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Décisions

CA Agen, 1re ch., 25 mai 1998, n° 96001694

AGEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Gifi Distribution (SA)

Défendeur :

Raynaud (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fourcheraud

Conseillers :

M. Sabron, Mme Thibault

Avoués :

Mes Burg, Brunet

Avocats :

Mes Poujade-Favel, Casanova.

T. com. Agen, du 25 oct. 1996

25 octobre 1996

Selon deux bons de commande datés du 4 mai 1994, la société Gifi Distribution, centrale d'achat approvisionnant la soixantaine de sociétés à l'enseigne Gifi qui dépendent du Groupe Philippe Ginestet, a passé commande auprès de la société l'Occitanerie JLFP de divers objets décoratifs fabriqués à l'aide de fleurs séchées dont celle-ci assurait la fabrication et la commercialisation.

La commande a été faite par l'envoi de deux bons de commande type portant chacun l'énumération et le prix unitaire des objets, un bon n° 1 comportant la mention manuscrite " à répartir sur 24 magasins " et un bon n° 2 portant la mention " à répartir sur 35 magasins : le total du prix des objets énumérés sur l'un et l'autre de ces bons, non précisé, s'élevait respectivement à 9.624 F (bon n°1) et 21.406 F (bon n° 2).

L'envoi des deux bons de commande ainsi libellés était accompagné d'une lettre manuscrite rédigée par un responsable de la société Gifi précisant que la commande était " à livrer impérativement dans les magasins avant le 15 du mois en tenant compte des types 1 et 2 " ;

Conformément aux conditions qui avaient été définies par un courrier de la société l'Occitanerie en date du 1er avril 1994 les deux commandes spécifiaient une remise de 5 % et un franc de port " magasin ".

Le paiement devait être effectué par traite à 30 jours fin de mois le 10.

Le 15 mai 1994 des factures ont été établies au nom de chaque magasin livré mais à l'adresse de la société Gifi Distribution.

Le 22 juillet 1995 la société Gifi Distribution a adressé à la SARL l'Occitanerie un courrier dans lequel, faisant allusion à une réclamation téléphonique selon elle non justifiée, elle prétendait que cette société avait commis une erreur en multipliant chacune des deux commandes par le nombre de magasins alors que, selon les mentions manuscrites figurant sur le bon, les objets énumérés auraient dû être répartis entre les magasins, c'est-à-dire divisés.

Par deux courriers recommandés du 30 septembre 1994 et 18 janvier 1995 elle a fait savoir à son fournisseur que les objets excédentaires stockés dans son dépôt devaient être récupérés par celui-ci.

Entretemps, alors que la société l'Occitanerie avait été mise en liquidation judiciaire par décision du tribunal de commerce de Montluçon en date du 2 septembre 1994, une cession de créance portant sur 24 des facturations faites auprès des magasins Gifi, d'un montant total de 238.405,51 F a été consentie à la société Générale au moyen d'un bordereau conforme aux dispositions de la loi du 2 janvier 1981 modifiée.

La société Générale a notifié la cession le 8 septembre à la société Gifi Distribution laquelle lui révélait par courrier du même jour le différend qui l'opposait à la société cédante.

La banque a adressé le 26 septembre 1994 au liquidateur de la société l'Occitanerie, Maître Raynaud, sa déclaration de créance dans la procédure collective pour ladite somme de 238.405,51 F.

Par acte du 29 juin 1995, Maître Raynaud, ès qualité, a fait assigner la société Gifi Distribution devant le tribunal de commerce d'Agen pour obtenir paiement de la somme de 729.604,11 F représentant le prix des marchandises livrées et celui d'une indemnité de 5.000 F au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par jugement du 25 octobre 1996 dont la société Gifi a relevé appel dans des conditions de forme et de délai non contestées, le tribunal a accueilli l'intégralité de ces demandes.

Devant la Cour, la société appelante se prévaut du sens littéral de la mention " à répartir sur " le nombre de magasins : elle soutient que les conditions définies dans la lettre de la société Occitanerie du 1er avril 1994 étaient relatives à un courant d'affaires que les parties souhaitaient établir pour l'année en cours, au moyen de commandes successives, mais que la commande litIgieuse était destinée à tester l'impact qu'aurait la marchandise auprès de la clientèle des magasins du groupe.

Subsidiairement elle objecte qu'elle n'est intervenue qu'en tant que mandataire des sociétés du groupe auxquelles ont été adressées les factures : le liquidateur serait de la sorte irrecevable en sa démarche formée contre la centrale d'achat.

La société Gifi Distribution estime par ailleurs que la preuve des livraisons alléguées n'est pas rapportée, tout au moins pour l'intégralité puisque le total des factures produites par Maître Raynaud s'élève à 231.942,39 F, somme inférieure au montant de la cession des créances.

Exposant que la société l'Occitanerie avait reconnu son erreur téléphoniquement et qu'il avait été convenu de laisser en dépôt-vente dans les magasins un certain nombre d'objets, elle fait valoir en outre que des règlements ont été effectués à hauteur de 144.400,89 F par les sociétés du groupe au profit de la société générale.

Elle estime qu'à supposer le liquidateur recevable à recouvrir le montant des créances cédées, ce qu'elle conteste, ladite somme de 144.400,89 F versée à la société cessionnaire devrait en tout état de cause être retranchée du montant de la demande.

Enfin, dans des conclusions responsives déposées le 2 octobre 1997 elle fait état d'un règlement opéré le 6 décembre 1994 par la société Distri Montluçon d'une facture n° 94105 d'un montant de 26.909,15 F.

Concluant au débouté des demandes la société appelante réclame à titre reconventionnel une indemnité de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Maître Raynaud conclut à la confirmation de la décision déférée ;

Il fait valoir comme l'ont retenu les premiers juges que les conventions doivent être interprétées à la lumière des indications qui ont accompagné les bons de commande et que l'interprétation adoptée par la Société appelante pour les besoins de la cause n'aurait pas eu de sens au regard de la valeur des deux commandes types dont le total n'est que de 31.024 F, comparée au nombre de magasins à livrer.

Il ajoute que la Société Gifi Distribution n'a jamais contesté les livraisons et que, ayant agi en tant que commissionnaire pour le compte des sociétés du groupe, elle s'est engagée personnellement, sans faire état d'une qualité de mandataire.

Maître Raynaud expose que, comme l'a jugé le Tribunal, le liquidateur a qualité en vertu des dispositions de l'article 148-3 de la loi du 25 janvier 1985 pour agir pour le compte de l'ensemble des créanciers qui ont produit dans la procédure collective parmi lesquels la Société Générale.

Estimant que l'appelante ne rapporte pas la preuve des paiements allégués à hauteur de 144.400 F, il réclame le paiement de la somme obtenue en première instance, déduction faite toutefois de celle de 26.909,15 F qu'après vérification il reconnaît avoir perçu de la société Distri Montluçon en règlement de la facture n° 94105.

Maître Raynaud sollicite le versement d'une indemnité de 30.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur quoi, LA COUR :

Le Tribunal a relevé à juste titre que le nombre des objets énumérés dans les deux commandes types n'était pas divisible et qu'en l'absence d'indication de la part de la Société Gifi, signataire des bons de commande, sur la manière dont repartir lesdits objets entre les magasins, la convention n'avait guère de sens si on l'interprétait comme le fait cette dernière.

Le courrier de la Société Gifi accompagnant des bons de commande, dénommés " commandes magasins type 1 et type 2 ", invite le fournisseur à livrer la marchandise dans les magasins " en tenant compte des types 1 et 2 " ce qui paraît signifier, comme l'observe le liquidateur, que les deux bons définissaient des échantillonnages de produits susceptibles d'être vendus dans un rayon, destinés à chacun des magasins.

La lettre du 1er avril 1994 par laquelle la Société L'Occitanerie a formulé ses propositions concernant la transaction projetée fait mention d'une remise de 5 % et d'un franco de port à 3.000 F par magasin dont l'offre par le fournisseur n'aurait guère été concevable si elle avait concerné une commande globale de 30.000 F composée de menus objets en nombre limité à diviser entre la soixantaine de magasins du groupe.

Les objets, selon la lettre d'accompagnement de la commande, devaient être livrés impérativement avant le 16 mai et les factures produites par le liquidateur sont datées du 15 mai ; celles-ci ont été établies au nom de chaque magasin mais à l'adresse de la Société Gifi Distribution auteur de la commande.

La réalité de la livraison n'a jamais été contestée puisqu'au contraire c'est un excédent qui, dans sa lettre du 22 juillet 1994, la Société appelante a prétendu dénoncer.

Cette lettre est postérieure de plus de deux mois à la livraison des marchandises et à la réception des factures par la Société appelante qui n'a adopté la position actuelle qu'à la suite d'une réclamation téléphonique du règlement évoqué dans ladite lettre.

Dans un fax daté du 5 juillet 1994, antérieur à la lettre sus-indiquée, la Société Gifi Distribution, en contradiction avec sa version actuelle, a invité son fournisseur à adresser directement ses factures à quatre des magasins du groupe dont les responsables tenaient eux-mêmes leur comptabilité ;

Les termes de ce courrier signifient que la Société appelante estimait alors normales les conditions dans lesquelles les marchandises avaient été livrées et facturées, c'est-à-dire autant de fois que le nombre de magasins figurant sur les bons de commande ;

Les Premiers Juges ont en conséquence à bon droit estimé, dans la mesure où les éléments d'appréciation ci-dessus examinés permettaient de déterminer quelle avait été la commune intention des parties, que nonobstant le sens littéral du mot répartis, les deux bons de commande énumérant des marchandises " à répartir sur les magasins " concernaient des marchandises types, d'ailleurs intitulées comme telles, dont l'exécution devait être reproduite autant de fois qu'il était mentionné de magasins.

La commande a été faite par la Société Gifi Distribution sans aucune indication de la qualité de mandataire qu'elle invoque aujourd'hui ; le fait que les livraisons aient été faites dans les magasins du groupe et que les factures, bien qu'elles mentionnent l'adresse de la Société appelante, aient été établies au nom de ces derniers relèvent des modalités d'exécution de la convention ; elles n'ont pas d'incidence sur l'identité des parties qui se sont engagées ;

Toutes les correspondances échangées avec la Société Occitanerie, antérieures ou postérieures à la commande, émanent d'ailleurs de la Société Gifi Distribution qui continue d'y apparaître comme l'unique CCO-contractant de fournisseur.

Bien que la Société appelante, centrale d'achat ayant pour rôle d'approvisionner les sociétés du groupe, ait agi pour le compte de celles-ci, elle a établi les bons de commande en son propre nom et s'est de la sorte engagé personnellement, en tant que commissionnaire au sens de l'article 94 du Code de commerce.

Le Tribunal a observé à juste titre qu'aux termes de l'article 148-3 de la loi du 25 janvier 1985 le liquidateur peut introduire les actions qui relèvent de la compétence du représentant des créanciers dont il exerce les missions.

Maître Raynaud est par conséquent recevable à agir pour le recouvrement de la partie de la créance cédée à la Société Générale, laquelle a produit le 26 septembre 1994 dans la liquidation judiciaire de la SARL L'Occitanerie, restée garant solidaire des créances cédées en tant que signataire de l'acte de cession (article 1er 1 de la loi du 2 janvier 1981 modifiée).

Pour preuve de ce qu'une partie des créances cédées à la Société Générale a été réglée à celle-ci à hauteur de 144.400,89 F, la société appelante qui conclut subsidiairement à la déduction de cette somme produit les pièces suivantes :

- une lettre qu'elle a adressée le 23 novembre 1994 à la Société Générale dans laquelle elle indique régler ce jour la part correspondant aux quantités qui avaient pu être vendues, " le restant se trouvant en attente de reprise par l'Occitanerie " ;

- un relevé des factures qui ont donné lieu à des règlements, partiels dans chaque cas ; le total de ces créances s'élève, avant déduction des versements allégués, à 657.593,02 F ;

- des relevés de compte bancaire des diverses sociétés du groupe.

Toutefois en l'absence d'acquit émanant de la Société Générale, les documents ci-dessus qui ont pour seule provenance l'appelante et les relevés bancaires qui ne pourraient être éclairés en ce qui concerne l'indication des mouvements allégués que si étaient produites les copies des titres de paiement correspondant, ne permettent pas de démontrer que la dette se trouve aujourd'hui éteinte à concurrence de ladite somme.

En ce qui concerne le montant exact de la créance, le liquidateur n'est pas en mesure de produire l'intégralité des factures émises par la Société Occitanerie, ni aucun des bordereaux de livraison ;

Le montant théorique des commandes est certes supérieur à la somme réclamée, mais rien n'établit que le fournisseur ait pu exécuter l'intégralité des commandes ni dans quelle proportion les commandes ont été satisfaites.

Il convient de retenir en conséquence la somme de 657.593,02 F qui résulte du relevé des factures reconnues par la Société appelante, tout au moins en ce qui concerne leurs existence, et de fixer à 630.683,87 F la créance de la Société Occitanerie après déduction de la somme de 26.909,15 F, montant de la facture n° 94105 dont le liquidateur a admis le règlement dans ses conclusions déposées le 26 novembre 1997.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de l'intimé l'intégralité des frais occasionnés par la procédure d'appel et non compris dans les dépens ; il lui sera alloué sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile une indemnité de 8.000 F ;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme la décision déférée en ses dispositions relatives à la recevabilité de la demande de Maître Raynaud et à l'interprétation des conventions, La réformant en ce qui concerne le montant de la créance, condamne la Société Gifi Distribution à payer à Maître Raynaud pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL l'Occitanerie JLFP la somme de 630.683,87 F (six cent trente mille six cent quatre vingt trois francs quatre vingt sept centimes), Condamne en outre ladite Société à payer à Maître Raynaud ès qualité une indemnité de 8.000 F (huit mille francs) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile s'ajoutant à celle allouée par le Tribunal, Condamne la Société Gifi Distribution aux dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de Me Brunet Avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.