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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. A, 29 avril 1999, n° 98-0004884

MONTPELLIER

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Carrières de Saint-Martin (SARL), Carrière de Bayssan (SA)

Défendeur :

Les Grands Travaux du Bitterois (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Ottavy

Conseillers :

MM. Prouzat, Derdeyn

Avoués :

SCP Salvignol-Guilhem-Delsol, SCP Jougla-Jougla, SCP Capdevila-Gabolde

Avocats :

Mes Schmidt, Pietra, Albaret.

T. com. Béziers, du 24 août 1998

24 août 1998

Par jugement du 24 août 1998 auquel il convient de [se] reporter pour l'exposé des faits et de la procédure, le Tribunal de commerce de Béziers, saisi par la société " Les Grands Travaux du Bitterois " (SGTB) d'une action tendant à la résolution d'un contrat de gérance libre conclu le 30 mars 1981 avec la société " Carrières de Saint-Martin " (CSM) relativement à un fonds industriel d'exploitation d'une carrière à ciel ouvert située à Béziers (Hérault), lieu-dit " Garrigue de Bayssan ", d'une superficie de 22 ha 59 a, a notamment prononcé la résiliation dudit contrat et de son avenant du 21 novembre 1983, aux torts de la CSM, par application de l'article 1184 du Code civil et des clauses contractuelles, ordonné l'exécution provisoire du jugement et condamné la CSM aux dépens ainsi qu'à payer à la SCTB la somme de 10 000 FHT sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société " Carrières de Saint-Martin " a régulièrement relevé appel, le 7 septembre 1998, de ce jugement.

La société " Carrière de Bayssan ", devenue propriétaire par suite d'un apport partiel d'actifs intervenu le 30 juillet 1998 du fonds de carrière de la SGTB exploité au lieu-dit " Garrigue de Bayssan ", est intervenue volontairement en cause d'appel.

Par ordonnance de référé du 25 novembre 1998, le Premier Président a rejeté la demande de la CSM en suspension des effets de l'exécution provisoire mais a fixé l'affaire par priorité à l'audience du 4 mars 1999.

La société " Carrières de Saint-Martin " qui a fait notifier, le 24 février 1999, des conclusions récapitulatives, demande à la Cour de :

- constater que la société " Les Grands Travaux du Bitterois " 10, avenue Gambetta n'existe pas, dire en conséquence, vu les articles 117 et suivants du nouveau Code de procédure civile, que l'assignation lui ayant été délivrée le 11 juillet 1997 comporte une irrégularité de fond et annuler le jugement prononcé par le Tribunal de commerce de Béziers le 24 août 1998,

- subsidiairement, constater que la SGTB était partie à l'instance devant les premiers juges et dire en conséquence irrecevable, vu l'article 554 du nouveau Code de procédure civile, son intervention volontaire en cause d'appel,

- subsidiairement, constater que le gisement sud de la carrière " Garrigue du Roy " n'était pas épuisé en 1990 et a été exploité entre 1990 et 1998, qu'elle n'a pas " fondu " son fonds de commerce avec celui de la carrière voisine appartenant à la société " Carrière de la Galiberte ", qu'elle n'a pas apporté la clientèle du fonds de commerce à cette société, qu'elle a exploité le fonds qui lui a été loué conformément aux dispositions légales et à celles résultant du contrat de location-gérance du 30 mars 1981, qu'elle n'a pas commis de fraude aux droits de la SGTB, que le fonds loué n'est pas en péril et que la SGTB a conclu dès 1993 des accords avec l'un de ses concurrents dans le but de l'évincer,

- débouter en conséquence la société " Les Grands Travaux du Bitterois " et la société " Carrière de Bayssan " de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- dire et juger, vu les articles 1134 alinéa 3 et 1719 (3°) du Code civil, que la SGTB a manqué à son obligation de lui assurer la jouissance paisible de la carrière mise à sa disposition par le contrat du 30 mars 1981,

- lui donner acte de ce qu'elle réserve ses droits sur la violation par la SGTB de son obligation contractuelle de l'informer de toute cession d'actifs mis à sa disposition par le contrat du 30 mars 1981 et sur les conséquences qu'il lui appartiendra d'en tirer,

- lui donner acte également de ce qu'elle se réserve de demander à la SGTB et à la société " Carrières de Bayssan " la réparation des préjudices qui lui sont causés,

- condamner solidairement ces sociétés à lui payer les sommes de 200 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 100 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Au soutien de son appel, la société " Carrières de Saint-Martin " expose en substance que :

- l'assignation lui ayant été délivrée le 11 juillet 1997, l'a été à la requête d'une " société Les Grands Travaux du Bitterois 10, avenue Gambetta " sans précision sur sa forme juridique, sans mention de son numéro d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés et sans indication de la qualité de la personne la représentant en justice, ladite société étant ainsi dépourvue d'existence juridique, dès lors que depuis 1993, la société anonyme " Les Grands Travaux du Bitterois " est devenue une société à responsabilité limitée " Grands Travaux Bitterois " ayant son siège social route de Sauvian à Béziers et pour gérant Monsieur Christian Gonzalez,

- il en résulte que l'assignation se trouve affectée d'une irrégularité de fond au sens de l'article 117 du nouveau Code de procédure civile à raison du défaut de pouvoir et/ou de capacité du demandeur à l'instance,

- en toute hypothèse, l'intervention volontaire de ladite société, partie à la procédure de première instance, est irrecevable par application de l'article 554 du nouveau Code de procédure civile,

- les premiers juges sont partis d'un postulat inexact selon lequel le gisement sud de la carrière de la " Garrigue du Roy " était épuisé depuis 1990 pour en conclure qu'elle n'exploitait plus le fonds de commerce qui lui avait été loué, ni au sud, ni dans sa partie nord qu'elle aurait refusée d'exploiter et que le fonds loué avait été " fondu " dans celui de la carrière de la Galiberte, dont les matériaux étaient extraits avec le matériel et le personnel lui appartenant,

- nonobstant les termes du courrier adressé le 4 mai 1990 à Maître Guiraud, syndic de la société " Les Grands Travaux du Bitterois ", elle n'a pas en effet cessé d'exploiter la partie du sud du gisement entre 1990 et 1998, ayant poursuivi les extractions sur les terrains supportant jusqu'alors les installations de traitement des matériaux, les zones de stockage, ainsi que sur la parcelle de séparation avec la carrière voisine, sous la rampe d'accès et en fond de fouille,

- l'autorisation de défricher la partie nord du gisement lui ayant été refusée en 1989, compte tenu d'un projet d'aménagement touristique du domaine de Bayssan, elle a sollicité en 1991 une nouvelle autorisation d'exploiter qui lui a été accordée, mais demeure libre, du point de vue de ses obligations contractuelles, d'achever l'exploitation du gisement de vue de ses obligations contractuelles, d'achever l'exploitation du gisement sud pour lequel elle a réalisé des investissements liés à l'acquisition d'installations de concassage-criblage, avant d'entreprendre l'exploitation de la partie nord du gisement lorsqu'elle l'estimera utile, nécessaire et rentable,

- son patrimoine n'a pas été confondu avec celui de la société " Carrière de la Galiberte ", les deux sociétés n'ayant fait qu'utiliser ensemble certains moyens d'exploitation, tels l'installation de concassage-criblage, dans le cadre d'une simple coopération, d'ailleurs non contraire au contrat du 30 mars 1981 qui interdit seulement la cession ou la sous-location à un tiers du fonds de commerce loué,

- cette coopération n'a pas pour objet de créer un monopole pour l'exploitation des roches massives dans la région de Béziers et ne fait pas obstacle à la restitution du fonds loué au terme du contrat, en 2005,

- elle n'a pas manqué à son obligation d'exploiter le gisement nord, ayant développé le fonds qui lui avait été loué en 1981 sans clientèle et réalisé des investissements importants pour en assurer la pérennité, et il ne peut lui être fait reproche d'avoir artificiellement maîtrisé son chiffre d'affaires, dès lors notamment que le contrat prévoit le versement d'une redevance minimale, calculée sur une base de vente de 150 000 tonnes par an, même si la vente est inférieure à 150 000 tonnes et quelle que soit la raison pour laquelle le chiffre des ventes tombe en dessous de ce seuil.

La société " Grands Travaux du Bitterois ", aux termes de conclusions en date du 18 janvier 1999, demande de :

- dire et juger que les nullités de procédure invoquées sont seulement justiciables des articles 112 et 114 du nouveau code de procédure civile et qu'elles ont été couvertes par les écritures prises au fond en première instance par la CSM,

- dire et juger que le contrat de gérance libre liant les parties n'a pas été exécuté de bonne foi par la société " Carrières de Saint-Martin " et que celle-ci a failli en de nombreuses occasions aux obligations qu'il contenait,

- confirmer en tous points le jugement dont appel,

- ordonner l'expulsion sous astreinte de 20 000 F par jour de retard de la CSM,

- condamner cette société à lui payer la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société " Carrière de Bayssan ", intervenue volontairement dans l'instance, demande pour sa part, en l'état de conclusions des 16 novembre 1998 et 20 janvier 1999, de :

- lui donner acte de ce quelle fait siennes les conclusions prises en cause d'appel par la SGTB,

- constater que du fait de l'apport partiel d'actifs réalisé le 30 juillet 1998, elle a capacité et qualité à agir et déclarer son intervention volontaire recevable et bien fondée,

- dire et juger que la SGTB s'est associée avec une société de carrière concurrente, a fusionné le fonds loué avec le fonds de cette soirée en constituant, en fraude des droits du bailleur, une unicité d'exploitation et que ces agissements sont constitutifs d'une exécution de mauvaise foi du contrat de gérance libre en violation des dispositions de l'article 1134 du Code civil,

- dire et juger que les obligations tant contractuelles que légales auxquelles s'est engagée expressément la CSM, consacrées par le jugement du Tribunal de commerce de Béziers en date du 30 mars 1981 autorisant la signature du contrat de gérance libre, ont été gravement transgressées et justifient la résiliation judiciaire du contrat aux torts et griefs exclusifs de la CSM, conformément à l'article 1184 du Code civil,

- en conséquence, confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,

- condamner la CSM à lui payer la somme de 100 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les nullités de procédure :

L'assignation introductive d'instance a été délivrée, le 11 juillet 1997, à la requête de la société " Les Grands Travaux du Bitterois " ayant son siège social 10, avenue Gambetta à Béziers, prise en la personne de son représentant légal en exercice ; il résulte des pièces produites que la société " Les Grands Travaux Bitterois ", constituée en 1955 sous la forme d'une société à responsabilité limitée, immatriculée au registre du commerce et des sociétés sous le n° B 52 920 555, a été transformée postérieurement en société anonyme, forme juridique qui était la sienne lors de la conclusion, le 30 mars 1981, du contrat de location-gérance, puis a été de nouveau transformée en SARL à la suite d'une inscription modificative effectuée le 8 avril 1993 au registre du commerce et des sociétés, inscription tendant également au transfert du lieu de son siège social du 10, avenue Gambetta au domaine des Mailhaguettes, route de Sauvian à Béziers.

L'absence d'indication, dans l'assignation, de la forme juridique de la société et l'erreur commise quant à son siège social n'ont pas l'incidence sur l'existence même de la personne morale ; l'article 5 de la loi du 24 juillet 1966 dispose d'ailleurs que la transformation régulière de la société soit dénommée " Les Grands Travaux du Bitterois " au lieu de " Les Grands Travaux Bitterois " ne modifie pas son identité véritable.

Ne constitue pas davantage une irrégularité l'omission du nom du gérant, en l'occurrence Christian Gonzalez, représentant légal de la société.

En cause d'appel, la SCP Capdevila-Gabolde, avoués, s'est régulièrement constituée, le 15 janvier 1999, pour la SARL " Les Grands Travaux du Bitterois " ayant son siège social domaine des Mailhaguettes, route de Sauvian à Béziers, prise en la personne de son représentant légal.

Il ne peut dès lors être soutenu que l'assignation se trouve affectée d'une irrégularité de fond au sens de l'article 117 du nouveau Code de procédure civile à raison du défaut de pouvoir et/ou de capacité du demandeur à l'instance ; la demande tendant à l'annulation du jugement ne peut ainsi qu'être rejetée en l'état.

Sur " l'intervention volontaire " de la société " Les Grands Travaux du Bitterois " :

Contrairement à ce qu'elle indique par erreur dans ses conclusions du 18 janvier 1999, la société " Les Grands Travaux du Bitterois ", partie au jugement de première instance, ne peut avoir la qualité d'intervenant volontaire en cause d'appel ; cette qualité doit en revanche être reconnue, conformément à l'article 554 du nouveau Code de procédure civile, à la société " Carrière de Bayssan " du fait de l'apport partiel d'actifs réalisé le 30 juillet 1998.

A la suite d'un protocole d'accord conclu le 7 février 197 avec la société Guintoli Travaux Publics, la société " Les Grands Travaux du Bitterois " a en effet apporté à une société " Financière Saturne ", sa branche d'activité complète d'exploitation de carrières, représentant un actif net de 4 000 000 F, en contrepartie de l'attribution de 40 000 actions de 100 F chacune ; ce contrat d'apport partiel d'actifs, soumis au régime des scissions en application de l'article 387 de la loi du 24 juillet 1966, a été déposé au greffe du Tribunal de commerce de Bobigny le 7 avril 1998 et au greffe du Tribunal de commerce de Béziers le 8 avril 1998 ; il a ensuite, après avoir fait l'objet de publicités dans divers journaux d'annonces légales, été approuvé par les assemblées générales des deux sociétés, tenues le 30 juillet 1998 ; l'assemblée générale de la société " Financière Saturne " a également décidé d'une modification de sa dénomination, devenue " Carrière de Bayssan ".

Nonobstant l'apport en société de son fonds, faisant l'objet du contrat de location-gérance conclu le 30 mars 1981, la société " Les Grands Travaux du Bitterois " conserve toutefois un intérêt à agir, dans la perspective de l'indemnisation du manque à gagner qu'elle prétend avoir subi du fait de l'exploitation de la carrière de 1989 à 1998 par son locataire-gérant, la société " Carrières de Saint-Martin ".

Sur la résiliation du contrat de location-gérance :

La société " Les Grands Travaux du Bitterois " (SGTB) qui avait une activité principale d'entreprise de bâtiment et de travaux publics, était propriétaire d'un fonds de carrière exploité à ciel ouvert, sur un terrain d'une superficie globale de 22 ha 59 a, cadastré à Béziers, au lieu-dit " Garrigue du Roy-Domaine de Bayssan ", section KS n° 6 et 7 ; une autorisation d'exploiter lui avait été concédée, pour une durée de 30 ans, par un arrêté du Préfet de l'Hérault en date du 27 février 1975.

Par jugement du 30 octobre 1978, le Tribunal de commerce de Béziers a ouvert une procédure de règlement judiciaire à l'encontre de la SGTB ; l'ensemble des actifs de la société a alors été confié, par acte sous seing privé des 2 et 13 novembre 1978, à la société " Générale des Travaux du Bitterois " " pour éviter la fermeture du fonds de commerce entraînant la perte de la clientèle " ; cette société a ainsi été autorisée à poursuivre l'exploitation de la carrière aux termes d'un nouvel arrêté préfectoral du 19 avril 1979 fixant, dans son article 3, la production annuelle de la carrière à 350 000 tonnes.

A la suite de la mise en liquidation des biens de la société " Générale des Travaux du Bitterois ", un nouveau contrat de location-gérance a été conclu, le 30 mars 1981, avec la société " Carrières de Saint-Martin ", filiale de la société Bec Frères, la conclusion dudit contrat ayant été autorisé par un jugement du Tribunal de commerce de Béziers également daté du 30 mars 1981 ; dans sa requête au Tribunal, Maître Guiraud, syndic au règlement judiciaire de la SGTB, souligne encore la nécessité d'éviter la fermeture du fonds entraînant la perte de la clientèle ; l'autorisation d'exploiter a été accordée à la société " Carrières de Saint-Martin " par arrêté préfectoral du 27 mai 1981 ; le contrat de location-gérance ainsi conclu a été modifié quant à ses conditions financières par un avenant du 21 novembre 1983.

Il est précisé, dans le contrat de location-gérance du 30 mars 1981, conclu pour une durée de 24 ans du 1er avril 1981 au 25 février 2005, que le fonds loué comprend la clientèle, l'achalandage, toutes les autorisations spéciales attachées à l'exploitation de la carrière et les qualifications professionnelles y afférentes, ainsi que le matériel fixe, installations et l'ensemble des éléments en usage à la carrière et servant à son exploitation tels qu'inventoriés dans un état descriptif et estimatif dressé par Maître Bernard, huissier de justice à Béziers ; il est notamment indiqué qu'existent sur la carrière, outre le matériel d'exploitation, un concasseur, un poste de criblage, un poste transformateur électrique de 630 KVA, un bâtiment à usage d'atelier de réparations mécaniques, un pont bascule et tous autres aménagements pour l'utilisation rationnelle de la carrière.

Le contrat stipule par ailleurs, page 6 : " la société preneuse devra obligatoirement exploiter ledit fonds de commerce en bon père de famille ; il s'engage à le tenir constamment ouvert et à y consacrer tous son temps et ses soins de manière à le faire prospérer ; il devra exploiter le fonds en bon attachés et même à les augmenter si possible - elle devra veiller à ne rien faire ni laisser faire qui puisse avoir pour conséquence d'entraîner la dépréciation, la diminution du rendement, la cessation d'exploitation même provisoire du fonds, ou sa fermeture définitive ".

Ces obligations en matière d'exploitation du fonds sont à rapprocher des dispositions de l'article 1728 (1°) du Code civil imposant au preneur d'user de la chose loué en bon père de famille, et suivant la destination qui lui a été donné par le bail.

En vertu du contrat et de son avenant du 21 novembre 1983, il est mis à la charge du locataire-gérant, jusqu'au 31 mars 1990, une redevance fixe de 5700 FHT par mois augmentée d'une redevance de 2,80 F par tonne de matériaux vendus avec un minimum de 170 000 tonnes par an et, à partir du 1er avril 1990, une redevance égale à 8 % du chiffre d'affaires HT avec un minimum de 150 000 tonnes par an.

Il est constant que la carrière de Saint-Martin, dont le fonds est l'objet du contrat conclu le 30 mars 1981, jouxte au sud de l'autoroute A9 avec une autre carrière d'extraction de granulats calcaires dite " Carrière de la Galiberte " qui, exploitée depuis 1961, portait en 1989 sur un terrain de 8 ha 19 a avec une réservation d'extraction de 3 200 000 tonnes ; il n'est pas davantage discuté que le capital de la société " Carrières de Saint-Martin " et de la société " Carrière de la Galiberte " est détenu par les mêmes actionnaires ; en effet, dès l'année 1985, les actions des deux sociétés étaient détenues par la société Guttierez et la société Bec Frères, chacune à hauteur de 50 % et par suite de l'absorption en 1991 de la société Guttierez par la société Chimique de la Route et de l'apport par la société Bec Frères de ses actions à une société Languedoc Roussillon Matériaux, constituée en 1991 avec le groupe Jean Lefebvre, le capital des deux sociétés se trouve actuellement détenu par la société Chimique de la Route et la société Languedoc Roussillon Matériaux, chacune pour la moitié ; en outre, les procès-verbaux d'assemblées générales produits aux débats établissent que depuis 1989, la société " Carrières de Saint-Martin " et la société " Carrière de la Galiberte " ont les mêmes dirigeants.

Pour prononcer la résiliation du contrat de location-gérance, les premiers juges ont retenu que la société " Carrières de Saint-Martin " avait volontairement gelé le gisement situé au nord de l'autoroute A9, ayant pour assiette foncière la parcelle KS 6 et créé une seule et unique exploitation au sud de l'autoroute sur la carrière de la Galiberte.

Dans un courrier adressé le 18 novembre 1988 à Maître Guiraud, la société " Carrières de Saint-Martin " évoque l'épuisement du gisement sud de l'autoroute et la nécessité d'envisager l'aménagement du gisement nord ; saisie d'une demande d'autorisation de défrichement, la Direction départementale de l'agriculture et de la forêt a toutefois, par courrier du 7 avril 1989, opposé un refus à l'exploitant aux motifs, d'une part, de la situation de la carrière au nord de l'autoroute et des nuisances susceptibles d'en résulter pour la circulation et, d'autre part, de la création projetée d'un complexe touristique sur le site de Bayssan ; par courrier du 4 mai 1990, soit plus d'un an après, la société " Carrières de Saint-Martin " a demandé à Maître Guiraud une suspension du contrat à compter du 1er avril 1990, faisant notamment état de négociations en cours " afin de trouver des terrains exploitables, en compensation, au sud de l'autoroute " et soulignant que " les roches situées dans les zones qui pourraient nous être proposées sont de nature très différente (présence de silex) de celles situées au nord de l'autoroute et nécessitent un investissement en matériels plus lourds de 30 % (soit un supplément d'environ 4 000 000 F pour les traiter) " ; Maître Guiraud a répondu, le 27 juillet 1990, que la suspension du contrat n'était pas envisageable, après avoir rappelé les dispositions du contrat imposant au locataire-gérant d'exploiter le fonds loué et notamment d'activer l'ouverture du front de carrière sur la partie nord de l'autoroute, sauf à user de son droit de résilier le contrat.

Parallèlement, la société " Carrières de Saint-Martin " a adressé le 31 janvier 1991, une demande d'autorisation de défrichement de la parcelle KS 6 à la sous-préfecture de Béziers, précisant notamment que l'exploitation de ladite parcelle constitue la poursuite de la carrière située au sud de l'autoroute dont le gisement à brève échéance va être épuisé et que les matériaux calcaires sont destinés à être utilisés comme granulats routiers, remblais et enrochements sur le secteur du littoral et de Béziers ; il est ainsi prévu, dans ladite demande d'autorisation, un défrichement de l'ordre de 4 à 5 ha dans les 5 années à venir ; par courrier du 8 juillet 1991, la Direction départementale de l'agriculture et de la forêt a notifié directement à la SGTB son accord pour le défrichement de la parcelle KS 6 sur une surface de 4 ha, l'autorisation étant accordée pour une durée de 5 ans prenant effet le 6 mai 1991.

Entre-temps, la société " Carrière de la Galiberte " a déposé, le 12 novembre 1990, en Préfecture une demande visant au renouvellement de la régularisation et à l'extension de l'exploitation à ciel ouvert de la carrière de la Galiberte, située sur les communes de Béziers et de Vendres.

Le dossier de demande d'autorisation mentionne notamment, page 1 : " les sociétés " Carrières de Saint-Martin " et " Carrière de la Galiberte " sont toutes deux filiales des entreprises BEC et Guttierez ; elles exploitent deux carrières de calcaires contiguës sur les communes de Béziers et de Vendres. Au sud de l'autoroute A9, les limites du gisement sont pratiquement atteintes par les deux carrières. Au nord de l'autoroute A9, le Conseil général de l'Hérault et la ville de Béziers sont opposés à l'exploitation de matériaux sur les parcelles limitrophes du domaine de Bayssan, initialement autorisées en carrière et qui feraient partie dorénavant d'un parc de loisirs ".

Il est en outre indiqué, page 57 dudit dossier, concernant les parcelles visées dans la demande d'extension que " les caractéristiques du gisement (présence de silex) ainsi que la vétusté de l'installation de traitement actuel, implique la mise en fonctionnement d'une nouvelle installation plus performante et implantée au plus près du gisement à extraire ".

Par arrêté du Préfet de l'Hérault en date du 18 juin 1991, la demande d'autorisation a été accordée par une durée de 20 ans et une production annuelle de 500 000 tonnes ; la société " Carrière de la Galiberte " a ainsi été autorisée à exploiter une surface supplémentaire de 8 ha 44 a sur des terrains situés à l'est du gisement d'origine ; il importe à cet égard de relever qu'un avenant n° 5 au contrat de fortage conclu en 1961 avec Monsieur Falguieres et Madame Ferrand, avait été signé, le 24 août 1989, par la société " Carrière de la Galiberte ", avenant lui assurant la maîtrise foncière de ces 8 ha 44a supplémentaires, bien que dans son courrier à Maître Guiraud du 4 mai 1990 sollicitant la suspension du contrat de location-gérance, la société " Carrières de Saint-Martin " fasse état de " négociations en cours ".

Enfin, par un nouvel arrêté préfectoral du 2 juillet 1991, la société " Carrière de la Galiberte " a été autorisée à procéder à l'extension de l'installation de broyage-concassage sur le site de sa carrière, correspondant à une production annuelle n'excédant pas 480 tonnes, la production annuelle moyenne étant de 340 000 tonnes.

Il résulte de ce qui précède que le groupe des sociétés " Carrières de Saint-Martin " et " Carrières de la Galiberte ", détenues par les même actionnaires et ayant des dirigeants identiques, bénéficiaient, en juin-juillet 1991, des autorisations administratives nécessaires en vue de l'exploitation soit du gisement nord de la carrière de Saint-Martin ayant comme emprise la parcelle KS 6 d'une superficie de 11 ha 45a, soit des terrains situés à l'est de la carrière de la Galiberte, d'une superficie de 8 ha 44a, étant établi que les limites du gisement au sud de l'autoroute A9, étaient alors en voie d'épuisement ; en toute hypothèse, des investissements devaient être réalisés pour doter l'exploitation d'une installation de criblage-concassage plus moderne ; le groupe de sociétés disposait d'autorisations d'extraction totalisant 850 000 tonnes par an, valables jusqu'en 2005 pour la carrière de Saint-Martin et en 2011 pour la carrière de la Galiberte, et qui réalisait un chiffre d'affaires HT cumulé variant de 9 à 10 000 000 F, correspondant à une production annuelle comprise entre 350 000 et 400 000 tonnes d'agrégats, a donc choisi délibérément, au nom d'une stratégie industrielle globale, de laisser inexploité le gisement nord, sans toutefois procéder à la résiliation du contrat de location-gérance du 30 mars 1981, comme elle en avait la possibilité à compter du 1er avril 1990, moyennant un préavis de 6 mois.

Même si à partir de 1989, la société " Carrières de Saint-Martin " a procédé, ainsi qu'elle l'indique, à l'approfondissement du gisement sud en exploitant les terrains correspondant à l'emprise de l'installation de traitement des matériaux, à la zone de stockage, à la rampe d'accès et à la bande de 10 mètres située en limite de la carrière de la Galiberte, il apparaît, en l'état des chiffres d'affaires réalisés de 1989 à 1997, que cette exploitation s'est traduite par des productions limitées, de l'ordre de 50 000 à 150 000 tonnes par an.

Il s'avère également que la société " Carrières de Saint-Martin " a fait l'acquisition, en juin 1990, d'une installation de concassage-criblage d'occasion qu'elle a ensuite fait rénover, pour un coût total de 4 581 400 FHT, notamment à partir des matériels récupérés sur le site, mais l'installation, autorisée aux termes de l'arrêté préfectoral du 2 juillet 1991, a été mise en place sur le carreau de la carrière de la Galiberte, ainsi qu'il ressort du procès verbal de constat dressé le 13 novembre 1996 par Maître Bonnafe, huissier de justice à Béziers.

Des constatations faites par cet officier ministériel, il résulte par ailleurs que l'accès à la carrière de Saint-Martin, par la voie goudronnée longeant l'autoroute A9, est fermé par deux barrières de terre d'environ 1,20 mètre de hauteur, que le chemin conduisant à l'extraction, envahi de nombreuses plantes et de ronces, ne comporte aucune trace de circulation de véhicule au sol, que la carrière de saint Martin et la carrière de la Galiberte ont en fait un accès unique à partir de la route, fermé par un portail à double ventaux, les panneaux de signalisation mentionnant le nom des deux carrières, et que la carrière de Saint-Martin est actuellement inexploitée, aucun matériel en état de fonctionnement ne se trouvant sur le site, le hangar métallique situé en bordure de l'autoroute étant inutilisable compte tenu de son mauvais état et un remblai formé de matériaux hétéroclites (blocs de béton, morceaux de bois, plastiques divers, tas de terres,...) ayant été constitué sur les parcelles KS 7 et 9 ; il est établi que l'ensemble des installations de criblage-concassage et de pesage se trouve sur le site de la carrière de la Galiberte, qu'il n'existe qu'un seul bureau commun aux deux carrières avec un même numéro de téléphone et que la bande de 10 mètres qui servait de séparation entre les deux carrières a été supprimée, de même que la rampe d'accès au carreau de la carrière de Saint-Martin.

L'analyse des comptes de résultats des deux sociétés de 1994 à 1997 révèle en outre que la société " Carrière de la Galiberte " n'emploie pas de salariés, l'ensemble du personnel affecté à l'extraction appartenant à la société " Carrières de Saint-Martin ".

Des éléments d'appréciation ainsi analysés, il ressort que la carrière de Saint-Martin ne forme plus désormais une unité de production, distincte de celle de la carrière de la Galiberte, les deux carrières étant exploitées en commun avec un matériel unique de traitement des matériaux et de pesage installé sur le carreau de la carrière de la Galiberte ; les investissements réalisés pour l'acquisition d'une installation de concassage-cribable ont été assumés par la société " Carrières de Saint-Martin " qui emploie le personnel affecté pour l'essentiel à l'exploitation de la carrière de la Galiberte.

Le contrat de location-gérance du 30 mars 1981 fait obligation à la société preneuse d'exploiter le fonds de façon à lui conserver sa clientèle et l'achalandage qui y sont attachés ; la situation de fait créée par le groupe des sociétés " Carrières de Saint-Martin " et Carrière de la Galiberte " conduisant à constituer une exploitation unique au sud de l'autoroute A9 a eu pour effet de vider le fonds loué en 1981 avec son matériel d'exploitation, de sa clientèle ; il importe à cet égard de retenir qu'au fonds de carrière de la SGTB, exploité depuis 1975, se trouvait nécessairement attachée la clientèle potentielle des entreprises de bâtiment et de travaux publics d'un secteur géographique déterminé, correspondant à la zone d'activité de Béziers, en vue de l'approvisionnement de ces entreprises en granulats calcaires entrant notamment dans la composition des bétons, remblais ou enrobés routiers.

Le fait que la carrière de Saint-Martin soit sous-exploitée depuis 1989-1990 à raison de l'abandon, au nom d'une stratégie industrielle globale incompatible avec les intérêts propres du propriétaire du fonds, de l'extraction de roches calcaires dans le gisement situé au nord de l'autoroute A9 et que ladite carrière ne forme plus une unité de production autonome conduisant ainsi à la perte de sa clientèle, procède d'une inexécution manifeste par la société " Carrières de Saint-Martin " de son obligation contractuelle d'exploiter le fonds en bon père de famille.

Le contrat de location-gérance et son avenant du 21 novembre 1983 prévoient qu'à compter du 1er avril 1990, la société preneuse pourra résilier le bail à sa convenance, sous réserve de respecter un préavis de 6 mois, et que si elle convient de poursuivre l'exploitation, elle paiera à la société bailleresse une redevance proportionnelle de 8 % sur le chiffre d'affaires HT réalisé par la vente de matériaux de carrière, cette redevance ne devant pas être inférieure à une base de vente de 150 000 tonnes par an.

La décision prise en 1989 par le groupe des sociétés " Carrières de Saint-Martin " et " Carrière de la Galiberte " de concentrer l'exploitation sur le seul site de la carrière de la Galiberte, d'étendre son exploitation sur des terrains situés à l'est de ladite carrière représentant une réserve d'extraction de 2 600 000 tonnes et d'abandonner provisoirement l'exploitation du gisement nord de la carrière de Saint-Martin, a entraîné une baisse inévitable du chiffre d'affaires de la société " Carrières de Saint-Martin ", amenant celle-ci à ne régler à la SGTB que la redevance minimum prévue au contrat, fixée à 8 % du chiffre d'affaires HT et calculée par référence à une base de vente de 150 000 tonnes par an.

L'examen des documents comptables produits aux débats révèle en effet que les chiffres d'affaires HT de la société " Carrières de Saint-Martin " qui s'établissaient de 1985 à 1988 de 3 712 000 F à 6 659 000 F avec une moyenne de 5 143 000 F, sont passés de 1989 à 1997 de 1 272 000 F à 3 501 000 F, soit une moyenne de 2 736 000 F ; parallèlement, les chiffres d'affaires HT de la société " Carrière de la Galiberte " qui, de 1985 à 1988, variaient de 373 000 à 1 552 000 F avec une moyenne de 935 000 F, ont progressé de 1989 à 1997 avec des chiffres compris entre 3 249 000 et 8 409 000 F, soit une moyenne de 6 196 000 F.

Il apparaît ainsi que de 1985 à 1988, la société " Carrières de Saint-Martin " a réalisé un chiffre d'affaires annuel de 4 à 10 fois supérieur à celui de la société " Carrière de la Galiberte " et que 1989 à 1997, la société " Carrières de Saint-Martin " a déclaré un chiffre d'affaires annuel de 2 à 6 inférieur à celui de la société " Carrière de la Galiberte ".

Les chiffres d'affaires de la société " Carrières de Saint-Martin " de 1989 à 1997 correspondent d'ailleurs à des ventes inférieures à 150000 tonnes.

L'inexécution par la société " Carrières de Saint-Martin " de son obligation d'exploiter le fonds en bon père de famille, " de manière à le faire prospérer ", a donc eu une répercussion sur les redevances que la SGTB était en droit de retirer de l'exécution du contrat de location-gérance, la sous-exploitation volontaire de la carrière de Saint-Martin traduisant une exécution de mauvaise foi de la convention au sens de l'article 1134, alinéa 3, du Code civil ; le SGTB a en effet perçu jusqu'en 1989 des redevances annuelles HT de 544 400 F, réduites à partir de 1990 de 284 880 F à 360 000 F.

Le jugement entrepris qui a prononcé la résiliation du contrat de location-gérance conclu le 30 mars 1981 aux torts de la société " Carrières de Saint-Martin " doit en conséquence être confirmé ; il convient d'y ajouter l'expulsion de ladite société, à défaut d'exécution volontaire de sa part, selon des modalités qui seront précisées au dispositif du présent arrêt.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :

La société " Carrières de Saint-Martin " qui succombe doit être condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à la société " Les Grands Travaux du Bitterois " et à [la] société " Carrière de Bayssan " la somme globale de 20 000 F en remboursement des frais non taxables que celles-ci ont dû exposer dans cette procédure et qu'il serait inéquitable de laisser à leur charge sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs :

LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Donne acte à la société " Carrière de Bayssan " de son intervention volontaire en cause d'appel, Au fond, confirme le jugement entrepris, Y ajoutant, Dit que la société " Carrières de Saint-Martin " devra restituer le fonds de carrière, objet du contrat de location-gérance conclu le 30 mars 1981, et libérer le terrain d'emprise de la carrière, cadastré à Béziers au lieu-dit " Garrigue du Roy-Domaine de Bayssan ", section KS n° 6 et 7, dans les trois mois suivant la signification du présent arrêt, Dit que passé ledit délai, il pourra être procédé à son expulsion par toutes voies de droit et au besoin avec le concours de la force publique, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société " Carrières de Saint-Martin " aux dépens d'appel et à payer à la société " Les Grands Travaux du Bitterois " et à la société " Carrière de Bayssan " la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Dit que les dépens d'appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même Code.