CA Paris, 5e ch. A, 14 avril 1999, n° 1997-00138
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Soho (SA)
Défendeur :
Lesage & Cie (SARL), Lesage
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard-Payen
Conseillers :
Mmes Jaubert, Percheron
Avoués :
SCP Narrat-Peytavi, SCP Varin-Petit
Avocats :
Mes Bessis, Laraize.
LA COUR statue sur les appels respectivement interjetés par les sociétés Soho et Lesage & Cie ainsi qu'André Lesage à l'encontre du jugement rendu le 14 octobre 1996 par le tribunal de commerce de Paris qui a
- donné acte à la société Lesage & Cie de l'abandon de ses premières écritures respectives ;
- constaté la résiliation aux torts partagés du contrat de franchise à la date du 29 décembre 1995 ;
- condamné la société Lesage & Cie à payer à la société Soho la somme de 148.815,75 F augmentée des intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 1995 ;
- ordonné à la société Lesage & Cie de démonter les néons en plafond de couleurs jaune et rouge de type Soho, dans le mois de la signification du jugement sous astreinte de 1.000 F par jour de retard ;
- ordonné à celle-ci d'apposer une affichette lisible à hauteur des yeux sur chaque rayon comportant encore des produits " Soho ", indiquant en substance " Liquidation du stock Soho ; le magasin ne fait plus partie du réseau " et ce, dans le mois de la signification du jugement sous astreinte de 1.000 F par jour de retard ;
- interdit jusqu'au 28 décembre 1996 inclusivement à la société Lesage d'offrir à la vente directement ou indirectement des produits concurrents tant dans la fonction que dans la gamme de prix de ceux diffusés actuellement par le réseau Soho sur l'ancien territoire contractuel de la ville de Troyes, sous astreinte de 100 F par infraction constatée ;
- commis, en tant que de besoin, tout huissier de justice pour faire les constatations nécessaires à l'intérieur du magasin de la société Lesage & Cie, 57, rue Urbain IV à Troyes ;
- validé l'inscription provisoire de nantissement sur le fonds de commerce de la société Lesage & Cie à hauteur de 165.000 F ;
- débouté la société Soho du surplus de ses prétentions ;
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
- mis les dépens solidairement à la charge de la société Lesage & Cie et d'André Lesage.
Référence étant faite aux énonciations du jugement attaqué et aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et de la procédure initiale, il suffit de rappeler les éléments suivants :
Le 2 août 1989 la société Lesage & Cie a souscrit auprès de la société Soho, qui a mis au point une méthode d'exploitation de fonds de commerce de gadgets, sous l'enseigne Soho, un contrat de franchise sur le territoire de la ville de Troyes, pour une durée de cinq ans, renouvelable par tacite reconduction pour une même période avec faculté de dénonciation par l'une ou l'autre des parties moyennant un préavis de six mois.
Faute de dénonciation, ce contrat s'est renouvelé le 3 août 1994, pour une nouvelle période de cinq ans, les parties ayant le 5 mars précédent régularisé un avenant permettant au franchisé de déménager son fonds dans la même ville pour intégrer des locaux d'une superficie commerciale plus importante.
A compter du mois de juin 1995, la société Lesage & Cie n'a plus réglé les redevances contractuelles et par courrier de son conseil daté du 20 décembre 1995, reçu le 29 décembre suivant par le franchiseur, elle a dénoncé le contrat avec effet immédiat.
Contestant cette rupture unilatérale et injustifiée de leur convention, la société Soho a saisi le tribunal de commerce de Paris d'une demande tendant à voir constater la résiliation du contrat aux torts de la société Lesage & Cie et à la voir condamnée à lui régler diverses sommes.
La société Lesage & Cie et André Lesage, intervenu volontairement à l'instance, ont résisté à cette action et après avoir en changeant d'avocat ont modifié leurs moyens de défense et leurs prétentions, c'est dans ces conditions qu'est intervenu le jugement précité, le tribunal retenant, d'une part, que la société Lesage & Cie avait manqué à ses obligations contractuelles en omettant de régler les redevances depuis plusieurs mois et, d'autre part, que la société Soho avait violé l'exclusivité territoriale concédée à son franchisé par la mise en place d'un catalogue de vente par correspondance diffusé à Troyes.
La société Soho conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société Lesage & Cie à lui payer la somme de 148.815,75 F au titre des redevances impayées, a dit n'y avoir lieu à restitution des chèques demandée par cette dernière, a débouté André Lesage personnellement de ses prétentions et a débouté la société Lesage & Cie de ses demandes.
Pour le surplus, faisant observer que le contrat de franchise renouvelé le 3 août 1994 pour s'achever le 4 août 1999, a été rompu le 20 décembre 1995 par la société Lesage & Cie de façon injustifiée sans préavis, alors qu' elle avait violé les clauses 4 e) et 5 du contrat, elle demande à la Cour de condamner la société Lesage & Cie à lui payer les sommes de
- 822.540,43 F à titre de dommages et intérêts correspondant à l'équivalent de 3 ans et 7 mois de redevances du fait de la rupture fautive du contrat et ce, compte tenu du chiffre d'affaires précédemment réalisé,
- 100.000 F à titre de dommages et intérêts provisoirement évalués en raison de la violation de la clause de non-concurrence (article 11 du contrat) depuis le 20 décembre 1994 à ce jour, le préjudice pouvant évoluer en fonction de la persistance de l'infraction,
- 50.000 F au titre du préjudice commercial résultant pour elle de la perte d'un franchisé sur la zone, compte tenu du temps de réinstallation et de formation nécessaire pour un autre franchisé sur la même zone.
Elle prie également la Cour de
- interdire à la société Lesage & Cie de porter concurrence directement ou indirectement à la société Soho ainsi qu'au réseau de franchise Soho pendant un an à compter du prononcé de l'arrêt, sous astreinte définitive de 100.000 F par jour de retard, 15 jours après la signification de l'arrêt,
- interdire en conséquence à la société Lesage & Cie, 15 jours après la signification de l'arrêt, de faire usage de tous signes distinctifs de la marque, des mobiliers et agencements spécifiques, éléments décoratifs Soho tels que définis au cahier des charges remis au moment de la signature du contrat, du savoir-faire Soho, sous astreinte définitive de 100.000 F par infraction constatée,
- ordonner à titre de supplément de dommages et intérêts, la publication de l'arrêt dans cinq journaux au choix de la société Soho et aux frais de la société Lesage & Cie sans que chaque publication ne dépasse la somme de 20.000 F, soit 100.000 F supplémentaires au total,
- condamner la société Lesage & Cie à lui verser la somme de 60.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Lesage & Cie et André Lesage concluent de leur côté à l'infirmation du jugement dont appel en ce qu'il est entré en voie de condamnation contre la société Lesage & Cie et sollicitent la Cour de
- constater la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusifs de la société Soho,
- condamner en conséquence cette société à rembourser à la société Lesage & Cie la somme de 121.668,16 F majorée des intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 1996,
- condamner la société Soho au paiement à titre de dommages et intérêts correspondant à la redevance qui lui aurait été payée si elle avait respecté son contrat jusqu'en août 1999, la somme de 822.540,43 F, en raison de la rupture anticipée du contrat,
- la condamner à lui payer la somme de 250.000 F pour la distribution fautive d'un catalogue de VPC et celle de 50.000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- la condamner à régler à André Lesage outre la somme de 25.000 F au titre de ses frais irrépétibles, celle de 250.000 F à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice personnel.
Chaque partie demande que son adversaire soit débouté de l'ensemble de ses prétentions.
Sur ce, LA COUR
Considérant, à titre liminaire, qu'il convient de noter que la société Lesage & Cie par l'intermédiaire de son conseil de l'époque, a par courrier recommandé du 20 décembre 1995, sans avoir respecté la procédure prévue à cet effet au contrat de franchise, informé la société Soho de sa décision de rompre le contrat qui les liait en visant l'article 9 dudit contrat et en reprochant au franchiseur d'avoir procédé à la diffusion d'un catalogue de vente par correspondance des produits de sa marque sur le territoire de la ville de Troyes, d'avoir, lors de la cession de ses magasins en exploitation directe, liquidé les stocks de marchandises à des soldeurs et de ne pas lui avoir apporté l'assistance prévue à l'article 3 du contrat notamment lors de l'ouverture de son nouveau point de vente ;
Considérant que, contrairement aux dispositions de l'article 9 susvisé, qui prévoient que le contrat sera résilié de plein droit par le franchisé, quinze jours après un commandement d'exécuter demeuré infructueux, la société Lesage & Cie ne justifie avoir adressé aucun commandement au franchiseur ;
Considérant que la société Lesage & Cie, qui en première instance avait contesté avoir rompu le contrat unilatéralement en déniant toute valeur au courrier envoyé à son insu par son conseil, prétend en appel que le dernier alinéa de l'article 9 a) donne la faculté au franchisé de rompre de plein droit le contrat par simple lettre recommandée, si le franchiseur ne remplit pas l'une des obligations par lui contractées et considérées comme déterminantes au regard de l'exécution du contrat ;
Que pour justifier qu'elle était fondée de faire application des dispositions précitées, la société Lesage & Cie qui ne reprend pas les griefs figurant à la lettre de rupture, soutient qu'à partir du mois d'octobre 1994, la société Soho a manqué à ses obligations en cessant d'exécuter le contrat de franchise du fait du changement radical de produits de l'enseigne Soho, qui a préféré distribuer dans son réseau des produits autres que les gadgets habituels ;
Mais considérant que la société Lesage & Cie qui a encore une fois de plus modifié son argumentation, ne peut sérieusement prétendre que ce grief relatif au changement de produits qui ne figurait pas dans le courrier du 20 décembre 1995 aurait été la cause déterminante de la rupture ;
Que la société Lesage & Cie en fait cependant devant la Cour son argumentation centrale pour obtenir la résiliation du contrat aux torts exclusifs du franchiseur ;
Or considérant qu'il est établi par les documents versés aux débats que lors d'une réunion qui s'est tenue le 3 octobre 1994, il a été proposé à l'ensemble des franchisés du réseau de signer un avenant au contrat de franchise prévoyant la mise à disposition de catalogues et l'adjonction de produits cadeaux aux gadgets habituels, étant ici relevé que conformément au dernier paragraphe de l'article 1er du contrat le franchiseur avait la faculté de faire évoluer seul les lignes de produits référencés au fur et à mesure de l'évolution du marché et des goûts de la clientèle ;
Que la société Lesage & Cie n'a pas signé cet avenant dont la signature était facultative et n'a adressé aucune mise en demeure ou courrier pour s'opposer à cette évolution de la franchise ; qu'il n' est d'ailleurs pas démontré qu'elle n'ait pas pu se fournir normalement en produits gadgets, ni que l'échec de cette expérience lui ait causé un quelconque préjudice ;
Considérant que la société Lesage & Cie n'est pas mieux fondée à prétendre que le société Soho ne lui aurait pas porté l'assistance prévue à l'article 3 du contrat, que sa reconduction et la signature d'un avenant en mai 1994 démontrent suffisamment qu'elle était satisfaite de ses relations avec le franchiseur ;
Qu'elle ne saurait valablement faire grief à la société Soho d'avoir violé la clause d'exclusivité territoriale qui lui était concédée en diffusant sur la ville de Troyes son catalogue de vente par correspondance ;qu'il apparaît que cette expérience qui a été lancée en octobre 1994 n'a pas été reconduite après fin décembre 1994, qu'elle s'est soldée par un échec, la société Soho n'ayant effectué sur la ville de Troyes à ce titre qu'une vente de 324 F ;
Que bien plus, le franchisé n'a pas estimé à l'époque que cette situation devait entraîner la rupture du contrat et ce, dans la mesure où, par lettre du 13 février 1995, la société Lesage & Cie a indiqué au franchiseur que, selon elle, la vente par correspondance lui paraissait contraire à l'article 1er c) du contrat franchise et qu'il s'agissait d'une concurrence déloyale, mais loin de mettre en demeure son cocontractant de cesser cette activité et de solliciter la résiliation du contrat, elle lui a demandé en contre partie une remise substantielle de la redevance de 7% pour nous prévenir de la baisse de chiffre d'affaires ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Lesage & Cie qui a invoqué des prétextes pour se libérer d'un contrat de franchise qui venait d'être reconduit jusqu'en août 1999, l'a rompu de façon unilatérale et injustifiée le 20 décembre 1995, alors que depuis le mois de juin 1995, elle avait cessé de payer les redevances contractuelles et n'avait plus produit les déclarations fiscales mensuelles de son chiffre d'affaires à partir du mois d'octobre 1995 ;
Considérant qu'il en résulte que le contrat de franchise a été résilié aux torts exclusifs de la société Lesage & Cie qui devra être déboutée de l'ensemble de ses prétentions et devra régler à la société Soho outre le montant des redevances impayées, la somme de 822.540,43 F à titre de dommages et intérêts correspondant au montant des redevances qu'elle aurait dû régler jusqu'à la fin du contrat ;
Considérant sur la violation de la clause de non-concurrence après la rupture du contrat, que c'est à bon droit par des motifs pertinents que la Cour adopte que le tribunal a limité à un an la clause de non-concurrence prévue à l'article 11 du contrat et a fait interdiction à la société Lesage & Cie de concurrencer le réseau Soho sur le territoire de la ville de Troyes jusqu'au 29 décembre 1996 ;
Que faute par la société Soho de produire la moindre justification des infractions qu'elle dénonce aujourd'hui, puisqu'elle se contente de verser en appel le constat du 29 décembre 1995 produit en première instance, les diverses demandes qu'elle forme de ce chef devant la Cour devront être rejetées ;
Considérant qu'il serait contraire à l'équité de laisser à la société Soho la charge de ses frais irrépétibles, qu'à ce titre, il lui sera alloué la somme précisée au dispositif, tandis que la société Lesage & Cie et André Lesage qui succombent ne peuvent prétendre être indemnisés de ce chef ;
Par ces motifs, Confirme le jugement déféré en ses dispositions non contraires au présent arrêt, le réforme en ce qu'il a constaté la résiliation du contrat aux torts partagés des parties et statuant à nouveau de ce chef : Constate la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la société Lesage & Cie et la condamne en conséquence à régler à la société Soho la somme de 822.540,43 F à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 14 octobre 1996, Déboute les parties du surplus de leurs prétentions et condamne la société Lesage & Cie et André Lesage à payer à la société Soho la somme de 20.000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à supporter les dépens d'appel, qui pourront être recouvré directement par l'avoué concerné.