CA Aix-en-Provence, 2e ch. civ., 24 septembre 1998, n° 94-4821
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Évasion Loisirs (SA)
Défendeur :
Nordet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dragon
Conseillers :
Mme Coux, M. Semeriva
Avoués :
SCP Sider, SCP Latil
Avocat :
Me Abran.
EXPOSE DU LITIGE :
La SA " Évasion et Loisirs " a relevé appel, le 25 février 1994, d'un jugement rendu le 7 janvier 1994 par le Tribunal de commerce de Toulon, qui tout en condamnant M. Nordet à lui payer la somme de 23 350 F à titre de redevances de franchise, ainsi qu'une indemnité de 2 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, l'a déboutée de ses demandes d'indemnisation fondées sur la résiliation fautive du contrat de franchise et le défaut de respect d'une clause de non-concurrence.
Elle soutient :
- que M. Nordet n'a pas réglé les redevances dues en application du contrat de franchise au titre des mois de juillet, août et septembre 1990,
- que la SA " Évasion et Loisirs " ayant bien adressé, le 12 octobre 1990, une mise en demeure restée sans réponse pendant un mois, la résiliation du contrat est acquise,
- qu'en application de l'article 20 de la convention, M. Nordet doit en conséquence l'indemnité représentative du préjudice subi, correspondant au montant des redevances restant à courir jusqu'à la fin normale des engagements, demande sur laquelle les premiers juges n'ont d'ailleurs pas statué,
- que l'article 15 du contrat stipule une clause de non-concurrence s'appliquant à M. Nordet dans le département du Var, pendant une durée d'un an à compter de la signification du jugement, et ce à peine d'astreinte de 10 000 F par jour de retard,
- que, contrairement à ce qui a été admis par les premiers juges, peu important que la résiliation ait été constatée depuis plus d'un an, l'auteur des agissements déloyaux doit être condamné à cesser son exploitation concurrente, pour le temps et dans les lieux ainsi déterminés,
- qu'il ne peut, non plus, utiliser des enseignes, documents commerciaux, publicitaires, installations, agencement extérieurs ou intérieurs et autres identifiant la marque Gymnasium, déposée à l'INPI par la SA " Evasion et Loisirs ",
- qu'il a pourtant été constaté que M. Nordet continuait d'exploiter son centre, se livrant ainsi à une concurrence déloyale, utilisant de surcroît la marque Gymnaform, très proche phonétiquement de la marque Gymnasium, ainsi que le savoir-faire du franchiseur.
La société " Évasion et Loisirs " a été déclarée en liquidation judiciaire le 28 mars 1995 ; son mandataire-liquidateur, Me Elleouet, est intervenue aux débats, pour reprendre ses conclusions précédentes, et faire valoir que la créance de dommages-intérêts réclamée par M. Nordet est éteinte par défaut de déclaration, et en toute hypothèse, injustifiée.
Les conclusions prises pour la SA " Évasion et Loisirs " demandent donc :
- la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. Nordet à verser la somme de 23 350 F, au titre des redevances impayées,
- la réformation de ce jugement pour le surplus,
- l'interdiction de M. Nordet d'exercer une concurrence déloyale à la société Évasion et Loisirs, des enseignes, et lui interdire l'utilisation de documents commerciaux, publicitaires, installations, agencements extérieurs ou intérieurs et autres identifiant la marque Gymnasium,
- le rejet de la demande adverse de dommages-intérêts ;
- la condamnation de M. Nordet à cesser l'utilisation de la marque Gymnaform, constituant une concurrence déloyale de la marque Gymnasium, sous astreinte de 10 000 F par jour de retard,
- sa condamnation au paiement des sommes de :
. 225 634 F à titre de dommages-intérêts, en application de l'article 20 du contrat,
. 186 768 F en application de l'article 15 alinéa 3 du contrat,
. 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
M. Nordet objecte :
- que la résiliation du contrat est le fait exclusif de la société " Évasion et Loisirs ", et ne peut engager sa responsabilité,
- que cette société a manqué à son obligation de réaliser la construction et l'équipement du centre de remise en forme, une ordonnance de référé du 27 mars 1990 ayant interdit, du fait des malfaçons, l'utilisation de diverses installations, telles que douches, et jacuzzi,
- que les travaux incriminés ont été réalisés par une société Bati-Gym, dirigée par la même personne que la société " Évasions et Loisirs ",
- que, subissant cette interdiction par la faute du franchiseur, M. Nordet était fondé à refuser le paiement des redevances,
- que la SA " Évasion et Loisirs ", qui n'a pas réalisé de campagne publicitaire ni apporté l'assistance administrative et comptable contractuellement prévue, n'a d'ailleurs rempli aucune des obligations mises à sa charge par le contrat de franchise,
- qu'il n'exerce aucune concurrence déloyale, ayant pris soin de supprimer l'enseigne Gymnasium pour la remplacer par celle de Gymnaform, les deux vocables ne peuvent être considérés comme similaires, à peine d'interdire l'utilisation du terme " gymnastique ",
- que prétendre que M. Nordet aurait dû fermer pendant un an une installation qui lui a coûté plus de 800 000 F relève de la plus haute fantaisie, la résiliation du contrat entraînant la caducité de l'ensemble des clauses, et l'hypothèse d'une telle fermeture ne pouvant être envisagée qu'à condition de rembourser le franchisé des investissements et des pertes commerciales.
M. Nordet conclut au débouté des demandes de l'appelante, à la confirmation du jugement entrepris, en ce qu'il a prononcé ce débouté, et à sa réformation pour le surplus, pour voir :
- dire et juger qu'il n'est redevable d'aucune somme au titre des redevances, en l'état de la résiliation du contrat du fait de la SA " Évasion et Loisirs ",
- condamner cette société à lui payer la somme de 300 000 F à titre de dommages-intérêts,
- la condamner au paiement d'une indemnité de 10 180 F (sic) par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
En cet état, un arrêt rendu avant dire droit le 5 mars 1998 a relevé que des pièces du dossier, il ressortait que la SA " Évasion et Loisirs " avait fait apport à une tierce société de la franchise et du contrat de concession de la marque " Gymnasium ", de sorte qu'il y avait lieu à débat sur la recevabilité de ses demandes.
A la suite de cette décision, Me Elleouet est intervenu aux débats, cette fois en qualité de mandataire-liquidateur à la liquidation judiciaire de la société " Gymnasium Franchise ", aux droits de la SA " Évasion et Loisirs ".
Elle estime que son administrée est fondée en cette intervention volontaire, compte tenu de l'apport du fonds de commerce, et reprend les termes des conclusions de la SA " Évasion et Loisirs ", sauf en ce qui concerne la demande d'interdiction d'exploiter, qui ne présente plus guère d'intérêt en l'état de la liquidation.
M. Nordet soutient que cette société " Gymnasium Franchise " n'est qu'un artifice créé pour les besoins de la cause, qui révèle la nullité de l'acte introductif d'instance, délivré à une époque où la SA " Evasion et Loisirs " n'avait plus qualité à agir.
Il ajoute que la nouvelle société n'a pas rempli son obligation de l'aviser du changement de franchiseur, et considère que le comportement consistant à taire l'existence de la procédure collective doit être sanctionné par l'octroi de dommages-intérêts.
M. Nordet demande le bénéfice de ses précédentes écritures, et la condamnation, en tant que de besoin, de la société " Gymnasium Franchise ".
MOTIFS DE LA DECISION :
L'intervention volontaire de la société " Gymnasium Franchise " est recevable, même après ordonnance de clôture.
Cette société, dont la prétendue fictivité ne donne lieu qu'à affirmation sans preuve, est aux droits de la SA " Évasion et Loisirs " ; toute cause de nullité de l'acte introductif d'instance ou des procédures ultérieures ayant disparu au moment où la cour statue, il y a lieu de recevoir cette intervention et de statuer sur le fond.
- Sur l'imputabilité de la rupture contractuelle :
La convention des parties détaille les obligations incombant au franchisé, et stipule notamment (art. IV a) que les locaux devront être préalablement agréés par le franchiseur, qu'ils ne pourront être utilisés que pour les besoins de l'exploitation, et que les aménagements, aux frais du franchisé, devront obligatoirement être effectués par le décorateur " Gymnasium " afin de correspondre au profil des centres franchisés et être " conformes avec la réglementation en vigueur ".
De telles stipulations paraissent caractériser une grande liberté du franchisé, bornée seulement au respect, des normes d'une part, de la présentation caractéristique du franchiseur d'autre part.
Mais les documents complémentaires et la pratique du contrat montre qu'en réalité, les obligations respectives étaient bien différentes, et incluaient la prise en charge par le franchiseur de la direction et de la réalisation des locaux d'exploitation.
Il ressort notamment d'un courrier adressé par la SA " Évasion et Loisirs " à M. et Mme Nordet le 8 juin 1990 :
- que " la préoccupation majeure de M. Palusci [était] à cette époque de doter la société d'une structure humaine, technique et financière à la hauteur des ambitions du groupe ",
- que " le développement spectaculaire de la franchise " Gymnasium " a entraîné pour M. Palusci l'obligation d'un éclatement géographique des structures de Bati-Gym ", ce qui a " posé des problèmes ", de sorte que " certains d'entre vous (lire : les franchisés) ont souffert et souffrent encore aujourd'hui de problèmes liés à la construction ou à l'aménagement de leur centre ",
- qu'" Évasion et Loisirs " a décidé de " porter un maximum d'efforts pour la restructuration de ce département ",
- qu'ainsi, est prévue " la disparition de tous les Bati-Gym au profit d'une structure unique ", notamment caractérisée par la présence d'une " équipe de techniciens intervenant chacun sur un domaine précis (hydraulique, plomberie, électricité, piscine, etc.), et d'un architecte chargé de prévenir et surveiller les constructions, ainsi que toutes les contraintes de faisabilité ",
- que l'organigramme de la SA " Évasion et Loisirs ", annexé au courrier nomme la " société Bati-Gym Construction Centres Gymnasium ".
L'aménagement du centre exploité par M. Nordet a effectivement été réalisé par une société Bati-Gym, sur les plans de M. Troadec, architecte, qui, dans une autre instance, s'est d'ailleurs défendu d'avoir été chargé de la direction et de la surveillance des travaux.
Dans cette instance en paiement d'honoraires, la Cour de Rennes, statuant par arrêt du 16 mai 1991 devait d'ailleurs relever, d'une part, que la société " Évasion et Loisirs " faisait état de son rôle de maître d'œuvre dans la réalisation des travaux litigieux, et d'autre part qu'elle était le seul CCO-contractant de M. Troadec.
De tous ces éléments, il ressort qu'en réalité, le contrat impliquait le recours du franchisé à la société Bati-Gym, décrite comme une branche du groupe " Évasion et Loisirs ", animée, comme la société principale, par M. Palusci.
Ce contrat supposait donc la réalisation de travaux relevant du savoir-faire du franchiseur, ou de son groupe, selon des études d'architecte dont il était seul à disposer.
Le courrier du 8 juin 1990 reconnaît bien que les défaillances dans la réalisation de certains centres impliquent le groupe tout entier, qu'il appelle " Évasion et Loisirs ", et que ces circonstances " posent des problèmes " à certains franchiseurs.
M. Nordet est du nombre, comme il ressort de l'ordonnance de référé rendue le 27 mars 1990 qui, sur plainte du syndicat des copropriétaires de l'immeuble dans lequel s'exerçait le commerce, a prononcé, du fait des malfaçons, l'interdiction d'utiliser certaines installations du centre, telles que douches et jacuzzi.
Cette question a ensuite donné lieu à un rapport contradictoire déposé le 21 juillet 1992 par M. De Truchis, expert-judiciaire désigné en référé.
Celui-ci confirme que les travaux, réalisés par la SA Bati-Gym Rhône-Alpes qui était une des sociétés ensuite restructurées dans " Bati-Gym ", présentaient de nombreuses malfaçons nuisant à l'exploitation du centre.
La responsabilité technique de ces dommages ne fait pas l'objet de la présente instance, mais il convient de relever que des termes de l'expertise, incontestée en l'état, il ressort que M. Nordet n'est pas un professionnel de la construction, qu'il accomplissait à cette époque son service national, et qu'il n'était pratiquement pas présent pendant la réalisation des travaux.
D'ailleurs, la société " Évasion et Loisirs " ne formule aucun grief à son égard à propos de ces malfaçons indiscutables.
Il s'en déduit, peu important ses éventuels recours, que dans ses rapports avec M. Nordet, cette société a manqué à la bonne exécution de travaux caractérisant, dans la commune intention des parties, une obligation essentielle dérivant des rapports de franchisage.
Il ne ressort par ailleurs d'aucune pièce du dossier que la société " Évasion et Loisirs " ait rempli ses autres obligations de franchiseur, notamment par mise en place de campagnes publicitaires et apport d'assistance administrative et comptable.
La clause résolutoire étant toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques pour le cas où l'une des parties ne satisferait point à son engagement, M. Nordet est fondé à soutenir que l'exception d'inexécution justifie la cessation du paiement des redevances, et que la société " Évasion et Loisirs ", défaillante dans le contrat, ne saurait prétendre à leur règlement.
Le jugement faisant droit à la réclamation portant sur la somme de 23 350 F à titre de redevances de franchise pour les mois de juillet, août et septembre 1990, qui correspondent précisément à la période d'interdiction judiciaire d'exploitation, doit être réformé.
Il convient, pour les mêmes raisons, de confirmer au contraire ce jugement en ce qu'il a débouté la société " Évasion et Loisirs ", et donc à présent la société " Gymnasium Franchise ", de sa réclamation fondée sur l'article 20 de la convention, qui stipule une clause pénale en cas d'interruption du contrat " par le fait du franchisé en raison d'un manquement de sa part à l'un des termes des présentes conventions ".
- Sur l'action fondée sur la clause de non-concurrence :
L'article 15 de la convention stipule qu'à la rupture du contrat, " à son terme normal ou en cas de résiliation anticipée, quelle qu'en soit la cause ou l'auteur, le franchisé s'interdit d'exploiter ou de s'intéresser directement ou indirectement, par personne ou par société interposée, à tout commerce susceptible de faire concurrence au réseau auquel il a été affilié dans le cadre du présent contrat ".
Il précise que " cet engagement de non-concurrence prendra effet pendant une durée d'un an à partir de la rupture ", qu'il sera " limité au département du lieu de la franchise ", et qu'en cas d'infraction, " le franchisé devra au franchiseur pour chaque contravention, une indemnité forfaitaire, à titre de clause pénale, fixée à une somme égale aux redevances dues au franchiseur au cours des trois dernières années ".
Il ressort des propres conclusions de M. Nordet qu'il n'a jamais cessé d'exploiter, sans avoir changé de local, une activité similaire à celle qu'il a exercée en tant que franchisé de la SA " Évasion et Loisirs ".
Cette activité contrevient aux dispositions de l'article 15 de la convention de franchise, précisément stipulées en cas de résiliation, et qui, de ce fait ne sont pas caduques du seul fait de celle-ci.
Pour autant, les partieS sont expressément convenues d'une clause pénale, qu'il convient ici de modérer à une somme très faible, seule à même de rendre compte du préjudice, tant le déroulement des faits établit que M. Nordet s'est trouvé abandonné par le franchiseur, de sorte que l'exécution partielle de la convention a résulté de ses seuls efforts, dont la société " Évasion et Loisirs " a bénéficié sans contrepartie sérieuse.
Étant encore relevé que l'enseigne " Gymnaform " ne crée pas un risque de confusion avec la marque " Gymnasium ", et que nulle contrefaçon ni concurrence déloyale ne sauraient être caractérisées par l'emploi de ce terme, il convient de constater que la clause pénale dont le paiement est demandé est manifestement excessive, et de la modérer à une indemnité de 1 000 F.
- Sur la demande de M. Nordet en paiement de dommages-intérêts en application de l'article 21 de la convention de franchise :
La société " Évasion et Loisirs " a été mise en liquidation judiciaire par jugement du 28 mars 1995.
Le mandataire à cette liquidation judiciaire indique que M. Nordet n'a pas déclaré sa créance, et cette assertion n'est pas discutée.
La créance est en conséquence éteinte par application de l'article 53 alinéa 4 de la loi du 25 janvier 1985.
Contrairement à ce que soutien M. Nordet, la procédure collective n'était pas ouverte à la date du jugement attaqué.
Dans la mesure, par ailleurs, où la cession du fonds ressortait des propres pièces versées au débat par ses soins en cause d'appel, il n'y a pas lieu à dommages-intérêts pour faute commise par son adversaire par dissimulation de sa véritable situation.
La société " Gymnasium Franchise " succombe essentiellement en sa demande initiale, puis en son appel, les entiers frais et dépens seront à sa charge.
Aucune circonstance ne justifie que les dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile soient écartées.
Par ces motifs : Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Reçoit l'intervention de la société " Gymnasium Franchise " en la personne du mandataire à la liquidation judiciaire de cette société, et constate qu'elle est aux droits de la société " Évasion et Loisirs " ; Réforme le jugement entrepris ; Statuant à nouveau, déboute la société " Gymnasium Franchise " de ses demandes tendant à la condamnation de M. Nordet au paiement de redevances ainsi que d'une indemnité pour rupture fautive de la convention de franchise ; Condamne M. Nordet à payer à la société " Gymnasium Franchise " une indemnité de 1 000 F au titre de la clause pénale prévue à l'article 15 de la convention des parties ; Déboute M. Nordet de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts ; Condamne la société " Gymnasium Franchise " aux entiers dépens de première instance et d'appel, et au paiement à M. Nordet d'une indemnité de 10 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; autorise la SCP P et J Latil à recouvrer directement ceux des dépens d'appel dont elle a fait l'avance sans recevoir provision.