Livv
Décisions

CA Montpellier, ch. soc., 6 janvier 1999, n° 98-00895

MONTPELLIER

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sierra

Défendeur :

France Acheminement (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Delmas

Conseillers :

M. Gaillard, Mme Bergouniou

Avocats :

Me Brihi, SCP Raynaud-Falandry, Me Zerbib.

Cons. prud'h. Perpignan, du 16 juin 1998

16 juin 1998

M. Sierra a signé le 3 novembre 1993 une convention pour la cession d'un contrat de franchise pour l'exploitation d'une tournée de distribution et de ramassage de colis avec le cédant d'une part, et la société France Acheminement en sa qualité de franchiseur d'autre part.

Le 10 juillet 1996, la société France Acheminement lui notifiait le non-renouvellement du contrat de franchise arrivé à son terme le 15 novembre suivant.

Par jugement du 16 juin 1998, le conseil de prud'hommes de Perpignan rejetait ses prétentions fondées sur une qualification de contrat de travail salarié de ses relations avec la société France Acheminement, aux motifs que les clauses du contrat ne laissaient apparaître aucun lien de subordination, que M. Sierre était régulièrement inscrit au registre du commerce et cotisait auprès des caisses des commerçants indépendants.

Il se déclarait en conséquence incompétent au profit du Tribunal de commerce.

M. Sierra formait régulièrement contredit.

Il prétend apporter la preuve d'une situation de réelle subordination juridique et économique, qu'il exerçait ses fonctions dans le cadre d'un service organisé, que les barèmes de rémunération étaient déterminés unilatéralement par la société.

Il rappelle que le statut salarial ne dépend ni de la volonté des parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité.

Il relève qu'un arrêt de la Cour de cassation concernant un litige entre un autre franchisé et cette même société a reconnu l'existence d'un lien de subordination du fait qu'il transportait des objets qui lui étaient remis pour le compte de cette seule société, qu'il devait utiliser un véhicule agrée par celle-ci, que les répartitions d'objet se faisaient dans un local dont elle était locataire, aux conditions et prix fixés par elle.

Il demande en conséquence :

- 67 464 F d'indemnité compensatrice de préavis, et 6 746 F de congés payés afférents ;

- 20 239 F d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

- 200 000 F d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 205 590,19 F au titre du remboursement des frais de déplacement et d'entretien du véhicule ;

- 55 000 F pour rembourser le droit d'entrée qu'il a dû acquitter auprès du précédent franchisé ;

- 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société France Acheminement demande de confirmer le jugement déféré, et de condamner M. Sierra au versement de 100 000 F de dommages-intérêts, et de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle expose qu'elle exerce son activité au travers d'un ensemble de franchisés, chacun propriétaire de son fonds de commerce qu'il peut vendre ;

Que le contrat de franchise donne toutes libertés aux franchisés pour mettre en place l'organisation administrative et comptable de leur travail, avec seulement le devoir d'informer le franchiseur et le bénéfice de son assistance ;

Que M. Sierra a réalisé d'importants chiffres d'affaires sans se plaindre de sa situation pendant trois années ;

Qu'il était inscrit au registre du commerce depuis 1988 ; que l'obligation commerciale de peindre son véhicule à l'enseigne de la société est normale pour un franchisé à l'égard de la marque du franchiseur ;

Que les horaires et itinéraires n'étaient pas imposés mais conseillés pour rentabiliser la tournée ;

Que l'intervention du franchiseur pour louer un local de dépôt et distribution des colis relève d'un souci de simplification et de la volonté du bailleur du local de ne pas dépendre de plusieurs franchisés ;

Que la rémunération est calculée selon un pourcentage retenu sur le prix de la prestation convenue entre le franchisé et le client.

Elle précise que la jurisprudence citée concernant un ancien salarié s'appliquait à une époque antérieure dans laquelle elle exploitait directement une entreprise de transport, que des décisions postérieures ont confirmé la position de franchiseur de la société France Acheminement.

Elle indique subsidiairement que même dans le cadre de la reconnaissance d'un statut de salarié, M. Sierra ne pourrait pas prétendre à une indemnité pour des congés payés effectivement pris, que les autres indemnités ne sont pas dues dans un contrat à durée déterminée parvenu à son terme, un préavis contractuel de 3 mois ayant été par ailleurs respecté, que les frais d'entretien du véhicule et de déplacement ont déjà été déduits fiscalement des revenus de M. Sierra, enfin que la société France Acheminement ne peut pas rembourser un droit d'entrée et qu'elle n'a pas perçu.

MOTIFS

Il appartient au juge du fond de qualifier la nature de la relation de travail au regard de la réalité des conditions d'exécution de l'activité, quelle que soit la nature de la profession exercée et la dénomination que les parties ont donné à leur convention.

L'article L. 120-3 du Code du travail énonce que, les personnes physiques immatriculées, comme dans le cas d'espèce, au registre du commerce et des sociétés, sont présumées ne pas être liées par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à cette immatriculation, mais que l'existence d'un contrat de travail peut être établie lorsqu'elles fournissent des prestations à un donneur d'ouvrage dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci.

Le contrat de franchise recouvre dans son principe la collaboration par laquelle le franchiseur communique un savoir-faire et une assistance pour sa mise en œuvre aux franchisés, lesquels doivent demeurer indépendants dans la gestion technique et financière de l'entreprise et la constitution de la clientèle, dans la mesure où ils ne portent pas atteinte à l'image et à la réputation du savoir-faire concédé.

Si l'indépendance du franchisé dans la gestion de son activité et la constitution de sa clientèle est affirmée à diverses reprises dans le document contractuel qui lie les parties, il convient d'observer dans le cas d'espèce l'existence d'une série de contraintes pesant sur le franchisé de nature à réduire cette indépendance dans des conditions telles qu'elles placent de fait celui-ci dans un lien de subordination juridique permanent.

La prospection par le franchisé d'éventuels nouveaux clients devait faire l'objet de contrats établis sur un modèle fourni par la société franchiseur, dont les conditions définies par la politique commerciale de celle-ci s'imposaient au franchisé, lequel devait tenir au jour le jour un état complet des contrats signés, dont un exemplaire était transmis à la société.

Les documents à l'en-tête de la société franchiseur versés aux débats démontrent :

- que le franchisé devait appliquer des tarifs imposés, dont la négociation ne lui appartenait pas, l'encaissement des factures de la clientèle étant effectué directement à la société franchiseur, laquelle reversait mensuellement une quote-part au franchisé après déduction de ses royalties et de certains frais de fonctionnement ;

- que la répartition des objets qui devaient être distribué s'effectuait à partir d'un local dont la société était locataire, et que la distribution était soumise à des horaires et un itinéraire imposés par une politique commerciale directement négociée entre le franchiseur à la clientèle ;

- que le franchiseur adressait au franchisé des directives comminatoires pour lui rappeler diverses obligations, comme la conduite à tenir dans le cadre d'une réclamation d'un client.

Le document contractuel énonce que le service devra être assuré impérativement tous les jours ouvrables quels que soient les aléas, le franchisé étant tenu de faire son affaire personnelle de son remplacement pour assurer la continuité du service.

L'autonomie juridique propre au statut de franchisé ne résulte pas de ces conditions particulières d'exercice de l'activité, caractérisées par un service organisé, selon des directives et un contrôle étroit du franchiseur, avec une rémunération dont les composantes relevaient largement de conditions imposées au franchisé.

Il convient en conséquence, faisant droit au contredit, de requalifier en contrat de travail la relation entre les parties, et évoquant sur le fond, de condamner l'employeur au paiement des sommes résultant d'une situation de licenciement sans cause réelle et sérieuse, sur la base d'un contrat à durée indéterminée puisque le contrat en cause ne satisfaisait pas aux conditions limitatives d'établissement d'un contrat à durée déterminée énoncées dans l'article L. 122-1-1 du Code du travail.

Il n'y a pas lieu de faire droit à une demande d'indemnité compensatrice d'un préavis, puisque la résiliation du contrat respectait le délai de trois mois prévu à cet effet.

M. Sierra ne peut prétendre à une indemnité compensatrice de congés payés que pour la dernière année de son activité, dans la mesure où il ne démontre pas pour les années précédentes une absence de congés du fait de l'employeur, ni l'existence de congés effectivement pris et non payés.

Sur la base d'une moyenne de rémunération mensuelle non contestée par les parties de 33 732 F, il convient de lui allouer au titre de la période écoulée entre le premier juin 1996 et la résiliation de la relation de travail le 15 novembre 1996 la somme de 18 552,60 F.

Il n'y a pas du lieu de faire droit à sa demande d'indemnité conventionnelle de licenciement, pour laquelle il ne donne aucune justification des références ou du mode de calcul.

M. Sierra ne justifie pas davantage d'un droit au remboursement de frais de déplacement et d'entretien de son véhicule à usage professionnel, compte tenu d'une rémunération qui couvrait largement ces dépenses.

Il convient en revanche de lui allouer la somme de 200 000 F de dommages-intérêts qu'il réclame pour réparer l'absence de cause réelle et sérieuse de la rupture, en considération de son niveau de rémunération et de son ancienneté.

La société France Acheminement ne doit pas rembourser à M. Sierra le montant qualifié de droit d'entrée que ce dernier avait versé à son prédécesseur, et non pas à la société employeur, comme cela était le cas dans l'arrêt de la Cour de cassation du 25 février 1998 cité pour appuyer cette prétention.

Il est équitable de mettre à la charge de la société France Acheminement une part des frais non remboursables engagés par M. Sierra dans cette instance, dans la proportion de 5 000 F.

Par ces motifs, Déclare le contredit formé par M. Sierra recevable en la forme ; Faisant droit au contredit, Dit que la relation de travail entre les parties était un contrat de travail à durée indéterminée, et que la juridiction prud'homale était compétente pour statuer sur le litige ; Évoquant sur le fond, Dit que la rupture du contrat de travail est sans cause réelle et sérieuse, et condamne en conséquence la société France Acheminement à payer à M. Sierre les sommes suivantes : - 18 552,62 F d'indemnité compensatrice de congés payés ; - 200 000 F de dommages-intérêts ; - 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Rejette toute autre prétention des parties. Condamne la société France Acheminement aux dépens.