CA Rouen, 2e ch. civ., 14 mai 1998, n° 96-03424
ROUEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Delamare
Défendeur :
BTR Valves (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Credeville
Conseillers :
MM. Perignon, Dragne
Avoués :
Me Couppey, SCP Colin-Voinchet-Radiguet
Avocats :
Mes Rey-Dubois, Malexieu.
FAITS ET PROCEDURE
Monsieur Delamare a conclu avec la société BTR Valves un contrat d'agent commercial le 3 novembre 1992, sa mission consistant à promouvoir les produits de son mandant, à étudier les caractéristiques du marché et à développer la clientèle.
En juin 1994, la société BTR Valves a suspendu le paiement des commissions qu'elle devait à Monsieur Delamare.
Le 19 janvier 1995, Monsieur Delamare a assigné le paiement des commissions en référé aux fins de paiement de ses commissions.
Le 30 janvier 1995, la société BTR Valves a été condamnée à payer à Monsieur Delamare à titre provisionnel la somme de 8 721 35 F outre 1 500 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Puis le 28 avril 1995, Monsieur Delamare a demandé la résiliation du contrat d'agent commercial aux torts de la société BTR Valves pour défaut de paiement des commissions et la condamnation de cette dernière à lui régler la somme de 4 616,48 F TTC à titre de préavis, celle de 31 139,87 F à titre d'indemnité compensatrice, ainsi que celle de 5 930 F TTC par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile outre les entiers dépens de l'instance, le tout avec exécution provisoire.
La société BTR Valves a versé les commissions réclamées mais demandé le rejet de l'intégralité des prétentions de Monsieur Delamare en précisant que ce dernier était à l'origine de la rupture du contrat d'agent commercial.
Le tribunal de commerce de Rouen, par jugement du 17 juin 1996, a constaté que la société BTR Valves avait commis une faute en gelant le versement des commissions dues à Monsieur Delamare mais que l'agent en avait également commis une en ne respectant pas les stipulations contractuelles à savoir donner des informations sur le marché dont il avait la charge.
Le tribunal de commerce a condamné la société BTR Valves à verser la somme de 4 616,48 F au titre d'une indemnité de préavis mais rejeté l'attribution d'une indemnité compensatrice tant en raison de la faute commise par Monsieur Delamare que de l'absence de preuve justifiant son intention de continuer à entretenir des relations commerciales avec son mandant puisqu'il n'y a eu aucune augmentation de clientèle pendant la durée du contrat.
Monsieur Delamare a interjeté appel pour voir :
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Rouen du 17 juin 1996 en ce qu'il a dit que la responsabilité de la rupture du contrat est à mettre à la charge de la société BTR Valve,
- le confirmer en ce qu'il a condamné la société BTR Valves à régler une somme de 4 616,48 F et le rectifier en ce qu'il a qualifié cette somme d'indemnité de résiliation alors qu'il s'agit de l'indemnité de préavis prévue par la loi,
- réformer pour le surplus le jugement du tribunal,
- dire et juger que seule l'existence d'une faute grave exonérerait le commettant responsable de la rupture du paiement de l'indemnité compensatrice et que cette indemnité doit être calculée en fonction du préjudice subi et non pas de l'augmentation en nombre et en valeur de la clientèle,
- en conséquence condamner la société BTR Valves à lui régler à titre d'indemnité compensatrice la somme de 36 139,87 F,
- dire que les indemnités de préavis et l'indemnité compensatrice porteront intérêts de droit à dater de l'assignation du 8 avril 1995 constituant mise en demeure avec le bénéfice de l'article 1154 du Code civil,
- condamner la société BRT Valves à régler 6 030 F TTC en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société BTR Valves a conclu, vu la loi du 25 juin 1991, vu les articles 1992 et 1993 du Code civil, vu le contrat du 3 novembre 1992, pour voir :
- réformer le jugement du tribunal de commerce du 17 juin 1996 en ce que Monsieur Antoine Delamare n'a pas respecté les obligations tant légales que contractuelles lui incombant en qualité d'agent commercial,
- en conséquence dire et juger que Monsieur Antoine Delamare est à l'origine de la rupture du contrat d'agent commercial du 3 novembre 1992,
- constater la résolution du contrat d'agent commercial aux torts de Monsieur Delamare,
- le débouter de l'intégralité de ses demandes,
- confirmer le jugement entrepris sur l'allocation d'une indemnité de préavis qui ne saurait être accordée compte tenu des stipulations contractuelles,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Monsieur Antoine Delamare de son indemnité compensatrice du préjudice subi,
- à titre reconventionnel, condamner ce dernier à lui verser la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts,
- le condamner enfin à payer la somme de 10 000 F en vertu des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce :
Sur l'imputabilité de la rupture :
Attendu que le contrat d'agent commercial a été conclu le 3 novembre 1992 ;
Attendu que dans son article 3 le contrat prévoit qu' " il est conclu pour une période de trois années. Il sera renouvelable pour des périodes d'un an par notification écrite de chacune des parties à l'autre, six mois avant l'expiration de la date d'échéance du contrat et trois mois au moins avant l'expiration de chaque période annuelle de renouvellement " ;
Attendu à cet égard que la suspension du paiement des commissions en juin 1994 ne peut valoir dénonciation du contrat à l'initiative de la société BTR Valves puisque selon cette dernière cette démarche avait pour but de faire pression sur son agent pour obtenir des renseignements ;
Attendu que le fait de se soustraire au paiement des commissions dues, en l'absence de preuve que leur paiement était subordonné à l'exécution d'un devoir d'information indépendant de l'enregistrement des commandes dans la mesure où la société n'avance pas avoir demandé " les informations aussi complètes que possibles sur les actions promotionnelles, les caractéristiques du marché, les affaires potentielles " telles que prévues à l'article 4 paragraphe e du contrat, constitue un comportement fautif grave de la part de la société à qui il appartenait, si elle estimait la rupture inévitable d'exercer son droit de mettre fin au contrat en dehors de la période contractuelle prévue à l'article 3 ;
Qu'ainsi la rupture à l'initiative de Monsieur Delamare est imputable à la société BTR Valves ;
Sur l'indemnité compensatrice du préjudice subi :
Attendu que selon l'article 12 de la loi n° 91-593 du 25 juin 1991 " en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi " ;
Que ce préjudice constitué par la perte des commissions sur lesquelles il pouvait légitimement compter est subordonné à l'absence de faute grave de l'agent commercial ;
Attendu que Monsieur Delamare réclame à ce titre une somme de 31 139,87 F avec les intérêts de droit à compter de l'assignation du 18 avril 1995 et leur capitalisation en application de l'article 1154 du code civil ;
Attendu que la société BTR Valves prétend que Monsieur Delamare n'a pas accru la clientèle d'ailleurs préexistante à son début d'activité ; que le tribunal a relevé que Monsieur Delamare n'apportait aucune preuve d'un apport de clientèle au profit de la société BTR Valves pendant la durée du contrat du 3 novembre 1992 ;
Attendu cependant que le préjudice que subit l'agent est la perte pour l'avenir des commissions qu'il était en droit d'escompter sur les affaires qu'il traitait avec la clientèle peu important, à ce égard, que l'agent n'ait fait qu'exploiter une clientèle déjà existante ;
Attendu, en application de l'article 1154-1 du Code civil, qu'il y a lieu compte tenu du caractère indemnitaire de la présente allocation d'allouer les intérêts de droit depuis le jugement et d'en ordonner la capitalisation, puisqu'ils sont dus pour plus d'une année ;
Sur l'indemnité de préavis :
Attendu que selon l'article 11 alinéa 2 de la loi n° 91-593, lorsque le contrat est à durée indéterminée, chacune des parties peut y mettre fin moyennant un préavis ; que ces règles s'appliquent au contrat à durée déterminée qui, du fait de la poursuite de son exécution par les deux parties après son terme, est devenu un contrat à durée indéterminée ;
Quetoutefois ces dispositions ne s'appliquent pas lorsque le contrat prend fin en raison d'une faute grave de l'une des parties;
Attendu qu'aux termes de l'article 3 du contrat d'agent commercial du 3 novembre 1992, la convention a été conclue pour une période de trois années ; qu'il s'agit d'un contrat à durée déterminée qui n'impose pas le respect d'une obligation de préavis dès lors que la demande de résiliation du contrat est intervenue le 8 avril 1995 pendant la durée déterminée du contrat ;
Qu'ainsi la décision du tribunal doit être infirmée en ce qu'elle a fait droit à la demande en paiement de l'indemnité de préavis ;
Sur la demande reconventionnelle de la société BTR Valves en paiement d'une somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts pour le préjudice né de l'inexécution de l'obligation contractuelle d'information relevée ci-dessus :
Qu'il résulte des différents courriers valant mise en demeure de respecter cette obligation, versés aux débats, que Monsieur Delamare n'a exécuté que difficilement les termes du contrat du 3 novembre 1992 ;
Que faute de transmission des différentes informations prévues, la société BTR n'a pas eu les éléments nécessaires à l'amélioration de son action vis à vis de la clientèle existante ou éventuelle ; qu'il en est résulté un préjudice qu'en l'absence d'éléments plus précis il y a lieu de limiter à 10 000 F ;
Attendu compte tenu des conditions de l'espèce qu'aucune considération d'équité ne justifie l'octroi d'une somme au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile mais commande que soit laissée à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;
Par ces motifs, Confirme le jugement du tribunal de commerce du 17 juin 1996, sauf à dire que l'indemnité de préavis n'est pas due et que la société BTR Valves devra verser à Monsieur Delamare à titre d'indemnité compensatrice une somme de 31 139,87 F avec intérêts de droit à compter du 18 avril 1995. Ordonne la capitalisation des intérêts dus sur la somme de 31 139,87 F. Reçoit la demande reconventionnelle de la société BTR Valves ; dit que Monsieur Delamare lui doit une somme de Dix mille Francs (10 000 F) à titre de dommages et intérêt. Rejette les autres demandes. Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens et accorde aux avoués de la cause le droit de recouvrement direct selon l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.