Cass. com., 24 février 1998, n° 95-20.438
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Prodim (SNC)
Défendeur :
Lebourgeois (Époux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Gomez
Avocat général :
M. Raynaud
Avocats :
Me Pradon, SCP Delaporte, Briard.
LA COUR : - Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Rouen, 28 septembre 1995), que la société Prodim (le franchiseur) a conclu avec les époux Lebourgeois un contrat de franchisage pour l'exploitation d'un magasin à l'enseigne Shopi ; qu'à la suite de la réclamation du paiement de marchandises livrées, la société Prodim a assigné les franchisés ;
Sur le premier moyen pris en ses trois branches : - Attendu que la société Prodim fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande de remboursement des marchandises livrées au franchisé et au paiement d'une indemnité de résiliation alors, selon le pourvoi, d'une part, que la cour d'appel ne pouvait, sans dénaturation de l'accord de franchisage, retenir que les franchisés n'avaient pas pu disposer de la faculté prévue dans l'article 9 de cet accord de demander à un tiers la confirmation ou l'infirmation de l'étude du marché prétendument erronée au motif que le contrat de franchisage n'avait été signé que le 6 mars 1991, le jour de l'ouverture du magasin Shopi par les époux Lebourgeois, tandis que l'accord de franchisage avait été signé le 6 février 1991 et non le 6 mars 1991 ; alors, d'autre part, que les époux Lebourgeois n'ayant pas prétendu dans leurs écritures que la clause de responsabilité de gestion prévue à l'article de l'accord de franchisage ne leur était pas opposable au prétexte que, s'agissant de l'étude de marché effectuée par le franchiseur, ils n'avaient pu user de la possibilité d'en demander à un tiers confirmation ou infirmation, au motif qu'il y avait eu concomitance entre la signature du contrat et l'ouverture du magasin, la cour d'appel ne pouvait retenir ce moyen sans l'avoir invitée au préalable à présenter ses observations ; et alors, enfin, que la cour d'appel ne pouvait décider qu'à la date où l'implantation du magasin était réalisée, les franchisés n'avaient pas reçu l'information préalable qu'ils avaient la faculté de demander à un tiers la confirmation ou l'infirmation de l'étude de marché effectuée par le franchiseur selon les dispositions de l'article 9 de l'accord, qu'en violation des termes de l'accord de franchisage qui stipulait expressément que le franchisé reconnaissait, en tant que de besoin à la conclusion du contrat, avoir eu toutes possibilités de demander à un tiers la confirmation ou l'infirmation de l'étude de marché en cause ;
Mais attendu que l'arrêt retient qu'il est établi que la société Prodim a fourni aux futurs franchisés une étude contenant non seulement des inexactitudes mais encore des résultats fantaisistes supérieurs de près de quarante pour cent à ceux qui pouvaient être effectivement réalisés étant observé qu'elle disposait des informations nécessaires pour la dite étude et qu'au surplus elle a dissimulé volontairement aux futurs franchisés un facteur important tel l'existence d'un centre Leclerc alors que de plus l'extension des grandes surfaces existantes était prévisible ; qu'abstraction faite des motifs surabondants tenant à l'impossibilité pour les époux Lebourgeois de faire vérifier ces informations, la cour d'appel déduisant de ces constatations et appréciations dont il résulte que la société Prodim a méconnu son obligation d'information préalable, a statué ainsi qu'elle a fait sans encourir les griefs du moyen; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen pris en ses trois branches : - Attendu que la société Prodim fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande de remboursement des marchandises livrées aux franchisés et au paiement d'une indemnité de résiliation alors, selon le pourvoi, d'une part, que le jeu de la limitation conventionnelle de responsabilité ne peut être écarté que si le juge relève un comportement d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du débiteur de l'obligation à l'accomplissement de la mission qu'il avait acceptée ; que la cour d'appel n'ayant qualifié que de faute l'erreur commise par elle dans son étude préalable, sans constater les éléments susceptibles de caractériser la faute lourde n'a pu écarter le jeu de la limitation conventionnelle de la responsabilité du franchiseur qu'en privant sa décision de base légale au regard de l'article 1150 du Code civil ; alors, d'autre part, que l'obligation précontractuelle d'information, prévue par l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989, ne pèse que sur la personne qui exige un engagement d'exclusivité ou de quasi exclusivité, que nul ne soutenait qu'un tel engagement ait existé entre les époux Lebourgeois et elle, que la cour d'appel ne l'a pas relevé même si elle a cependant fait peser cette obligation d'information et ses conséquences sur elle, qu'en statuant ainsi elle n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989 ; et alors, enfin, que seule la faute grave et caractérisée du franchiseur dispense le franchisé du paiement de l'indemnité de rupture au contrat de franchise qu'il a provoquée, qu'en se fondant sur une faute précontractuelle du franchiseur sans constater en quoi celui-ci avait incorrectement exécuté le contrat de franchisage pour justifier la résiliation du dit contrat par le franchisé sans obligation pour celui-ci de verser l'indemnité de résiliation prévue au contrat, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1134 et 1184 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant constaté que la société Prodim avait commis une faute volontaire dans son obligation pré-contractuelle d'étude et de renseignement à l'égard des futurs franchisés, l'arrêt retient que cette faute a remis en cause l'économie générale du contrat ;que la cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision ;d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le troisième moyen pris en ses deux branches : - Attendu que la société Prodim fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande de remboursement des marchandises livrées aux franchisés et au paiement d'une indemnité de résiliation et d'avoir ordonné une expertise alors, selon le pourvoi, d'une part, que la cour d'appel ne pouvait sans contradiction, réparer le préjudice des époux Lebourgeois résultant de sa faute alléguée pour les avoir entraînés dans une opération déficitaire, en intégrant le montant des marchandises livrées par elle et non réglé par les époux Lebourgeois, et ordonner une expertise destinée à déterminer le même préjudice résultant des " pertes réalisées, des gains perdus et des dépenses d'investissement effectuées " ; et alors, d'autre part, que la cour d'appel ne pouvait, sans réparer deux fois le même préjudice allégué, tout à la fois la condamner, par intégration des marchandises dues par les franchisés et non réglées dans le préjudice résultant pour eux du fait qu'ils auraient été entraidés par elle dans une opération déficitaire, et la condamner à réparer le préjudice résultant pour les franchises " à raison des pertes réalisées ", à dire d'expert ;
Mais attendu que l'arrêt retient en premier lieu que les franchisés n'avaient commis aucune faute de gestion expliquant le résultat déficitaire de leur fonds de commerce, ce dont il résulte que ce résultat est imputable aux seules fautes commises par la société Prodim, justifiant que le montant des marchandises livrées reste à la charge de la société Prodim, en second lieu que les franchisés avaient subi une perte d'exploitation et un gain manqué résultant de ce que les relations contractuelles n'avaient pas eu la durée raisonnablement escomptée par eux justifiant également que ce préjudice soit réparé ; que c'est donc hors toute contradiction et en réparant les différents préjudices subis que la cour d'appel a statué ainsi qu'elle a fait; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.