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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 29 octobre 1998, n° 1997-10105

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Bermond (ès qual.), Europ Autos (SARL)

Défendeur :

Groupe Volkswagen France (SA), Volkswagen Finance (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq

Conseillers :

Mme Riffault, M. Faucher

Avoués :

SCP Dauthy-Naboudet, SCP Barrier-Monin

Avocats :

Me Mihailov, SCP Vogel.

TGI Paris, 5e ch., 2e sect., du 27 mars …

27 mars 1997

LA COUR est saisie de l'appel interjeté par Maître Bermond, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Europ Autos, du jugement contradictoirement rendu le 27 mars 1997 par le Tribunal de grande instance de Paris qui, dans le litige l'opposant à la SA Groupe Volkswagen France venant aux droits de la société VAG France, elle-même venant aux droits de la société Seat France, ainsi qu'à la SA Volkswagen Finance venant aux droits de la société VAG Financement, l'a débouté de ses demandes et l'a condamné à verser aux intimées une indemnité de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Liée pour une durée indéterminée à la société Seat France par un contrat de concession exclusive de sa marque conclu le 11 juillet 1988 et parallèlement à Seat Financement, département de la société VAG Financement, par une convention de financement, la société Europ Autos, représentée par son liquidateur Maître Bermond, reproche à la décision critiquée de l'avoir déclarée mal fondée en sa demande de dommages-intérêts pour résiliation abusive de ces contrats intervenue le 8 juillet 1993 pour le premier et le 15 juillet 1993 pour le second.

Elle fait valoir que les impayés qui ont servi de prétexte à la résiliation de plein droit à effet immédiat du contrat de concession, sont la conséquence directe de la politique commerciale de la société Seat France qui aurait abusé de la dépendance financière dans laquelle elle tenait son concessionnaire pour l'obliger à lui acheter toujours davantage de véhicules sans se préoccuper de la situation de la concession ni des conséquences désastreuses de cette politique sur son exploitation.

L'appelant, ès-qualités, demande en conséquence à la cour d'infirmer le jugement déféré et de condamner solidairement les intimées d'une part à lui payer 3 425 873 F, soit une année de marge brute à titre de dommages-intérêts, d'autre part à supporter les conséquences de l'insuffisance d'actif de la société Europ Autos, enfin à lui verser 50 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sollicitant pour leur part la confirmation du jugement déféré et la condamnation de l'appelant ès-qualités, à leur verser 50 000 F à chacune pour leurs frais irrépétibles, les sociétés Groupe Volkswagen France et Volkswagen Finance soutiennent que l'importance des impayés et l'absence de restructuration financière de la société Europ Autos, justifiaient la résiliation des contrats et prétendent que :

- aucun moyen n'est développé par l'appelant pour contester la résiliation du contrat de financement,

- il ne peut être reproché au concédant d'avoir imposé à son concessionnaire qui n'a jamais émis de protestation en cours du contrat, un excès de stockage et une surévaluation des objectifs qui ne sont pas établis, d'autant que les objectifs, qui étaient arrêtés en concertation avec le concessionnaire, ont été dépassés de 1990 à 1992,

- l'appelant ne peut reprocher au concédant "d'avoir recherché" la participation de la société Europ Autos à des campagnes promotionnelles puisque celle-ci faisaient partie des modalités d'exécution du contrat même si le concessionnaire n'était pas tenu d'y participer.

En réponse à cette argumentation Maître Bermond, fait valoir, ès-qualités, que :

- la résiliation du contrat de financement a été opérée en infraction aux dispositions de l'article 60 de la loi bancaire du 24 janvier 1984 et que la société Seat Financement avait conscience que sa décision risquait d'engendrer une rupture brutale des liens contractuels unissant le concessionnaire au concédant, compte tenu de sa dépendance financière, s'il ne bénéficiait pas du préavis légal de rupture prévu par ce texte,

- l'acceptation des objectifs annuels de vente concrétisée par la signature au bas du document les consignant, a été "accordée dans un état de nécessité et de dépendance économique équipollent à une violence morale", et résulte d'une contrainte illégitime résidant dans le fait qu'en cas de refus de souscrire aux objectifs fixés en violation des dispositions contractuelles, le concessionnaire s'expose, en application de l'article 2.c du contrat, à une rupture extraordinaire des relations contractuelles de plein droit à préavis abrégé et avec obligation de remboursement anticipé des financements,

- si le concessionnaire n'a jamais protesté, c'est en raison de la pression constante exercée sur lui par le concédant.

Dans d'ultimes écritures les intimées répliquent que :

- en application de ses articles 9 et 11, la convention de financement est résiliée de plein droit en cas de mise en œuvre de l'article XV-3 du contrat de concession définissant ses cas de résiliation extraordinaire puisque, destinée à assurer le financement des stocks de véhicules livrés par le concédant, elle n'a plus d'objet ou de cause si le contrat de concession est résilié,

- la société Europ Autos, qui n'aurait subi aucun préjudice du fait de la résiliation du contrat de financement, se trouve débitrice d'une somme de 635.927 F,

- le concessionnaire a intégré volontairement le réseau et ne peut invoquer les dispositions de l'article 1112 du Code civil alors que la clause litigieuse se trouve dans un contrat qui n'a pas été dénoncé et alors que la prétendue contrainte illégitime ne saurait être inférée de l'application hypothétique d'une clause contractuelle librement consentie.

Sur ce :

1°) Sur la résiliation du contrat de concession :

Considérant qu'après mise en demeure adressée à sa cocontractante le 24 juin 1993, la société Seat France, constatant l'absence de règlement d'une dette d'un montant de 2.490.009,14 F et se prévalant des dispositions de l'article XV-3 du contrat de concession conclu avec la société Europ Autos le 11 juillet 1988, a procédé par lettre recommandée délivrée le 8 juillet 1993 à la "résiliation immédiate et sans préavis" des liens contractuels ;

Considérant que la société Europ Autos dont le redressement judiciaire a été ouvert le 21 juillet 1993, impute la profonde détérioration de sa situation financière à l'attitude de la concédante qui l'aurait contrainte à acheter toujours plus de véhicules sans se préoccuper des conséquences néfastes de cette politique commerciale ; qu'elle reproche en définitive à la société Seat France de lui avoir imposé des objectifs excessifs de vente et un approvisionnement en véhicules dépassant ses besoins ;

Considérant cependant que les objectifs de vente qui conditionnement le volume du stock de véhicules, ont été soumis chaque année à l'approbation du concessionnaire qui ne saurait prétendre, après résiliation, afin de se prévaloir des dispositions de l'article 1112 du Code civil, qu'il a été contraint de les accepter en raison des dispositions de l'article III-2-c du contrat de concession selon lesquelles "en cas de désaccord du concessionnaire sur l'objectif proposé, le concédant pourra imposer cet objectif qui deviendra contractuel ... conformément à l'article 4 paragraphe 3 du Règlement CEE 123-85" et "considérer le contrat comme résilié de plein droit à l'initiative du concessionnaire, trois mois après l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception" ;

Que la société Europ Autos disposait en effet en tant que professionnel du marché de l'automobile des connaissances nécessaires à une libre conclusion du contrat de concession du 11 juillet 1988; qu'elle n'est pas fondée à invoquer un état de dépendance économique au sens donné à ces termes par l'article 8 al. 2 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 puisqu'elle avait la faculté de contester toute fixation unilatérale excessive des objectifs de vente en engageant une action appropriée fondée sur l'abus de droit et l'utilisation déloyale d'une clause contractuelle, et qu'elle disposait compte tenu de la notoriété de la marque importée par la société Seat France et de ses parts de marché de possibilités non négligeables de cession de la concession ou d'accès à un réseau concurrent ;

Considérant ensuite que l'appelante, qui n'a jamais émis de protestation concernant les objectifs de vente et le niveau ainsi imposé de ses stocks, est d'autant moins fondée à s'en plaindre que les documents communiqués établissent que les ventes (258 en 1991 et 254 en 1992) ont dépassé les objectifs prévus pour ces années (248 en 1991 et 238 en 1992) sans que le caractère artificiel de cette augmentation ne soit démontré;

Que le concessionnaire ne peut non plus faire grief à l'intimée de sa participation à des campagnes promotionnelles alors qu'il lui était loisible de ne pas y adhérer, ce qu'il a d'ailleurs fait au mois d'avril 1993 en se désengageant de la compagne "Ibiza Old Style" ;

Considérant dès lors que la société Europ Autos n'est pas fondée à soutenir que la société Seat France a commis une faute en résiliant le contrat de concession; que le concédant a tiré les conséquences de la défaillance de son concessionnaire conformément aux dispositions de l'article XV-3 de la convention; que loin d'abuser de ses droits la société Seat France a tenu compte des difficultés financières de son concessionnaire, en admettant au mois de mai 1993 la reprise et la défacturation d'un certain nombre de véhicules jugés excédentaires ;

2°) Sur la résiliation du contrat de financement :

Considérant que le 23 janvier 1992, la société Europ Autos a conclu avec Seat Financement, département de la société VAG Financement, une convention de financement prévoyant en son article 11 qu'elle se trouvait résiliée de plein droit en cas de mise en œuvre des dispositions de l'article XV-3 du contrat de concession ;

Considérant qu'après signification le 8 juillet 1993 de la résiliation de contrat de concession en application de l'article précité, la société VAG Financement a, par lettre du 15 juillet 1993, notifié à son tour la résiliation de la convention de financement ;

Considérant que, comme l'a jugé le tribunal, l'appelant ne peut se prévaloir d'une méconnaissance des dispositions de l'article 60 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 selon lesquelles le concours qu'un établissement de crédit a consenti à une entreprise, ne peut être interrompu qu'à l'expiration d'un délai de préavis ;

Qu'en effet, s'inscrivant, selon son article 1er, "de façon expresse et formelle dans le cadre du contrat de concession parallèlement signé entre Seat France et le concessionnaire", la convention de financement formait un tout indivisible avec le contrat de concession conclu le 11 juillet 1988 et, destinée en particulier à assurer le financement des véhicules acquis en exécution de ce contrat, elle devenait sans objet après la résiliation de celui-ci ;

Que dès lors il y a lieu, là encore, de confirmer la décision des premiers juges ;

Considérant que l'indemnité allouée aux intimées au titre de leurs frais irrépétibles était excessive à ce stade ; qu'elle apparaît désormais justifiée et suffisante ;

Considérant que Maître Bermond, ès-qualités, partie perdante, ne peut obtenir d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs : Confirme le jugement déféré en toute ses dispositions, Condamne Maître Bermond, ès-qualités, aux dépens de première instance et d'appel ; admet la SCP Jean Barrier & Patrice Monin, Avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, Déboute les parties de toutes autres demandes.