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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 19 février 1998, n° 96-07871

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

CTRC (Sté)

Défendeur :

Kronberg, Magie de la Beauté (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq

Conseillers :

M. Bouche, Mme Cabat

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Verdun-Gastou

Avocats :

Mes Chekroun Haddad, Begeot.

T. com. Paris, 8e ch., du 21 févr. 1996

21 février 1996

Considérant que la société CTRC a fait appel le 13 mars 1996 d'un jugement contradictoire du 21 février 1996 du Tribunal de Commerce de Paris qui a mis Marie-Josée Kronberg hors de cause, a déclaré résiliés à la date du 30 juin 1993 les contrats de franchise conclus entre la société CTRC et la société Magie de la Beauté anciennement appelée Maison du joli cheveu devenue Magie de la Beauté, a condamné la société Magie de la Beauté à verser à la société CTRC un solde de factures de marchandises de 285.113,64 F en deniers ou quittances avec intérêts au taux légal à compter du 7 décembre 1994, a condamné la société CTRC à verser à la société Magie de la Beauté 600.000 F de dommages-intérêts, a ordonné l'exécution provisoire de ces condamnations et a condamné la société CTRC aux dépens;

Considérant que la société CTRC expose dès le 10 juillet 1996 que :

- sous l'enseigne "Jean-François Lazartigue" elle a créé un réseau de franchise commercialisant des méthodes et produits de traitement et d'embellissement du cheveu,

- par contrat du 29 juin 1982 renouvelé le 29 juin 1988 pour la ville de Strasbourg et par contrat du 10 août 1986 pour la ville de Mulhouse, la société Maison du joli cheveu désormais Magie de la Beauté, dont Marie-Josée Kronberg est la gérante, est devenue franchisée de la chaîne Lazartigue,

- les contrats des 10 août 1986 et 29 juin 1988 qui n'étaient pas tacitement reconductibles à leurs échéances des 10 août 1991 et 29 juin 1993, ont continué à être exécutés au delà de ces dates et la société CTRC a proposé à Marie-Josée Kronberg en 1993 d'ouvrir un second point de vente à Strasbourg dans le rayon sélectif du magasin Printemps dont elle devait assurer le suivi, le contrôle, les animations et opérations promotionnelles en échange d'un intéressement de 5% au chiffre d'affaires hors taxes réalisé,

- Marie-José Kronberg a accepté cette proposition qui a reçu application bien qu'aucun contrat n'ait été signé, mais a cessé au bout de quelques mois d'exécuter ses obligations, de verser les redevances de franchise, de payer les produits qu'elle achetait, et de rendre compte des ventes qu'elle réalisait,

- la société CTRC a dénoncé par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 décembre 1993 le contrat concernant le magasin de Mulhouse, a tenté de préserver les relations contractuelles strasbourgeoises et s'est aperçue que Marie-José Kronberg vendait en parallèle aux siens des produits de marques concurrentes et allait bientôt enfreindre la clause de non-concurrence la liant au franchiseur

Qu'elle soutient que la poursuite des relations contractuelles a eu pour conséquence de substituer des liens à durée indéterminée identiques à ceux d'une durée de cinq ans initialement convenus, que 306.010 F de produits et 65.934,93 F de redevances lui sont dus, que le point de vente ouvert au Printemps l'a été avec l'accord de Marie-José Kronberg et que celle-ci a exposé à la vente en 1994 simultanément des produits concurrents de la marque Shu Uemura puis a changé d'enseigne et a poursuivi à Strasbourg une activité similaire à celle des franchisés de la chaîne Lazartigue en violation des clauses de non-concurrence des contrats

Qu'elle demande à la Cour d'infirmer le jugement, de condamner solidairement tant la société Magie de la Beauté que Marie-Josée Kronberg, pour ses fautes détachables de ses fonctions de gérante, à lui payer 306.010 F et 65.934,93 F avec intérêts au taux légal à compter du 7 décembre 1994, 1.100.000 F de dommages-intérêts et de clause pénale et 30.000 F pour ses frais irrépétibles.

Qu'elle réduit sa demande de redevances à 7.950,65 F par conclusions signifiées le 11 décembre 1997 puis la demande de paiement de marchandises et redevances à 281.526,44 F par conclusions signifiées le 21 janvier 1998 ;

Considérant que Marie-Josée Kronberg et la société Maison de la Beauté sollicitent de la Cour par conclusions signifiées le 27 novembre 1996 qu'elle :

- confirme la mise hors de cause de Marie-Josée Kronberg et condamne la société CTRC à lui verser 50.000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive et 20.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- déboute la société CTRC de ses prétentions, subsidiairement de limiter sa condamnation à son montant de première instance et de condamner la société CTRC à lui restituer 24.462,66 F de redevances indûment perçues avec intérêts au taux légal à compter du 7 décembre 1993 eux-mêmes capitalisés et à lui verser 2.250.000 F de dommages-intérêts ainsi que 30.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile

Qu'elles exposent que :

- les relations contractuelles harmonieuses des parties se sont trouvées altérées en 1992 lorsque Jean-François Lazartigue a accepté, par contrat conclu entre les sociétés CTRC et Unilever, d'être présenté comme conseiller d'un shampoing vendu en grande surface, et a voulu imposer à la société Maison de la Beauté d'ouvrir un point de vente à Nancy,

- dès la fin de mars 1992 la société Maison de la Beauté a refusé une proposition de nouveau contrat pour Mulhouse comportant une clause autorisant l'exploitation hors réseau du nom de Jean-François Lazartigue,

- en juin 1993 la société CTRC a ouvert un point de vente concurrent au magasin Printemps de Strasbourg sans l'accord de Marie-Josée Kronberg qui avait exigé en contrepartie qu'elle puisse commercialiser des produits d'une seconde marque et que la société CTRC lui garantisse les mêmes conditions d'approvisionnement que les grands magasins,

- la société CTRC a contraint la société Maison de la Beauté à affecter du personnel à la tenue du stand du Printemps sous la menace d'une cessation des livraisons, n'a jamais versé pour autant la commission de 5 % du montant des ventes promises et a diffusé un mailing publicitaire auprès de la clientèle de son franchisé,

- la société La Maison de la Beauté a donc notifié à la société CTRC sa décision de commercialiser des produits de maquillage Shu Uemura et la société CTRC a répliqué en informant les clients de son franchisé de la fermeture du magasin, cependant que la société Maison de la Beauté demandait en vain le remboursement de royalties et de publicités facturées à tort et, faute d'en recevoir paiement, cessait de verser les redevances de franchise

Qu'elles contestent les comptes produits par la société CTRC, accusent celle-ci d'avoir méconnu ses engagements d'exclusivité territoriale et de les avoir contraintes à élargir leur champ d'activité vers le maquillage qui ne saurait concurrencer le traitement des cheveux, nient que l'entrée dans le réseau Shu Uemura puisse enfreindre l'obligation de non-concurrence contractée et soutiennent que la société CTRC, seule responsable de la rupture, doit en réparer les conséquences dommageables

Considérant qu'il n'y a pas lieu de rejeter des débats les conclusions signifiées et les pièces communiquées en fin de mise en état, afin de conforter les moyens précédemment exposés, chaque partie ayant pu faire part de ses observations ;

Considérant que la société CTRC était liée par contrats de franchise à la société à responsabilité limitée Maison du joli cheveu appelée désormais Magie de la Beauté et non à son animatrice Marie-Josée Kronberg ; qu'elle soutient que ces contrats se sont trouvés reconduits à l'identique mais pour une durée indéterminée du fait de la poursuite des relations contractuelles après leur expiration; qu'elle se trouvait ainsi toujours liée à la société Maison du joli cheveu lorsqu'auraient été commises les fautes qu'elle reproche à son franchisé ;

Que la société CTRC ne se prévaut à l'encontre de Marie-Josée Kronberg que d'actes normaux qu'elle a accomplis dans l'exercice de ses fonctions au sein de la société Maison du joli cheveu en vue de la réalisation de l'objet de cette société ; qu'il convient de confirmer la mise hors de cause à titre personnel de Marie-Josée Kronberg, de rejeter sa demande de dommages-intérêts faute de preuve d'un préjudice autre que des frais irrépétibles et de lui accorder pour elle même 10.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Considérant que les sociétés CTRC et Magie de la Beauté s'accordent à reconnaître qu'elles étaient encore liées en 1993 par les contrats de franchise conclus les 10 août 1986 et 29 juin 1988 concédant à la société Maison du joli cheveu une franchise de la chaîne Jean-François Lazartigue en exclusivité réciproque dans les villes de Mulhouse et de Strasbourg ;

Qu'au mépris de ses obligations de protection de ses franchisés, la société CTRC a tenté d'imposer au début de l'année 1992 la signature de conventions nouvelles accordant à Jacques Gardeur alias Jean-François Lazartigue le droit d'utiliser son nom d'emprunt, enseigne du réseau, "dans toute autre exploitation commerciale et, ou promotionnelle", au risque de concurrencer ses franchisés sur les territoires qui demeuraient concédés à titre exclusif sans faculté d'extension ou de déplacement sauf accord du franchiseur ; qu'il ne peut être fait grief à un franchisé d'avoir refusé de signer un tel contrat ;

Considérant que les relations contractuelles se sont trouvées rompues pour le magasin de Mulhouse à effet rétroactif du 30 septembre 1993 par échange de courriers des 1er octobre et 7 décembre 1993 et pour celui de Strasbourg par un échange de courriers des 17 et 28 septembre 1993 suivi d'une assignation délivrée le 22 novembre 1994 à la requête de la société CTRC à la suite d'accusations réciproques de violations des engagements d'exclusivité commises en 1993 ;

Qu'il résulte des documents versés aux débats que :

- la société CTRC a créé dès juin 1993 un "linéaire Jean-François Lazartigue' au magasin du Printemps à Strasbourg et proposé à la société Maison du joli cheveu de lui verser une commission égale à 5% du chiffre d'affaires de ce point de vente concurrent à charge pour elle d'assurer des animations promotionnelles mensuelles à l'aide de son personnel,

- la société Maison du joli cheveu, arguant d'une "érosion de son chiffre d'affaires et du trou financier qui se creusait", a informé la société CTRC le 17 septembre 1993 de sa "décision de vendre sans franchise les produits Shu Uemura" et émis le souhait de la conclusion d'un accord lui permettant de "continuer à vendre les produits" Jean-François Lazartigue ;

- la société CTRC a pris l'initiative de la rupture en informant son franchisé par lettre du 28 septembre 1993 de ce qu'elle refusait l'offre de "cohabitation" de ses produits avec ceux de la firme Shu Uemura et qu'elle "prenait acte de la fermeture à ses produits du magasin de Strasbourg",

- le 1er octobre 1993 la société Maison du joli cheveu a répliqué en demandant la restitution des contributions aux frais de publicité et des royalties qu'elle avait versées depuis "la fin des contrats" et la société CTRC, prenant cette lettre comme ne concernant que le magasin de Mulhouse, a répondu le 7 décembre 1993 que le contrat qui expirait le 10 août 1991, avait continué à être exécuté par les deux parties et se trouvait désormais à durée indéterminée, mais qu'ayant ouvert elle même le 25 octobre 1993 un "linéaire" à Mulhouse, elle acceptait une résiliation de la franchise au 30 septembre 1993, et mettait en demeure la société Maison du joli cheveu de payer l'arriéré de redevances ;

-la société Maison du joli cheveu a changé de nom, ouvert dans ses locaux de Strasbourg en novembre 1993 une franchise Shu Uemura et mis en vente son droit au bail de Mulhouse;

Que même sans retenir la violation par voie de promotion personnelle publicitaire de Jean-François Lazartigue alléguée qui aurait été commise en 1992, la Cour ne peut que constater que l'initiative de la rupture émane de la société CTRC et trouve son origine dans des actions de concurrence du franchiseur ;

Considérant que la société CTRC tente de rejeter la responsabilité de la rupture sur la société Maison du joli cheveu en soutenant que son franchisé avait accepté l'ouverture du "linéaire" du Printemps de Strasbourg et produit à cet effet une attestation de Jacqueline Ackermann, directrice du département de la parfumerie du Printemps de Strasbourg, qui affirme qu'elle avait participé à un entretien au cours duquel Marie-Josée Kronberg avait "donné son plein accord pour implanter la marque Lazartigue au rayon capillaire" du magasin, une télécopie adressée par la société CTRC au Printemps Strasbourg lui confirmant les conditions d'implantation du linéaire et l'organisation en particulier d'animations confiées à Marie-Josée Kronberg, sa "représentante à Strasbourg", et un listing de présence de salariés au rayon "parfumerie" du Printemps de Strasbourg établissant que la société Maison du joli cheveu avait détaché dans ce magasin une salariée du 5 au 10 juillet et le 28 août 1993 ;

Que la société Magie de la Beauté ne reconnaît aucun accord mais une collaboration ponctuelle dans l'espoir d'un aménagement du contrat de franchise lui permettant de vendre également des produits Shu Uemura dont elle prétend, sans être contredite, qu'ils ne concernent que le maquillage du visage et ne seraient même pas concurrents des produits Jean-François Lazartigue ;

Que l'attestation de Jacqueline Ackermann est trop succincte pour apporter la preuve d'une acceptation sans condition de la société CTRC d'une entorse aussi grave à l'exclusivité dont elle bénéficiait; que la télécopie émane de la société CTRC ; que sept jours de présence d'un salarié détaché dans une phase de discussion n'impliquent pas accord ;

Qu'à l'inverse la société CTRC ne justifie d'aucun engagement d'intéressement de son franchisé au chiffre d'affaires du point de vente concurrent, contrepartie évidente de la renonciation à l'exclusivité qu'elle entendait imposer, d'aucun paiement de commissions sur les ventes du linéaire du Printemps, d'aucune offre en cours d'instance de versement de telles commissions ;

Que la société CTRC ne s'est prévalue qu'après avoir gravement violé à partir de juin 1993 l'exclusivité territoriale concédée, d'une créance pour laquelle elle n'avait délivré aucune mise en demeure avant le 7 décembre 1993, et qui aurait dû se compenser largement au surplus avec les commissions que la société CTRC ne pouvait pas ne pas devoir dans l'hypothèse d'un accord des parties ; qu'elle est seule responsable d'une rupture qu'elle a provoquée en feignant malhonnêtement de considérer comme des lettres de résiliation des courriers de la société Maison du joli cheveu sollicitant des aménagements préservant légitimement ses droits quand bien même la société Maison du joli cheveu aurait elle entrepris dès la fin septembre 1993 des travaux d'aménagement de son magasin de Strasbourg pour y vendre des produits Shu Uemura ;

Que la société CTRC ne peut donc faire grief à la société Maison du joli cheveu devenue Magie de la Beauté d'avoir vendu à partir de novembre 1993 des produits Shu Uemura d'autant qu'elle l'a fait sous un nouveau nom et qu'elle justifie de ce que la société CTRC s'est efforcée de s'approprier sa clientèle par envoi de mailing à ses clients ;

Considérant que la société CTRC n'apporte aucune preuve de ce que la société Magie de la Beauté exerce une activité concurrente de la sienne ; que la clause de non-concurrence insérée dans les conventions reconduites de fait serait nulle si elle s'opposait à l'activité présente de l'intimée ;

Considérant qu'il n'est apparemment plus contesté que la société CTRC est créancière de 281.526,44 F de produits livrés et redevances dues sauf à en défalquer les redevances postérieures au 14 juin 1993, date à laquelle la société Magie de la Beauté situe la première vente du linéaire du Printemps et la Cour la résiliation des accords contractuels aux torts exclusifs de la société CTRC ;

Considérant que la société Magie de la Beauté justifie de ce qu'elle a réalisé en 1991 et 1992 des chiffres d'affaires de 5.000.632 F et 4.432.958 F pour l'ensemble de ses deux magasins et qu'en 1993 son chiffre d'affaires est tombé de 3.101.069 F à 1.999.069 F pour Strasbourg alors qu'il ne chutait que de 14,17 % pour Mulhouse ;

Qu'en l'absence de clause régissant les conditions financières de la résiliation aux torts du franchiseur ni de clause limitant la faculté de résiliation après prolongation tacite, la société Magie de la Beauté ne saurait demander des dommages-intérêts équivalant à une année de chiffre d'affaires ; qu'elle a subi par contre les effets de la concurrence déloyale du franchiseur et a été contrainte d'opérer une reconversion brutale ; que la Cour dispose d'éléments suffisants pour chiffrer à la date du présent arrêt à 1.300.000 F la réparation due ;

Considérant qu'il serait inéquitable que la société CTRC conserve la charge de ses frais irrépétibles.

Par ces motifs, réformant la décision déférée sauf en ce qu'elle a mis hors de cause Marie-Josée Kronberg et a condamné la société CTRC aux dépens, déclare les contrats de franchise à durée indéterminée liant les sociétés CTRC et Maison du joli cheveu devenue Magie de la Beauté résiliés à la date du 14 juin 1993 aux torts exclusifs de la société CTRC, condamne la société CTRC à verser à la société Magie de la Beauté 1.300.000 F de dommages-intérêts, condamne la société Magie de la Beauté à verser à la société CTRC la somme de 281.526,44 F avec intérêts au taux légal à compter du 7 décembre 1993, en deniers ou quittances, condamne la société CTRC à verser au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile 10.000 F à Marie- Josée Kronberg et 25.000 F à la société Magie de la Beauté, rejette toute autre demande, condamne la société CTRC en tous les dépens d'appel ; Admet la SCP Verdun-Gastou, avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.