CJCE, 1re ch., 30 avril 1998, n° C-215/97
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bellone
Défendeur :
Yokohama (SPA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Wathelet
Rapporteur :
M. Jann
Avocat général :
M. Cosmas
Conseillers :
M. Antonio Caeiro, Mme Pignataro
LA COUR (première chambre),
1. Par ordonnance du 16 avril 1997, parvenue à la Cour le 9 juin suivant, le Tribunale di Bologna a posé, en application de l'article 177 du traité CE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de la directive n° 86-653-CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants (JO L 382, p. 17, ci-après la " directive ").
2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant Mme Bellone à Yokohama SpA (ci-après " Yokohama ").
3. Il ressort du dossier au principal que Mme Bellone a exercé l'activité d'agent commercial au bénéfice de Yokohama en vertu d'un contrat d'agence conclu entre les parties. Après la résiliation du contrat par Yokohama, Mme Bellone a réclamé le paiement de diverses indemnités.
4. Saisi en première instance, le Pretore di Bologna a rejeté les demandes de Mme Bellone, au motif que le contrat d'agence était nul en raison du défaut d'inscription de cette dernière, au moment de la conclusion du contrat, au registre des agents et représentants de commerce, enregistrement qui est obligatoire en vertu de l'article 2 de la loi italienne n° 204, du 3 mai 1985 (GURI n° 119, du 22 mai 1985, p. 3623).
5. Cette disposition prévoit la création auprès de chaque chambre de commerce d'un registre des agents et représentants de commerce, auquel " doit s'inscrire quiconque exerce ou entend exercer l'activité d'agent ou de représentant de commerce ".
L'article 9 de la loi n° 204 " interdit à toute personne non inscrite au registre visé par la présente loi d'exercer l'activité d'agent ou de représentant de commerce ".
6. Selon la juridiction de renvoi, la jurisprudence italienne considère que le contrat d'agence conclu par une personne non inscrite au registre en cause est nul pour violation de la règle impérative établie à l'article 9 de la loi n° 204 et qu'une telle personne ne peut pas réclamer en justice les commissions et indemnités relatives à l'activité qu'elle a exercée.
7. Saisi sur appel de Mme Bellone, le Tribunale di Bologna a estimé qu'un problème de droit communautaire se posait dans la mesure où les règles nationales en cause au principal, qui subordonnent les droits des agents à l'obligation de s'inscrire au registre prévu à cet effet, pourraient s'avérer incompatibles avec la directive qui ne prévoit pas l'institution d'un tel registre. Il a notamment relevé que l'article 1er de la directive caractérise " l'agent commercial " par rapport à l'activité exercée, sans requérir de mesures d'application administrative particulières.
8. C'est dans ces circonstances que la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
" La directive 86-653-CEE est-elle compatible avec les articles 2 et 9 de la loi interne italienne n° 204 du 3 mai 1985, qui subordonnent la validité des contrats d'agence à l'inscription des agents de commerce sur un registre prévu à cet effet ? "
9. Par cette question, la juridiction de renvoi demande en substance si la directive s'oppose à une réglementation nationale qui subordonne la validité d'un contrat d'agence à l'inscription de l'agent de commerce sur un registre prévu à cet effet.
10. Il y a lieu de constater, à titre liminaire, que la directive vise à harmoniser le droit des Etats membres en ce qui concerne les rapports juridiques entre les parties à un contrat d'agence commerciale. En vertu de son article 22, les Etats membres devaient s'y conformer avant le 1er janvier 1990. Quant aux obligations découlant de son article 17, la République italienne était autorisée à prendre les mesures de transposition jusqu'au 1er janvier 1993.
11. Il est constant que la directive ne traite pas de la question de l'inscription de l'agent commercial sur un registre. Bien que, selon les indications de la Commission, lors des travaux préparatoires ayant précédé l'adoption de la directive, l'instauration générale d'un registre d'agents ait été proposée par le Comité économique et social, pour des raisons de sécurité juridique, cette proposition n'a pas été maintenue dans la rédaction finale de la directive. Il est donc laissé au soin des Etats membres d'imposer, s'ils l'estiment opportun, l'inscription sur un registre prévu à cet effet pour répondre à certains besoins administratifs. En effet, ainsi que l'a relevé M. l'Avocat général au point 32 de ses conclusions, une inscription des agents commerciaux sur un registre est prévue par un certain nombre d'ordres juridiques des Etats membres.
12. Cependant, le droit national en cause au principal non seulement exige l'inscription de tout agent commercial audit registre, mais également subordonne la validité du contrat d'agence à ladite inscription, avec pour conséquence que l'agent qui n'est pas inscrit est privé d'une protection juridique contractuelle, en particulier après la cessation des relations entre les parties. Il convient dès lors d'examiner si l'exigence de l'inscription aux fins de la validité du contrat est compatible avec la directive.
13. A cet égard, il y a lieu de rappeler, tout d'abord, que la directive vise la protection des personnes qui, aux termes de ses dispositions, possèdent la qualité d'agent commercial. Selon son article 1er, paragraphe 2, cette qualité est reconnue à " celui qui, en tant qu'intermédiaire indépendant, est chargé de façon permanente, soit de négocier la vente ou l'achat de marchandises pour une autre personne ... soit de négocier et de conclure ces opérations au nom et pour le compte du commettant ". L'inscription sur un registre ne figurant pas comme condition pour bénéficier de la protection de la directive, il en découle que le bénéfice de la protection de la directive n'est pas subordonné à l'inscription sur un registre.
14. S'agissant ensuite de la forme du contrat d'agence, l'article 13, paragraphe 2, de la directive, qui s'insère dans le chapitre IV, intitulé " Conclusion et fin du contrat d'agence ", permet aux Etats membres de " prescrire qu'un contrat d'agence n'est valable que s'il est constaté par écrit ". Il en résulte, d'une part, que la directive part du principe que le contrat n'est soumis à aucune forme, tout en laissant aux Etats membres la faculté d'exiger la forme écrite. D'autre part, ainsi que la Commission l'a souligné et que M. l'Avocat général l'a relevé au point 37 de ses conclusions, le législateur communautaire, en ne mentionnant limitativement que l'exigence d'un écrit pour la validité du contrat, a, par cette disposition, réglementé de manière exhaustive la matière. En dehors de la rédaction d'un écrit, les Etats membres ne peuvent donc exiger aucune autre condition.
15. Cette conclusion est confirmée par le fait que la directive, chaque fois qu'elle laisse aux Etats membres la faculté de déroger à ses dispositions, le mentionne expressément (voir, notamment, les articles 2, paragraphe 2, 7, paragraphe 2, second alinéa, 12, paragraphe 4, 15, paragraphe 3, 16, 20, paragraphe 4, et 21). Si l'article 13, paragraphe 2, de la directive laisse donc aux Etats membres pour seule faculté de prévoir la forme écrite, il s'ensuit que d'autres dérogations au principe de la liberté de la forme sont contraires à la directive. L'inscription de l'agent sur un registre ne saurait donc être retenue comme condition de validité du contrat.
16. Cette interprétation de la directive est encore corroborée par le fait, déjà mentionné, que, lors des travaux préparatoires, la question de l'inscription de l'agent sur un registre avait été abordée, sans toutefois avoir été retenue, puisque l'inscription n'avait pas été considérée comme étant nécessaire pour que l'agent puisse bénéficier de droits en vertu de la directive.
17. Par ailleurs, il ressort des premier et deuxième considérants de la directive que celle-ci vise entre autres la suppression des restrictions à la liberté d'établissement. Or, bien que la pratique italienne semble ne pas appliquer la condition de l'inscription au registre aux agents étrangers, il n'en reste pas moins que les dispositions nationales en cause au principal, qui sont formulées de manière générale, englobent également les relations d'agence entre parties établies dans des Etats membres différents. Elles sont cependant de nature à gêner sensiblement l'établissement et le fonctionnement de contrats d'agence entre parties dans des Etats membres différents et sont dès lors également, sous cet aspect, contraires aux finalités de la directive.
18. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de répondre que la directive s'oppose à une réglementation nationale qui subordonne la validité d'un contrat d'agence à l'inscription de l'agent de commerce sur un registre prévu à cet effet.
Sur les dépens
19. Les frais exposés par la Commission, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (première chambre),
Statuant sur la question à elle soumise par le Tribunale di Bologna, par ordonnance du 16 avril 1997, dit pour droit :
La directive 86-653-CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants, s'oppose à une réglementation nationale qui subordonne la validité d'un contrat d'agence à l'inscription de l'agent de commerce sur un registre prévu à cet effet.