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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 1 avril 1998, n° 9703092

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Tourtière de Gascogne Développement (Sté)

Défendeur :

Banque Sofinco, Vallée

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bothorel

Conseillers :

MM. Van Ruymbeke, Poumarede

Avoués :

Mes Cadiou-Nicolle, Guillou, Bourges, d'Aboville, de Moncuit St Hilaire

Avocats :

Mes Weil-Chalbos, Le Porzou, Abegg

T. com. Rennes, du 8 avr. 1997

8 avril 1997

Exposé des faits - Procédure - Objet du recours

Par contrat du 23 mai 1995, Paul Vallée, boulanger pâtissier, a signé avec la société Tourtière de Gascogne Développement un contrat de concession de savoir-faire assorti d'un devis afférent à du matériel technique, à son installation et à sa propre formation, d'un montant global de 68 788 F. Le même jour, Paul Vallée a versé un acompte de 13 788 F. pour le complément, soit 55 000 F, Paul Vallée a signé le même jour une offre préalable de crédit émanant de Sofinco.

Dès le lendemain, Paul Vallée a adressé à la société Tourtière de Gascogne Développement une lettre recommandée pour l'informer qu'après réflexion, il annulait le devis et demandait la restitution de l'acompte. Pourtant le 1er juin 1995, la société Tourtière de Gascogne Développement adressait à Sofinco la demande de financement. La banque, qui a payé la société Tourtière de Gascogne Développement, s'est ensuite retournée contre Paul Vallée.

Par jugement rendu le 8 avril 1997, le tribunal de commerce de Rennes a prononcé la résiliation du contrat et condamné la société Tourtière de Gascogne Développement à se substituer à Paul Vallée, la condamnant à lui rembourser l'acompte et à payer à Sofinco 62 414,18 F, outre les intérêts au taux légal à compter du 10 novembre 1995, ainsi que 5 000 F à Paul Vallée par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par acte du 21 avril 1997, la société Tourtière de Gascogne Développement a formé appel de ce jugement.

Moyens proposés par les parties

A l'appui de son appel, la société Tourtière de Gascogne Développement fait valoir que :

- la loi du 31 décembre 1989, qui prévoit une obligation préalable d'information, ne vise que le cas où le concessionnaire prend un engagement d'exclusivité ou de quasi exclusivité pour l'exercice de son activité, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, puisque Paul Vallée n'a fait que s'adjoindre une activité annexe,

- Paul Vallée a donné son accord le 23 mai 1995.

En conséquence, la société Tourtière de Gascogne Développement demande à la Cour de condamner Paul Vallée à prendre livraison du matériel commandé dans les 8 jours de la signification de l'arrêt sous astreinte de 300 F par jour de retard. Enfin elle réclame 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Paul Vallée fait valoir que :

- le contrat est nul sur le fondement de l'article 1109 du Code civil, faute d'avoir respecté la loi du 31 décembre 1989, qui est applicable en l'espèce puisque le contrat prévoyait une exclusivité partielle,

- subsidiairement, le contrat est nul sur le fondement des articles 1129 et 1131 du Code civil pour indétermination des obligations et pour défaut de contrepartie réelle et sérieuse, et donc de cause, puisque le contrat ne prévoit pas de durée ni d'espace pour l'engagement d'exclusivité qui est ainsi illimité, et puisque, en outre, il ne dispose d'aucune garantie sur l'exclusivité,

- le contrat de prêt est par conséquent également nul, en raison de l'interdépendance et de l'indivisibilité des contrats,

- l'offre de prêt est également nulle puisque l'un des feuillets prévoit la signature de l'emprunteur après exécution des prestations, ce qui n'a pas été le cas, la société Tourtière de Gascogne Développement ayant même indiqué que le matériel avait été livré.

Il conclut à l'annulation des deux contrats et sollicite la restitution de l'acompte, outre les intérêts de droit à compter du 23 mai 1995, ainsi que celle des deux mensualités échues et payées par prélèvement sur son compte, soit 3 179,80 F, outre les intérêts de droit à compter du jour du prélèvement. Il réclame enfin à la société Tourtière de Gascogne Développement et Sofinco 150 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sofinco fait valoir que :

- la déchéance du terme est intervenu faute de règlement des échéances,

- elle est étrangère aux relations entre la société Tourtière de Gascogne Développement et Paul Vallée,

- le prêt a un caractère professionnel et les deux contrats sont indépendants.

Elle demande à la Cour de condamner Paul Vallée à lui payer 58 956,05 F outre les intérêts au taux de 13,98 % à compter du 3 octobre 1995, subsidiairement de confirmer le jugement et, plus subsidiairement, de condamner la société Tourtière de Gascogne Développement à lui rembourser 55 000 F outre les intérêts au taux légal à compter du versement des fonds. Elle réclame enfin à Paul Vallée ou, à défaut, à la société Tourtière de Gascogne Développement 7 000 F par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Motifs de l'arrêt

Considérant qu'il n'est pas contesté que l'offre préalable de crédit a été signé le même jour que le contrat de concession ; qu'il n'est pas contesté non plus que la livraison a été refusée le 30 mai 1995 par Paul Vallée ;

Le contrat principal :

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989, " toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi exclusivité pour l'exercice de son activité est tenue, préalablement à la signature de tout contrat signé dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause " ;

Considérant que le même article prévoit que le document " ainsi que le projet de contrat " doivent être communiqués " 20 jours au minimum avant la signature du contrat ou, le cas échéant, avant le versement de la somme " prévue ;

Considérant qu'en l'espèce le contrat avait pour effet de placer Paul Vallée sous la dépendance économique de la société Tourtière de Gascogne Développement quant à l'activité concédée ; que l'exclusivité est expressément prévue par le contrat qui stipule que le concédant s'interdit de créer " une activité et produit similaires ou approchants même sous une autre marque ou une autre enseigne " ;

Considérant que l'activité concernée, même si elle ne devait pas constituer la seule production de Paul Vallée, devait néanmoins remplir une part importante de son activité, comme l'atteste le montant élevé de l'investissement, et faisait l'objet d'une clause d'exclusivité ; qu'ainsi les dispositions de la loi du 31 décembre 1989 sont applicables au cas d'espèce ;

Considérant que la société Tourtière de Gascogne Développement n'a remis aucun document d'information précontractuel avant la signature du contrat ; que l'absence de tout document, comme de tout délai de réflexion, n'ont pas permis à Paul Vallée de s'engager en connaissance de cause; que le contrat ne comporte aucune précision sur le concédant, qu'il s'agisse de son expérience ou de l'importance de son réseau d'exploitants ; que la société Tourtière de Gascogne Développement a ainsi failli à son obligation de renseignements sur la portée du contrat; qu'aucune information n'a été donnée;

Considérant que les disposition de la loi du 31 décembre 1989 sont d'ordre public; que le contrat est nul ; que la société Tourtière de Gascogne Développement devra en conséquence restituer l'acompte versé par Paul Vallée, outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation qu'il lui a délivrée le 22 mars 1996 ;

Le contrat de prêt

Considérant que la cause de l'obligation de l'emprunteur réside dans la mise à disposition du montant du prêt ; que cependant, le contrat proposé par la société Tourtière de Gascogne Développement à Paul Vallée est un contrat d'adhésion, financé par un contrat de prêt ; que les contrats conclus entre le fournisseur, Paul Vallée et la société de financement constituent une opération globale générant des droits et des obligations interdépendants ; qu'en effet, la société de financement était entrée dans un processus étroit de collaboration avec la société Tourtière de Gascogne Développement, dont les préposés agissaient en qualité de mandataires de la société de crédit ;

Considérant qu'il existait ainsi une entente préalable entre la société Tourtière de Gascogne Développement et Sofinco ; que le représentant de la société Tourtière de Gascogne Développement faisait à la fois signer un contrat principal et le contrat de financement, le second n'ayant d'autre finalité que de financer le premier ; que les contrats étaient ainsi indivisibles, le vendeur et le prêteur agissant de concert ; qu'en outre, la demande de financement, ainsi que l'offre préalable, devaient être adressées au prêteur après livraison du bien ou exécution de la prestation, ce qui n'a pas été le cas, puisque le société Tourtière de Gascogne Développement, bien qu'informée du refus de livraison de Paul Vallée, a adressé le formulaire à Sofinco afin d'obtenir le financement ;

Considérant en conséquence que l'annulation du contrat de vente doit être étendue à celle du contrat de crédit ; que Sofinco devra restituer à Paul Vallée les deux échéances de 1589,90 F chacune, perçues, et qu'elle ne conteste pas avoir prélevées ; que, faute de mise en demeure, les intérêts ne seront dus au taux légal qu'à compter de la signification de l'arrêt ;

Considérant de même que la société Tourtière de Gascogne Développement devra restituer à Sofinco les 55 000 F perçus outre les intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt ;

Considérant qu'il convient en conséquence d'infirmer la décision déférée ; que la société Tourtière de Gascogne Développement, qui échoue en son recours, n'est pas fondée à réclamer le remboursement de ses frais irrépétibles et supportera la totalité des dépens ; qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de Sofinco ses frais irrépétibles ;

Considérant qu'il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de Paul Vallée les sommes exposées par lui et non comprises dans les dépens ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme globale de 15 000 F, que devra supporter la société Tourtière de Gascogne Développement ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Infirme le jugement déféré, Annule les contrats de concession et de financement du 23 mai 1995, Condamne la société Tourtière de Gascogne Développement à restituer à Paul Vallée 13 788 F, outre les intérêts de droit à compter du 22 mars 1996, Condamne Sofinco à restituer à Paul Vallée 3 179,80 F outre les intérêts de droit à compter de la signification du présent arrêt, Condamne la société Tourtière de Gascogne Développement à restituer à Sofinco 55 000 F, outre les intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt, Condamne la société Tourtière de Gascogne Développement à verser à Paul Vallée la somme globale de 15 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société Tourtière de Gascogne Développement à l'ensemble des dépens, ceux d'appel pouvant être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.