Santerre qui n'avait pas d'autre choix que d'accepter si elle entendait voir renouveler la concession, le contrat à durée indéterminée résilié le 1er octobre 1992, ne saurait prétendre qu'elle était en droit d'imposer la résiliation litigieuse sans avoir à s'en justifier et à défaut d'aider à en limiter les conséquences dommageables ;
Qu'elle devait d'autant plus veiller à trouver une issue convenable aux relations contractuelles qu'elle avait mis en garde la société Santerre par lettres des 29 octobre 1990 et 28 octobre 1991 contre son insuffisance de " pénétration commerciale " pour la seconde année consécutive, lui avait demandé " de prendre dès maintenant toutes les mesures appropriées qui s'imposent pour améliorer sa situation commerciale et réaliser son objectif " de ventes, l'avait invitée à présenter sous quinzaine un plan d'action et un calendrier de réalisation, et l'avait ainsi conduite à alourdir ses charges fixes en renforçant son personnel commercial, en réhabilitant ses locaux et en entreprenant des démarches d'étude de la réalisation d'un hall d'exposition ;
Considérant que la société Peugeot ne fait grief à la société Santerre que d'une insuffisance de ses résultats ; qu'elle précise que la pénétration commerciale de la société Santerre était de 15,8 %, 13,1 % et 14,9 % en 1990, 1991 et 1992 alors que la moyenne régionale était de 18,5 %, 17,9 % et 16,4 %, inférieure elle-même à la moyenne nationale, et que la société Santerre avait respecté 70,8 %, 75,3 % et 78 % des objectifs de vente définis par la société Peugeot contre 88,4 %, 79,9 % et 74,5 % en moyenne pour l'ensemble des concessionnaires de la région ;
Qu'il résulte essentiellement que les performances de la société Santerre n'étaient guère satisfaisantes par comparaison avec les autres concessions de la région mais aussi que le différentiel qui n'avait pas justifié un refus de renouvellement en 1990, avait certes persisté, mais s'était sensiblement atténué au point que le taux de réalisation d'objectifs excessifs puisque constamment et même pour d'autres concessionnaires très au dessus des moyennes obtenues, avait dépassé en 1992 la moyenne régionale et que la société Santerre était passée cette année là de la quarante troisième et dernière place du classement des concessionnaires régionaux à la vingt septième et s'était classée même à la quatorzième place pour la réalisation des objectifs d'une opération promotionnelle de septembre-octobre 1992 ;
Que la société Santerre souffrait de certains handicaps qu'elle n'a cessé de dénoncer sans être contredite autrement que par des aveux d'impuissance du concédant à y remédier, et qui suffiraient à relativiser le grief d'inefficacité qui lui est fait à travers l'analyse des statistiques produites : concurrence depuis 1990 d'un mandataire s'approvisionnant à meilleurs prix à l'étranger, incorporation dans les statistiques de concurrents servant de base de comparaison de véhicules vendus à des filiales de location, empiétements sur le territoire concédé de concessionnaires limitrophes disposant de par leur importance de moyens de promotion supérieurs aux siens ;
Considérant qu'il ne saurait certes être reproché à la société Peugeot d'avoir sacrifié, dans sa politique de restructuration d'une implantation commerciale trop éparpillée, la société Santerre dont les bilans bénéficiaires jusqu'en 1989, constataient depuis lors des pertes de plus en plus élevées, atteignant 560 089 F pour l'année 1992 engendrées par une diminution conjoncturelle des ventes en dépit d'un accroissement sensible des charges fixes consenti pour répondre aux exigences du concédant ;
Que la société Peugeot a par contre manqué à la loyauté à supposer qu'elle n'ait pas agi malignement, en notifiant le 1er octobre 1992 à la société Santerre, son concessionnaire depuis au moins dix ans auquel elle n'avait aucun reproche réellement sérieux à faire, une résiliation de concession qui ne pouvait demeurer occulte et allait nécessairement contrecarrer les chances que la société Santerre pouvait avoir de mener à bien l'indispensable restructuration de la concession par fusion avec une concession limitrophe sous son égide ou celle d'un concessionnaire voisin;
Qu'il lui fallait, avant de résilier, informer loyalement le dirigeant de la société Santerre de ses intentions et, disposant d'un droit d'agrément, aider ce dirigeant à parvenir à la solution amiable la plus à même de conserver au moins partiellement le bénéfice des efforts accomplis; qu'en procédant à une notification prématurée de résiliation, elle a placé sciemment la société Santerre dans une position d'infériorité vis à vis des concessionnaires limitrophes susceptibles de racheter la concession;
Que même après la résiliation intempestive du contrat, la société Peugeot a contribué à l'échec des pourparlers de cession menés par le dirigeant de la société Santerre ; qu'elle écrivait en effet le 2 avril 1993 au Maire de Peronne que ces pourparlers avaient " bien peu de chance d'aboutir " car elle avait donné son accord au candidat à la reprise non pas pour un rachat du fonds de commerce de la société Santerre mais pour l'ouverture d'une concession Peugeot à Peronne sur un autre terrain ;
Considérant que la société Santerre ne paraît s'être résignée à céder son fonds de commerce qu'après notification de la résiliation par lettre du 1er octobre 1992 ; que ce n'est qu'en décembre 1992 que le Cabinet d'expertise Galtier a procédé, à sa demande, à une évaluation de sa situation nette, concluant ainsi le 14 janvier 1993 :
- valeur économique d'utilisation (terrain, aménagement, construction, matériel et mobilier) : 5 537 000 F
- valeur vénale : 3 300 000 F
- valeur locative : 480 000 F par an
- fonds de commerce : 4 350 000 F
que la société Santerre et Maître Richard Berkowicz déduisent de ce que le Tribunal de commerce de Peronne a autorisé la cession des éléments corporels et incorporels du fonds de commerce au concessionnaire limitrophe de Noyon au prix de 1 000 000 F avec un bail au loyer annuel de 360 000 F, que la société Peugeot a causé à la société Santerre un préjudice de 4 330 000 F se décomposant ainsi :
- perte sur cession 4 350 000 - 1000 000 : 3 350 000
- perte de loyers (120 000 F par an) : 980 000
= 4 330 000 F ;
Que la valeur attribuée au " fonds de commerce " est en réalité la " valeur patrimoniale " de la société Santerre tirée de l'adjonction à un actif net comptable de 1 164 544 F, calculé par comparaison des actifs dont les terrains et constructions et du passif, d'un " retraitement économique de l'actif " chiffré à 4 253 972 F à amputer de 1 056 670 F d'impôt sur les plus values latentes ; que les 4 253 972 F constituent selon le Cabinet Galtier la différence entre la valeur réelle des terrains, des constructions et des immobilisations corporelles et leur valeur comptable ; que l'attribution du fonds de commerce hors terrains et immeubles d'une valeur de 4 350 000 F est erronée ;
Que dès le 26 février 1993, après résiliation mais avant toute ouverture de procédure collective, la société Grand Garage de l'Avenue, concessionnaire Peugeot limitrophe installé à Noyon, avait offert à la société Santerre d'acquérir son fonds de commerce pour la somme de 1 000 000 F correspondant pour 800 000 F au matériel et 200 000 F aux éléments incorporels et s'était engagée à reprendre le personnel et à louer les locaux au loyer annuel de 360 000 F ; que cette offre sera entérinée le 18 novembre 1993 par le Tribunal de commerce de Peronne après échec d'une ultime tentative de réduction de son auteur ;
Que la Cour observe que dans son évaluation " économique " de la société Santerre le cabinet Galtier avait chiffré à 2 728 428 F la valeur des terrains et des immeubles, à 480 000 F la valeur locative annuelle et à 1 525 544 F celle du matériel et des immobilisations corporelles ; que si cette évaluation n'est pas contradictoire, la société Peugeot n'y apporte aucune critique ; que de son côté la société Santerre et Maître Richard Berkowicz ne justifient d'aucune meilleure offre ;
Que la société Grand Garage de l'Avenue n'a pu ignorer avant de présenter son offre la résiliation de la concession ; qu'elle a certainement tiré profit de cette information ainsi qu'elle a tenté de le faire, mais en vain, de l'annonce de l'ouverture de la procédure collective ; qu'il convient aussi de tenir compte de l'incidence de l'engagement de reprise du personnel ;
Que la Cour dispose en définitive d'éléments suffisants pour évaluer à 900 000 F le préjudice causé à la société Santerre par l'utilisation déloyale et abusive que la société Peugeot a faite de la clause de résiliation du contrat de concession ;
Considérant que la société Santerre et Maître Richard Berkowicz accusent par ailleurs la société Peugeot d'avoir violé ses engagements contractuels et soumis la société Santerre à un traitement discriminatoire durant le préavis, d'avoir compromis son efficacité commerciale et d'être à l'origine de pertes d'exploitation sensibles ;
Que la Cour ne dispose pas d'éléments suffisants pour se prononcer sur ce second chef d'indemnisation ;
Par ces motifs, Réformant la décision déférée sauf en ce qu'elle a condamné la société Automobiles Peugeot aux dépens, Dit que la société Automobiles Peugeot a procédé de façon déloyale à une résiliation abusive du contrat de concession la liant à la société Santerre afin de mener à une restructuration de son réseau dans des conditions qu'elle savait devoir nuire à son concessionnaire, La condamne à verser de ce chef 900 000 F de dommages et intérêts à Maître Richard Berkowicz en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Santerre, avant dire droit sur le comportement de la société Automobiles Peugeot durant la période de préavis, ordonne une expertise à l'effet, connaissance prise des dossiers des parties et de tous documents nécessaires et audition faite des parties, de définir les griefs, d'en vérifier la pertinence, de rechercher en quoi ils peuvent correspondre à une violation ou à une exécution déloyale d'engagements contractuels, en chiffrer l'incidence sur les résultats de l'entreprise et de fournir plus généralement à la Cour tous éléments lui permettant de se prononcer sur les fautes alléguées et le préjudice en résultant, Commet Monsieur Bernard Charrin expert près la Cour d'appel de Paris demeurant 65 avenue Klebert 75016 Paris téléphone 01 47 27 58 44 Fixe à douze mois de la saisine de l'expert la date du dépôt du rapport d'expertise ; Fixe à 80 000 F la provision que Maître Richard Berkowicz ès qualités devra consigner au greffe de la Cour dans les trois mois du présent arrêt ; Réserve les autres demandes ; Condamne dès à présent la société Automobiles Peugeot en tous les dépens d'appel exposés à ce jour ; Admet la société civile professionnelle Roblin Chaix de Lavarenne, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.