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Décisions

CA Aix-en-Provence, 8e ch. civ., 11 mars 1999, n° 98-11492

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fiat Auto France (SA)

Défendeur :

Diam Nouvelle (SA), Ezavin (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schmitt

Conseillers :

Mmes Blin, Auge

Avoués :

SCP Liberas Buvat Michotey, SCP Tollinchi

Avocats :

Mes Meyung Marchand, Montagard, Guetta.

T. com. Nice, du 29 avr. 1998

29 avril 1998

Concessionnaire exclusive de la Société Fiat Auto France pour la distribution de véhicules neufs et de pièces de rechange des marques Fiat et Lancia, la société Diam, qui exploitait quatre établissements à Nice, a fait l'objet d'un contrôle de stock le 4 juillet 1997 conformément aux prévisions des cinq contrats de concession exclusive conclus pour une durée indéterminée à effet des 24 et 25 septembre 1996.

Alors que les contrats comportaient une clause de réserve de propriété en faveur de la concédante jusqu'à paiement des véhicules livrés, et l'obligation, pour le concessionnaire, de régler le prix avant de remettre un véhicule a un client, le contrôle effectué a révélé que 62 véhicules d'une valeur de 3 863 057,10 F avaient été remis à des clients sans être préalablement payés.

Après avoir, par lettre recommandée du 7 juillet 1997 et sommation d'huissier du 9 juillet 1997 averti la société Diam de la suspension des contrats de concession, et mis celle-ci en demeure de régler le prix des véhicules livrés et revendus, la société Fiat Auto France, par lettre recommandée du 10 juillet 1997 et exploits d'huissier des 15 et 21 juillet 1997, a notifié à sa concessionnaire la résiliation des contrats de concession conformément à des clauses contractuelles prévoyant la résiliation immédiate de plein droit, notamment, en cas de non paiement et non délivrance à un client final des documents nécessaires à l'immatriculation d'un véhicule faute par la concessionnaire d'en avoir préalablement réglé le prix à la concédante.

Suite à une déclaration de cessation des paiements effectuée le 7 juillet 1997, le tribunal de commerce de Nice a ouvert la procédure de redressement judiciaire de la société Diam par jugement en date du 24 juillet 1997 et a désigné Maître Ezavin en qualité d'administrateur.

Après que le juge des référés du tribunal de commerce de Nice se fut déclaré incompétent, par ordonnance en date du 4 novembre 1997, pour connaître d'une demande de l'administrateur tendant au sursis aux mesures d'enlèvement des signes distinctifs Fiat et à la condamnation de la société Fiat Auto France à livrer les véhicules et pièces commandés et à payer les prestations effectuées au titre de la garantie, cette société, se prévalant d'une clause attributive de compétence figurant dans les contrats de concession, a assigné la société Diam afin de voir constater la résiliation des contrats de concession depuis le 11 juillet 1997.

Par jugement, en date du 5 mars 1998 le tribunal de commerce de Paris, considérant que les contrats de concession avaient été régulièrement et légitimement résiliés avant l'ouverture de la procédure collective de la société Diam, et que l'article 37 de la loi du 25 janvier 1985 ne pouvait recevoir application, a ordonné à la société Diam et à son administrateur de cesser de se présenter en qualité de concessionnaires de la marque Fiat, et de procéder sous astreinte à l'enlèvement de tout signe distinctif.

Sur assignation à jour fixe délivrée le 7 janvier 1998 par la société Diam et son administrateur, le tribunal de commerce de Nice, par jugement en date du 29 avril 1988, considérant que les contrats de concession avaient été résiliés en raison de l'état de cessation des paiements de la société Diam, et retenant sa compétence a :

- Déclaré nulles les résiliations des contrats de concession.

- Condamné la société Fiat Auto France à exécuter ces contrats et à régler toutes les prestations effectuées par la société Diam au titre de la garantie contractuelle due aux acquéreurs de véhicules neufs.

- Autorisé la société Diam à maintenir tous les éléments distinctifs de la concession Fiat.

- Condamné la société Fiat Auto France à payer une somme de 15 000 F au titre des frais irrépétibles.

La Société Fiat Auto France a relevé appel de ce dernier jugement par déclaration remise au greffe de la cour le 12 mai 1998.

Elle conclut à son infirmation, au rejet des demandes de la société Diam et de son administrateur, et à leur condamnation in solidum au paiement, en sus des dépens, d'une somme de 100 000 F au titre des frais irrépétibles.

Elle fait valoir pour l'essentiel que :

- La résiliation de plein droit des contrats de concession, acquise antérieurement à l'ouverture de la procédure collective de la société Diam, ne résulte pas du seul fait de cette ouverture, de sorte que, même si l'état de cessation des paiements a été déclaré à son insu le 7 juillet 1997, l'article 31 al. 5 de la loi du 25 janvier 1985 est inapplicable.

- Des difficultés de Trésorerie mises en avant par la société Diam, dont la cause réside dans une ponction de l'ordre de trois millions de francs effectuée entre avril et juillet 1998 par la société mère et par une banque, sont inopérantes dès lors qu'à la date du contrôle du stock les bilans et rapports du conseil d'administration révélaient une situation financière positive, et qu'aucun impayé n'avait été enregistré antérieurement.

- Elle n'a pas assigné d'objectifs de concession irréalistes à la société Diam qui les a réalisés au cours du premier trimestre 1997, les autres concessionnaires de la marque les ayant par ailleurs atteints.

- Elle n'avait aucune obligation d'accorder des facilités pour le paiement du prix des voitures livrées impayées, et ne peut se voir opposer aucune tolérance quant aux agissements qu'elle a découverts le 4 juillet 1997, l'existence d'agissements passés éventuels de même nature lui ayant été inconnue en raison de l'imperfection du système de contrôle qui n'a été affiné qu'à compter du 1er janvier 1998.

- L'administrateur, qui a fermé deux établissements sur quatre, et n'a pas pris pour 1998 l'engagement de vente conditionnant la fabrication des véhicules, est dans l'impossibilité de fournir les prestations contractuelles à la charge de son administrée, et ne peut dès lors en toute hypothèse exiger la poursuite des contrats de concession sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 25 janvier 1985.

- L'immobilisation depuis plus de quatorze mois d'un territoire correspondant à plus de 1 000 ventes de voitures par an lui cause un important préjudice.

La Société Diam conclut à la confirmation du jugement attaqué et à la condamnation de l'appelante au paiement d'une somme de 50 000 F au titre des frais irrépétibles en soutenant en substance que :

- Lorsqu'elle a notifié la résiliation des contrats le 10 juillet 1997, la société Fiat Auto France avait parfaite connaissance de l'état de cessation des paiements remontant selon le jugement déclaratif au 7 juillet 1997, jour du dépôt de bilan, non seulement pour en avoir été informée lors du contrôle du stock et le lendemain du dépôt de bilan, mais encore en raison de l'effondrement du résultat au deuxième trimestre 1997 dont les causes, qu'elle n'ignorait pas, résident dans une baisse du marché, des retards dans la livraison des véhicules, et dans la reprise à concurrence de 575 000 F d'une prime antérieurement accordée.

- Ses difficultés de trésorerie, sans relation avec de prétendus agissements de sa maison mère ou de sa banque, étaient déjà détectables à la lecture du bilan de l'année 1996 qui révélait une très importante dette fournisseurs et un très faible résultat.

- La résiliation qui lui est opposée procède d'une remise en cause des conditions d'exécution des contrats de concession, la société Fiat Auto France ayant antérieurement, depuis le mois de juin 1996, accepté le reversement différé du prix de vente des véhicules livrés tout en retenant les documents administratifs jusqu'au reversement.

- Les clauses résolutoires sont nulles en ce que, visant le non paiement indissociable de l'état de cessation des paiements, elles violent les dispositions de l'article 37 al. 5 de la loi du 25 janvier 1985.

- L'administrateur, qui n'a pas été mis en demeure, n'a pas renoncé à l'exécution des contrats de concession dont il a exigé la poursuite, mais a été mis dans l'impossibilité de les poursuivre par la société Fiat Auto France qui a refusé de l'approvisionner et ne lui a pas, comme elle en avait l'obligation, proposé de nouveaux engagements de vente.

- La fermeture de structures au rayonnement marginal, justifiée sur le plan économique, ne pouvait légitimer le refus de la société Fiat Auto France d'approvisionner les structures restantes.

Sollicitant la révocation d'une ordonnance de clôture rendue le 25 janvier 1999 par le conseiller de la mise en état, maître Ezavin fait sienne l'argumentation de la société Diam et ajoute que :

- le résultat de la période d'observation est positif malgré une chute importante du chiffre d'affaires résultant des difficultés d'approvisionnement.

- La société Fiat Auto France ne peut se plaindre de la fermeture de sites non rentables dans le cadre de mesures de restructuration indispensables qu'autorisait l'article 26 de la loi du 25 janvier 1985.

La société Fiat Auto France sollicite, en raison de la clôture et de la violation du principe du contradictoire, le rejet des conclusions déposées et notifiées le 20 janvier 1999 par la société Diam.

DISCUSSION

Attendu que, interjeté régulièrement dans le mois de la signification du jugement attaqué qui remonte au 7 mai 1998, l'appel est recevable ;

Attendu que la clôture a été prononcée par erreur, en violation des dispositions des articles 917 à 925 du NCPC, avant l'audience, alors que l'appelante a été autorisée à assigner à jour fixe et que le renvoi à la mise en état n'a pas été décidé ; que l'ordonnance de clôture doit en conséquence être déclarée non avenue ; que, l'appelante ayant disposé d'un temps suffisant pour répliquer aux intimés si elle le souhaitait, et ayant accepté de plaider en l'état, il n'y a pas lieu, les conditions posées par les articles énumérés ci-dessus étant respectées, de déclarer les conclusions des intimées irrecevables ;

Attendu que les contrats de concession et leurs annexes imposent à la société Diam de payer les voitures livrées par la société Fiat avec réserve de propriété, soit dans les 120 jours de la livraison, soit, lorsqu'elle intervient plus tôt, avant la remise au client ; que sont érigés en causes de résiliation de plein droit sans préavis, moyennant envoi d'une simple lettre recommandée, d'une part le défaut de paiement d'une somme exigible à l'échéance, d'autre part le défaut de remise des documents d'immatriculation à un client qui a payé un véhicule en tout ou en partie ;

Attendu que la résiliation de plein droit des contrats de concession a été invoquée par la société Fiat Auto France sur les seuls fondements énumérés ci-dessus, compte tenu, non d'un état de cessation des paiements, mais du non versement à bonne date d'une somme de près de quatre millions de francs dont l'exigibilité au regard des stipulations contractuelles n'est pas discutée, et de l'acceptation non contestée de paiements de la part de clients auxquels ne pouvaient être remis les documents d'immatriculation, retenus par la société concédante jusqu'à réception du règlement de la concessionnaire;

Attendu que cette résiliation ne contrevient pas quant à son fondement contractuel aux dispositions de l'article 37 al. 5 de la loi du 25 janvier 1985 aux termes duquel, nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution du contrat ne peut résulter du seul fait de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire;

Attendu que les effets des contrats ne sont pas, sauf dispositions expresses, paralysés par la déclaration de cessation des paiements; qu'une résiliation de plein droit notifiée avant l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire mais postérieurement à la déclaration de cessation des paiements n'est pas nulle lorsque, fondée sur une autre cause que cette déclaration, elle n'est pas entachée de mauvaise foi et n'est pas dictée par le souci frauduleux d'échapper à la règle du texte précité; qu'il appartient à celui qui s'en prévaut de prouver la fraude ou la mauvaise foi ;

Attendu que la connaissance de l'état de cessation des paiements ou de sa déclaration ne se présume pas et ne peut se déduire de la seule existence de la déclaration ; qu'il n'est pas prouvé que la société Fiat Auto France, qui l'a constamment nié, savait, à la date à laquelle elle s'est prévalue de la résiliation de plein droit, que la société Diam avait déposé son bilan auparavant ; que cette preuve peut d'autant moins résulter de deux attestations rédigées et signées par le seul représentant légal de la société Diam, que celui-ci, dans son courrier du 22 juillet 1997 apportant une première réponse écrite à la notification de la résiliation, n'y fait nullement allusion, et que l'aveu du dépôt de bilan aurait constitué un handicap dans la négociation d'un arrangement avec la société concédante que la concessionnaire a recherché jusqu'à l'ouverture de sa procédure collective ;

Attendu que la fraude à l'article 37 al. 5 de la loi du 25 janvier 1985 ne peut découler que de la connaissance, par celui qui se prévaut d'une clause de résiliation de plein droit, de la saisine de la juridiction appelée à ouvrir la procédure de redressement judiciaire, cette saisine constituant un préalable nécessaire ; que cette connaissance ne peut s'inférer de l'analyse de documents comptables qui, s'ils sont susceptibles de révéler un état de cessation des paiements, ne fournissent aucun renseignement sur la mise en œuvre d'un processus judiciaire ;

Attendu, au demeurant, que ni à la date de notification de la suspension des relations contractuelles, ni postérieurement lorsqu'elle s'est prévalue de la résiliation de plein droit, la société Fiat Auto France ne pouvait déduire des renseignements en sa possession que sa concessionnaire allait déposer son bilan de manière imminente ; qu'en effet le bilan arrêté au 31 décembre 1996, bénéficiaire et accompagné d'un rapport de gestion optimiste, n'avait pas lieu de l'inquiéter, et une situation intermédiaire en sa possession, arrêtée au 15 mai 1997, faisant état d'une perte de 144 563 F, ne révélait pas de manière flagrante un état de cessation des paiements alors que les disponibilités étaient de 8,2 millions de francs et qu'aucune indication sur l'importance du crédit dont disposait la concessionnaire n'a, d'après les pièces produites été fournie à la concédante ;

Attendu que des états de rapprochement non critiqués dressés par la concessionnaire démontrent que depuis le début de l'année 1996 et jusqu'à la rupture des contrats, celle-ci en contravention avec les dispositions contractuelles, ne réglait que dans les jours précédant le contrôle de stock périodique le prix d'un grand nombre de voitures vendues à des clients et payées par ceux-ci bien avant ; que si l'importance des paiements effectués massivement avant les contrôles de stocks était nécessairement de nature à renseigner la société concédante sur l'existence de pratiques anticontractuelles, il ne peut en être déduit qu'elle a donné à ces pratiques un aval leur conférant force contractuelle et légitimant celles dénoncées dans la sommation aux fins de mise en œuvre de la clause de résiliation de plein droit ; qu'en effet :

- Avant la défaillance du 4 juillet 1997 toutes les voitures vendues étaient payées, à tout le moins avant le contrôle de stock ;

- Il n'est pas démontré qu'en juillet 1997 la concédante, qui a ultérieurement modifié les procédures à cet égard, avait la possibilité, en dehors des contrôles de stock, de vérifier le respect par le concessionnaire de ses obligations en matière de paiement de véhicules vendus ;

- La tolérance de la concédante se limite dans ces conditions au constat du fait accompli sans conséquences financières, dès lors qu'il est reconnu qu'elle n'a jamais remis à la concessionnaire, avant le paiement effectif, les documents nécessaires à l'immatriculation, et qu'il ne peut sérieusement être retenu qu'au mépris de ses impératifs commerciaux dans les domaines de l'image et de la notoriété, elle aurait délibérément contribué à l'insatisfaction des clients qui avaient payé un véhicule dont ils ne pouvaient disposer ;

Attendu qu'alors que la concédante n'avait aucune obligation de faire crédit à sa concessionnaire, la mise en œuvre de la clause de résiliation de plein droit facultative, à l'occasion du premier impayé constaté, ne procède dans ces conditions ni de la mauvaise foi, ni de la violation d'accords tacites contredisant les dispositions écrites des contrats de concession ;

Attendu, concernant les difficultés financières mises en avant, que seule la provocation délibérée aux manquements sanctionnés par la résiliation de plein droit, reprochable à la concédante et caractérisant la mauvaise foi, serait de nature à rendre la résiliation inefficace ; qu'il faut relever à cet égard, non seulement que la reprise de prime est intervenue régulièrement, s'agissant d'un indu non contesté, et que la procédure de fixation des objectifs, prévoyant en cas de désaccords le recours à un expert, a été respectée, de sorte qu'aucun abus n'est reprochable à la concédante, mais encore que le non-paiement sanctionné par la résiliation découle d'un manque de trésorerie et de crédit dont il n'est pas démontré que la concédante en avait la maîtrise et le suivi à un point qui lui aurait permis de spéculer sur la défaillance de sa concessionnaire;

Attendu, par suite que la résiliation de plein droit a produit son effet avant l'ouverture de la procédure collective de la société Diam; qu'il en découle que les contrats de concession ne peuvent être continués dans les conditions de l'article 37 de la loi du 25 janvier 1985, et que le jugement attaqué doit être infirmé ; que l'infirmation s'étend même au règlement des prestations effectuées au titre de la garantie avant la rupture des relations contractuelles, dès lors que n'est produite aucune pièce démontrant que des factures s'y rapportant restent en souffrance ;

Attendu que, ayant succombé, la société Diam sera condamnée aux entiers dépens qui, s'agissant d'une instance introduite par elle et son administrateur postérieurement à l'ouverture de sa procédure collective, bénéficieront du droit de préférence de l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Attendu qu'il est équitable d'accorder à la société Fiat le remboursement de ses frais irrépétibles à concurrence de 40 000 F ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Déclare non avenue l'ordonnance de clôture rendue le 25 janvier 1999. Dit n'y avoir lieu à rejet de conclusions. Déclare l'appel recevable. Au fond, infirme le jugement attaqué et, statuant à nouveau, Constate que les contrats de concession ont été régulièrement résiliés avant l'ouverture de la procédure collective de la société Diam. Déboute en conséquence la société Diam et son administrateur de leurs demandes, fins et conclusions. Condamne la société Diam aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers distraits dans les conditions de l'article 699 du NCPC au profit de Maître Tollinchi, avoué. La condamne à payer à la société Fiat Auto France une somme de 40 000 F au titre des frais irrépétibles.