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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 23 septembre 1998, n° 1996-19867

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

d'Abrigeon (ès qual.), Société nîmoise de distribution automobile (SA)

Défendeur :

Groupe Volkswagen France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard-Payen

Conseillers :

Mmes Jaubert, Percheron

Avoués :

SCP Roblin-Chaix de Lavarenne, SCP Barrier, Monin

Avocats :

SCP Threard-Léger-Bourgeon-Meresse, SCP Vogel.

TGI Paris, 4e ch., 2e sect., du 27 juin …

27 juin 1996

LA COUR statue sur l'appel interjeté par Jean-Pierre d'Abrigeon agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SA Nîmoise de Distribution Automobile à l'encontre du jugement rendu le 27 juin 1996 par le tribunal de grande instance de Paris, qui dans le litige l'opposant ès-qualités au Groupe Volkswagen France SA, anciennement dénommé VAG France, l'a débouté de ses demandes et l'a condamné au paiement d'une indemnité de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure initiale, il est fait référence aux énonciations du jugement attaqué et aux écritures des parties, il suffit de rappeler les éléments suivants :

Après avoir acquis les actions de la société Nîmoise de Distribution Automobile ci-après dénommée SNDA, concessionnaire de la marque VAG France à Nîmes, qui connaissait des difficultés financières, Jean-Louis Guyot a, les 7 juillet, 17 août et 23 septembre 1997, reçu l'accord de principe de la société VAG France pour reprendre sous différentes conditions, la concession.

Par acte du 8 février 1988, un contrat de concession a été conclu entre la société VAG France et la SNDA pour une durée indéterminée à compter du 1er octobre 1987.

Le 14 mai 1991, la société VAG France se prévalant des impayés répétés de son concessionnaire, lui a notifié la résiliation immédiate du contrat.

Le 3 octobre 1991, la SNDA a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire transformée le lendemain en liquidation judiciaire.

Jean-Pierre d'Abrigeon agissant en qualité de liquidateur judiciaire de cette société, a fait assigner la société VAG France afin d'obtenir, ès-qualités, des dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le comportement déloyal du concédant au cours de l'exécution du contrat ayant entraîné la résiliation extraordinaire de celui-ci.

La Cour d'appel de Nîmes a réformé du chef de la compétence le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nîmes et renvoyé l'affaire devant le tribunal de grande instance de Paris qui a rendu le jugement précité.

Jean-Pierre d'Abrigeon, ès-qualités, poursuit l'infirmation de ce jugement et reprenant l'argumentation qu'il avait déjà développée devant le Tribunal, fait essentiellement valoir que la résiliation extraordinaire du contrat prévue à la clause XV.2, telle que mise en œuvre apparemment régulièrement par le concédant, n'est due qu'à l'attitude de celui-ci qui a imposé un rythme de croissance à l'entreprise qu'elle ne pouvait assumer, qu'il est par conséquent à l'origine des difficultés qui lui ont permis de motiver la rupture.

Il reproche notamment à la société VAG France l'augmentation brutale des objectifs de la concession en 1990, passés de 817 pour l'année précédente à 1113 véhicules et souligne que, contrairement à ce que le tribunal a retenu, l'objectif n'est pas fixé contradictoirement par les parties, l'intimée n'ayant rapporté la preuve d'aucune négociation particulière, que bien plus, le contrat autorise le concédant, en cas de désaccord, à l'imposer au concessionnaire, ce qui démontre que l'intimée a recueilli sur ce point l'accord de la SNDA par la contrainte.

Il indique qu'au surplus la réalisation des objectifs qui détermine une partie substantielle de la rémunération du concessionnaire, nécessaires à son équilibre financier, a eu en l'espèce des conséquences sur l'exploitation de la concession, puisque par application du contrat, le concessionnaire a été conduit à augmenter ses achats dans la proportion de l'augmentation des objectifs.

Il fait remarquer que les orientations commerciales prescrites par VAG France en 1990, sont la cause directe du désengagement de la société Lyonnaise de Banque en juin 1991, lui-même à l'origine des difficultés de la SNDA dont le concédant s'est prévalu pour rompre.

Il prétend encore que, dans la mesure où la société VAG France a notifié de façon abusive la résiliation extraordinaire du contrat, elle a fautivement privé sa cocontractante du préavis contractuel d'un an, que ce préjudice sera réparé par l'allocation de dommages et intérêts équivalant à une année de marge brute, qu'en outre, le comportement du concédant ayant excédé la simple inexécution du contrat, il sera tenu sur le fondement de sa responsabilité civile délictuelle, à réparer toutes les conséquences de la rupture.

Il demande en conséquence à la Cour de condamner la société Groupe Volkswagen France, anciennement dénommée VAG France, à lui payer ès-qualités la somme de 9.067.613 F à titre de dommages et intérêts ainsi qu'à titre de complément de dommages et intérêts, une somme équivalente au montant de l'insuffisance de passif de la SNDA, telle qu'elle apparaîtra au terme des opérations de liquidation.

Le Groupe Volkswagen France SA, fait de son côté observer :

- qu'il n'est nullement démontré, comme le soutient l'appelant, que les objectifs pour l'année 1990, auraient été imposés par le concédant au concessionnaire, que la violence à laquelle il se réfère n'est que la conséquence de la mise en œuvre des clauses du contrat, qui ont été acceptées par la SNDA en signant le contrat de concession ;

- qu'il ne résulte pas des termes du courrier adressé le 1er juin 1990 par la Lyonnaise de Banque à la SNDA, que cet établissement bancaire a dénoncé ses concours en raison de l'augmentation des objectifs du concessionnaire, mais tient au fait que la banque a estimé que ses concours étaient excessifs au vu de la rentabilité de l'entreprise qui ne lui avait en outre pas remis ses derniers bilans ;

- qu'il était parfaitement fondé à dénoncer le contrat sans préavis, après avoir accordé des prorogations d'échéances non respectées à son cocontractant, pour impayés répétés.

Contestant au surplus l'ensemble de l'argumentation développée par Maître d'Abrigeon, ès-qualités, il demande à la Cour de :

- dire et juger que le Groupe Volkswagen SA venant aux droits de la société VAG France a exécuté ses obligations contractuelles de bonne foi et qu'il ne saurait être tenu pour responsable du désengagement de la Lyonnaise de Banque,

- dire et juger que la résiliation du contrat de concession en date du 14 mai 1991, est conforme aux dispositions du contrat,

- débouter en conséquence Jean-Pierre d'Abrigeon, ès-qualités, de l'ensemble de ses prétentions.

Chaque partie sollicite l'indemnisation de ses frais irrépétibles.

Sur ce, LA COUR :

Considérant que le mandataire liquidateur de la SNDA reproche essentiellement au Groupe Volkswagen France de ne pas avoir exécuté le contrat de concession de bonne foi et d'être à l'origine de la résiliation extraordinaire du contrat intervenue le 14 mai 1991, pour avoir imposé en 1990 à son concessionnaire une augmentation exorbitante des objectifs par rapport à l'année précédente, ce qui l'a conduit à la ruine ;

Considérant que les objectifs quantitatifs de vente pendant la période du 1er janvier 1990 au 31 décembre 1990 de la concession, ont été fixés suivant les annexes 1990 au contrat de concession signées par les parties, à 1113 véhicules (annexe B-1 Objectifs quantitatifs de vente) ; que l'appelant prétend que cette augmentation "brutale" des objectifs par rapport à l'année précédente qui se situaient à 817 véhicules, aurait été imposée à la SNDA par le concédant, tandis que celui-ci soutient que ces objectifs ne sont nullement imposés aux concessionnaires mais qu'ils sont arrêtés d'un commun accord entre ces derniers et le constructeur et formalisés par le biais des annexes précitées signées par les parties ;

Considérant qu'il importe de souligner en premier lieu que l'augmentation importante des objectifs 1990, faisait suite aux résultats encourageants dégagés l'année précédente par la SNDA, qui, selon l'appelant lui même, à la fin de l'exercice 1989 par rapport aux réalisations enregistrées en 1987, avait vu son chiffre d'affaires augmenter de plus de 84 % et les ventes de véhicules neufs progresser de 70 % ; qu'en deuxième lieu, l'entreprise qui a signé sans réserve le 26 janvier 1990 l'annexe précitée, ne justifie avoir émis aucune remarque ni contestation sur ces objectifs tant avant qu'après la signature de ce document ;

Considérant que les objectifs quantitatifs de vente pour 1990 ont été arrêtés dans les conditions prévues à l'article III.2.a) du contrat, en prenant en compte notamment le potentiel des zones d'exclusivité concédées à la SNDA et la structure du marché global de la concession ; Qu'au surplus, il était prévu par l'article précité que "par la signature de ses objectifs annuels, le concessionnaire atteste avoir vérifié leur faisabilité", étant ici observé que, compte tenu des zones d'exclusivité qui lui étaient concédées, de la progression tant de son chiffre d'affaires que de ses ventes au cours des exercices précédents, l'appelant ne démontre pas que les objectifs 1990 étaient irréalisables, que le seul fait que l'entreprise ait connu des difficultés par la suite, est insuffisant à rapporter une telle preuve en l'absence de tout autre élément sur ce point ;

Considérant que dans la mesure où Jean-Pierre d'Abrigeon, ès-qualités, n'établit pas, comme il le prétend, que l'objectif 1990 aurait été imposé à la SNDA et/ou qu'il aurait été irréaliste, il ne saurait sérieusement soutenir que le Groupe Volkswagen n'aurait recueilli la signature de la SNDA que par la crainte de celle-ci de voir résilier son contrat avec un préavis de trois mois, comme en donnait la possibilité au concédant, le paragraphe b) de l'article précité et ce, d'autant plus qu'à aucun moment durant l'exécution du contrat la SNDA n'avait remis en cause ces objectifs;

Considérant qu'il est constant que les modalités de la reprise du contrôle en octobre 1987, par Jean-Louis Guyot de la SNDA qui connaissait des difficultés financières, auquel il sera renvoyé pour un plus ample exposé aux écritures des parties, ne sauraient ici être prises en compte ; que s'il s'agit d'éléments susceptibles d'éclairer l'évolution de la situation, il ne peut en être fait grief au Groupe Volkswagen, lequel en commerçant avisé a subordonné la reprise de la concession à un ensemble de garantie de la part du cessionnaire des actions de la SNDA ;

Considérant que l'appelant ne démontre pas davantage que la rupture de ses concours le 1er juin 1990 par la Lyonnaise de Banque soit la conséquence de la surévaluation par le Groupe Volkswagen des objectifs de la concession, dont il vient d'être dit plus haut que la preuve de l'existence d'une telle surévaluation n'était pas rapportée ;

Qu'en outre aux termes du courrier précité, la Banque ne met pas en cause ces objectifs, mais le manque de rentabilité de sa cliente et ses positions excessives, en précisant également "compte tenu que Volkswagen devait prendre en charge, progressivement, les crédits de stocks, nous avions escompté que nos concours devaient disparaître purement et simplement", qu'elle lui reprochait aussi de ne pas lui avoir transmis son bilan qu'elle lui avait réclamé "eu égard vos engagements et vos projets d'expansion pour lesquels nous ne sommes pas favorable" ;

Considérant que, dans la mesure où il n'est pas établi qu'en 1990 des objectifs de vente excessifs ont été imposés par le Groupe Volkswagen à la SNDA, ni que la dénonciation de ses concours par la Lyonnaise de Banque a été la conséquence d'une telle situation, force est de constater que le concédant après avoir accordé des prorogations d'échéances à la SNDA qui lui devait une créance (véhicules livrés non réglés) de 2 931 195 F, était fondé à résilier le contrat dans les conditions prévues à l'article XV.2, étant ici rappelé que le Tribunal a justement écarté par des motifs adoptés, l'ensemble de l'argumentation reprise en appel par le mandataire liquidateur de la SNDA ;

Considérant qu'il s'ensuit que le jugement dont appel sera confirmé ;

Considérant que Jean-Pierre d'Abrigeon, ès-qualités, qui succombe en son recours, ne peut prétendre être indemnisé de ses frais irrépétibles exposés en appel ;

Considérant que le Groupe Volkswagen SA ayant été suffisamment indemnisé à ce titre par le tribunal, il n'y a pas lieu à indemnisation complémentaire en appel ;

Par ces motifs : Confirme le jugement déféré ; Déboute Jean-Pierre d'Abrigeon, ès-qualités, de l'ensemble de ses prétentions ; Dit n'y avoir lieu à indemnisation complémentaire du groupe Volkswagen SA au titre de ses frais irrépétibles exposés en appel ; Condamne Jean-Pierre d'Abrigeon, ès-qualités, aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés directement par la SCP Barrier & Monin dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.