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Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 3 avril 1998, n° 96-12632

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Jardin, Bertrand (ès qual.), Résistants (SCI), JVD automobiles (SA), Holding Financière PJ Performances (SARL)

Défendeur :

Groupe Volkswagen France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Desgrange

Conseillers :

Mme Cabat, M. Betch

Avoués :

SCP Roblin Chaix de Lavarene, SCP Barrier Monin

Avocats :

Mes Mihailov, Pariente.

TGI Paris, 5e ch., du 27 mars 1996

27 mars 1996

La SA Groupe Volkswagen France (le concédant) a conclu un contrat de concession avec la SA JVD Automobiles (JVD), aujourd'hui en liquidation judiciaire et valablement représentée à la présente instance par Maître Bertrand ès qualités, contrat qui a été résilié, à la suite d'incidents de paiement, le 5 mai 1993.

Cette rupture a donné lieu à un litige sur son imputabilité et ses conséquences qui a opposé Me Bertrand ès qualités, M. Jardin, dirigeant de la SA JVD Automobiles, la SCI des Résistants, propriétaire des locaux dans lesquels la concession était installée, au concédant.

Sur ce litige, le Tribunal de grande instance de Paris a, par jugement du 27 mars 1996, déclaré irrecevable les interventions de M. Jardin et de la SCI des Résistants, rejeté les demandes présentées par Me Bertrand ès qualités, déclaré irrecevable la demande présentée par le concédant tendant à la fixation de sa créance au passif de la SA JVD, déclaré valable et opposable à cette société la clause de réserve de propriété incluse au contrat de concession et déclaré recevable la demande de restitution de cinq véhicules présentée par le concédant.

Me Bertrand ès qualités, M. Jardin et la SCI des Résistants ont régulièrement interjeté appel de cette décision.

Ils détaillent la teneur des pourparlers et négociations menées entre le concédant et le concessionnaire pour soutenir que le contrat de concession a été conclu dès le 7 novembre 1991, confirmé le 24 juin 1991 par un avenant qui y renvoie expressément de sorte que la SA Volkswagen France n'a pas fourni l'information précontractuelle exigée par les dispositions de la loi du 31 décembre 1989 qui n'a été donnée que postérieurement à l'engagement effectif du concessionnaire. Ils ajoutent que cette information n'a pas été conforme aux exigences légales puisqu'elle a concerné un contrat de durée différente de celui effectivement conclu et, surtout, que le concédant a sciemment masqué la situation financière obérée du Garage Delabie, repris par la SA JVD sur l'insistance du concédant et à partir d'informations erronées sur son état, état que la SA Volkswagen France ne pouvait pas ignorer puisqu'elle avait essuyé de nombreux impayés de la part du Garage Delabie, son ancien concessionnaire.

Ils soulignent que la SA Groupe Volkswagen France a participé à la reprise de cette concession en exposant, sans bonne foi, la SA JVD à en assumer les conséquences, ce, en faisant de la reprise des parts sociales de la SARL Delabie, par la SA JVD, une condition de son agrément, en imposant une augmentation du personnel et des investissements supplémentaires.

Les appelants ajoutent que la résiliation a été abusive dès lors, qu'en outre, la SA Groupe Volkswagen France restait débitrice de différentes sommes compensant largement les impayés allégués, a été empreinte de brutalité puisqu'un accord sur un examen des comptes de la SA JVD avait, peu avant sa date, été trouvé, a été opposé de mauvaise foi pour avoir fait suite à une réduction drastique des concours financiers rendant inéluctables les difficultés de paiement ensuite dénoncées. Ils développent les préjudices ainsi causés tant à la SA JVD qu'à la SCI des Résistants, privée des loyers lui permettant de rembourser ses emprunts et à M. Jardin qui a, en qualité de caution, été personnellement recherché en paiement par les banques.

Me Bertrand, ès qualités demande donc la condamnation de la SA Groupe Volkswagen France au paiement des sommes de 5 000 000 F pour perte de la marge brute durant une année, 1 400 000 F afférents à la perte du fonds de commerce ou subsidiairement à sa condamnation à la prise en charge du passif tel qu'il apparaîtra au terme des opérations de liquidation.

La SCI des Résistants demande la garantie de la SA Groupe Volkswagen France pour les conséquences de la disparition de la concession enfin M. Jardin réclame la garantie de cette même société pour les sommes dont il serait personnellement tenu débiteur en sa qualité de gérant de la SCI ou de caution des sociétés mises en liquidation judiciaire. Enfin, les appelants sollicitent l'allocation d'une somme de 5 000 F au titre des dispositions de l'article 700 du NCPC.

La SA Groupe Volkswagen France leur objecte que deux contrats de concession après informations données ou recueillies entre les parties ont successivement été signés, le premier à durée déterminée, le 13 mars 1992, le second le 24 février 1993 mais que de nombreuses livraisons sont restées impayées.

Elle invoque la non-conformité aux dispositions de l'article 814 du NCPC des interventions volontaires de la SCI des Résistants et de M. Jardin pour en soutenir l'irrecevabilité, irrecevabilité dont elle affirme qu'elle affecte aussi leurs demandes puisque ceux-ci ne justifient pas d'un intérêt à agir ou d'un préjudice distinct de celui de la SA JVD.

Elle fait valoir qu'elle a effectivement remis à cette société, dès le 29 août 1991, un dossier d'information précontractuelle conforme, par son contenu, aux exigences légales ce bien antérieurement, donc, à la date de signature du contrat de concession du 13 mars 1992, contrat qui marque seul l'engagement effectif des parties et dont l'existence et la teneur ne peuvent pas découler, comme le prétendent les appelants, de simples lettres ou pourparlers engagés antérieurement. Elle précise que le rachat du garage Delabie par M. Jardin est intervenu, dès le 3 juillet 1990, ce après que ce dernier ait obtenu du cédant, pour cette cession assortie d'une garantie de passif non mise en œuvre, tous documents comptables et renseignements sur son état financier déterminant le prix de cession et que, dans ces conditions, la SA JVD ne peut pas lui imputer à faute la situation obérée de cet établissement dont le concessionnaire n'a, en tout état de cause, eu connaissance que par la production de son bilan au 30 avril 1990 et qu'il ignorait au moment de son rachat par M. Jardin.

La SA Groupe Volkswagen France précise que l'augmentation de capital de la SA JVD a été demandée, sans succès, dès la fin juillet 1990 et n'a jamais été discutée dans son principe par cette société qui n'a jamais été en mesure d'y procéder ; qu'elle n'a pas été partie à la cession du garage Delabie et que l'agrément du concédant, nécessaire pour la conclusion du contrat de concession, ne suffit pas à prouver la participation telle qu'on la lui reproche sans l'établir, pas davantage que sa mauvaise foi que les appelants invoquent sans la démontrer. Elle reprend la teneur des courriers échangés dès le 17 juillet 1991 pour souligner qu'ils n'ont exprimé que des observations tendant à faire respecter l'orthodoxie financière convenue et non une immixtion fautive dans la gestion de la SA JVD.

Elle fait valoir que la résiliation immédiate du contrat de concession prévue par les dispositions de son article 15-2 a été consécutive au non paiement d'une LCR portant le montant des impayés à 524 009 F, impayés n'ayant donné lieu à aucune proposition d'exécution de son obligation par la SA JVD et qui ont emporté déchéance du terme de l'intégralité des créances détenues sur celle-ci s'élevant à 2 407 378,38 F ce sans que le projet d'un audit des comptes de cette société ne puisse paralyser le jeu de cette clause résolutoire de plein droit.

La SA Groupe Volkswagen France demande la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté les demandes des appelants présentés à son encontre mais demande que sa créance au passif de la SA JVD soit fixée à la somme de 2 408 703,86 F et l'attribution d'une somme de 30 000 F en application des dispositions de l'article 700 du NCPC.

Cela exposé,

Considérant que les demandes présentées par M. Jardin et la SCI des Résistants qui ont été parties en première instance et qui invoquent les préjudices personnels que les fautes reprochées à la SA Groupe Volkswagen France ont pu leur causer doivent être déclarées recevables ;

Considérant qu'il ressort des pièces mises aux débats que deux contrats de concession ont été signés par la SA Groupe Volkswagen France et la SA JVD, l'un le 13 mars 1992, l'autre le 24 février 1993 ;

Considérant que si la SA JVD entend faire découler d'une lettre du 17 juillet 1990 de la SA Groupe Volkswagen France et d'un envoi de celle-ci portant mention " annexe 1991 au contrat de concession " la conclusion entre les parties d'un contrat de concession, dès le 17 juillet 1990, donc sans respect des dispositions de la loi du 31 décembre 1989 sur l'information précontractuelle, force est de retenir que la SA Groupe Volkswagen France justifie avoir transmis, le 29 août 1991, à M. Jardin qui a attesté l'avoir reçu, un dossier d'information précontractuelle comportant tout à la fois, les informations générales sur la SA VAG France, ses bilans pour les exercices 1989 et 1990, l'état et les perspectives du marché national pour le secteur contractuel proposé, les informations sur le réseau des concessions et sur le contrat de concession, la nature et le montant de dépenses et investissements spécifiques aux marques Volkswagen et Audi ;

Considérant qu'aux termes de la loi du 31 décembre 1989, la fourniture de l'information précontractuelle est exigée " préalablement à la signature de tout contrat ", que cette signature, en l'espèce inexistante avant le 13 mars 1992, ne peut pas être déduite, comme le demandent les appelants, d'un simple échange de correspondances exprimant les négociations et pourparlers en cours et n'ayant pas encore abouti à la signature, par les deux parties, d'un contrat dont la teneur effective, les conditions et modalités restaient encore en discussion, sujets à négociations entre elles jusqu'à la signature de l'acte marquant l'accord effectivement constaté de leurs volontés sur les stipulations que ce contrat devait contenir;

Considérant, pour ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, que l'argumentation développée par les appelants sur le défaut de fourniture de l'information précontractuelle ou sur sa fourniture postérieurement à l'engagement effectif du concessionnaire est à rejeter étant précisé que celle-ci par son contenu, tel que précédemment rapporté, a été conforme aux dispositions de la loi du 31 décembre 1989 et de son décret d'application;

Considérant qu'il ressort des pièces mises aux débats que la cession des parts du garage Delabie à M. Jardin est intervenue dès le 3 juillet 1990 soit avant toute signature des contrats de concession litigieux et que la SA Groupe Volkswagen France n'a pas été partie à cette cession de parts; qu'il appartenait à M. Jardin et à lui seul, de s'assurer de la situation comptable et financière de cet établissement commercial, situation déterminant, pour lui, le prix de cession des parts et stipulé avec garantie de passif dont il ne justifie pas avoir demandé le jeu ;

Considérant que l'agrément exigé du concédant à cette cession de parts ne suffit pas à lui seul à en faire une partie à ce contrat ;

Considérant qu'il ressort en outre des documents produits que ce n'est que le 23 octobre 1991 que la SA Groupe Volkswagen France a eu connaissance, tout comme M. Jardin, de la perte de 941 000 F constatée au bilan de la société Delabie établi au 30 avril 1991 ; que la mauvaise foi de la SA Groupe Volkswagen France, alléguée par les appelants, n'est démontrée par aucune des pièces qu'ils produisent et qu'elle ne peut pas être tirée du simple récit qu'ils fournissent, unilatéralement, des rapports qu'ils ont eu avec elle ;

Considérant que si les appelants invoquent encore une immixtion fautive de la SA Groupe Volkswagen France dans la gestion de la SA JVD en ce qu'elle aurait exigé une augmentation de capital, du personnel et des investissements supplémentaires, il y a lieu de relever sur ces points que l'augmentation de capital a été préconisée, sans succès, par le concessionnaire [concédant] dès le 17 juillet 1990, confirmé en mai 1991 sans appeler de la part de M. Jardin, se déclarant alors prêt à y procéder, de contestation particulière ; que la confirmation à celui-ci d'une insuffisance quantitative, qualitative du personnel et la nécessité d'une mise en place d'un outil informatique n'ont été que des recommandations sans rapport avec une modification substantielle des conditions initiales, dénoncée comme abusivement imposée au concessionnaire ;

Considérant que M. Jardin et la SA JVD ne peuvent valablement imputer à la SA Groupe Volkswagen France d'avoir refusé que les investissements immobiliers puissent être financés à partir de fonds propres de la société et donc par une réduction de son capital alors que celui-ci était déjà reconnu insuffisant ;

Considérant pour ces motifs et ceux non contraires des premiers juges que l'intégralité de l'argumentation développée sur ces points par les appelants est à rejeter ;

Considérant que la résiliation du contrat de concession a fait suite à un défaut de paiement d'une LCR de 42 495,20 F portant le montant des impayés à 524 009,36 F, état de fait entraînant, selon l'article 15-2 du contrat de concession, clause conforme tant au droit interne qu'au droit communautaire, la résiliation de plein droit et avec effet immédiat du contrat de concession ce alors surtout que la SA JVD n'a jamais proposé d'exécuter son obligation de paiement;

Considérant que cette résiliation a emporté, selon les dispositions de l'article 16 paragraphe 2 du contrat de concession, déchéance du terme de l'intégralité des créances détenues par la SA Groupe Volkswagen France sur la SA JVD dont le montant s'élève, selon les justificatifs comptables remis et non valablement contestés par les appelants, à la somme de 2 407 378,38 F ;

Considérant que le fait que les parties aient pu envisager un audit des comptes de la SA JVD peu avant l'application de la clause résolutoire de plein droit est insusceptible de rendre l'application de celle-ci abusive ; qu'il n'est justifié ni de la réduction fautive des concours accordés ni des conséquences de cette réduction, compte tenu de l'état financier déjà présenté par la SA JVD qui se révélait dans l'incapacité de faire face à ses engagements tant commerciaux que bancaires ; que dans ces conditions la résiliation du contrat de concession a été justifiée par le défaut de respect par la SA JVD de ses obligations etque les demandes présentées par les appelants doivent donc être rejetées;

Considérant qu'il y a lieu, pour les motifs sus énoncés, d'ordonner l'inscription au passif de la SA JVD d'une créance de la SA Groupe Volkswagen France d'un montant de 2 048 703,38 F ; que l'équité ne commande pas l'attribution à l'une des parties d'une somme au titre des frais irrépétibles de première instance ou d'appel ;

Par ces motifs : LA COUR : Déclare recevable l'appel de Maître Bertrand ès qualités, de M. Jardin et de la SCI des Résistants ; Déclare recevables les demandes présentées par la SCI des Résistants et par M. Jardin ; Statuant dans les limites de sa saisine telle qu'elle résulte des écritures des parties ; Rejette l'intégralité des demandes présentées par Maître Bertrand ès qualités, la SCI des Résistants et M. Jardin à l'encontre de la SA Groupe Volkswagen France ; Fixe la créance de la SA Groupe Volkswagen France au passif de la SA JVD à 2 048 703,38 F ; Rejette toutes demandes autres ou contraires aux motifs ; Condamne Maître Bertrand ès qualités au paiement des dépens de première instance et d'appel qui seront pris en frais privilégiés de liquidation et admet, pour ceux d'appel l'avoué concerné au bénéfice des dispositions de l'article 699 du NCPC.