CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 5 février 1998, n° 4645-94
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Agrofino Products Agrofino Brug (Sté)
Défendeur :
Hydro Agri Spécialités France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gallet
Conseillers :
MM. Boilevin, Raffejeaud
Avoués :
SCP Keime, Guttin, SCP Lissarrague Dupuis
Avocats :
Me Evrard, SCP Leblond.
Les sociétés Agrofino Products (ci-après Agrofino) et Hydro Agri Spécialités France (ci-après Hydro) ont signé le 12 septembre 1989 un contrat d'approvisionnement exclusif en terreau et terre dite de bruyère, aux termes duquel Hydro s'engageait à commander un minimum de 20 000 m3 par campagne, tandis qu'Agrofino s'interdisait de vendre à d'autres distributeurs ou clients en France, le tout pendant une durée de trois ans.
Pour la première campagne (1er juillet 1989 au 30 juin 1990) les commandes de la société Hydro se sont élevées à 7 567,25 m3 et pour la seconde campagne (1er juillet 1990 au 30 juin 1991) à 2 858,38 m3.
Les parties ont convenu le 22 mai 1991 des termes d'un avenant au contrat qui prévoyait la suppression de l'obligation d'exclusivité territoriale de vente, ainsi que de l'engagement d'achat par Hydro d'un volume minimum de produits par campagne.
La société Agrofino a adressé le 10 juin 1991 à la société Hydro pour signature un exemplaire de l'avenant déjà signé par elle, en lui demandant de le lui retourner dûment signé.
Alors que l'avenant signé ne lui était toujours pas revenu et après une réunion tenue le 2 août 1991 où il était indiqué qu'il serait prochainement signé par Hydro, Agrofino a envoyé à celle-ci un courrier en date du 6 août 1991 se terminant ainsi :
" Si le minimum de 50 camions, et même l'objectif optimal de 100 camions, n'est pas atteint, nous nous réservons nos droits stipulés dans le contrat cité, même jusqu'en allant à un dédommagement sur les quantités manquées depuis le début de notre collaboration. Nous n'espérons pas arriver à une situation si embarrassante ".
Puis, par lettre en date du 2 janvier 1992, elle a résilié le contrat en visant le courrier précité qualifié par elle de " mise en demeure ".
C'est alors que la société Hydro lui a enfin retourné le 16 janvier 1992 l'exemplaire signé de l'avenant, en le datant du 28 juin 1991.
C'est dans ces conditions que la société Agrofino a saisi le tribunal de commerce de Nanterre, lequel, par jugement en date du 25 mars 1994, a débouté la société Agrofino de ses demandes, de même que la société Hydro de ses demandes reconventionnelles, et a partagé les dépens par moitié.
Pour débouter la société Agrofino de ses demandes fondées sur les manquements de la société Hydro à ses obligations telles qu'elles résultaient du contrat du 12 septembre 1989, les premiers juges ont retenu que celui-ci prévoyait une mise en demeure préalable à toute résiliation, que la lettre du 6 août 1991 ne valait pas mise en demeure, que par conséquent la résiliation du 2 janvier 1992 était nulle et que l'avenant devait s'appliquer.
Pour rejeter la prétention de la société Hydro au paiement de factures, les premiers juges se sont reportés à un arrêt de la cour de céans en date du 22 octobre qui, statuant en référé, avait retenu l'existence d'une contestation sérieuse.
La société Agrofino a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 22 avril 1994.
Au terme de conclusions récapitulatives, elle a demandé à la cour, infirmant le jugement entrepris en ce qu'il l'avait débouté de ses demandes, de condamner la société Hydro à lui payer la somme de 3.466.239,80 F, outre intérêts au taux légal et 30 000 F au titre de l'article 700 du NCPC
Elle a fait valoir :
- que la société Hydro n'avait pas exécuté l'engagement qu'elle avait pris de passer une commande minimum de 20 000 m3 par campagne et que cette inexécution se résolvait en dommages et intérêts, conformément à l'article 1142 du Code civil ;
- que ces dommages et intérêts étaient dus pour les deux premières campagnes sans mise en demeure préalable, conformément à l'article 1146 du Code civil ;
- qu'une mise en demeure avait été adressée le 6 août 1991 pour la troisième campagne, conformément à ce même article, de telle sorte que les dommages et intérêts étaient également dus pour cette période ;
- que son préjudice découlait du manque à gagner de l'inexécution par Hydro de ses obligations ;
- que l'avenant n'était pas entré en vigueur, puisque la société Hydro n'y avait consenti qu'après la résiliation du contrat.
Au terme de conclusions récapitulatives, la société Hydro a sollicité l'infirmation partielle du jugement en ce qu'il l'avait déboutée de sa demande reconventionnelle, et a demandé de ce chef la condamnation d'Agrofino à lui payer la somme de 400.898,66 F, outre intérêts légaux à compter du 25 février 1992 et 30 000 F au titre de l'article 700 du NCPC
Elle a soutenu :
- que l'avenant n'avait fait qu'entériner l'accord intervenu entre les parties lors de la réunion du 22 mai 1991 ;
- que sa signature de l'avenant n'était pas nécessaire en vertu de l'article 1322 du Code civil ;
- que l'addendum au procès-verbal du 2 août 1991 prouvait son acceptation de l'avenant ;
- que la régularisation de l'annexe 3 (relatif aux prix pour la campagne 1991-1992) démontrait également l'accord des parties sur l'avenant ;
- qu'en conséquence, l'obligation d'approvisionnement minimum avait disparu en juin 1991 ;
Elle a encore fait valoir, à titre subsidiaire, que la lettre de résiliation du 2 janvier 1992 était privée d'effet en l'absence de mise en demeure préalable, qu'elle n'avait pas accepté la résiliation et que le préjudice allégué par Agrofino n'était pas démontré.
Elle a enfin réitéré sa demande reconventionnelle de première instance consistant en le paiement de quatre factures, les deux premières représentant le coût des sacs nécessaires à l'emballage de la terre, achetés à la société Ceisa, la troisième concernant des agios et la quatrième correspondant au coût d'enlèvement de palettes de sacs de terre.
La société Agrofino a répliqué :
- qu'un accord sur l'avenant était démenti par les termes du procès-verbal de la réunion du 2 août 1991, ainsi que par sa lettre du 6 août 1991 ;
- que l'article 1322 du Code civil était inapplicable en l'espèce ;
- que l'addendum au procès-verbal du 2 août 1991 ne modifiait en rien la situation ;
- que son paraphe éventuellement porté sur l'annexe 3 ne valait pas acceptation par Hydro de l'avenant, alors que le procès-verbal de la réunion du 2 août 1991 faisait état d'une signature future, qu'elle-même dans sa lettre du 6 août 1991 s'était réservée ses droits stipulés dans le contrat et qu'elle l'avait exécuté jusqu'à sa résiliation en s'interdisant de prospecter le marché français ;
- qu'Hydro n'avait jamais protesté à la suite de la résiliation.
Sur ce, LA COUR
Sur la demande principale d'Agrofino
Considérant qu'il se déduit des dispositions de l'article 1322 du Code civil qu'un acte portant convention synallagmatique est valable dès lors qu'il a été signé par la partie à qui on l'oppose et invoqué par la partie à qui il a été remis ;
Considérant qu'en l'espèce, la société Agrofino a signé l'avenant litigieux le 10 juin 1991 et la société Hydro peut donc s'en prévaloir alors même qu'elle ne l'aurait pas signé ;
Considérant que de toute manière, la société Hydro était la rédactrice de l'avenant, n'avait aucun motif de ne pas le respecter alors qu'il lui était très favorable, n'a jamais été mise en demeure de le signer, le courrier de la société Agrofino du 6 août 1991 n'y faisant aucune allusion, et l'a enfin retourné signé le 16 janvier 1992 sans qu'une résiliation du contrat régulière ait pu préalablement intervenir, dès lors qu'après le 10 juin 1991 la société Agrofino ne pouvait plus se prévaloir du contrat initial sans au moins mettre la société Hydro en demeure de signer l'avenant ;
Considérant enfin, que le fait que la société Agrofino ait continué à exécuter ses obligations contenues dans le contrat initial est sans effet sur la validité de l'avenant, mais aurait pu tout au plus lui ouvrir droit à dommages et intérêts pour le préjudice que lui aurait causé la société Hydro en la laissant dans l'incertitude quant à ses intentions réelles ;
Considérant qu'en revanche, il est constant que la société Hydro n'a pas respecté ses obligations contractuelles pendant les deux premières années et qu'elle est tenue aux dommages et intérêts résultant de l'inexécution de son obligation, sans mise en demeure préalable conformément aux dispositions de l'article 1146 du Code civil, puisqu'elle devait s'exécuter dans un certain temps qu'elle a laissé passer;
Considérant que la société Agrofino justifie suffisamment par la production d'un rapport de son commissaire aux comptes d'un préjudice de 869.297,88 F pour la campagne 1989-1990 et de 1.198.542 F pour la campagne 1990-1991, représentant son manque à gagner sur les 12.432,75 m3 et 17.141,62 m3 non commandés pendant ces périodes ;
Considérant que la société Hydro sera en conséquence condamnée à lui payer une somme de 2.067.839,88 F à titre de dommages et intérêts, outre les intérêts au taux légal à compter du jour de l'assignation ;
Sur la demande reconventionnelle d'Hydro
Considérant que les premiers juges ont retenu à juste titre qu'il appartenait à la société Agrofino de passer commande des sacs d'emballage dont elle assumait la charge financière et que la société Hydro n'avait pas justifié avoir reçu d'elle le mandat de passer commande auprès du fournisseur ;
Considérant que la société Hydro réclame le paiement de deux factures correspondant à des commandes passées par elle, sans justifier de la nécessité de celles-ci, alors que la société Agrofino avait encore des sacs et que la faiblesse des approvisionnements en terre d'Hydro chez Agrofino ne nécessitait assurément pas des commandes de sacs supplémentaires ;
Considérant que la troisième facture, représentant le montant d'agios dus sur les deux premières factures, est sans objet dès lors que ces deux factures ne sont pas dues ;
Considérant qu'enfin, la quatrième facture correspondant au coût de l'enlèvement de palettes de sacs de terre de bruyère qui aurait effectué le 4 décembre 1991, alors qu'il est constant que la société Hydro n'a plus de commandes à la société Agrofino depuis au mois juin 1991, n'est pas due ;
Sur l'article 700
Considérant que l'équité commande d'indemniser la société Agrofino de ses frais non compris dans les dépens à concurrence de la somme de 30 000 F ;
Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Hydro Agri Spécialités France de sa demande reconventionnelle, L'infirme pour le surplus, Statuant à nouveau, Condamne la société Hydro Agri Spécialités France à payer à la société Agrofino Products une somme de 2.067.839,88 F à titre de dommages et intérêts, outre intérêts au taux légal à compter du 23 juin 1992 ; La condamne à lui payer une somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du NCPC ; La condamne aux dépens de première instance et d'appel, et accorde pour ceux d'appel le bénéfice de l'article 699 du NCPC à la SCP Keime et Guttin.