Cass. com., 23 juin 1998, n° 96-10.015
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Honda France (SA)
Défendeur :
Bernard Collomb (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Grimaldi
Avocat général :
M. Lafortune
Avocats :
SCP Defrenois, Levis, Me Jacoupy.
LA COUR : - Sur les deux moyens réunis, pris en leurs diverses branches : - Attendu que la société Honda France (société Honda) reproche à l'arrêt déféré (Paris, 28 septembre 1995) de l'avoir condamnée à payer à la société Bernard Collomb (société Collomb) des dommages-intérêts pour avoir résilié, le 29 juin 1990, avec effet au 30 juin 1991, le contrat de concession liant les parties, alors, selon le pourvoi, de première part, que la cour d'appel, après avoir relevé que la société Honda ne s'était pas engagée à verser une indemnité de résiliation à la société Collomb, a décidé que le concédant a tout de même commis une faute en s'abstenant d'informer clairement son concessionnaire de son intention de ne pas lui verser une telle indemnisation, dont le concessionnaire persistait à se prévaloir en dépit d'une clause du contrat de concession ; qu'elle a ainsi violé l'article 1134 du Code civil ; alors, de deuxième part, qu'en ne recherchant pas, comme elle y était pourtant tenue selon ses propres constatations, et ainsi qu'elle y était invitée, si le concédant avait agi de la sorte de manière intentionnelle pour tromper son concessionnaire et le déterminer à investir, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 1382 du Code civil ; alors, de troisième part, qu'en ne recherchant pas, comme elle y était pourtant tenue selon ses propres constatations, et ainsi qu'elle y avait été invitée, si c'est le silence du concédant qui avait effectivement amené le concessionnaire à procéder aux investissements reprochés, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 1382 du Code civil ; alors, de quatrième part, que la cour d'appel a tenu pour fautive la résiliation opérée en respect du délai de préavis contractuel par la société Honda, parce que ce délai aurait été trop court, eu égard à la durée des relations contractuelles et aux investissements qu'elle avait amené le concessionnaire à réaliser ; qu'en constatant pourtant, dans le même temps, que ces investissements résultaient d'un compromis de vente réitéré postérieurement à la résiliation du nouveau contrat de concession, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 1382 du Code civil ; alors, de cinquième part, que pour écarter sa responsabilité, la société Honda avait expressément soutenu, dans des conclusions demeurées sans réponse, qu'au moment de la résiliation du contrat de concession le 29 juin 1990, elle ignorait que M. Collomb avait signé le 21 juin 1990, en son nom propre, un compromis de vente de deux terrains situés à Nice et que ce compromis n'avait été réitéré par ce dernier que le 14 décembre 1990, soit pendant le délai de préavis, alors qu'il savait que le concédant ne reviendrait pas sur sa décision ; qu'en s'abstenant de se prononcer sur ce moyen, de nature à influer sur la solution du litige, la cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, de sixième part, que l'application de l'article 1382 du Code civil suppose établie la relation de cause à effet entre une faute et un préjudice ; qu'en l'espèce, le compromis de vente du 21 juin 1990, réitéré le 14 décembre suivant, avait été signé par M. Collomb, en son nom propre ; que, dès lors, la cour d'appel, qui condamne la société Honda à indemniser la société Collomb du préjudice subi par la perte de cet investissement, sans caractériser ni l'existence d'un lien de causalité entre la faute qui lui était reprochée et un éventuel dommage souffert par cette société, ni même l'existence d'un tel dommage, a violé les dispositions de l'article 1382 du Code civil ; alors, de septième part, que, dans des conclusions demeurées sans réponse, la société Honda a expressément soutenu que le compromis de vente du 21 juin 1990, réitéré le 14 décembre suivant, avait été signé par M. Collomb, en son nom propre ; que la cour d'appel, qui a condamné la société Honda à indemniser la société Collomb du préjudice subi par la perte de cet investissement, sans se prononcer sur ce moyen de nature à exclure toute indemnisation de ce chef en faveur de cette société, a, par là-même, violé les dispositions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, de huitième part, que l'application de l'article 1382 du Code civil suppose établie la relation de cause à effet entre la faute et le préjudice ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément constaté que la réitération du compromis de vente des terrains avait été réalisée postérieurement à la résiliation du contrat de concession par la société Honda ; que, dès lors, la cour d'appel, qui condamne cette dernière à réparer le préjudice résultant de la perte de cet investissement, a violé les dispositions de l'article 1382 du Code civil ; et alors, enfin, qu'en toute hypothèse, lorsqu'un dommage est imputable à la fois à un auteur et à sa victime, l'auteur ne doit être condamné qu'à réparer une partie du préjudice variable d'après la gravité respective des deux fautes ; que la réitération du compromis de vente ayant été réalisée postérieurement à la résiliation du contrat de concession, le concessionnaire était au moins pour partie responsable du préjudice subi en raison de la perte de cet investissement ; qu'en condamnant pourtant la société Honda à réparer ce préjudice en son entier, la cour d'appel a derechef violé les dispositions de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir relevé, d'un côté, que le dernier contrat de concession du 2 décembre 1988, à durée indéterminée, intervenu entre les parties, autorisait la résiliation unilatérale avec un préavis d'au moins une année et, d'un autre côté, que la société Collomb avait répondu le 20 décembre 1988 qu'il était bien entendu que restaient en vigueur les engagements antérieurs, selon lesquels l'indemnisation, en cas de résiliation unilatérale, serait égale à deux années de marge bénéficiaire brute, la cour d'appel a pu estimer que la société Honda, en s'abstenant de démentir l'interprétation du contrat donnée par le concessionnaire, avait commis une faute ;
Attendu, en second lieu, que l'arrêt relève que la société Honda, qui avait obtenu que le magasin implanté par la société Collomb à Saint-Laurent-du-Var lui soit exclusivement réservé, demandait à la société Collomb, le 2 janvier 1990, pour le magasin de Nice, d'acquérir de nouveaux locaux ou de faire rénover entièrement les locaux actuels; qu'il relève encore que, le 30 mars 1990, la société Honda demandait des aménagements au magasin de Saint-Laurent-du-Var et la construction d'un nouvel atelier à Nice, ainsi que le recrutement d'un chef d'atelier et d'un directeur des ventes, en fixant au 31 décembre 1990, puis au 31 décembre 1991, la date limite de réalisation des travaux en conformité avec les normes du concédant, sous peine de résiliation du contrat; qu'il relève enfin que la société Honda n'a diligenté aucune procédure de résiliation pour faute de son concessionnaire ; qu'en l'état de ces constatations, l'arrêt retient à bon droit que la société Collomb ne pouvait s'attendre à recevoir une lettre de rupture datée du 29 juin 1990 ne tenant aucun compte des incitations aux investissements et recrutement de personnels et ne donnant aucune explication de son revirement; que, par ces seuls motifs, qui ne font l'objet d'aucun grief précis du pourvoi et d'où il résulte que la société Honda avait fait espérer à son concessionnaire un renouvellement de contrat, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses neuf branches ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.