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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 14 mai 1999, n° 1997-25463

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

International Paper ( SA)

Défendeur :

Labro-Guidetti (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq

Conseillers :

M. Faucher, Mme Riffault

Avoués :

Me Baufume, SCP Lagourgue

Avocats :

Mes Rasle, Bise.

T. com. Paris, 8e ch., du 1er oct. 1997

1 octobre 1997

Considérant que la société Aussedat Rey a fait appel d'un jugement contradictoire du 1er octobre 1997 du Tribunal du commerce de Paris qui

- a mis hors de cause la société Papeteries de Lana

- a déclaré abusive la résiliation du contrat liant les sociétés Aussedat Rey et Labro-Guidetti,

- a condamné la société Aussedat Rey à payer à la société Labro-Guidetti la somme de 838 406 dollars US, la société Labro-Guidetti à verser à la société Aussedat Rey la somme de 76 058 dollars US, a ordonné la compensation de ces sommes et a condamné la société Aussedat

Rey à payer à la société Labro-Guidetti la contre-valeur en francs français français de 762 348 dollars US ainsi que 20 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile,

- a rejeté la demande d'exécution provisoire et a mis les dépens à la charge de la société Aussedat Rey ;

Considérant que la société Aussedat Rey désormais appelée International Paper expose

- que par " agency agreement " du 28 septembre 1988 renouvelé par tacite reconduction quinquennale, la dernière fois à cet effet du 6 décembre 1994, la société Groupe Lana a consenti à la société américaine Labro-Guidetti Inc commerçant sous l'enseigne savoir-faire " la commercialisation des produits Lana " fabriqués par la société Papeteries de Lana, sa filiale, sur le territoire des Etats Unis et leur distribution à travers un réseau implanté dans divers Etats fédéraux énumérés à l'article 5 du contrat,

- que cette convention, reconductible à défaut d'avis de résiliation six mois au moins avant ses dates successives d'expiration, pouvait être unilatéralement résiliée à tout moment, selon son article 11, " moyennant un préavis d'un mois dans les cas suivants : si l'une des parties n'assume pas ses obligations pendant une période de trois mois, en cas de faillite, de dissolution, de cession ou de vente d'activités affectant l'une ou l'autre des parties ;

- que la société Groupe Lana a cédé le 6 juillet 1995 à la société Aussedat Rey du groupe International Paper la totalité des actions de la société Papeteries de Lana qu'elle détenait,

- que par courriers d'information du 16 novembre 1995 et de notification du 12 décembre suivant la société Aussedat Rey a informé la société Labro-Guidetti de ce qu'elle entendait se prévaloir de la clause de résiliation du contrat à effet du 1er mars 1996 en raison de la réorganisation de ces circuits commerciaux " déjà existants " découlant d'un transfert des activités de la société Papeteries de Lana à la société Aussedat Rey à la suite de la prise de contrôle de la première par la seconde,

- que la société Labro-Guidetti a contesté cette résiliation ;

Qu'elle soutient que la condition à laquelle est soumise la faculté de résiliation à tout moment, est " simplement " potestative en ce que la décision unilatérale de rompre se trouve " influencée par des circonstances extérieures " ; qu'elle précise que le transfert d'activité de la société Papeteries de Lana se trouvait subordonné à la décision d'un repreneur et dément tout arbitraire dès lors que la cession du 6 juillet 1995 portait sur la totalité des actions constituant le capital de la société Papeteries de Lana, présentait pour les deux groupes un intérêt supérieur à la simple possibilité de résilier le contrat de distribution litigieux ;

Qu'elle en déduit que chaque partie pouvait rompre les relations commerciales à tout moment avec préavis d'un mois même si la cession ou la vente d'activités la concernait, et donc qu'elle était en droit de résilier le contrat ;

Qu'à titre subsidiaire, elle dément que la société Labro-Guidetti ait eu deux activités distinctes et puisse revendiquer le statut d'agent commercial parce que le contrat ne pouvait être librement rompu à tout moment moyennant indemnisation et que la société Labro-Guidetti ne bénéficiait d'aucune marge de manœuvre pour conclure des ventes dont les conditions devaient être approuvées préalablement par la société Papeteries de Lana ; qu'elle conteste de même l'existence et le chiffrage du préjudice allégué ;

Qu'elle demande à la Cour

- de confirmer la condamnation de la société Labro-Guidetti à lui payer 76 058 dollars US

- d'infirmer pour le surplus le jugement déféré, de débouter la société Labro-Guidetti de ses prétentions, d'ordonner la levée de la saisie conservatoire pratiquée le 11 décembre 1997 auprès de la BNP agence de Velizy,

- subsidiairement de dire que l'indemnité accordée à la société Labro-Guidetti ne saurait dépasser celle fixée par l'article 12 de la loi du 25 juin 1991,

- de condamner la société Labro-Guidetti à lui verser 20 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

Considérant que la société Labro-Guidetti INC réplique qu'elle était l'agent exclusif de la société Groupe Lana pour la distribution de ses produits aux Etats Unis, que la convention du 1er septembre 1988 avait été renouvelée pour cinq ans à compter du 6 décembre 1994 et qu'elle a contesté sa résiliation dès qu'elle lui a été notifiée le 12 décembre 1995 par une lettre que ne précédait qu'un courrier du 16 novembre 1995 n'évoquant la rupture qu'en termes de simple éventualité ;

Qu'elle observe que la société International Paper ne justifie la résiliation anticipée de la convention qu'en se référant à la faculté de rupture ouverte par l'article 11 en cas de " cession ou de vente d'activités affectant l'une ou l'autre des sociétés ", et que l'acte de cession du 6 juillet 1995 portait sur la totalité du capital de la société Papeteries de Lana et faisait obligation à la société Groupe Lana d'en informer ses agents commerciaux afin que les contrats d'agents soient transférés à la société Papeteries de Lana dont les activités se poursuivaient sans changement ; qu'elle en déduit que l'opération qui a servi de prétexte à la résiliation n'entrait pas dans la liste limitative des hypothèses citées par l'article 11 faute de transfert d'activités ;

Qu'elle soutient que la clause litigieuse traduisait, ainsi qu'en atteste le signataire du contrat pour le compte de la société Groupe Lana, la volonté de chacune des parties de " protéger l'intuiti personae " de ses relations avec son cocontractant et que la société Groupe Lana et a même absorbé en 1996 la société Papeteries de Lana, n'est pas un tiers au contrat litigieux ; qu'elle en déduit que l'interprétation donnée de l'article 11 de la convention par la société International Paper rend la clause " purement " potestative puisqu'elle fait dépendre la résiliation de la volonté de l'une des parties ou d'un événement dont celle-ci est le maître, et se prévaut des dispositions des articles 1156, 1162 et 1175 du Code Civil ;

Qu'elle reproche aux premiers juges de lui avoir refusé la qualité d'agent commercial en dépit de l'intitulé du contrat et des termes des courriers produits, revendique une indemnisation du préjudice engendré par la rupture d'un contrat d'agent et d'une convention de distribution et demande à la Cour de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré abusive la résiliation, de lui donner acte de ce qu'elle reconnaît devoir 76 058 dollars US à compenser et de confirmer la condamnation prononcée sauf à le faire à l'encontre de la société International Paper, à porter son montant à la contre-valeur en francs français au jour du paiement de 1 362 043 dollars US avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 10 avril 1996 et ajouter 50 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

Sur la qualification des relations contractuelles

Considérant qu'appelante et intimée ne contestent pas l'applicabilité de la législation française ;

Considérant que la convention du 28 septembre 1988 est intitulée "Agency Agreement", fait en ses articles 1 à 4 de la société Labro-Guidetti l'"agent" exclusif de la société Groupe Lana pour la " représentation " des produits de marque Lana sur la totalité du territoire des Etats Unis et lui accorde, en son article 5, la faculté de vendre directement en tant que distributeur agréé les mêmes produits dans huit des Etats fédéraux dûment cités ;

Considérant que l'agent commercial est un mandataire indépendant chargé de façon permanente de négocier et éventuellement de conclure des contrats commerciaux au nom et pour le compte de producteurs ou de commerçants ;

- que l'obligation faîte à l'agent Labro-Guidetti par les articles 6 et 8 de la convention de se conformer strictement aux instructions du Groupe Lana concernant les quantités à livrer, les prix et les conditions de livraison et de paiement et de recueillir l'acceptation finale du mandant pour régler des problèmes de communication extérieure, ne fait nullement perdre à la société Labro-Guidetti son rôle d'intermédiaire et de négociateur de transactions commerciales entre un fabricant français et ses clients américains, et n'affecte en rien l'indépendance dont la société Labro-Guidetti dispose dans l'organisation de son implantation et de sa prospection commerciales aux Etats Unis ; qu'elle répond seulement au souci légitime de la société représentée d'adapter ses débouchés commerciaux à ses volumes de production et aux résultats d'exploitation indispensables à son expansion ;

Que la société International Paper n'apporte aucune preuve de ce que la société Labro-Guidetti se soit départie d'un rôle d'agent commercial mandataire, réserve faite de son activité autorisée de distributeur dans certains Etats Fédéraux, rémunéré à la commission ni de ce que le mandant ait disposé de prérogatives autres que celles de déterminer les conditions auxquelles les commandes pouvaient être négociées en son nom ;

Qu'il importe peu enfin que la société Labro-Guidetti ne soit pas inscrite sur un registre spécial des agents commerciaux prévu par l'article 4 du décret du 28 décembre 1958 ; que cette société de droit américain a son siège aux Etats unis et y exerce son activité ; qu'elle ne pourrait se faire immatriculer en France ; qu'il n'est pas établi qu'elle exerçait illicitement la représentation du Groupe Lana aux Etats-Unis ;

Considérant que le mandat d'agent commercial peut être résilié à tout moment, selon la législation française, à charge d'indemnisation du mandataire évincé ; que l'article 11-3 autorisant la résiliation de la convention avec préavis d'un mois pour violation d'engagements contractuels, faillite, dissolution ou cession ou vente d'activités, en restreint nullement la faculté de résiliation anticipée du mandat d'agent commercial ; qu'il fait seulement coexister une résiliation sans indemnité pour faute ou événement propre à la partie à l'encontre de laquelle la résiliation intervient, ainsi que cela sera ci-après retenu, et la résiliation de droit commun assortie d'une indemnisation ;

Considérant que la société Aussedat Rey devenue International Paper a ainsi résilié une convention constituant un mandat exclusif d'agent commercial applicable à l'ensemble du territoire des Etats Unis et un contrat de distribution dans quelques Etats fédéraux ; que l'existence de la double qualification pour ces Etats Fédéraux limitativement énumérés confirme d'ailleurs la qualité d'agent commercial qu'avait la société Labro-Guidetti sur l'ensemble du territoire des Etats Unis ;

Sur la résiliation

Considérant qu'une clause contractuelle obscure s'interprète dans le sens qui lui donne effet, et subsidiairement dans le sens favorable au débiteur de l'obligation ;

Considérant que l'article 11-3 de la convention du 28 septembre 1988 autorise sa résiliation à tout moment, moyennant un préavis d'un moi, dans " les cas suivants :

- si l'une des parties n'assume pas ses obligations pendant une période de plus de trois mois,

- en cas de faillite, de dissolution, de cession ou de vente d'activité affectant l'une ou l'autre des parties " ;

Que la société International Paper l'interprète comme autorisant la résiliation à l'initiative de l'une ou l'autre des parties même si celle-ci a cédé ou vendu ses activités correspondantes, la société Labro-Guidetti comme protégeant l'une des parties contre une cession ou une vente intervenue chez son cocontractant ;

Considérant que l'article 11-3 a pour but évident de garantir le caractère personnel des relations contractuelles ; que la cession ou la vente d'activités ne peut aboutir en effet qu'à un changement de cocontractant ; que les autres hypothèses de résiliation envisagées concernent de même le cocontractant et non l'auteur de la résiliation ; que les termes " l'une ou l'autre des parties " traduisent seulement la commune intention de chacun des cocontractants de se protéger contre les modifications substantielles affectant la personne même de son partenaire commercial ;

Que l'interprétation proposée par la société International Paper conduit au surplus à rendre purement potestative et donc nulle la clause puisqu'il suffirait de trouver un acquéreur d'une activité condamnée, que la vente se fasse de façon directe ou par voie de cession de capital social, pour se dégager des obligations qui y sont afférentes ; que la circonstance qu'une vente ou une cession implique l'intervention d'un acquéreur n'affecte en rien la maîtrise totale de la décision dont dispose le vendeur ;

Que la société International Paper anciennement appelée Aussedat Rey ne peut contester que même s'il était conclu par la société Groupe Lana, le contrat d'agent commercial et de distributeur était exécuté par sa filiale à 100 %, la société Papeteries de Lana, et que la cession du 6 juillet 1995 transférait à la société Aussedat Rey les droits et obligations de la société Papeteries de Lana envers la société Labro-Guidetti, de telle sorte que la société acquéreuse ne peut même pas se prétendre tiers à l'opération ;

Que s'il subsistait un doute, l'interprétation de la société Labro-Guidetti, débitrice de l'obligation, devrait prévaloir ;

Considérant que la résiliation unilatérale dont la société Aussedat Rey a pris l'initiative, ne peut être justifiée par l'article 11-3 de la convention ; qu'elle n'avait pas d'autre fondement ; qu'elle ouvre droit à réparation en ce qu'elle met fin sans motif à un contrat d'agent commercial et s'avère abusive en ce qu'elle rompt avant son terme un accord de distribution exclusive ;

Sur l'indemnisation

Considérant que la société Labro-Guidetti justifie de ce que les ventes auxquelles elle a participé en ses deux qualités ont constamment progressé et sont passées de 325 550 dollars US en 1989 à 835 507 dollars en 19995 ; qu'elle demande :

- 36 848 dollars US correspondant à deux années de la moyenne des commissions des trois dernières années,

- 1 330 626 dollars US de perte de marge bénéficiaire sur les ventes qu'elle aurait pu réaliser de la résiliation jusqu'au terme normal du contrat, soit durant 46 mois, en continuant à distribuer les produits Lana,

- 70 627 dollars US de commissions perdues sur ventes directes durant ces mêmes 36 mois ;

Considérant que la société International Paper conteste ces chiffres ; que la société Labro-Guidetti n'opère pas de distinction suffisante entre ses deux activités et ne peut prétendre obtenir sans double emploi une indemnisation de la perte de commissions subie de la résiliation des conséquences de la rupture de son contrat d'agent commercial ;

Qu'il convient d'ordonner une expertise et d'accorder une provision ;

Considérant que la créance de l'appelante n'est pas contestée ;

Par ces motifs Constate que la société Papeteries de Lana n'est plus en cause, Confirme la décision déférée en ce qu'elle a déclaré abusive la résiliation litigieuse, L'infirme en ce qu'elle a exclu l'existence d'un contrat d'agent commercial et dit que la convention du 28 septembre 1988 est pour partie un contrat d'agent commercial et pour partie un contrat de distribution, Avant dire droit sur le préjudice, Ordonne une expertise à l'effet, les parties entendues et tous documents nécessaires consultés, de définir les résultats en chiffre d'affaires, commissions et marge bénéficiaire des activités de représentation et de distribution de la société Labro-Guidetti afférentes aux produits Lana au cours des trois dernières années précédant la résiliation litigieuse et de fournir à la Cour tous éléments utiles à un chiffrage du dommage, Commet Monsieur Didier Kling, demeurant 41 avenue de Friedland 75008 Paris, téléphone 01 42 89 28 66, expert près la Cour d'appel de Paris ; Dit que la société Labro-Guidetti devra consigner au greffe de la Cour la somme de 40 000 F à valoir sur les honoraires avant le 1er juillet 1999 ; Dit que cette somme doit être versée au régisseur d'avances et de recettes de la Cour d'appel de Paris, 34 Quai des Orfèvres 75055 Paris Louvre SP ; Dit que dans les deux mois, à compter de sa saisine, l'expert indiquera le montant de sa rémunération définitive prévisible afin que soit éventuellement ordonnée une provision complémentaire dans les conditions de l'article 280 du Nouveau code de procédure civile et qu'à défaut d'une telle indication le montant de la consignation initiale constituera la rémunération définitive de l'expert ; Dit que l'expert devra déposer son rapport en double exemplaire au service de la mise en état de la Cour d'appel dans les 10 mois de sa saisine ; Condamne la société International Paper à verser à la société Labro-Guidetti à titre de provision la contre-valeur en francs français de 500 000 dollars US au jour du versement, Réserve les dépens.