CA Nîmes, 1re ch. A, 10 mars 1999, n° 97-2276
NÎMES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Tort
Défendeur :
Tousalon Expansion (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Deltel
Conseillers :
M. Bouloumie, Mme Miquel-Pribile
Avoués :
SCP Tardieu, SCP Guizard
Avocats :
SCP Monceaux-Barnouin-Thevenot, Mes Ramel, Desfonds.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
La Société Tousalon Expansion exerce une activité de franchiseur, dans le cadre notamment de l'exploitation de la marque Tousalon et du savoir-faire Tousalon dont elle est propriétaire.
Elle a été contactée en juillet 1991 par M. Raymond Tort, qui désirait devenir franchisé Tousalon pour la ville de Nîmes.
Le 22 juillet 1991, un protocole d'accord a été conclu entre la société Tousalon Expansion et M. Tort ou toute société dont il serait actionnaire majoritaire, concernant l'ouverture de magasin à l'enseigne Tousalon à Nîmes.
M. Tort a ensuite créé avec Mme Elise Orlandi veuve Tort la SARL Sièges Confort qui devait exploiter le magasin.
M. Tort, Mme Orlandi veuve Tort et la SARL Sièges Confort ont créé la Société Civile Immobilière Les Lauriers Bleus, qui a conclu le 30 octobre 1991 un contrat de crédit-bail immobilier avec la société Sophia-Bail portant sur des locaux situés à Nîmes, ZAC Ville Active, achetés à la SCI Du Forez.
Ces locaux, dans lesquels sera exploité le magasin Tousalon, ont été donnés en location par la SCI Les Lauriers Bleus à la SARL Sièges Confort.
M. Tort, Mme Orlandi veuve Tort et la SARL Sièges Confort se sont constitués caution solidaire des engagements de la SCI Les Lauriers Bleus à l'égard de la société Sophia-Bail.
Le contrat de franchise a ensuite été signé par la Société Tousalon Expansion et la SARL Sièges Confort, avec le cautionnement de M. Tort.
Le magasin a été ouvert le 14 novembre 1991.
En raison du non-paiement par la SARL Sièges Confort des redevances dues au franchiseur, celui-ci a mis en œuvre une procédure de résiliation de franchise.
La SARL Sièges Confort a été déclarée en liquidation judiciaire le 13 janvier 1993.
La Société Tousalon Expansion a déclaré sa créance pour un montant de 1 140 376,24 F à titre chirographaire.
En janvier 1994, la Société Sophia-Bail a assigné devant le Tribunal de Grande Instance de Nîmes, M. Tort, Mme Orlandi veuve Tort, la SCI Les Lauriers Bleus et la SARL Sièges Confort représentée par son liquidateur judiciaire, pour voir constater la résiliation de plein droit du contrat de crédit-bail immobilier, et obtenir paiement de diverses sommes.
M. Tort et Mme Orlandi veuve Tort ont appelé en intervention et en garantie la Société Tousalon Expansion, et sollicité en outre sa condamnation au paiement de dommages et intérêts.
La société Tousalon Expansion a alors demandé la condamnation de M. Tort à lui payer la somme de 1 140 376,24 F, montant de sa créance à l'encontre de la SARL Sièges Confort.
Par jugement du 17 octobre 1996, le Tribunal de Grande Instance de Nîmes a, entre autres dispositions :
- ordonné la disjonction entre la demande principale et l'appel en garantie ;
- constaté la résiliation de plein droit du contrat de crédit-bail immobilier passé entre Sophia-Bail et la SCI Les Lauriers Bleus à compter du 12 février 1993 ;
- rejeté toutes prétentions de la SCI Les Lauriers Bleus et des cautions solidaires M. Tort, Mme Orlandi veuve Tort et la SARL Sièges Confort en liquidation judiciaire, représentée par son liquidateur Me Pradeaux ;
- condamné solidairement la SCI Les Lauriers Bleus, débitrice principale, et les cautions, M. Tort et Mme Orlandi veuve Tort, à payer à la Société Sophia-Bail, la somme de 692 593,47 F au titre des loyers, indemnité d'occupation, charges et intérêts de la somme de 34 691,74 F au titre de l'indemnité de résiliation du contrat de crédit-bail immobilier ;
- constaté que la créance de la Société Sophia-Bail à l'égard de la SARL Sièges Confort, en liquidation judiciaire, représentée par son liquidateur Me Pradeaux, s'élève à la somme totale de 727 285,21 F ;
- condamné solidairement la SCI Les Lauriers Bleus et les cautions, M. Tort et Mme Orlandi veuve Tort, à payer à la Société Sophia-Bail la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
- condamné solidairement la SCI Les Lauriers Bleus et les cautions, M. Tort et Mme Orlandi veuve Tort, aux dépens.
Ce jugement a été confirmé par un arrêt de la Cour d'Appel de ce siège le 17 juin 1998.
Par un autre jugement du 31 janvier 1997, le Tribunal de Grande Instance de Nîmes, statuant sur l'appel en garantie de M. Tort et Mme Orlandi veuve Tort, et sur la demande reconventionnelle de la SARL Tousalon Expansion, a prononcé la décision suivante :
" Rejette la demande d'appel en garantie de M. Tort et Mme Orlandi.
Vu les dispositions de l'article 2036 du Code Civil, déboute la Société Tousalon de sa demande reconventionnelle envers M. Tort.
Rejette toutes autres prétentions des parties.
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Dit que les dépens seront partagés par moitié entre les parties."
M. Tort et Mme Orlandi veuve Tort ont relevé appel de ce jugement et font essentiellement valoir :
- que les engagements qu'ils ont souscrits, tant en créant la SARL Sièges Confort et la SCI Les Lauriers Bleus, qu'en se portant caution du contrat de crédit-bail conclu avec Sophia-Bail, résultent directement des relations qu'ils entretenaient avec la Société Tousalon Expansion dans l'objectif du contrat de franchise, des résultats que la Société Tousalon Expansion leur avait fait miroiter, et du prétendu savoir-faire que la Société Tousalon Expansion devait leur transmettre ;
- que la Société Tousalon Expansion a commis des fautes engageant sa responsabilité en ce que :
* elle n'a pas exercé son devoir de conseil ;
* ses différents manquements ont conduit la SARL Sièges Confort à ne pas respecter ses engagements envers la SCI Les Lauriers Bleus, laquelle n'a pu à son tour, assurer seule ses obligations à l'égard de Sophia-Bail ;
- que dès lors, la Société Tousalon Expansion les a induits en erreur, les laissant s'engager financièrement dans une opération vouée à l'échec ;
- que M. Tort, qui a travaillé plusieurs mois sans rémunération avant de se retrouver au chômage non indemnisé, est dans l'incapacité d'obtenir le financement pour une nouvelle entreprise, et subit un préjudice de 662 000 F ;
- que Mme Orlandi veuve Tort a perdu un investissement fait dans la constitution de la SARL, préjudice évaluable à 150 000 F.
Ils formulent les demandes suivantes :
" Réformer le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Nîmes le 31 janvier 1997 en ce qu'il a rejeté l'appel en garantie des concluants, et les a déboutés de leur demande de dommages et intérêts ;
Condamner la Société Tousalon Expansion à garantir en principal, intérêts, frais, dépens et article 700, M. Tort et Mme Orlandi veuve Tort de la condamnation prononcée à leur encontre par la Cour d'Appel de Nîmes en son arrêt du 17 juin 1998 au profit de la Société Sophia-Bail, tant à titre personnel qu'en qualité d'associés de la SCI Les Lauriers Bleus ;
Condamner en outre Tousalon à payer :
* 662 000 F de dommages et intérêts au titre du préjudice subi par Raymond Tort,
*150 000 F de dommages et intérêts au titre du préjudice subi par Elise Orlandi veuve Tort,
Débouter Tousalon de sa demande reconventionnelle.
Condamner Tousalon à payer à M. Tort et Mme Orlandi veuve Tort la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
La condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel."
Par conclusions auxquelles il est expressément fait référence pour le détail de son argumentation, la Société Tousalon Expansion demande à la Cour de :
" 1 - Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté M. Tort et Mme Orlandi veuve Tort de toutes leurs demandes, fins et conclusions, notamment d'appel en garantie et de condamnation à titre de dommages et intérêts spécifiques à hauteur de 300 000 F et 100 000 F envers la Société Tousalon Expansion.
Débouter de ce chef, M. Tort et Mme Orlandi veuve Tort de toutes leurs demandes, fins et conclusions.
2 - Constater que la Société Tousalon Expansion n'a commis, à l'égard de M. Tort ou de Mme Orlandi veuve Tort, ni faute intentionnelle, ni faute de quelque ordre que ce soit.
3 - Constater que la Société Sièges Confort s'est bien vu transmettre un savoir-faire réel, spécifique et original.
4 - Constater que tant l'étude de marché que le compte d'exploitation prévisionnel ont été établis conformément aux règles de l'art, et que la Société Tousalon Expansion a apporté à son franchisé toute l'aide et l'information nécessaires.
5 - Dire et juger qu'il n'existe entre l'attitude de la Société Tousalon Expansion et l'échec de la Société Sièges Confort et de M. Tort, aucun lien de cause à effet.
6 - Sur la demande reconventionnelle de la Société Tousalon Expansion, condamner M. Tort à payer, par application de l'acte de cautionnement qu'il a signé au bénéfice de Tousalon Expansion, la somme de 1 140 376,24 F à ladite Société Tousalon Expansion, le tout avec intérêts de droit.
7 - Condamner M. Tort et Mme Orlandi veuve Tort au paiement d'une somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
8 - Les condamner en tous les dépens de première instance et d'appel."
MOTIFS ET DECISION
Attendu que M. Tort et Mme Orlandi veuve Tort invoquent à bon droit un lien entre les mauvais résultats de la SARL Sièges Confort et la rupture du contrat du crédit-bail conclu entre la Société Sophia-Bail et la SCI Les Lauriers Bleus dont les appelants étaient les associés et les cautions ;
Attendu cependant qu'il appartient à M. Tort et Mme Orlandi veuve Tort de rapporter la preuve d'une faute de la Société Tousalon Expansion ayant été à l'origine des préjudices qu'ils invoquent, et permettant à M. Tort de s'exonérer du paiement des redevances pour lesquelles il avait donné son cautionnement ;
Attendu qu'il convient de relever que M. Tort était un professionnel particulièrement averti, qui a fait toute sa carrière dans la grande distribution comme directeur ou superviseur, dans de multiples régions de France, de magasins appartenant notamment aux Sociétés Carrefour, Champion, Conforama ou But ;
Qu'il ne saurait dès lors se présenter comme un néophyte incapable d'apprécier la proposition de la Société Tousalon Expansion, avec laquelle il a pris contact en juillet 1991 ;
Attendu que si la cause de la fermeture du précédent magasin qui exploitait la franchise Tousalon à Nîmes est effectivement erronée dans un document fourni par l'intimée, il n'est pas cependant démontré que cette erreur ait été de nature à influer sur l'engagement de M. Tort, qui, en professionnel avisé, et compte tenu de l'importance des investissements envisagés, n'a certainement pas manqué de se renseigner d'une manière plus précise sur le sort des précédents magasins Tousalon de Nîmes ;
Attendu que la Société Tousalon Expansion a transmis à la SARL Sièges Confort un savoir-faire spécifique ; que M. Tort a participé, avant la signature du contrat de franchise, à des sessions de formation dont il a pu apprécier l'utilité, en sa qualité d'ancien dirigeant de magasins ayant une activité comportant le négoce de meubles ;
Attendu qu'eu égard aux résultats obtenus par d'autres magasins, dans des villes d'importance à peu près identique à celle de Nîmes, il n'est pas démontré que l'étude de marché réalisée par l'intimée comportait une erreur d'estimation et d'appréciation grossière, comme le mentionnent les appelants et comme l'ont retenu les premiers juges ;
Attendu enfin que le nombre d'exploitants de magasins à l'enseigne Tousalon qui ont rencontré des difficultés n'est pas significatif, dans une période économique difficile où les marchands de meubles se livrent une concurrence féroce ;
Attendu qu'il appartient au franchisé, exploitant indépendant, de prendre à sa charge les risques inhérents à l'exploitation d'un commerce ;
Que M. Tort et Mme Orlandi veuve Tort ne rapportent pas la preuve que les difficultés rencontrées par la SARL Sièges Confort sont imputables à la Société Tousalon Expansion ;
Attendu en conséquence qu'il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. Tort et Mme Orlandi veuve Tort de leur appel en garantie et de leurs demandes de dommages et intérêts ;
Attendu que la Société Tousalon Expansion a, le 8 mars 1993, déclaré sa créance à Me Pradeaux, représentant des créanciers au redressement judiciaire de la SARL Sièges Confort, pour un montant de 1 140 376,24 F ;
Qu'il n'y a pas eu de décision d'admission de cette créance ;
Que l'intimée ne verse pas aux débats la copie des pièces justificatives qui avaient été adressées au représentant des créanciers ;
Que la dernière mise en demeure adressée à la SARL Sièges Confort le 20 août 1992 ne fait état que d'une créance de 304 551,69 F ;
Que M. Tort conclut au rejet de la demande reconventionnelle formée à son encontre ;
Qu'il convient d'inviter la Société Tousalon Expansion à justifier de la créance qu'elle invoque à l'encontre de M. Tort, en sa qualité de caution de la SARL Sièges Confort ;
Attendu que M. Tort et Mme Orlandi veuve Tort seront condamnés aux dépens de première instance et d'appel ;
Qu'il n'y a pas lieu à application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile au profit de la Société Tousalon Expansion ;
Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, Reçoit en la forme l'appel de M. Tort et Mme Orlandi veuve Tort ; Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. Tort et Mme Orlandi veuve Tort de leur appel en garantie et de leur demandes de dommages et intérêts ; Sursoit à statuer sur la demande de la Société Tousalon Expansion à l'encontre de M. Tort, en sa qualité de caution de la SARL Sièges Confort ; Invite la Société Tousalon Expansion à produire les justificatifs de sa créance à l'égard de la SARL Sièges Confort ; Renvoie sur ce point l'affaire devant le Conseiller de la Mise en Etat ; Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile au profit de la Société Tousalon Expansion ; Condamne M. Tort et Mme Orlandi veuve Tort aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers étant distraits au profit de la SCP Guizard, avoué.