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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 23 octobre 1998, n° 1997-08066

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société Distribution Auto et Accessoires (Sté), Société Basque de location automobiles (SA), Automobiles pyrénéennes (Sté)

Défendeur :

Sonauto (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq

Conseillers :

M. Faucher, Mme Riffault

Avoués :

SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Teytaud

Avocats :

Me Sagard, SCP Durand Bouvier Escravache.

CA Paris n° 1997-08066

23 octobre 1998

Considérant que la société Distribution autos et Accessoires SDAA a fait le 14 février 1995 appel d'un jugement contradictoire du 21 décembre 1994 du Tribunal de grande instance de Paris qui l'a déboutée de sa demande de 4 000 000 F de dommages-intérêts pour résiliation abusive du contrat de distribution des véhicules Mitsubishi importés par la société Sonauto et l'a condamnée à verser à la défenderesse 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Considérant que la société SDAA expose :

- qu'elle a été, pendant plus de trente ans et en dernier lieu selon deux conventions à durée déterminée de quatre ans à effet du 1er janvier 1989 sans la moindre anicroche concessionnaire de la société Sonauto, importateur et distributeur exclusif des véhicules Porsche et Mitsubishi en France,

- qu'elle a acquis un terrain sur lequel elle a créé à grands frais une nouvelle concession aux fins de satisfaire aux exigences de la société Sonauto mais le 25 juillet 1990, six mois après l'inauguration des nouveaux locaux, la société Sonauto l'a informée de ce qu'elle n'entendait pas renouveler la concession Porsche et lui a " tacitement promis " par même courrier de prolonger au contraire la concession Mitsubishi,

- qu'elle a refusé de renoncer à la présentation de la marque Porsche mais la société Sonauto dont la promesse tacite de prolonger la concession de distribution des véhicules Mitsubishi n'était qu'une " manœuvre " destinée à lui éviter d'avoir à verser l'indemnité de résiliation anticipée contractuellement prévue, s'est efforcée par tous moyens tirés de sa position dominante de la contraindre déloyalement à résilier le contrat de distribution des véhicules Porsche,

- que la société Sonauto a poursuivi ses manœuvres déloyales en rejetant la candidature d'un repreneur de la concession présentant cependant toutes les qualités voulues, en s'abstenant de livrer les véhicules commandés et en bloquant les documents administratifs destinés aux livraisons des véhicules ;

- que la société SDAA a fini par céder et a résilié le contrat de concession Porsche le 12 septembre 1991, ce dont la société Sonauto lui a donné acte avant d'imposer le 13 décembre 1991 à la société SDAA une diminution des objectifs de ventes et le maintien d'un cautionnement bancaire excessif de 700 000 F pour la seule distribution des véhicules Mitsubishi,

- que la société Sonauto lui a notifié le 15 juin 1992 qu'elle mettait fin à ses engagements contractuels concernant les véhicules Mitsubishi à effet du 31 décembre 1992 ;

- que la société SDAA reproche à la société Sonauto d'avoir fixé chaque année avec un retard de dix semaines le montant de la caution à fournir, de lui avoir imposé sans raison valable, sept mois avant la résiliation de la concession Porsche, un doublement intempestif du montant de cette caution, d'avoir abusé de sa faculté de refus d'agrément du candidat acquéreur Lebrere, d'avoir modifié unilatéralement les conditions d'approvisionnement du concessionnaire afin de freiner son activité, de mal interpréter sa lettre de résiliation de la concession Porsche en lui attribuant un désir de rupture et la lettre de la société Sonauto confirmant le maintien de la concession Mitsubishi en en limitant les effets à la date d'expiration initialement convenue et d'avoir résilié déloyalement cette concession contrairement à l'engagement pris et sans tenir compte des excellents résultats commerciaux obtenus et des investissements qui étaient loin d'être amortis ;

Que la société SDAA demande à la Cour d'infirmer le jugement déféré, de dire que la société Sonauto a commis une faute en refusant abusivement de renouveler la concession Mitsubishi et a fait usage de manœuvres déloyales et de la condamner à lui verser 4 000 000 F de dommages-intérêts ainsi que 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Considérant que la société Sonauto soutient quant à elle que le contrat Porsche a été résilié d'un commun accord dans le cadre d'une réorganisation du réseau propre à cette marque et d'un projet de cession du fonds de commerce de la société SDAA, et que le contrat Mitsubishi à durée déterminée l'a été par elle à effet de sa date contractuelle d'expiration avec respect du préavis " normal " de six mois convenu ;

Qu'elle observe qu'un retard de chiffrage de la caution bancaire exigée pour l'année 1990 ne peut avoir préparé une résiliation au 31 décembre 1992, dément que la caution de l'année 1992 dont le montant avait été accepté, ait été abusivement majorée, prétend que la concession Mitsubishi était incessible et en déduit qu'elle était en droit de refuser son agrément à une cession sans avoir à s'en justifier, nie avoir promis le renouvellement de la concession Mitsubishi, prétend que se serait la décision prise par le dirigeant de la société SDAA de renoncer à son projet de vente du fonds de commerce qui aurait motivé la résiliation de cette convention pour démotivation du concessionnaire, impute les retards de livraison incriminés aux limitations imposées par les pouvoirs publics à l'importation des véhicules japonais et conteste enfin avoir causé un quelconque préjudice, la société SDAA ayant amorti depuis longtemps le rachat de l'outillage et des pièces détachées ;

Qu'elle demande à la Cour de confirmer le jugement et de lui accorder 20 000 F pour ses frais irrépétibles d'appel ;

Considérant qu'après clôture de la mise en état par ordonnance du 7 février 1997 la Cour a été informée de ce que la société SDAA aurait été absorbée par une société Basque de location automobiles et a ordonné la radiation de l'affaire du rôle faute de régularisation de la procédure ;

Considérant que la société Sonauto a fait rétablir l'affaire et la société SDAA est intervenue à nouveau sous son nom le 20 juillet 1997 afin d'interrompre la péremption ; qu'une société Automobile Pyrénéenne est intervenue volontairement le 14 octobre 1997 en exposant qu'elle venait par absorption du 28 mai 1996 aux droits de la société SDAA et a déclaré reprendre les demandes et moyens de la société absorbée ; que le 4 décembre 1997 des conclusions rectificatives d'erreur matérielle ont substitué la société Basque de location automobiles à la société Automobile Pyrénéenne ;

Que la clôture de la mise en état a été ordonnée le 5 juin 1998 en l'état de l'échange initial des conclusions ;

Considérant que les contrats de concession litigieux ont été conclus à durée déterminée de quatre ans mais étaient renouvelables sinon par tacite reconduction puisque l'article 2-3 l'excluait, du moins par conclusion de nouvelles conventions dès lors que l'article 2-4 imposait à la partie qui souhaiterait ne pas poursuivre les relations contractuelles au-delà du 31 décembre 1992 d'en informer l'autre avec préavis d'au moins 6 mois avant le terme convenu ;

Considérant que la société Basque de location automobiles venant aux droits de la société SDAA ne saurait fonder sa demande de dommages-intérêts sur la résiliation de la concession Porsche dont la société Sonauto a certes émis le souhait qu'elle anticipe sur la date contractuelle d'expiration de la concession à durée déterminée convenue, mais qu'elle a acceptée au point de la demander, sans dénoncer à l'époque la moindre atteinte à son consentement ;

Qu'elle ne peut appuyer l'octroi des dommages-intérêts réclamés que sur la promesse d'un renouvellement de la concession Mitsubishi dont elle estime trouver la preuve dans une lettre du 25 juillet 1990 de la société Sonauto, sur une opposition injustifiée à la cession de la concession à un repreneur et sur le caractère abusif d'une résiliation de cette concession qui n'aurait pas de motif sérieux et ne tiendrait aucun compte des nécessités d'amortissement d'immobilisations récentes ;

Que la société Sonauto se prévaut quant à elle de l'incessibilité convenue de la concession, du caractère discrétionnaire de son droit d'agrément d'un candidat à la reprise de la concession et de la durée déterminée du contrat de concession dont elle n'avait pas à justifier le refus de renouvellement ;

Considérant que si les conventions librement consenties font la loi des parties, l'article 1134 du Code civil édicte aussi qu'elles doivent être exécutées de bonne foi ; que la poursuite de relations contractuelles harmonieuses durant plusieurs dizaines d'années sous couvert de contrats de distribution exclusive à durée déterminée périodiquement renouvelés implique une communauté d'intérêts qui exige que le concédant, tenu d'exécuter loyalement les accords contractuels, n'abuse ni de son droit d'agrément d'un candidat repreneur prévu par une clause contractuelle dont l'existence même contredit l'incessibilité de la concession fondée sur le seul caractère intuitu personae des liens contractuels, ni de son droit de mettre discrétionnairement un terme à la concession sans se préoccuper des amortissements en cours ni du dommage susceptible d'en résulter ;

Considérant que la société Sonauto a écrit à la société SDDA le 25 juillet 1990 pour lui confirmer son intention de ne pas renouveler la concession Porsche à son échéance du 31 décembre 1992 et lui exprimer son souhait de :

- voir la société SDAA résilier avant terme la concession Porsche,

- de " maintenir " à la société SDAA la représentation de la marque Mitsubishi, ajoutant qu'elle " avait pris bonne note, dans cet esprit, que la société SDAA s'engageait à l'obtention de résultats et à un engagement total dans la représentation de ce produit, tant commercial que technique "(sic) ;

Que le contrat de concession Mitsubishi à durée lui aussi déterminée expirait également le 31 décembre 1992 ; qu'il n'était nullement question d'y mettre un terme ; que le terme " maintenir " ne peut avoir d'autre signification que " renouveler ", d'autant que la société Sonauto opposait au " maintien " de la concession Mitsubishi le non renouvellement de la concession Porsche ;

Qu'il s'en suit que l'appelante est fondée à soutenir que l'anticipation de la résiliation de la concession Porsche avait pour contrepartie le renouvellement de la concession Mitsubishi pour la durée déterminée habituelle au-delà de la date d'expiration de la période en cours, d'autant que l'acquiescement obtenu de la société SDAA évitait à la société Sonauto d'avoir à verser la moindre indemnité ;

Considérant que la société Sonauto a commis une erreur dans cette lettre en rappelant à son concessionnaire que " les marques représentées n'étaient pas cessibles ", ce qui ne peut constituer, les marques appartenant au constructeur, qu'une formulation maladroite d'un rappel de l'existence de la clause " d'intransmissibilité du contrat conclu intuitu personae " insérée à l'article 8-1 de la convention ;

Que l'article 8-3 dispose en effet que le concessionnaire ne peut apporter par cession patrimoniale ou changement quelconque une modification du contrôle de la société SDAA sans le consentement préalable et écrit de la société Sonauto ; que ce texte introduit une cessibilité de la concession sous réserve d'agrément et rend acceptable une clause qui aurait été abusive si elle n'était exprimée que sous la formulation inexacte du rappel du 25 juillet 1990 ;

Que le 16 janvier 1991 la société Sonauto a d'ailleurs admis la cessibilité de la concession dans la mesure où, tout en refusant la candidature d'Alain Lebrere, président directeur général de la société Automobiles Bearn services, elle se proposait " d'indiquer " elle-même à la société SDAA " des repreneurs susceptibles d'être intéressés " et demandait à son concessionnaire de lui faire parvenir le dossier de " proposition de vente " ;

Considérant que la société Sonauto ne conteste pas qu'elle a rejeté l'offre pourtant très élaborée de reprise de la concession Mitsubishi présentée en décembre 1990 par Alain Lebrere; qu'elle n'a avancé aucune raison pour justifier son refus d'agrément et n'en fournit aucune à la Cour, se bornant à revendiquer un droit discrétionnaire qui ne l'est pas puisqu'il peut lui être reproché d'en avoir déloyalement abusé;

Que la société Sonauto n'a pas respecté par ailleurs sa promesse d'un renouvellement de la concession Mitsubishi qui constituait le corollaire de la résiliation anticipée de la concession Porsche qu'elle souhaitait, en notifiant par lettre du 15 juin 1992 la résiliation de la concession Mitsubishi à son échéance du 31 décembre 1992 sans énoncer le moindre motif;

Qu'il importe peu qu'elle ait agi conformément aux dispositions de l'article 2 du contrat de concession et respecté le délai contractuel de préavis de six mois ; qu'elle s'était engagée à renouveler le contrat par une lettre dont elle ne conteste pas qu'elle émane d'un représentant salarié qualifié, et n'avance aucune raison susceptible de justifier qu'elle revienne sur sa promesse ;

Qu'elle parachevait ainsi une éviction qu'avait préparé selon les justifications qui en sont produites, un harcèlement manifesté en particulier par une tentative intempestive de majoration abusive de la caution bancaire exigée de la société SDAA pour 1992 et par des dysfonctionnements d'approvisionnement de la concession que le respect des quotas d'importation ne suffit pas à expliquer ;

Considérant que le refus de renouvellement de la concession Mitsubishi venant à échéance le 31 décembre 1992 constitue une faute dont la société Sonauto doit réparer les conséquencesque la Cour n'est pas en état de chiffrer ;

Par ces motifs : Dit que la société Sonauto a abusé de ses droits de refuser son agrément d'un repreneur et de ne pas renouveler la concession Mitsubishi à son terme contractuel d'autant que la résiliation qu'elle a notifiée, violait la promesse de renouvellement qu'elle avait faite afin d'obtenir en contrepartie une résiliation amiable anticipée d'une autre concession, Condamne la société Sonauto à réparer le préjudice qu'elle a causé, et à verser à la société Basque de location automobiles venant aux droits de la société SDAA à titre de provision une somme de 800 000 F, Ordonne pour le surplus une expertise à l'effet de fournir à la Cour par toutes auditions et consultations de documents, tous éléments lui permettant de définir les conséquences du refus d'agrément du repreneur Alain Lebrere et de l'absence de renouvellement de la concession Mitsubishi de la société SDAA et de chiffre les préjudices en résultant, Commet G. Grégoire, 23 rue de la Boetie 75008 Paris, téléphone 01 43 12 86 00 expert près la Cour d'appel de Paris, dit que la société Basque de location automobiles devra consigner au greffe de la Cour la somme de 70 000 F à valoir sur les honoraires avant le 1er décembre 1998 ; Dit que cette somme doit être versée au régisseur d'avances et recettes de la Cour d'appel de Paris, 34 quai des Orfèvres 75 055 Paris Louvre SP, Dit que l'expert devra déposer son rapport en double exemplaire au service de la mise en téta de la Cour d'appel dans les 10 mois de sa saisine, Condamne la société Sonauto en tous les dépens exposés à ce jour, Admet la société civile professionnelle Fisselier Chiloux Boulay, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.