CA Montpellier, 2e ch. A, 12 novembre 1998, n° 97-0004183
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Vela
Défendeur :
Hygiène Diffusion (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ottavy
Conseillers :
Mme Minini, M. Prouzat
Avoués :
SCP Capdevilla-Gabolde, SCP Argellies-Travier
Avocats :
Mes Triquet, Vinckel.
Les faits et la procédure :
Par acte sous seing privé en date du 1er novembre 1989, C. Vela et la SA Hygiène Diffusion, enseigne "Bébé Cash", ont conclu un contrat de concession exclusive comportant à la charge de la SA Hygiène Diffusion, la réserve d'une exclusivité territoriale et, à la charge de C. Vela, concessionnaire, une obligations d'achat exclusif.
Après mise en demeure d'avoir à payer le montant de factures impayées restée infructueuse, la SA Hygiène Diffusion a, par exploit d'huissier en date du 30 avril 1994, attrait C. Vela devant le Tribunal de Commerce de Montpellier aux fins de s'entendre condamner à payer les sommes de 54.949,94 F, montant de factures impayées, outre les intérêts au taux légal à compter du 25.11.93, 5.000 F à titre de dommages et intérêts, 5.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Par jugement du 4 juin 1997, le tribunal de commerce de Montpellier a :
- condamné C. Vela à payer à la SA Hygiène Diffusion, en deniers ou quittances valables pour les causes sus-énoncées, la somme principale de 56.949,94 F outre les intérêts au taux légal à compter du 25.11.1993, date de la mise en demeure ;
- condamné C. Vela à payer la somme de 3.000 F à titre de dommages et intérêts ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
- condamné C. Vela à payer la somme de 3.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, outre les entiers dépens.
C. Vela a régulièrement relevé appel de cette décision.
Elle soutient que la loi du 31.12.1989 est applicable à la convention litigieuse qui comporte une obligation d'exclusivité à la charge du concessionnaire et, que dans la mesure où aucune information précontractuelle n'a été fournie avant la conclusion des différents contrats (1.11.90 au 1.11.91, 1.11.91 au 1.11.92, 1.11.92 au 1.11.93, 1.11.93 au 1.11.94), les dispositions de cette loi ont été violées. Elle précise que le contrat allant du 1.11.90 au 1.11.91 relève de la loi Doubin, texte applicable immédiatement, même au cours de la période ayant précédé le décret d'application. Elle précise encore que la SA Hygiène Diffusion était débitrice de cette obligation d'information précontractuelle, même si elle était déjà antérieurement liée par un accord analogue avec C. Vela.
C. Vela soutient en outre que le contrat litigieux, en ce qu'il comporte une obligation de non concurrence portant sur l'ensemble du territoire national qui a vocation à durer après le terme contractuel, contrevient à l'article 85 du Traité de Rome, au règlement 1983-83 du 22 juin 1983, et, sauf, à démontrer qu'il est l'objet d'une décision d'exemption individuelle, ce que la SA Hygiène Diffusion ne fait pas, doit en conséquence être annulé.
C. Vela sollicite également la nullité du contrat litigieux en ce qu'il organise, par son article 10, une pratique de prix imposés, en violation des articles 7 et 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
C. Vela soutient encore qu'il résulte de l'annulation du contrat-cadre d'achat exclusif, celle des contrats d'application, et que dans la mesure où les produits acquis et revendus ne peuvent plus être restitués, il incombe à la SA Hygiène Diffusion de payer à son distributeur la différence entre le prix perçu lors de chaque vente et la valeur réelle des articles, sans compensation avec les bénéfices réalisés par le revendeur.
Elle précise que du fait de la rétroactivité de l'annulation des contrats de vente, elle n'a jamais été propriétaire des marchandises mais les a seulement cédées, en qualité de mandataire, pour le compte de la SA Hygiène Diffusion, et qu'à ce titre, elle prétend au paiement des frais, salaires et participation aux pertes dues par le mandant, en application des articles 1999 et 2000 du Code civil.
C. Vela soutient enfin que, par le développement de pratiques suspectes au sein de son réseau et par l'introduction de causes de nullité dans le contrat litigieux, la SA Hygiène Diffusion a commis une faute ou à tout le moins une négligence susceptible d'engager sa responsabilité et que le préjudice subi ne peut être estimé en deçà de la somme de 90.000 F.
C. Vela conclut à la constatation de la nullité des accords, à la réformation de la décision déférée, à la nomination d'un expert aux frais de la SA Hygiène Diffusion ayant pour mission de définir et chiffrer les restitutions à intervenir, à l'allocation d'une provision de 50.000 F sur ces restitutions, à la condamnation de la SA Hygiène Diffusion au paiement des sommes de 90.000 F en réparation des préjudices subis, 5.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, outre les entiers dépens.
La SA Hygiène Diffusion soutient en revanche que le dernier contrat date du 1er novembre 1990, qu'il est donc antérieur au décret d'application de la loi du 31.12.1989, et qu'en conséquence C. Vela ne peut solliciter l'application de ce texte. Elle précise que le fournisseur est dispensé de la communication de l'information préalable requise par la loi Doubin et son décret d'application lorsque le consentement du distributeur n'a pu être vicié, dès lors qu'il avait connaissance des conditions contractuelles, notamment en raison de son appartenance antérieure au réseau.
Elle ajoute que la convention litigieuse ne remplit pas les conditions d'application de la loi Doubin dans la mesure où C. Vela, qui avait la possibilité de commercialiser des marchandises différentes de celles qui font l'objet du contrat d'exclusivité concernant les produits de marque Bébé Cash, exploitait un commerce de bazar, mercerie.
La SA Hygiène Diffusion soutient en outre que C. Vela ne peut prétendre que la convention litigieuse contrevient à l'article 85 du Traité de Rome, que les dispositions de l'article 3-1-b) du règlement d'exemption du 30 novembre 1988 sont respectées en l'espèce et qu'enfin, la clause d'exclusivité mise à la charge de C. Vela ne contrevient pas à l'article 8 de l'ordonnance du 1.12.86, puisque cette clause est indispensable à la préservation du réseau, eu égard au domaine d'activité concerné et à la nature des produits distribués.
La SA Hygiène Diffusion soutient enfin que C. Vela est mal fondée à alléguer une prétendue indétermination du prix dans la mesure où l'article 10 de la convention litigieuse est tout à fait valable.
La SA Hygiène Diffusion conclut à la confirmation du jugement déféré, au débouté de C. Vela de ses demandes et prétentions, à la condamnation de celle-ci au paiement de la somme de 6.000 F HT au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Sur ce,
Motifs de la décision :
C. Vela soutient que le contrat qui la lie à la SA Hygiène Diffusion est nul au motif qu'elle n'a pas reçu de documents précontractuels. La SA Hygiène Diffusion, qui ne conteste pas ne pas avoir délivré d'information précontractuelle, soutient en revanche que ces dispositions ne sont pas applicables d'une part parce que le contrat en cause est antérieur au Décret d'application de la loi du 31 décembre 1989, promulgué le 4 avril 1991 et d'autre part, parce que C. Vela ne serait pas débitrice d'une obligation d'approvisionnement exclusif.
Concernant l'application dans le temps des dispositions de l'article 1er de la loi n° 89-1008 du 31 décembre 1989.
Cette loi, qui prévoit seulement un décret d'application pour fixer le contenu du document d'information, était d'application immédiate et exigeait que la SA Hygiène Diffusion prenne toute disposition nécessaire pour respecter l'esprit de la loi. De plus, force est d'observer que pour les contrats conclus à partir du 1er janvier 1991, le décret d'application de la loi était paru et obligeait la SA Hygiène Diffusion à s'y conformer immédiatement.
Concernant le champ d'application de la loi de 1989.
L'article 1er de la loi n° 89-1008 du 31 décembre 1989 impose la communication d'une information précontractuelle à la charge du fournisseur, dans les contrats conclus dans l'intérêt commun des parties où l'un des contractants met à disposition de l'autre un nom commercial, une marque ou une enseigne, en contrepartie d'un engagement d'exclusivité ou de quasi exclusivité.
C. Vela et la SA Hygiène Diffusion sont liées par un contrat intitulé "contrat de concession exclusive" et des termes duquel il ressort notamment :
- Article 3 - Enseigne - : "la société "Hygiène Diffusion" accorde au concessionnaire, pour toute la durée d'exécution des présentes, pour son magasin, sus-désigné, le droit d'usage à titre d'enseigne commerciale de la marque "Bébé Cash" suivant le modèle de logotype", (...) "le concessionnaire s'engage à ne vendre dans son magasin que les articles qui lui seront fournis par la société "Hygiène Diffusion".
- Article 4 - Conditions générales d'activités - : "dans ce secteur, le preneur bénéficiera de façon exclusive : de l'utilisation des imprimés et méthodes de la société "Hygiène Diffusion", d'une assistance pour le démarrage de son magasin par la société "Hygiène Diffusion" (...).
Ainsi, la SA Hygiène Diffusion a mis à la disposition de C. Vela, l'enseigne et la marque "Bébé Cash" et lui a autorisé l'utilisation de ses imprimés et méthodes.
En outre, C. Vela est contractuellement débitrice d'une obligation d'approvisionnement exclusif auprès de son concédant et ce dernier, qui prétend qu'en fait C. Vela vendait des articles différents, de type mercerie, ne justifie pas que le chiffre d'affaires, relatif à cette activité plaçait son concessionnaire dans une relation autre que celle de quasi-exclusivité.
En conséquence, les conditions d'application de la loi Doubin sont remplies et la SA Hygiène Diffusion, qui ne conteste pas ne pas avoir délivré d'information précontractuelle à C. Vela, a violé cette disposition légale.
Cette obligation précontractuelle de renseignement est, en cas de non respect, pénalement sanctionnée ce qui démontre le caractère d'ordre public de ces textes, et il s'ensuit que l'inexécution dans le délai de la loi de l'obligation précontractuelle de renseignements constitue en elle-même une infraction à l'ordre public et suffit à entraîner la nullité du contrat.
Sur les autres moyens soulevés
Du fait même de la nullité du contrat par application des dispositions de l'article 1er de la loi Doubin, il n'apparaît pas utile de se prononcer sur les autres moyens, devenus sans objet, soulevés par C. Vela, tant à titre principal, qu'à titre subsidiaire, ni sur les autres moyens de défense présentés par la SA Hygiène Diffusion.
Sur les conséquences de la nullité.
La nullité du contrat-cadre et des contrats d'application entraîne que les choses doivent être remises en état comme si les contrats n'avaient jamais existé. Ainsi, C. Vela n'a jamais été propriétaire des produits de la SA Hygiène Diffusion et n'a fait que les vendre en qualité de mandataire rémunéré. En cette qualité de mandataire, C. Vela a droit au paiement par la SA Hygiène Diffusion, des frais, salaires et participations aux pertes, conformément aux dispositions des articles 1999 et 2000 du Code civil.
Faute pour C. Vela de justifier du réel montant de ces sommes, la Cour estime que la rémunération de ce mandataire et le remboursement de ses frais sont égaux au montant des bénéfices qu'elle a perçus à l'occasion des ventes. Elle en doit donc restitution au mandant au titre de la remise des choses en l'état, tandis que le mandant a l'obligation de les lui reverser à titre de rémunération. De sorte que C. Vela ne peut prétendre à aucune autre somme.
Sur le paiement des factures présentées par la SA Hygiène Diffusion.
La SA Hygiène Diffusion sollicite le paiement par C. Vela de la somme de 54.949,94 F, montant de factures impayées, outre les intérêts au taux légal à compter du 25.11.93. C. Vela ne contestant pas cette somme ni dans sa nature ni dans son montant, la Cour confirmera la décision déférée en ce qu'elle l'a condamnée à payer ladite somme.
Faute pour chacune des parties de justifier d'un réel préjudice, la Cour rejettera leurs demandes en dommages et intérêts.
Chaque partie, qui succombe en ses prétentions, supportera les dépens dont elle a fait l'avance, sans qu'il soit possible de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ces motifs : La Cour statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et après en avoir délibéré. Reçoit l'appel en la forme. Infirme le jugement rendu le 4 juin 1997 par le Tribunal de Commerce de Montpellier. Statuant à nouveau : Déclare nul le contrat de concession exclusive conclu entre C. Vela et la SA Hygiène Diffusion. Constate en conséquence que les relations entre C. Vela et la SA Hygiène Diffusion sont régies par les dispositions concernant le mandat rémunéré. Dit que les rémunérations, frais et débours auxquels C. Vela a droit sont égaux à la marge bénéficiaire qu'elle a perçue, et la remplissent de ses droits. Condamne C. Vela à payer à la SA Hygiène Diffusion la somme de 54.949,94 F au titre des livraisons impayées, outre intérêts au taux légal à compter du 25.11.93. Déboute les parties de leurs autres demandes. Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Dit que les dépens seront supportés par chaque partie qui en a fait l'avance.