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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 26 mars 1999, n° 1996-01960

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Eliot (SA)

Défendeur :

Berthelot (ès qual.), Gilor (SA), Gregoline (SARL), Espace Bijoux (SARL), Chapuis, Lianck (SARL), Thonic (SARL), Gilberton (EURL), Michor (SARL), Coudray (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq

Conseillers :

M. Faucher, Mme Riffault

Avoué :

Ribaut

Avocat :

Me Meresse

T. com. Paris, 17e ch., du 18 oct. 1995

18 octobre 1995

Considérant que la société Eliot anciennement appelée Gilles de Roy et venant aux droits de la société Karil " LM Jordane ", a fait appel d'un jugement du 18 octobre 1995 du Tribunal de commerce de Paris qui :

- a pris acte de l'intervention de Maître Berthelot ès qualité de liquidateur judiciaire de la société défenderesse Gilor et des désistements des sociétés Michor et Thonic,

- a invité le liquidateur de l'EURL Gilberton à introduire une nouvelle action à l'encontre de la société Eliot,

- a reconnu la licéité du contrat de franchise mais a constaté que la société Eliot n'avait pas respecté toutes ses obligations de franchiseur et a prononcé la résiliation à ses torts "de tous les articles du contrat de franchise et du contrat de gestion se rapportant à la franchise" tout en maintenant en vigueur "les articles compatibles dans les relations de magasins à enseigne commune avec leur centrale d'achats",

- a condamné la société Eliot après compensation à rembourser avec intérêts au taux légal à compter du 21 décembre 1992,

- 168 527,25 F à la société Lianck,

- 262 684,88 F à Madame Chapuis,

- 176 743,41 F à la société Gregoline,

- 220 406,29 F à la société Espace Bijoux,

- 165 275,53 F à Maître Berthelot ès qualité,

- a rejeté les autres demandes et a ordonné l'exécution provisoire des cinq condamnations,

- a condamné la société Eliot à verser 30 000 F au titre de l'article 700 à chacun des bénéficiaires des condamnations et à supporter les dépens ;

Que la société Gregoline est désormais représentée par son mandataire liquidateur, Maître Coudray ;

Que le conseiller de la mise en état a constaté par ordonnance du 20 février 1998 le désistement de l'appel de la société Eliot à l'encontre des sociétés Thonic et Michor ;

Considérant qu'aucune des parties n'ayant entendu exposer les faits à l'origine de l'action de la société Eliot, la cour se réfère au jugement déféré qui énonce :

- qu'un bijoutier marocain nommé Lévy s'est installé à Paris en 1969 pour y "monter une affaire de fabrication et vente en gros de bijoux" et que le "succès de ses idées" l'a incité à "lancer en 1984 une chaîne de franchisés sous l'enseigne LM Jordane",

- que le franchisé LM Jordane ou par la société Eliot doit signer un contrat de franchise avec le sieur Lévy, un contrat de gestion avec l'épouse du sieur Lévy et un contrat de location d'équipement en vitrines,

- que si certains franchisés se sont déclarés satisfaits de leur adhésion au réseau, d'autres ont constitué une association de défense ADFF sous l'impulsion du franchisé Gilberton,

- que les procédures ont débuté en 1992 et se sont souvent achevées par transactions ou renonciation de la société Eliot du fait des liquidations judiciaires des franchisés,

- que les franchisés concernés par la présente instance font au franchiseur les reproches classiques d'absence de savoir-faire spécifique et d'assistance commerciale et de prévision de chiffres d'affaires erronés, la société Eliot demandant paiement de reliquats de factures et de dommages-intérêts et les franchisés répliquant par des demandes d'annulation et à défaut de résiliation aux torts du franchiseur des contrats de franchise et de remboursement des droits d'entrée, des factures de formation, des participations publicitaires et des bénéfices du franchiseur et à défaut de paiement de dommages-intérêts équivalents ;

Considérant que le Tribunal de commerce de Paris par le jugement déféré :

- a écarté les griefs d'illicéité et d'absence de cause des contrats de franchise au motif qu'ils avaient été rejetés par jugements des 29 mai 1991 et 5 septembre 1994, le premier confirmé par arrêt du 11 mars 1993, ainsi que le grief de dol parce que les franchisés étaient des commerçants avisés qui avaient "reconnu les avantages financiers de la franchise Eliot et qu'ils avaient pu eux-mêmes constater avant de s'engager que loin d'être un "créateur-fabricant" de bijoux ou le "numéro 1 du bijou-fantaisie Mode haut de gamme" ainsi qu'il se présentait, le sieur Lévy était surtout un importateur "de millions d'articles différents" ne relevant ni de la création ni du haut de gamme,

- a admis que dans sa nouvelle version qui n'est pas celle reconnue licite par les jugements susvisés, le contrat de franchise Eliot comportait une clause potestative de fixation des prix imposée par le franchiseur à ses 30 à 35 franchisés et que la société Eliot qui ne produisait aucun tarif général, pratiquait des prix discriminatoires à l'égard de ses franchisés au profit de ses 6 300 clients détaillants,

- a reconnu que le contrat " extrêmement contraignant " de gestion confirmait la potestativité de la fixation des prix et y ajoutait une potestativité des retours annulant les promesses de rotation à 100 % du stock et de reprise des invendus,

- a constaté que la société Eliot ne justifiait ni de réunions régulières des franchisés ni d'une assistance commerciale prodiguée à ses franchisés et a jugé que l'appelante s'était "comportée en fait comme une centrale d'achat et nullement comme un franchiseur",

- a dit que la société Eliot qui s'était faussement targuée d'une compétence en évaluation de potentiel commercial, avait contracté une obligation d'un résultat bénéficiaire ou à tout le moins "blanc" pour chacun de ses franchisés, et avait manqué à ses engagements publicitaires, de transmission d'un savoir-faire et d'assistance commerciale, mais que les franchisés étaient en partie responsables de ce que les objectifs prévus n'avaient pas été réalisés,

- a jugé que l'interdiction faite aux franchisés d'acquérir leur équipement en vitrines d'exposition était une disposition contractuelle étrangère au contrat de franchise qui a été librement acceptée par les franchisés,

- a retenu tour à tour les notions juridiques de nullité, de résolution et de résiliation pour décider pour finir de résilier les clauses contractuelles spécifiques à la franchise et d'appliquer celles compatibles avec une convention de centrale d'achats (paiement des marchandises commandées, des prestations de service et des frais de tenue de stock),

Considérant que la société Eliot précise par conclusions signifiées les 29 avril 1996 et 6 novembre 1998 que par traité de fusion du 10 novembre 1993 postérieur à l'assignation des sociétés Gilor, Gregoline, Espace Bijoux, Lianck, Thonic, Gilberton et Michor et de Madame Chapuis, la société Gilles de Roy a pris le nom d'Eliot et a absorbé la société Karil M, et soutient par conclusions des 29 avril 1996 et 6 novembre 1998 :

- qu'il a été jugé par arrêt du 11 mars 1993 de la Cour d'appel de Paris que les prix de vente aux franchisés n'étaient pas potestatifs, que la modification apportée au contrat de franchise n'apporte aucun changement à la détermination de prix qui n'ont jamais été critiqués, d'autant qu'y a été ajoutée une clause réputant ratifiée toute modification de prix qui n'aurait pas été contestée dans le délai de quarante huit heures près sa notification, et que les prix ont toujours été déterminables par la voie d'un arbitrage ou d'une expertise que les franchisés n'ont jamais empruntée,

- qu'au surplus les franchisés ne justifient d'aucun abus de pouvoir du franchiseur dans la détermination des prix de vente,

- que le contrat de gestion est en réalité un "mandat" que chaque franchisé donne au franchiseur "de gérer la rotation de son stock" et conteste que les clauses d'approvisionnement automatique et de reprise introduisent une quelconque potestativité dès lors que le franchisé dispose de quarante huit heures pour renvoyer les articles qu'il n'aura pas retenus, et que l'expiration de ce délai fait sortir le franchisé de la procédure normale des retours sans assentiment du franchiseur,

- que la loi du 31 décembre 1989 dite Doubin ou son décret d'application ont été promulgués après la conclusion des contrats litigieux,

- que la franchise peu contraignante Eliot est d'autant plus appréciée des franchisés qu'elle leur assure une gestion étroite de leurs stocks sans perte de temps, et que les critiques des intimés procèdent de leur volonté de se soustraire à leurs obligations,

- que la société Eliot ne saurait assumer une obligation de résultat sur la base de prévision de chiffre d'affaires et de bénéfice qu'elle établit au vu d'éléments fournis par le franchisé, mais qu'elle remet à ses franchisés un manuel opérationnel, se tient à leur disposition pour leur prodiguer l'assistance qu'ils souhaitent, organise des réunions et séminaires de formation, fait une intense publicité et ne vend plus cher les articles à ses franchisés qu'à d'autres détaillants qu'en raison des services qu'elle leur rend, et sans nuire à leurs marges bénéficiaires brutes d'environ 60 %,

- qu'elle est fondée à réclamer à chaque intimé la réparation de son manque à gagner sur la base des ventes qu'il n'a pas réalisées, le prix de marchandises et des royalties impayées ainsi que 30 000 F de dommages-intérêts pour déstabilisation d'un réseau dont elle affirme pourtant qu'il se porte bien, et 40 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Que dans ses ultimes conclusions la société Eliot revient sur son aveu d'une discrimination des prix de vente à ses franchisés en soutenant qu'elle n'avait qu'un tarif mais accuse les intimés de s'être approvisionnés hors réseau ce qui implique qu'ils pouvaient trouver ailleurs les mêmes articles à moins cher,

Que la société Eliot demande en conséquence à la cour dans le dernier état de ses conclusions :

- d'infirmer la décision déférée et de dire les contrats de franchise abusivement résiliés par les franchisés,

- de condamner chaque franchisé à lui verser au total :

-- la société Espace Bijoux 524 905,72 F

-- Madame Chapuis 589 185,65 F

-- la société Lianck 413 195,01 F

- de fixer sa créance à 186 893,01 F sur la société Gregoline,

- d'ordonner le remboursement des sommes payées sur exécution provisoire avec intérêts au taux légal à compter du versement ;

Considérant que Maître Yves Coudray, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Gregoline, a été le premier des intimés à conclure le 24 septembre 1996 à la confirmation du jugement en ce qu'il avait jugé que la société Eliot était en réalité une centrale d'achats, avait déclaré nulles toutes les clauses contractuelles concernant les services rendus et avait mis à la charge de la société Eliot une obligation de résultat qu'elle avait enfreint ;

Qu'il reproche aux premiers Juges en revanche de n'avoir pas tiré toutes les conséquences financières de leur décision et demande à la cour d'ajouter aux 176 743,41 F de première instance, le remboursement de l'investissement initial de 281 496 F et de pertes s'élevant à 640 225 F ainsi que le paiement d'un manque à gagner de 1 047 918 F et de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Considérant qu'il faudra attendre le 30 janvier 1998 pour que la société Lianck, Maître Berthelot, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Gilor, Madame Chapuis, la société Espace Bijoux et Maître Roux, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Gilberton, concluent à la confirmation du jugement, en particulier en ce qu'il a prononcé la résiliation des contrats aux torts exclusifs de la société Eliot, subsidiairement à la fixation de créances de la société Eliot sur les sociétés Gilor et Gilberton en liquidation judiciaire et à la condamnation de la société Eliot à leur verser 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Que ces intimés prétendent que la situation des plus mauvaises des franchisés Eliot est imputable à la forte dégradation de la qualité des bijoux-fantaisie dont le franchiseur était le fournisseur exclusif, à la mauvaise gestion des approvisionnements et des stocks par le franchiseur, à la concurrence de revendeurs indépendants que la société Eliot approvisionnait à des prix inférieurs à ceux qu'elle imposait à ses franchisés, à l'absence de publicité nationale autre que de recrutement de nouveaux franchisés, à "l'organisation d'un système coûteux, discriminatoire et abusif d'agencement de boutique" ayant pour seul but de maintenir les franchisés dans un état de dépendance économique, à une surévaluation des résultats que les franchisés étaient susceptibles d'atteindre, et au refus de tout dialogue avec les franchisés ;

Qu'ils observent que la franchise s'est appelée successivement LM Jordane, LM Nordane, Eliot Bijoux Paris puis Eliot, qu'elle a été gérée par les sociétés initialement distinctes Karil M, franchiseur, et Gilles de Roy, fournisseur, et que la moyenne des disparitions des franchisés en l'espace de trois ans est des deux tiers pour en déduire que l'animateur Levy se borne à tirer profit du recrutement de franchisés auquel il masque son échec par des changements de dénomination du réseau ;

Qu'ils soutiennent que la clause de détermination des prix de vente aux franchisés est potestative dès lors qu'il n'existait à l'origine aucun tarif, que la majoration convenue des prix en fonction du coût des services fournis par le franchiseur était laissée à l'appréciation discrétionnaire et incontrôlable de ce dernier, et que la faculté de contestation des prix était illusoire ;

Qu'ils prétendent que la promesse d'une rotation à 100 % des stocks était mensongère et que le mandat de gestion permettait au franchiseur d'effectuer des "ventes forcées" et de faire des franchisés un "marché captif" dès lors que de nombreux obstacles étaient mis à l'application de la clause de reprise des invendus ; qu'ils reprochent au franchiseur d'avoir abusé de l'exclusivité d'achat imposée aux franchisés en ne leur communiquant aucun tarif et en leur imposant des prix supérieurs à ceux de ses ventes aux détaillants se trouvant hors réseau en violation des articles 1134, 1135 ou 1176 du Code civil et 8 et 9 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Qu'ils approuvent l'annulation des clauses du contrat de franchise concernant le paiement du coût des services rendus, contestent la pertinence des quelques lettres de satisfaction produites par la société Eliot, rappellent leurs doléances et dénoncent la violation des dispositions de la loi Doubin, la publicité mensongère dont les franchisés ont été victimes, l'absence d'assistance commerciale et de publicité concernant les produits, la privation de toute initiative et la dépendance subie par les franchisés, la gestion de fait de la société Eliot et le manquement de celle-ci aux obligations de résultat et de moyens qu'elle avait contractées ;

Considérant que par conclusions signifiées le 17 février 1998 Maître Coudray ès qualité déclare s'associer aux moyens des autres intimés ;

Considérant que par conclusions signifiées le 26 février 1998 les sociétés Lianck et Espace Bijoux, Madame Chapuis et Maîtres Berthelot et Roux, ès qualité de mandataires liquidateurs des sociétés Gilor et Gilberton, énoncent à nouveaux les mêmes critiques qu'un mois plus tôt mais ajoutent des demandes subsidiaires d'annulation des contrats de franchise aux torts exclusifs de la société Eliot et de condamnation de l'appelante à payer, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation eux-mêmes capitalisés,

- 1 565 083 F à la société Lianck

- 648 648,52 F à la société Espace Bijoux

- 837 169,89 F à Madame Chapuis

- 4 160 137,53 F à Maître Berthelot ès qualité.

Maître Roux demande ès qualité qu'il lui soit donné acte de ce qu'il réserve les droits de la société Gilberton dans la cadre d'une autre procédure pendante devant le Tribunal de commerce de Paris ;

Considérant que les conclusions échangées après la réplique du 6 novembre 1998 de la société Eliot ci-dessus analysées ne font que reprendre les demandes et moyens dont la cour est saisie ;

Considérant que les parties ont renoncé à la mise en œuvre de la clause d'arbitrage au stade des débats de première instance ;

Considérant que les deux décisions dont la société Eliot se prévaut parce qu'elles ont déclaré valide la franchise LM Jordane devenue LM Nordane et pour finir Eliot, ne sont pas opposables aux franchisés intimés dans la présente instance puisqu'ils n'y étaient pas parties ; qu'il en est de même pour la même raison des arrêts de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation du 1er décembre 1995 dont se prévaut également l'appelante, qui ont refusé d'appliquer au contrat de vente, pourtant source d'obligations, l'article 1129 du Code civil imposant que toute obligation contractuelle soit déterminée ou déterminable ;

Considérant que le Tribunal de commerce de Paris a utilisé tour à tour les termes antagonistes d'annulation, de résolution et de résiliation pour prononcer une résiliation sélective de clauses contractuelles qu'il estimait nulles et valider d'autres clauses "compatibles à des relations de magasin à enseigne commune avec leur centrale d'achats" ce qui revenait à modifier de façon substantielle l'analyse de relations contractuelles constituant un ensemble voulu indissociable ;

Qu'après avoir soutenu avec les premiers Juges qu'ils étaient devenus franchisés sur la base d'un engagement mensonger de résultat du franchiseur et d'une promesse illusoire d'indépendance, qu'ils avaient été contraints de subordonner des prix indéterminables du fait d'une clause nulle et discriminatoire par comparaison avec les conditions faites aux détaillants hors réseau, et que le mandat de gestion de stock n'avait pas d'autre but que de les contraindre à des achats forcés et définitifs en l'absence de réelle faculté d'application de la clause fallacieuse de retour, les intimés se sont résolus à demander à la cour de prononcer la nullité du contrat de franchise et à solliciter " en tout état de cause " le remboursement des pertes subies ou le paiement du passif social à titre de dommages-intérêts, ce qui revient en quelque sorte à les rétablir dans la situation antérieure à leur entrée dans le réseau ; que la cour est en fait saisie au premier chef d'une demande d'annulation des contrats de franchise ;

Considérant que le franchiseur et ses franchisés sont des commerçants indépendants qui ont convenu d'exploiter, en collaboration étroite au sein d'un réseau structuré, créé et administré par le franchiseur, des signes de ralliement et un savoir-faire appartenant au franchiseur en vue de la commercialisation de produits ou services fournis ou contrôlés par le franchiseur qui reçoit de ses franchisés des royalties en rémunération de son assistance ;

Que la société Eliot est la nouvelle appellation de la société Gilles de Roy, importateur de bijoux de fantaisie de faibles prix, qui a absorbé le 17 décembre 1993 la société Karil'M, franchiseur ; que les deux sociétés sont contrôlées et dirigées par les époux Lévy ;

Considérant que la loi du 31 décembre 1989 dite Doubin n'était pas déjà promulguée lorsque deux des contrats de franchise et de mandat litigieux ont été conclus ; que ses dispositions d'ordre public étaient déjà applicables pour les trois autres lors de leur conclusion, même si le décret d'application n'a paru au Journal Officiel que le 6 avril 1991 ;

Que l'article 1er de cette loi impose au franchiseur de remettre à chaque candidat à l'entrée dans le réseau de franchise un "document donnant des informations sincères qui lui permette de s'engager en connaissance de cause"; qu'en l'absence de sanction précise, ce texte ne saurait servir de base qu'à une annulation pour dol, celle que les intimés demandent en qualifiant de mensongère l'information précontractuelle qui leur a été fournie ou à l'octroi de dommages-intérêts ; qu'il n'est au surplus nul besoin de se référer à la loi Doubin pour prononcer une nullité d'un contrat si le consentement d'une des parties est entaché de dol ;

Considérant que la société Eliot ne conteste ni les modifications successives de l'enseigne ni le taux très important de disparition des franchisés ni l'optimisme excessif de l'étude prévisionnelle qu'elle remettait à ses futurs franchisés ; qu'elle en impute de façon surprenante l'inexactitude aux franchisés en précisant qu'elle rédigeait le "prévisionnel" sur la base d'éléments fournis par le candidat à l'entrée dans le réseau ; qu'elle ne peut mieux reconnaître qu'elle s'est affranchie du respect d'une obligation essentielle de la loi du 31 décembre 1989 dès que celle-ci a été applicable ;

Qu'elle ne conteste pas l'énonciation du contrat de gestion de stock;

Considérant que l'article 5-4 du contrat de franchise stipule que :

"les marchandises faisant l'objet du présent contrat seront vendues au franchisé aux conditions générales du franchiseur majorées des éventuels services sur produits et fournitures par un pourcentage dépendant du coût de ses services chez le franchiseur.

Toute modification du prix du franchiseur non contestée par le franchisé dans un délai de 48 h à compter de sa notification, sera considérée comme ratifiée.

Si une modification du prix est contestée par le franchisé dans ledit délai, il est expressément convenu que ce prix sera fixé par un expert qui sera désigné par le Président du Tribunal de commerce de Paris.

Les frais de l'expert seront à la charge de la partie qui succombe mais l'avance des frais sera à la charge du franchisé".

Que la société Eliot ne conteste apparemment pas qu'aucun tarif de prix n'a été remis aux franchisés lorsqu'ils sont entrés dans le réseau de franchise ; que les intimés ont raison de soutenir :

- que le mandat de gestion de stock qu'il leur fallait donner à leur fournisseur exclusif, leur retirait toute maîtrise de livraisons de marchandises décidées par le franchiseur sans qu'ils aient à passer commande ;

- que le franchiseur s'était arrogé le droit d'incorporer dans ses prix de vente un pourcentage d'un coût de services que lui seul maîtrisait, et déterminait discrétionnairement les prix auxquels il vendait les bijoux à ses quelques dizaines de franchisés, ce qui lui permettait de leur facturer ses livraisons à des prix supérieurs à ceux auxquels il cédait les mêmes articles à plusieurs milliers de clients détaillants susceptibles de concurrencer les franchisés auxquels aucune exclusivité territoriale ni aucun droit de distribution exclusive n'étaient accordés ;

Que la clause accordant aux franchisés un droit de contestation à exercer, à peine de forclusion, dans les quarante huit heures d'une notification de prix était impraticable dès lors qu'elle ne pouvait que conduire à une expertise aléatoire dont les frais dispendieux devaient être avancés par le franchisé contestataire ;

Qu'il en résulte que l'approvisionnement des franchisés se faisait sans commande préalable et à des prix relevant d'une appréciation discrétionnaire et pratiquement incontrôlable du franchiseur-fournisseur ; que l'article 5-4 susvisé engendrait pour le franchisé une obligation de paiement indéterminée et de fait indéterminable ; qu'il est nul ;

Considérant que l'article 5-3 du contrat de mandat de gestion des stocks qui était associé au contrat de franchise par une publicité consacrée au recrutement de franchisés faisant de ce mandat la garantie d'une rotation à 100 % du stock du franchisé, d'une reprise des invendus et d'une marge bénéficiaire brute de l'ordre de 60 %, prévoit certes la reprise par le mandataire Eliot des articles à mauvaise rotation définis comme étant ceux qui n'ont pas été vendus au bout de 180 jours" mais soumet cette obligation à l'initiative du franchiseur, seul juge de l'acceptation des retours, et à l'absence d'exclusions discrétionnairement imposées par le franchiseur, et détermine la valeur de reprise en fonction des prix alors pratiqués dont la cour a constaté qu'ils étaient définis par le franchiseur;

Que les premiers Juges ont à juste titre considéré que l'obligation de reprise était potestative et donc nulle, que le contrat de gestion du stock ne faisait qu'accroître la dépendance des franchisés à l'égard du franchiseur et que les promesses publicitaires de rotation des marchandises, de reprise d'invendus et de bénéfices étaient mensongères;

Considérant que les clauses déclarées nulles constituent des éléments substantiels des contrats sur lesquels se fonde le système de distribution Eliot; que leur nullité entraine la nullité des contrats de franchise et de gestion de stock ;

Considérant qu'il n'apparait même pas des documents produits que les franchisés aient été propriétaires des agencements de présentation des marchandises à la vente aux particuliers et qu'ils aient bénéficié ainsi que les premiers juges l'ont pertinement relevé, d'une publicité autre essentiellement que de recrutement de nouveaux franchisés ni de réelles prestations d'assistance en dehors de la gestion de stock assurant leur asservissement ;

Considérant qu'il résulte de ces constatations que l'ensemble contractuel liant chacun des franchisés intimés et la société Eliot ne répondait ni à la définition de la franchise faute d'existence d'une indépendance des franchisés à l'égard du franchiseur, ni au mandat de vente dès lors que la société Eliot s'était assurée les prérogatives d'un mandant mais avait transféré la propriété des marchandises à ses pseudo-franchisés, ni même à des relations de détaillants à centrale d'achats en l'absence de commandes des bijoux par les détaillants et de définition contractuelle préalable de leurs prix d'achat;

Que les six intimés qui ne pouvaient s'apercevoir qu'à l'usage de la fausseté des promesses qui leur ont été faites sont fondés à se dire victimes d'un dol qui les a fait devenir de faux franchisés d'un réseau de distribution entièrement soumis au pouvoir discrétionnaire des époux Lévy ; qu'ils n'auraient à l'évidence pas signé les conventions sans ce dol ; qu'il convient d'annuler les contrats de franchise afin de demeurer dans les limites des demandes soumises à la cour;

Considérant que les parties doivent en conséquence de cette annulation être remises dans l'état où elles se trouvaient avant de s'engager ; qu'il convient dans un premier temps de confirmer les condamnations prononcées en première instance et d'inviter la société Eliot à s'expliquer sur les demandes complémentaires formulées par les sociétés Lianck et Espace Bijoux, Madame Chapuis et Maîtres Berthelot et Coudray ès qualité, en observant que Maître Roux ès qualité a intenté une nouvelle action ainsi que le tribunal de commerce le lui avait demandé ;

Considérant qu'il serait inéquitable que les intimés supportent la charge de leurs frais irrépétibles.

Par ces motifs : Réformant le jugement déféré en ce qu'il a prononcé une résiliation partielle des contrats de franchise et de gestion, Prononce la nullité des contrats de franchise liant la société Eliot à Madame Chapuis et aux sociétés Lianck, Espace Bijoux, Gilor et Gregoline, Confirme les condamnations de première instance prononcées au profit de ces cinq intimés en constatant que la société Gregoline est désormais représentée par Maître Coudray, Y ajoute pour Maître Coudray ès qualité 15 000 F et pour les quatre autres intimés 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Ordonne la réouverture des débats concernant les demandes complémentaires des intimés, Fixe la clôture de la mise en état au 28 mai 1999 et les nouvelles plaidoiries au 25 juin 1999 ; Donne acte à Maître Roux ès qualité de ce qu'il se réserve de faire valoir les droits de la société Gilberton dans une autre instance ; Condamne la société Eliot en tous les dépens de première instance et d'appel, Admet les SCP Roblin Chaix de Lavarene et Fanet, avoués, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.