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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 21 octobre 1998, n° 1996-15752

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

De Neuville (SA)

Défendeur :

Devillechabrolle (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard-Payen

Conseillers :

Mmes Jaubert, Percheron

Avoués :

SCP Goirand, SCP Roblin Chaix de Lavarene

Avocats :

Mes Gast, Meresse.

T. com. Paris, du 13 juin 1996

13 juin 1996

La société De Neuville SA a suivant déclaration remise au secrétariat greffe le 11 juillet 1996 interjeté appel du jugement rendu le 13 juin 1996 par le Tribunal de commerce de Paris qui a :

- condamné la SARL Devillechabrolle à payer à la SA De Neuville la somme de 190 351,97 F montant de factures impayées avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 8 février 1995, dit que cette somme sera réglée par compensation avec celle résultant de la condamnation qui va suivre et débouté la SA De Neuville du surplus de sa demande,

- dit le contrat conclu entre les parties le 27 septembre 1990 résilié aux torts de la SA De Neuville et condamné cette dernière à payer à la SARL Devillechabrolle, déboutée du surplus de sa demande, la somme de 500 000 F à titre de dommages et intérêts, dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné la SA De Neuville à payer à la SARL Devillechabrolle la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et à supporter les dépens.

La SA De Neuville prie la Cour, réformant cette décision, de prononcer la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusifs de la société Devillechabrolle par application de l'article 1184 du code civil, de condamner cette dernière à lui payer la somme de 312 648 F au titre de factures impayées non contestables, de valider le nantissement pris sur son fonds de commerce et de la condamner au paiement de la somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et aux dépens.

La société De Neuville fait valoir que ce sont les manquements de la société Devillechabrolle, conjugués à sa mauvaise gestion, qui l'ont conduite à son échec. Elle lui reproche de ne pas avoir respecté ou d'avoir refusé de mettre en œuvre la politique commerciale de Neuville commune au réseau, en violation de l'article 6-2-1 du contrat de franchise, d'avoir en outre violé son obligation d'approvisionnement exclusif et de nuire ainsi directement à l'image et à l'unité du réseau ainsi qu'au franchiseur.

Elle poursuit la condamnation de la " société Patou " au paiement d'une somme de 50 000 F en réparation de ce préjudice.

La SARL Devillechabrolle, visant les articles 1134, 1149, 1150 et 1184 du code civil ainsi que l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989 et le code de déontologie de la Fédération Française de franchise poursuit la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la résiliation du contrat de franchise aux torts et griefs exclusifs de la société De Neuville mais en forme appel incident quant à l'indemnisation de ses préjudices, sollicitant les sommes de 406 760 F en remboursement des pertes subies, 1 947 802 F représentant la marge brute perdue, 1 443 708 F au titre de la marge brute qu'elle avait vocation à réaliser jusqu'à l'expiration du contrat si celui-ci s'était déroulé dans les conditions initialement prévues. Elle demande en outre à la Cour de dire que l'ensemble de ces condamnations portera intérêts au taux légal à compter de l'assignation valant mise en demeure avec capitalisation des intérêts échus en application de l'article 1154 du code civil (demande formée par conclusions signifiées le 28 avril 1997) et de lui allouer la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société Devillechabrolle soutient qu'en lui remettant une étude prévisionnelle qui s'est avérée grossièrement erronée, sur le fondement de laquelle elle a investi dans la franchise, la société De Neuville a commis à son égard une faute engageant d'autant plus sa responsabilité contractuelle que le franchiseur n'a ni assisté ni conseillé son franchisé pour redresser sa situation.

Sur ce, LA COUR,

Considérant que les faits tels qu'exposés par le tribunal ne sont pas contestés ;

Considérant que, pour critiquer la décision entreprise qui a retenu sa responsabilité de franchiseur pour défaut d'assistance au franchisé tant dans la phase préalable au lancement du magasin de franchise de Brive que dans son exploitation ultérieure, la SA De Neuville fait valoir en premier lieu qu'à la date de signature du contrat, le 27 septembre 1990, le décret d'application de la loi Doubin n'était pas paru de sorte qu'elle n'était tenue de fournir à son cocontractant que les informations énoncées à l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989, ce qu'elle a fait, et que l'étude prévisionnelle dont l'inexactitude lui est reprochée n'ayant pas été remise au franchisé, afin de lui permettre d'obtenir le prêt bancaire qui lui était nécessaire, que le 30 septembre 1990 soit postérieurement à la signature du contrat elle n'a pu être déterminante de l'engagement de ce dernier ;

Considérant qu'il est constant qu'à la date de la signature du contrat litigieux la loi du 31 décembre 1989 dite loi Doubin était en vigueur mais que son décret d'application (pris le 4 avril 1991) n'était pas encore intervenu ;

Que la société De Neuville devait donc, aux termes de l'article 1er de la loi susvisée, fournir à la société Devillechabrolle préalablement à la signature du contrat " un document donnant des informations sincères qui lui permette de s'engager en connaissance de cause " ; que le fait que l'alinéa 2 du texte indique que ce document " précise notamment l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivité " ne saurait s'interpréter comme excluant l'établissement d'études prévisionnelles dont la société De Neuville est particulièrement mal fondée à prétendre qu'elle n'était débitrice d'aucune obligation pré-contractuelle à ce titre, et ce en contradiction avec les termes de son propre contrat ;

Qu'en effet le contrat de franchise signé par les parties fait référence en page 7 au Code européen de Déontologie du Franchisage, reproduit en annexe 8, qui prévoit notamment des " Règles régissant la publicité de recrutement ", laquelle doit être honnête et sincère et, s'agissant des aspects financiers et notamment les résultats, chiffres ou données relatifs aux revenus et aux bénéfices que peuvent escompter les entreprises franchisées, présenter un caractère objectif, complet et vérifiable ;

Que par ailleurs la société De Neuville s'est engagée aux termes du contrat (article 1er a) à la fourniture de prestations de services pour le lancement (paragraphe 6 page 8) comportant un dossier financier prévisionnel dont le détail est donné à l'annexe 2-1 où il est indiqué qu'il a été remis au franchisé préalablement à la signature du contrat;

Que la société De Neuville ne peut donc tirer aucune conséquence des dates - au demeurant non certaines - portées sur le contrat d'une part, sur l'étude prévisionnelle d'autre part ; que sur le fond, cette étude a été scrupuleusement analysée par le tribunal qui en a démontré l'absence de sérieux ;

Considérant, s'agissant des griefs de la société De Neuville relatifs à l'application des taux de marge par sa franchisée et aux défaillances dans sa gestion (manque de dynamisme commercial, insuffisance d'approvisionnements) qu'elle reprend devant la Cour l'argumentation déjà soutenue devant le tribunal qui y a répondu par des motifs pertinents que la Cour adopte, les pièces relatives à la période postérieure au prononcé du jugement permettant de conforter l'analyse précédemment faite ;

Considérant que la société De Neuville - qui semble avoir commis une confusion entre deux de ses franchisées puisqu'elle forme une demande à l'encontre d'une société PATOU étrangère au présent litige - impute en outre à la société Devillechabrolle un manquement à son obligation d'approvisionnement exclusif nuisant à l'image et à l'unité du réseau de franchise et du franchiseur ; que toutefois, alors qu'elle indiquait dans ses écritures (identiques) des 8 novembre 1996 et 25 juin 1997 se réserver de développer ce point dans des écritures " supplétives " elle ne l'a pas fait, pas plus qu'elle n'a établi par de quelconques pièces la réalité de cette imputation ;

Considérant qu'il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a imputé à la société De Neuville la responsabilité de la résiliation du contrat, et de débouter cette dernière de sa demande de dommages et intérêts ;

Considérant, sur le préjudice de la société Devillechabrolle, que c'est après un examen minutieux de l'ensemble des éléments du dossier que le tribunal l'a exactement fixé, par des motifs que la Cour adopte, à la somme de 500 000 F ; qu'il convient simplement de relever que les prétentions de la société Devillechabrolle sont nettement excessives, tant en ce qu'elles incluent des postes faisant double emploi (pertes subies et marge brute perdue) qu'en ce qu'elles postulent une exécution jusqu'à son terme du contrat sur la base d'estimations du franchiseur dont l'absence de sérieux a été démontrée ; que les intérêts de cette somme ne peuvent être accordés à compter de l'assignation, qui ne vaut pas mise en demeure en l'absence de droit préexistants au jugement, mais à la date de ce dernier qui l'a consacré ; qu'il y a lieu d'en ordonner la capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du code civil ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que postérieurement au jugement les relations se sont poursuivies entre les parties et la créance de la société De Neuville s'élève à la somme de 312 648 F; qu'il y a lieu en conséquence de condamner la société Devillechabrolle au paiement de la somme complémentaire de 122 296,03 F ;

Considérant que compte tenu de la compensation ordonnée par le tribunal et confirmée par la Cour, il n'y a pas lieu de valider le nantissement pris de la société De Neuville sur le fonds de commerce de la société Devillechabrolle ;

Considérant que l'équité ne commande pas une nouvelle application en cause d'appel des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Y ajoutant : Condamne la SARL Devillechabrolle à payer à la SA De Neuville la somme complémentaire de 122 296,03 F ; Dit que la somme de 500 000 F allouée à la SARL Devillechabrolle portera intérêts au taux légal à compter du jugement, et ordonne la capitalisation desdits intérêts dans les conditions de l'article 1154 du code civil ; Déboute les parties de leurs autres demandes ; Condamne la SA De Neuville aux dépens. Admet la SCP Roblin Chaix de Lavarene au bénéfice de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.