CA Orléans, ch. com., économique et financière, 18 février 1999, n° 97-02345
ORLÉANS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Bureau de représentation et commercialisation du centre (Sté)
Défendeur :
Guilbert Express (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lardennois
Conseillers :
M. Puechmaille, Mme Boury
Avoués :
Me Garnier, SCP Duthoit-Desplanques
Avocats :
Mes Leloup, Pele Gouteyron.
La société Bureau de Représentation et Commercialisation du Centre (ci-après BRCC) est régulièrement appelante d'un jugement du Tribunal de commerce de Romorantin en date du 13 décembre 1996, qui l'a déboutée de toutes les demandes dirigées contre la société Guilbert Express.
Il convient de rappeler que les deux sociétés dont il s'agit sont liées depuis 1987 par un contrat d'agence commerciale.
La société BRCC, invoquant l'état de santé de l'un de ses représentants, a proposé à la société Guilbert Express de sui présenter de nouveaux collègues qui pourraient assurer la représentation de ses produits dans une parfaite continuité (courrier du 23 juin 1995).
La société Guilbert Express a fait savoir à la société BRCC qu'elle souhaitait recruter de nouveaux représentants et qu'elle était Prête à examiner les candidatures proposées par cette dernière (courrier du 6 septembre 1995)
Par courrier (18 septembre 1995, 26 septembre 1995) et par télécopie (30 octobre 1995), la société BRCC adressait à la société Guilbert Express les coordonnées de cinq représentants.
Cette dernière lui répondait alors (lettre recommandée avec avis de réception du 30 novembre 1995) qu'elle avait retenu un candidat en dehors des cinq qui lui étaient proposés, et ajoutait que l'indemnité égale à deux années de commission évoquée dans le courrier du 26 septembre 1995 de la société BRCC n'avait pas lieu d'être, dans la mesure où l'initiative de la rupture contractuelle incombait à cette dernière.
La société BRCC a donc, par acte en date du 9 février 1996, assigné la société Guilbert Express en paiement de la somme principale de 273 817,47 F HT, au titre des commissions restant dues en exécution du contrat d'agence.
C'est dans ces conditions qu'a été rendu le jugement entrepris, dont la société BRCC poursuit l'infirmation, demandant à la Cour de condamner la société Guilbert Express à lui payer la somme de 273 817, 47 HT, avec intérêts de droit à compter de l'assignation et capitalisation conformément à l'article 1154 du Code civil, outre 30 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Après avoir souligné l'absence totale de motivation du jugement qui ne répond pas aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de Procédure Civile, elle soutient, invoquant les dispositions des articles 13 b et c et 16 de la loi du 25 juin 1991, que la rupture contractuelle est imputable à la société Guilbert Express, qui aurait en particulier refusé de manière totalement arbitraire, les candidatures proposées pour continuer d'assurer la représentation de ses produits.
Elle s'estime donc fondée à réclamer une indemnité de cessation de contrat d'agence, conforme en son montant à l'évaluation d'usage, soit deux années de commissions.
La société Guilbert Express conclut à la confirmation du jugement, y ajoutant une demande de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
Elle prétend que l'initiative de la rupture incombe exclusivement à la société BRCC qui a obéi des convenances personnelles et qui en particulier n'est pas fondée à invoquer la maladie d'un de ses animateurs, Monsieur Bourasseau, pour échapper aux dispositions de l'article 13 b de la loi du 25 juin 1991.
Elle ajoute que celle-ci a été dans l'impossibilité de lui présenter un candidat sérieux à sa succession totale.
Elle fait valoir subsidiairement que le montant de l'indemnité réclamée est sans rapport avec le préjudice allégué, la société BRCC n'ayant selon elle développé ni en nombre ni en valeur une clientèle préexistante.
Sur ce :
Attendu que l'article 12 de la loi du 25 juin 1991 prévoit qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ;
Que l'article 13 prévoit que la réparation n'est pas due dans les cas suivants :
" a) la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial,
b) la cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée,
c) selon un accord avec la mandant, l'agent commercial cède à un tiers les droits et obligations qu'il détient en vertu du contrat d'agence " ;
que l'article 16, enfin, interdit de déroger au détriment de l'agent dispositions sus-rappelées ;
qu'il est constant en l'espèce, qu'en raison de l'état de santé de l'un de ses animateurs, Monsieur Bourasseau, la société BRCC, obligée de préparer sa cessation d'activité, a fait connaître le 23 juin 1995 à son mandant, Guilbert Express, qu'elle était : " à son entière disposition pour vous rencontrer et vous présenter d'excellents collègues qui sont également dans le métier depuis longtemps et pourraient assurer la représentation de vos produits dans une parfaite continuité " ;
Que cette lettre, parfaitement claire et non équivoque, doit être considérée comme une offre de présentation de successeur ;
Qu'il résulte des textes qui précèdent, que sauf à permettre d'abolir contractuellement la faculté de transmettre le mandat à un tiers, dès lors que le mandant doit l'indemnité lorsque l'agent devient lui-même ou par l'un de ses responsables médicalement inapte à exécuter le contrat, il ne saurait, sans devoir cette même indemnité, refuser un successeur compétent;
Que la société Guilbert Express qui prétend que la société BRCC n'aurait pas été en mesure de lui présenter " un candidat sérieux à sa succession totale ", n'a cependant à aucun moment exprimé ce reproche dans la lettre qu'elle lui a adressée le 30 novembre 1995 pour lui indiquer qu'elle avait finalement retenu un candidat en dehors des cinq proposés par BRCC ;
Que la note intitulée " contacts entre la SA Guilbert Express et les candidats à la succession de BRCC ", dans laquelle elle passe en revue les cinq candidats en question pour en conclure qu'aucun d'entre eux n'est en définitive susceptible de lui donner satisfaction, ne saurait constituer en l'espèce une preuve valable, dans la mesure où Guilbert Express en est elle-même l'auteur ;
Qu'elle ne peut, en particulier, tirer aucun argument des secteurs indiqués par les candidats comme étant habituellement visités par eux ; qu'il s'agissait en effet, pour ces candidats, de décrire leurs activités, mais non pas de refuser de travailler dans l'intégralité du secteur contractuel de la société BRCC, puisque précisément, ils se portaient candidats à la succession de celle-ci et savaient donc parfaitement à quoi ils postulaient ;
Que le caractère artificiel des explications données par Guilbert Express apparaît encore dans le fait qu'elle affirme de prétendues inaptitudes chez tel ou tel candidat, comme le fait que Monsieur Turpin aurait représenté une société concurrente, ce que rien ne prouve et alors qu'il aurait été parfaitement possible à celui-ci de démissionner du concurrent supposé s'il avait été retenu par Guilbert Express ;
Que l'argumentation de cette dernière, faute d'avoir été exprimée à l'époque, soit aux candidats soit à BRCC, s'apparente en réalité un ajustement de cause ;
Que la rupture du contrat d'agence commerciale passé entre les parties n'étant dès lors justifiée par aucune circonstance particulière propre à la société Guilbert Express et la société BRCC étant, quant à elle entièrement fondée à se prévaloir des dispositions de l'article 13 b et c de la loi du 25 juin 1991 il convient d'en imputer l'initiative à la première, tenue par suite envers la seconde à une obligation légale d'indemnisation ;
Que cette rupture, qui doit être fixée au 30 novembre 1995, correspondant à la date du courrier précité de Guilbert Express à BRCC, a pour effet de faire bénéficier de façon exclusive le mandant de l'accroissement de la clientèle en privant de façon brutale l'agent commercial de son pouvoir de représentation, de la part de marché qu'il avait constituée et du potentiel de commissions généré par son activité antérieure;
Que les explications de Guilbert Express sur l'absence prétendue de développement par BRCC d'un clientèle pré-existante, sont dépourvues à cet égard de toute justification, étant, de surcroît, rappelé, ce que ne conteste pas au demeurant l'intimée, que jusqu'au 30 novembre 1995, le contrat a toujours été parfaitement exécuté par BRCC ;
Quel'indemnité compensatrice du préjudice subi par BRCC du fait de la rupture de ce contrat, peut être équitablement fixée à deux années de commissions conformément aux usages en la matièr;
Qu'en l'espèce, BRCC a perçu de Guilbert Express, au cours des deux dernières années d'exercice normal de son mandat, les sommes suivantes sui ne sont pas contestées : 128 661,09 F HT (1993), 145 156,38 F HT (1994) ;
Qu'infirmant le jugement entrepris, c'est donc à une somme total de 273 817,47 F HT qu'il convient de condamner la société Guilbert Express ;
Que cette condamnation tirant sa source de la loi et d'une obligation contractuelle, l'appelante est fondée à voir courir les intérêts au taux légal sur ladite somme, depuis le 9 février 1996, date de l'assignation ;
Que l'intimée a pris des conclusions pour dire qu'elle n'était pas responsable de l'incurie du greffe du Tribunal de commerce de Romorantin et que les intérêts ne devraient pas courir pendant une partie du délibéré du Tribunal ;
Que le moyen ne peut cependant être retenu, l'appelante qui est dans son droit, n'ayant pas non plus a supporter les conséquence de cette carence ;
Que les conditions édictées par l'article 1154 du code civil se trouvant remplies, il convient également de faire droit à sa demande de capitalisation des intérêts du taux légal, laquelle aura lieu à compter de la date de ses conclusions à cette fin, soit le 30 octobre 1998 ;
Qu'enfin, il serait inéquitable de lui faire supporter la charge de ses irrépétibles en cause d'appel, qui seront fixés à 15 000 F ;
Que la société Guilbert Express qui succombe, aura la charge des dépens ;
Par ces motifs, La Cour, Infirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris, Statuant à nouveau, Condamne la société Guilbert Express à payer à la société Bureau de représentation et commercialisation du centre (BRCC), la somme de 273 817, 47 F HT, avec intérêts au taux légal à compter du 9 février 1996 et capitalisation de ceux-ci à compter du 30 octobre 1998, Déboute les parties du surplus de leurs prétentions, Condamne la société Guilbert Express à payer à la société BRCC, la somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile, Condamne la même aux entiers dépens de première instance et d'appel, Accorde pour ces derniers, à Maître Garnier, avoués, le droit prévu à l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.