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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 24 février 1999, n° 1997-04092

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Lancôme France (SNC)

Défendeur :

O'Dylia (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard-Payen

Conseillers :

Mmes Jaubert, Percheron

Avoués :

SCP Taze-Bernard-Belfayol-Broquet, SCP Regnier Bequet

Avocats :

Mes Henriot-Bellargent, Ledoux.

T. com. Paris, du 2 déc. 1996

2 décembre 1996

LA COUR statue sur les appels respectivement interjetés par les sociétés O'Dylia et Lancôme France à l'encontre du jugement rendu le 2 décembre 1996 par le Tribunal de commerce de Paris qui a :

- constaté la résiliation anticipée des contrats de distributeur agréé de trois magasins de la société O'Dylia aux torts exclusifs de la société Lancôme,

- condamné celle-ci à payer à la société O'Dylia la somme de 300 000 F à titre de dommages et intérêts,

- débouté la société Lancôme de sa demande reconventionnelle,

- ordonné à la société O'Dylia de restituer à la SNC Lancôme tout le matériel de démonstration et tout produit Lancôme en sa possession dans les trois magasins concernés, sous astreinte de 2 000 F par jour de retard passé un délai de quinze jours de la signification du jugement,

- condamné la société Lancôme à verser à la société O'Dylia une indemnité de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Référence étant faite aux énonciations du jugement attaqué et aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, il suffit de rappeler que le litige qui les oppose concerne la résiliation par la société Lancôme " Lancôme " des contrats de distributeur agréé conclus entre elle et la société O'Dylia " O'Dylia " pour trois de ses points de vente, le fournisseur invoquant à l'encontre de sa cocontractante des opérations promotionnelles tapageuses et dévalorisantes pour sa marque.

La société O'Dylia, qui rappelle qu'elle exploite 12 magasins situés dans des centres commerciaux en région parisienne, dans lesquels elle distribue l'intégralité des grandes marques de parfum et de cosmétique et que la société Lancôme a procédé à une résiliation anticipée des contrats de ses magasins de Noisy le Grand et de Rosny sous Bois, sans toutefois justifier de motifs légitimes, conclut à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a constaté l'absence de motif légitime à l'appui de la décision de résiliation et à son infirmation pour le surplus, sollicitant la Cour :

- d'ordonner à la société Lancôme de satisfaire les commandes des trois magasins O'Dylia de Rosny sous Bois et de Noisy le Grand niveaux bas et haut, sous astreinte de 3 000 F par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;

- de condamner l'intimée à lui payer la somme de 3 000 000 F au titre du préjudice résultant de l'interruption des relations contractuelles de la société Lancôme avec les trois magasins susvisés de mars 1996 jusqu'à l'arrêt à intervenir ;

à titre subsidiaire pour le cas où la poursuite de relations contractuelles ne serait pas ordonnée,

- de la condamner à lui payer la somme de 8 700 000 F au titre de la rupture définitive des relations contractuelles avec ces trois points de vente ;

- de la condamner, en tout état de cause, au paiement de la somme de 15 000 F au titre de ses frais irrépétibles.

Au soutien de son recours elle fait, en substance, valoir :

- que la rupture à laquelle Lancôme a procédé est nécessairement fautive puisque, celle-ci n'ayant pas respecté les dispositions du contrat, s'est privée du droit d'exercer la faculté de résiliation qui y était prévue, qu'elle n'a notamment envoyé aucune mise en demeure préalable ;

- qu'il n'existe aucun motif légitime à l'appui de la décision de Lancôme, qui imputait à O'Dylia l'opération promotionnelle organisée dans ses magasins instituant, selon elle, une dualité de régime entre les produits de sa marque et ceux des marques directement concurrentes à savoir Guerlain, Dior et Chanel,

- que l'opération promotionnelle en cause n'avait pas le caractère tapageur, ni le caractère systématique et récidivant, ni même le caractère dévalorisant que Lancôme voudrait y voir.

La société Lancôme poursuit l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée à payer la société O'Dylia la somme de 300 000 F à titre de dommages et intérêts et demande à la Cour d'ordonner le remboursement de cette somme versée en exécution du jugement et de prononcer la résiliation judiciaire aux torts de la société O'Dylia des contrats de distributeur agréé signés pour les points de vente suivants :

- parfumerie à l'enseigne O'Dylia, centre commercial de Rosny II, à Rosny sous Bois, niveau haut (contrat du 2 novembre 1988),

- parfumerie à l'enseigne O'Dylia, centre commercial Les Arcades à Noisy le Grand, niveau bas (contrat en date du 19 février 1988),

- parfumerie à l'enseigne O'Dylia, centre commercial Les Arcades à Noisy le Grand, niveau haut (contrat en date du 19 février 1988),

- condamner O'Dylia à lui payer la somme de 500 000 F de dommages et intérêts et celle de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle fait essentiellement grief à O'Dylia d'avoir mis en œuvre de façon systématique des pratiques de réductions de prix discriminatoires, dont la marque Lancôme a été tout particulièrement la cible, que ces réductions de prix ont toujours visé Lancôme comme cela résulte des constats des 2 et 16 mars 1996, qu'elles ont parfois visé d'autres marques, mais jamais Dior, Chanel et Guerlain qui paraissent systématiquement préservées d'annonces de réductions de prix et par ce seul fait, plus prestigieuses.

Elle soutient que ces pratiques qui ont un caractère extrêmement dévalorisant pour la marque Lancôme et n'ont rien à voir avec une politique de prix bas, ni avec les conditions consenties par Lancôme à O'Dylia en 1996, justifient la résiliation des contrats pour les trois points de vente concernés.

Elle souligne qu'elle avait attiré à plusieurs reprises l'attention de O'Dylia sur l'importance qu'elle attachait à ce que ses distributeurs ne recourent pas à des pratiques discriminatoires aboutissant à faire apparaître Lancôme comme une marque de seconde zone et prétend que O'Dylia ne peut exiger la poursuite des relations contractuelles pour les trois points de vente résiliés.

Sur ce, LA COUR,

Considérant que par courrier recommandé en date du 7 mars 1996, Lancôme a informé O'Dylia de son intention de mettre fin aux contrats qui les liaient en lui reprochant de présenter la marque de manière dévalorisante dans ses points de vente et en particulier dans ceux du centre commercial des Arcades à Noisy-le-Grand et du centre commercial de Rosny II à Rosny sous Bois ;

Qu'elle incriminait une opération promotionnelle dans laquelle O'Dylia définissait deux catégories de marques, celles pour lesquelles était offerte une remise de 30 % avec prix affichés en blanc sur fond noir visant notamment les parfums Lancôme, Trésor et Poème et trois marques pour lesquelles cette remise n'était pas faite et dont les prix étaient affichés en rouge ;

Qu'elle se prévalait du procès-verbal de constat dressé le 2 mars 1996 par Charles Ochoa, huissier de justice à Bobigny, qui avait noté devant l'accès du magasin de Noisy-le-Grand (niveau inférieur) la présence d'une affiche sur pied indiquant notamment : " Parfums et Eaux de toilette, escompte à la caisse de 30 %, sauf promotions et prix rouge... " ;

Qu'à l'intérieur du magasin l'huissier avait constaté une petite affiche de couleur noire, placée au niveau des parfums Lancôme Trésor et Poème sur laquelle il avait relevé les mentions suivantes : " sur nos prix, moins 30 % sur parfums & eaux de toilette, sauf promotions et prix rouges, remise déduite à la caisse " ;

Que suivant ce constat les prix affichés sur les produits Lancôme étaient affichés en noir, tandis que ceux relatifs aux marques Dior, Chanel et Guerlain étaient indiqués en rouge, l'huissier ayant constaté que les produits de ces marques bénéficiaient d'une remise de 10 % à 15 % selon les produits, mais que le prix affiché tenait déjà compte de la réduction, de telle sorte que " pour les produits Guerlain, Chanel et Dior, il n'existe aucune mention apparente relative à cette réduction de prix dans le magasin " ;

Que des constatations identiques avaient été effectuées par Charles Ochoa dans l'autre magasin exploité dans le centre des Arcades à Noisy-le-Grand (niveau supérieur) et dans celui exploité dans le centre de Rosny II où la réduction opérée sur les produits affichés en noir était de 25 % ;

Considérant que O'Dylia a contesté cette décision, expliquant cette promotion par des objectifs de chiffre d'affaires pour 1996 disproportionnés avec les capacités réelles de l'entreprise et invoquant le courrier de Lancôme du 23 janvier précédent selon lequel " O'Dylia se chargeait de la mise en place qualitative et impactante par point de vente " ; qu'elle lui reprochait également de vouloir faire un exemple " pour la profession afin que les autres distributeurs " tremble " (sic) et pratique(sic) des prix imposés et des volumes imposés " ;

Considérant que par courrier recommandé en date du 26 mars 1996, Lancôme se référant aux constats précités et à une nouvelle série de constats effectués le 16 mars suivant, a accepté de ne maintenir le retrait de sa marque que pour les trois points de vente de Noisy-le-Grand et de Rosny-sous-Bois ;

Considérant que Lancôme reprochant à O'Dylia des pratiques systématiquement discriminatoires et dévalorisantes a, dans un premier temps, se référant à l'article 11 d) des contrats, résilié ceux-ci pour les trois points de vente en cause, puis par la suite, a sollicité leur résiliation judiciaire en prétendant être en droit de rompre sans donner de justification un contrat à durée indéterminée, enfin devant la Cour, Lancôme fonde sa demande de résiliation judiciaire sur les articles 1134 et 1135 du Code civil, en ce que, toute attitude qui, comme en l'espèce, ravale la marque à une marque de second choix est la négation de même de l'objet du contrat ;

Considérant que si Lancôme est parfaitement recevable à solliciter la résiliation judiciaire des trois contrats de distribution sélective qui la lie à O'Dylia pour atteinte au prestige de sa marque qu'un tel contrat est censé promouvoir et ce, quand bien même les contrats en cause ne contenaient pas l'article 11 d) invoqué à l'origine, elle doit démontrer un manquement caractérisé de sa cocontractante sur ce point ;

Or considérant qu'il est établi en l'occurrence par le constat précité qu'à tout le moins, les parfums Lancôme ont fait l'objet d'une opération promotionnelle qui peut paraître dévalorisante pour le fournisseur dans la mesure où ses concurrents directs tels Dior, Chanel et Guerlain en étaient préservés, il n'en demeure pas moins que Lancôme ne démontre pas le caractère systématique de telles opérations portant sur ses produits, ni leurs caractères récidivant et tapageur;

Qu'en effet, Lancôme ne justifie que d'une opération promotionnelle limitée dans le temps- les constats ont été établis entre les 2 et 16 mars 1996 - ; qu'aucune précision n'est donnée sur l'incident qui se serait situé en 1992 et encore moins sur celui de 1994, l'un et l'autre n'ayant entraîné aucune conséquence ; qu'il n'est en l'état démontré par le fournisseur que la seule action promotionnelle de mars 1996, insuffisante pour justifier la résiliation des contrats aux torts du détaillant;

Considérant qu'il s'ensuit que c'est à juste titre que la juridiction consulaire a constaté la résiliation des trois contrats litigieux aux torts exclusifs de Lancôme ;

Considérant que ces contrats à durée indéterminée ayant pris fin le 26 mars 1996, comme l'a constaté la juridiction consulaire, O'Dylia ne peut en poursuivre l'exécution forcée, ni solliciter la livraison des produits Lancôme au réseau de distribution sélective auquel elle n'appartient plus pour les trois points de vente en cause ;

Considérant qu'en revanche, Lancôme doit indemniser le préjudice qu'elle a causé à O'Dylia par la rupture sans motif légitime des contrats litigieux ;

Considérant que O'Dylia qui demandait en première instance l'allocation de la somme de 700 000 F, sollicite aujourd'hui celle de 8 700 000 F ; qu'elle se fonde sur l'objectif annuel d'achat en produits Lancôme fixé pour 1996 à 5 000 000 F HT, sur le potentiel des trois magasins concernés s'établissant à 27 % de son chiffre d'affaires global et sur son taux de marge brute de 32 % en 1997 ;

Mais considérant que O'Dylia se borne toutefois à un calcul théorique de son préjudice et ne prend pas en compte ses résultats effectifs depuis la perte des produits Lancôme pour les trois points de vente en cause ; qu'elle ne verse à cet effet que la dernière page de ses bilans 1994/1995 et 1996/1997 et une attestation d'une société d'expertise comptable du 30 décembre 1998 de laquelle il ressort que son chiffre d'affaires et ses résultats ont augmenté pour la période du 1er/10/96 au 30/09/97 par rapport à celle du 1er/10/94 au 30/09/95 ;

Qu'elle ne fournit aucun élément sur la part des produits Lancôme dans son chiffre d'affaires ;

Considérant qu'il n'en demeure pas moins que O'Dylia a subi un préjudice résultant du manque à gagner pour les trois magasins en cause, que le tribunal a évalué à bon droit à 100 000 F par magasin et un préjudice commercial pour la perte de cette marque, qu'eu égard aux éléments produits, il convient de chiffrer également à 100 000 F par point de vente ;

Considérant que compte tenu de la solution adoptée, Lancôme ne peut prétendre à l'allocation de dommages et intérêts, ni à l'indemnisation de ses frais non compris dans les dépens ;

Considérant qu'il est équitable d'allouer à O'Dylia la somme complémentaire précisée au dispositif pour l'indemniser de ses frais irrépétibles d'appel ;

Par ces motifs : Confirme le jugement déféré et y ajoutant, condamne la société Lancôme à payer à la société O'Dylia la somme complémentaire de 300 000 F au titre de son préjudice commercial ; Déboute les parties du surplus de leurs demandes ; Condamne la société Lancôme à payer à la société O'Dylia la somme complémentaire de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à supporter les dépens d'appel, qui pourront être recouvrés directement par l'avoué concerné dans les conditions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.