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Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 26 février 1999, n° 1996-18454

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Liberté Optique (SA), Laboratoires de Prothèses Oculaires (SA)

Défendeur :

Pahin de Mostuejouls (és qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Desgrange

Conseillers :

Mme Cabat, M. Bouche

Avoués :

Mes Bolling, SCP Goirand, Bolling

Avocats :

Maître Mamou, Haddad, Cauly.

T. com. Paris, 2e ch., du 21 mai 1996

21 mai 1996

Le 22 octobre 1993, la société Laboratoire de Prothèses Oculaires, dite LPO, a concédé à la société Liberté Optique en exclusivité pour le département du Var, l'exploitation en franchise du savoir-faire qu'elle détient en associant à la vente des lentilles de contact et des produits d'entretien les garanties et les services qui s'ensuivent dans l'intérêt des patients et des ophtalmologistes seuls autorisés à prescrire et à adapter les lentilles.

En contrepartie de cette exclusivité le franchisé s'est obligé à se procurer les lentilles et les produits accessoires exclusivement auprès des fabricants désignés par le franchiseur et s'est interdit toute activité concurrente de celle faisant l'objet de la franchise.

Le contrat a été conclu pour neuf ans sous la condition suspensive de l'acquisition avant le 31 janvier 1994 au prix de 135.000F du fonds situé 1, rue du Dr Bertholet à Toulon, et précédemment exploité depuis 1989 directement par la société LPO sous forme de laboratoire d'ophtalmologie et de vente de lentilles cornéennes.

Cet achat s'est réalisé le 7 janvier 1994 ; aux termes de cet acte, le vendeur s'est "interdit le droit de tenir, créer, s'intéresser, directement ou indirectement, à un fonds de commerce de même nature à celui vendu ce jour, dans le département du Var, à peine de dommages-intérêts envers l'acquéreur, et ce pendant une durée de trois ans" (sic).

A la suite de différends sur l'application du contrat de franchise, la société Liberté Optique a estimé que le franchiseur ne remplissait pas ses obligations et l'a fait assigner le 19 juillet 1995 en nullité des contrats des 22 octobres 1993 et 7 janvier 1994, subsidiairement en résiliation aux torts de la société LPO, et en dommages-intérêts.

Par jugement du 21 mars 1996 le tribunal de Commerce de Paris :

- a déclaré valables, les contrats de franchise et de cession de fonds de commerce,

- a constaté la résiliation du contrat de franchise à la date du 6 juillet 1995 aux torts de la société Liberté Optique,

- a condamné la société Liberté Optique à payer à la société LPO les sommes de 26.784 F avec intérêts au taux légal à compter du 22 juin 1995 au titre des redevances de mars à juillet 1995, 14.356,08 F avec mêmes intérêts pour solde de factures, 90.798 F de pénalité contractuelle, 100.000 F de dommages-intérêts et 20.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- enfin a condamné la société Liberté Optique à supprimer toute référence à la marque LPO, à restituer enseignes et matériels publicitaires, et à cesser toute violation des dispositions de l'article X du contrat de franchise sur la non-concurrence.

La société Liberté Optique a relevé appel de cette décision.

Au prix de longs rappels des dispositions des deux contrats et des courriers échangés à partir de février 1995, elle prétend trouver les preuves des graves manquements du franchiseur à ses obligations et subsidiairement conclut ainsi à la résolution ou à la résiliation du contrat de franchise à ses torts, pour n'avoir pas respecté l'exclusivité ni rendu les services prévus par ce contrat ; en toute hypothèse elle soutient que le paragraphe 4 de l'article X sur la clause de non-concurrence devrait être annulée.

Cependant, à titre principal la société appelante demande la nullité de l'ensemble des deux contrats de franchise et de vente de fonds de commerce, dont les dispositions du premier provoque la disparition du second.

La société Liberté Optique demande la restitution des 135.000 F du prix d'achat du fonds augmentés des intérêts au taux légal capitalisés, une somme de un million de francs de dommages-intérêts avec mêmes intérêts capitalisés ou une indemnité provisionnelle de 200.000F avant expertise, enfin une somme de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Le 9 novembre 1998, elle se déclare dissoute depuis le 10 septembre 1997 et représentée par son liquidateur amiable Monsieur Pahin de Mostuejouls.

La société LPO, souligne en premier lieu que l'appelante a repris les mêmes griefs que ceux qu'elle avait exposés dans son exploit introductif d'instance.

Ensuite, elle fait valoir que les deux conventions ont été liées, de la volonté réciproque des contractantes et que les éléments corporels et incorporels du fonds de commerce ont été précisément définis et ne disparaissent pas avec la résiliation de la franchise dont l'interdiction de concurrence reste licite et limitée dans le temps.

La société LPO soutient que les griefs formulés par son ancien franchisé sont dénués de fondement et ne sont pas prouvés par les quelques pièces et attestations produites ; au contraire, elle reproche à la société Liberté Optique d'avoir omis de lui communiquer son chiffre d'affaires pour permettre d'arrêter le montant de la redevance de franchise, ce qui a justifié une mise en demeure le 22 juin 1995 suivie à défaut de régularisation d'une résiliation de la franchise le 6 juillet 1995.

L'intimée conclut à la confirmation du jugement déféré, sauf à voir porter les dommages-intérêts des 100.000F alloués par le tribunal à 800.000F et à bénéficier de la capitalisation des intérêts ; elle réclame au surplus 30.000F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Motifs de la Cour :

Sur la nullité des contrats :

Considérant que la société Liberté Optique prétend que les clauses du contrat de franchise imposent à l'acquéreur du fonds de ne l'exploiter qu'avec la société LPO, à peine de perdre le fonds ;

Qu'ainsi, si à l'expiration du contrat de franchise au bout de neuf ans la société Liberté Optique n'entend pas le renouveler, l'article 1 paragraphe 4 du contrat va s'appliquer qui lui interdit de s'intéresser aux lentilles de contact ; que de même si la rupture intervient en cours de contrat, la conséquence est la même: l'impossibilité de poursuivre l'exploitation du fonds de commerce ;

Que la société LPO n'aurait donc jamais du vendre le fonds en sachant qu'il disparaîtrait avec la rupture de la franchise, et a donc imposé à la société Liberté Optique une vente dépourvue de cause et par conséquent nulle.

Qu'au surplus, toujours selon l'appelante, le contrat de vente est encore nul au motif que la propriété du fonds ne lui a pas été totalement transmise : la société LPO ne s'interdisant un rétablissement dans le Var que pendant trois ans, tandis que la franchise stipule une exclusivité de neuf années en faveur du franchisé.

Considérant que la société Liberté Optique, conformément à la définition des éléments donnés par la loi, a acquis au modeste prix de 135.000 F un fonds situé au second étage du n° 1 de la Rue du Dr Bertholet à Toulon et ainsi défini dans l'acte :

- la clientèle et l'achalandage y attachés,

- le matériel, le mobilier commercial.., décrits et estimés dans l'état annexé,

- les marchandises existantes au jour de l'entrée en jouissance,

- le droit au bail des lieux et exploiter le fonds pour le temps qui restera à courir... ;

Qu'avant la rupture du contrat de franchise à sa requête, la société Liberté Optique n'a jamais remis en cause l'existence et la validité de la cession du fonds.

Considérant que, quoique conclu concomitamment et sous la condition suspensive de l'acquisition du fonds de commerce, le contrat de franchise en est distinct par son objet ;

Que la société LPO explique sans être critiquée que sa franchise de service s'est orientée dès sa création en 1978 vers la vente uniquement sur prescriptions médicales de lentilles cornéennes dont les opticiens se sont peu préoccupés en raison de la faible marge bénéficiaire de ce marché, par comparaison à celui des lunettes et plus précisément des montures ; que sa compétence auprès des ophtalmologistes, seuls prescripteurs autorisés, et la confiance qu'ils lui témoignent se sont accrues avec le développement des services et garanties proposés aux patients ;

Que le futur franchisé aurait pu créer un fonds de commerce pour exploiter la franchise de service LPO ; qu'il lui aurait alors fallu rechercher un local, un droit au bail, et la fidélisation d'une clientèle ;

Qu'en acquérant du franchiseur un fonds déjà achalandé que celui-ci exploitait auparavant, la société Liberté Optique se dispensait de ces recherches, et héritait d'éléments qu'elle a payés au prix raisonnable de 135.000F compte tenu de bénéfices nets non négligeables qui avaient évolué de 34.274F en 1990 à 149.582 F en 1992, selon l'énoncé non contesté de l'acte de vente.

Considérant que la société Liberté Optique qui exploite par ailleurs son propre fonds d'optique 12 Place de la Liberté à Toulon, y a transféré en 1994 celui de franchise LPO quelques mois après l'achat du fonds litigieux dont elle a pu négocier librement la cession du droit au bail ; qu'à l'issue de la résiliation de la franchise le 6 juillet 1995, elle est restée autorisée à vendre des lentilles de contact et des accessoires d'optique, mais sous l'unique réserve que ce ne le soit pas "sur prescription médicale" et sans y associer le savoir-faire du franchiseur LPO et les références à la marque et à l'enseigne ;

Que la clause contractuelle de non-rétablissement dont la société LPO est restée débitrice pendant un délai de trois ans à l'issue duquel elle n'a pas réouvert un commerce de sa marque dans le département du Var n'était pas incompatible avec l'interdiction pour la société Liberté Optique après résiliation de vendre pendant trois années d'autres lentilles prescrites par les médecins ; que pendant le temps d'exploitation de la franchise par la société Liberté Optique la limitation dans le temps de l'obligation de non concurrence contractée par la société LPO n'avait pas lieu à s'appliquer ;

Que s'agissant de l'interdiction imposée au franchisé, son étendue était suffisamment limitée dans le temps et dans l'espace, et même dans la définition de l'activité interdite, qui laissait ouverte une large fraction de l'activité d'opticien ;

Qu'enfin en abandonnant l'activité litigieuse, la société Liberté Optique a conservé la libre disposition de plusieurs éléments du fonds acquis en janvier 1994, qui s'adjoignent à son commerce d'optique traditionnelle préexistant ;

Qu'il n'y a aucune cause de nullité des deux contrats litigieux.

Sur la résiliation de la franchise :

Considérant que la société Liberté Optique soutenue par une association de franchisés LPO appelée Contactum, a reproché dès février 1995 au franchiseur le montant excessif des redevances, puis, après le licenciement du délégué général du réseau de franchise, l'incompétence de sa remplaçante et son démarchage des officines de pharmacie concurrents ; qu'à lire ses courriers des 21 mars et 20 avril 1995, la société Liberté Optique aurait été au surplus la victime d'immixtions du franchiseur dans la gestion de ses affaires et de son personnel et jusque dans la vie privée du responsable de la société ;

Qu'enfin, dans une lettre du 31 mars, elle indique l'absence de l'assistance technique et commerciale prescrite par l'article IV du contrat le défaut d'action publicitaire auprès des patients.

Considérant à juste titre :

- que la société LPO soutient que n'est aucunement démontrée la tentative de débauchage de Madame Rabouhan, salariée de la société Liberté Optique,

- que le licenciement de cette dernière est la conséquence après son congé de maladie, du transfert du fonds de la Rue du Dr Bertholet à la Place de la Liberté où la société exploite son fonds d'optique traditionnelle, (voir la lettre de Véronique Pahin, épouse du dirigeant de la société Liberté Optique, du 11 août 1994) ;

- qu'est confirmé par le propre aveu de Madame Pahin son pressentiment d'un manque de rigueur de Monsieur Pahin dans la comptabilité des encaissements du prix des lentilles et accessoires, qui servent d'assiette au calcul des redevances de franchise,

- que Monsieur Jeanjean, délégué médical pour la région Sud-Est pour le compte du franchiseur, a satisfait aux obligations d'assistance prescrites par le contrat, en visitant régulièrement les ophtalmologistes adaptateurs exerçant dans le secteur du franchisé, ce qu'attestent un ancien franchisé Monsieur Lefevre et les rapports d'activité hebdomadaire de l'intéressé lui-même ;

- que le franchiseur a été à l'écoute des revendications de ses franchisés et a négocié le 24 avril 1995 une baisse des taux de redevances ;

- qu'aucune preuve n'est rapportée d'une violation par la société LPO de l'obligation de non-concurrence et de respect de l'exclusivité consentie à son franchisé ;

Considérant que, de manière superfétatoire, la société LPO prouve qu'elle a procédé à des actions de promotion, tant dans la revue mensuelle qu'elle édite "Regard Actualité" que dans l'envoi de notes internes et auprès de la clientèle ; qu'elle a organisé des séminaires de formation et de dialogue pour les franchisés auxquels Monsieur Pahin a été convié.

Considérant que la société LPO était au contraire fondée à poursuivre la résiliation du contrat de franchise dans les conditions de forme et de délai conformes aux stipulations contractuelles pour absence de justification par la société Liberté Optique de son chiffre d'affaires servant d'assiette au calcul des redevances et pour le défaut du paiement de ces redevances pendant plusieurs mois en 1995 avant la mise en demeure visant la clause résolutoire du 22 juin ;

Que les comptes de redevances ont été faits par référence au chiffre d'affaires des mois qui ont précédé la défaillance du franchisé ; que la pénalité contractuelle prévue par l'article VIII et égale au total des redevances des douze derniers mois, n'a rien d'excessif et devait jouer son rôle à la fois dissuasif et indemnitaire ; que le solde de factures de fournitures resté impayé n'est pas contesté ;

Qu'enfin la somme de 100.000 F de dommages-intérêts allouée au franchiseur par le tribunal suffit à compenser les conséquences d'une poursuite frauduleuse par la société Liberté Optique d'une activité qu'elle n'avait plus aucun droit d'exploiter à partir du 6 juillet 1995 ;

Que l'obligation de déposer enseignes et marques a fait l'objet à juste titre d'une astreinte que la société LPO ne demande pas de liquider.

Considérant que l'équité commande que l'intimée soit indemnisée des frais irrépétibles qu'elle a exposés devant la Cour, comme elle l'a été de ceux exposés en première instance ;

Que par application de l'article 1154 du Code Civil, la société LPO est fondée au surplus à bénéficier de la capitalisation des intérêts des sommes allouées par le jugement confirmé à compter de ses conclusions du 23 décembre 1997 qui en font la demande.

Par ces motifs : Confirme le jugement du 21 mai 1996 en toutes ses dispositions ; Dit que les intérêts des sommes allouées à la société Laboratoires de Prothèses Oculaires, dite LPO, par le tribunal produisent eux-mêmes intérêts au même taux à compter du 23 décembre 1997 dans les conditions définies par l'article 1154 du Code Civil ; Condamne la société Liberté Optique désormais représentée par son liquidateur amiable à payer à la société LPO une indemnité complémentaire de 30.000F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne la société Liberté Optique aux dépens. Reconnaît à la SCP Goirand, le droit de recouvrement direct contre la société Liberté Optique dans les conditions définies par l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.