Livv
Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 9 décembre 1998, n° 1996-11594

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Suzuki France (SA)

Défendeur :

Borgo Poids Lourds (SARL), Campo Meta (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard-Payen

Conseillers :

Mmes Jaubert, Percheron

Avoués :

SCP Baskal, SCP Roblin-Chaix de Lavarène

Avocats :

Mes Karsenty-Ricard, Guillin.

T. com. Paris, 9e ch., du 4 avr. 1996

4 avril 1996

Le 1er juin 1990 les sociétés Suzuki France et Borgo Poids Lourds ont conclu un contrat de concession résiliable moyennant un préavis d'un an. Aux termes de son article 1 et des annexes I et II ce contrat accordait au concessionnaire le droit exclusif de représentation et d'action commerciale pour la gamme des véhicules Santana (fabriqués en Espagne sous licence Suzuki) sur une zone comprenant les départements de Haute Corse et de Corse du Sud.

Estimant que la société Suzuki France avait violé la clause d'exclusivité, la société Borgo Poids Lourds l'a assignée le 13 juillet 1994 devant le Tribunal de Commerce de Paris aux fins de voir constater la résiliation du contrat aux torts exclusifs du concédant et de se voir allouer des dommages et intérêts.

C'est dans ces conditions que par jugement du 4 avril 1996 le Tribunal a:

- constaté la résiliation du contrat de concession aux torts exclusifs de la société Suzuki France,

- condamné la société Suzuki France à payer à la société Borgo Poids Lourds la somme de 400.000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 80.000 F à titre de reprise intégrale du stock de pièces de rechange Santana et de reprise de l'outillage spécifique Santana,

- débouté la société SC Campo Meta de sa demande de dommages et intérêts,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la société Suzuki France à payer à la société Borgo Poids Lourds la somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens.

Appelante, la société Suzuki France poursuit la réformation du jugement déféré des chefs relatifs à la résiliation du contrat de concession à ses torts et sa confirmation du chef relatif au débouté des demandes de la société Campo Meta. Elle fait valoir que :

- aucune faute ne peut lui être reprochée aux motifs qu'ayant en 1992 obtenu l'accréditation pour l'importation et la distribution des voitures japonaises Suzuki en France, elle a confié au garage Casella de Bastia la commercialisation des produits de la gamme Suzuki qui ne peuvent être assimilés à ceux de la gamme Santana et ce, après en avoir officiellement averti par lettre du 1er mars 1993 la société Borgo Poids Lourds qui, à tort, a pris l'initiative de mettre fin aux relations commerciales par courrier du 30 juin 1994 et qu'elle a régulièrement résilié le contrat de concession le 1er juillet 1994 moyennant le préavis de un an prévu en son article XII alinéa 4,

- si la Cour admet la résiliation à ses torts exclusifs, il conviendra de débouter d'une part la société Borgo Poids Lourds de sa demande de dommages et intérêts fondée sur la rupture brutale du contrat puisqu'elle ne justifie pas avoir subi un quelconque préjudice, d'autre part la société Campo Meta de sa demande formée au titre de l'investissement immobilier de Bastia, la société Borgo Poids Lourds ayant pris l'initiative des travaux à ses risques et périls.

Elle prie en conséquence la Cour de :

- débouter la société Borgo Poids Lourds et la société Campo Meta de l'ensemble de leurs demandes,

- ordonner la restitution par la société Borgo Poids Lourds de la somme de 480.000 F versée en exécution du jugement entrepris et ce, avec intérêts de droit à compter du 4 avril 1996,

- condamner la société Borgo Poids Lourds à lui payer la somme de 20.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Intimée au principal et appelante incidemment, la société Borgo Poids Lourds réplique ainsi que la société Campo Meta - appelante incidemment - que :

- la société Suzuki France a violé ses engagements d'exclusivité en confiant au garage Casella la distribution des produits Suzuki qui comprenaient des véhicules 4x4 certes importés du Japon mais correspondant à ceux initialement fabriqués en Espagne sous la marque Santana de sorte que le préavis de résiliation d'un an est sans objet,

- la société Borgo Poids Lourds est en droit de demander des dommages et intérêts correspondant à une année de marge brute de son activité de concessionnaire Santana, observation étant faite que la société Suzuki France s'est acquittée au titre de l'exécution provisoire de ses obligations de reprise du stock de pièces et du matériel Santana,

- la société Campo Meta a, du fait de la résiliation, subi un préjudice de 200.000 F, montant du loyer annuel qu'elle aurait dû percevoir pour des locaux construits pour l'exploitation par la société Borgo Poids Lourds de la concession Suzuki qu'en dépit du courrier du 1er mars 1994 elle pensait pouvoir obtenir au vu des investissements engagés.

Elles prient en conséquence la Cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté la résiliation du contrat de concession aux torts exclusifs de la société Suzuki France,

- condamner la société Suzuki France à payer à la société Borgo Poids Lourds la somme de 800.000 F à titre de dommages et intérêts et à la société Campo Meta celle de 200.000 F,

- condamner la société Suzuki France à payer à la société Borgo Poids Lourds la somme complémentaire de 10.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ainsi que cette même somme à la société Campo Meta.

Cela étant exposé

1. Sur la résiliation du contrat de concession

Considérant qu'il est acquis aux débats qu'au début de l'année 1994, la société Suzuki France a concédé au garage Casella situé à Bastia la distribution des véhicules de marque Suzuki ;

Que l'huissier constatant a, le 15 avril 1994, relevé que ce concessionnaire exposait en vitrine dans son garage de Bastia une 4x4 blanche portant sur le pare-brise et la plaque d'immatriculation la mention "Vitara" dont il est reconnu par la société Suzuki France dans ses conclusions du 6 octobre 1998 qu'il s'agissait d'un modèle commun aux gammes Suzuki et Santana ; que de plus ce nouveau concessionnaire a fait paraître dès mars 1994 des publicités dans les journaux locaux pour les voitures Santana dont il se présentait comme le concessionnaire exclusif pour la Corse ;

Qu'il est donc établi que la société Suzuki France alors que le contrat de concession la liant à la société Borgo Poids Lourds était en cours d'exécution, fournissait au garage Casella pour être vendu sur le même territoire des véhicules dont il avait confié la distribution exclusive à la société Borgo Poids Lourds pour une durée indéterminée;

Considérant que le contrat de concession exclusive portait aux termes de son article 1 et des annexes I et II uniquement sur un type de véhicules - ceux de la gamme Santana - et une zone géographique - la Corse -, que dans ces conditions le fait que les véhicules litigieux vendus par le garage Casella n'aient pas été fabriqués dans le même pays que ceux distribués par la société Borgo Poids Lourds voire n'aient pas été proposés à la clientèle au même prix ne saurait avoir eu pour effet de les faire sortir du champ de l'exclusivité dont bénéficiait cette société, observation étant de plus faite qu'en ayant indiqué le 1er mars 1993 à la société Borgo Poids Lourds qu'elle recrutait un autre concessionnaire qu'elle pour la marque Suzuki, la société Suzuki France ne s'est pas pour autant dégagée des obligations mises à sa charge dans le contrat de concession litigieux ;

Que le manquement du concédant à une obligation essentielle du contrat de concession justifie la résiliation de celui-ci à ses torts exclusifs;

Considérant que par courrier du 1er juin 1994, la société Borgo Poids Lourds a mis en demeure la société Suzuki France de mettre fin aux violations du contrat d'exclusivité et que le 6 juin 1994 la société Suzuki France a contesté cette violation ;

Que le contrat de concession sera résilié à effet du 30 juin 1994, date à laquelle la société Borgo Poids Lourds a constaté que la réponse du 6 juin 1994 était un refus du respect de l'exclusivité devant entraîner la résiliation du contrat ;

Que dans ces conditions la résiliation par la société Suzuki France du contrat par courrier du 6 juillet 1994 est sans objet ;

2. Sur l'indemnisation de la société Borgo Poids Lourds

Considérant que la société Borgo Poids Lourds qui aurait dû en application de l'article 12 du contrat bénéficier d'un préavis de un an a subi un préjudice né de la rupture sans préavis des relations contractuelles;

Que sur la base des documents comptables certifiés conformes par l'expert comptable et non sérieusement critiqués par la société Suzuki France qui se borne à "manifester un certain étonnement à leur lecture", elle évalue son préjudice à la somme de 800.000 F correspondant à la moyenne des marges brutes calculée sur les années 1990 - 1991 - 1992 et 1993 et ce, sur les véhicules neufs, la vente des pièces de rechange ainsi que sur les activités de l'atelier induites par les pièces de rechange ;

Mais considérant que les activités du concessionnaire comprenaient aussi la vente de véhicules d'occasion pour laquelle la marge brute a été très faible en 1990 et 1993 et négative en 1991 et 1992 ;

Que le quota d'objectif qui lui a été fixé n'a cessé de baisser - il est passé de 70 véhicules en 1990 à 30 en 1993 et à 25 en 1994 - sans qu'elle ne justifie d'une recrudescence des ventes en Corse en 1994 et 1995 ;

Considérant qu'eu égard à l'ensemble de ces éléments, les premiers juges ont exactement apprécié le montant des dommages et intérêts ;

Considérant s'agissant de la reprise de stock des pièces et de l'outillage contractuellement prévue que la société Borgo Poids Lourds produit la liste non contestée du matériel accompagnée des prix unitaires ;

Que le jugement sera confirmé ;

3. Sur l'indemnisation de la société Campo Meta ;

Considérant que dans son courrier du 1er mars 1993 susvisé et après quelques mois de pourparlers, la société Suzuki France a notifié à la société Borgo Poids Lourds qu'elle était dans l'obligation de recruter un concessionnaire pour Bastia et Ajaccio en dehors d'elle sans que cette dernière n'élève la moindre protestation et que le 2 septembre 1993 faisant référence au courrier du 1er mars la société Suzuki France a rappelé sa position ;

Qu'en dépit de cette décision définitive clairement exprimée, la SCP Campo Meta qui a le même représentant légal que la société Borgo Poids Lourds - Monsieur Santoni - a déposé le 29 novembre 1993 une demande de permis de construire pour les locaux dont au surplus elle ne démontre pas qu'ils devaient être affectés à des véhicules de la gamme Santana ou Suzuki ;

Que la demande de dommages et intérêts n'est pas fondée ;

4. Sur les demandes fondées sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Considérant qu'il est équitable d'allouer à la société Borgo Poids Lourds la somme complémentaire de 5.000 F au titre de ses frais irrépétibles d'appel ;

Que la société Campo Meta et la société Suzuki France qui succombent la première en la totalité, la seconde en la plus grande partie de leurs prétentions seront déboutées de leurs demandes formées à ce titre ;

Par ces motifs, LA COUR, confirme le jugement déféré, y ajoutant, condamne la société Suzuki France à payer à la société Borgo Poids Lourds la somme complémentaire de 5.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, déboute la société Suzuki France et la société Campo Meta de leurs demandes formées à ce titre, condamne la société Suzuki France aux dépens d'appel à l'exception de ceux supportés par la société Campo Meta qui resteront à la charge de cette société, admet l'avoué concerné au bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.