CA Rennes, 5e ch. C, 19 mai 1999, n° 98-06059
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Chavinier (ès qual.), Bulle (Sté), Lejeune
Défendeur :
Catimini (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bothorel
Conseillers :
M. Van Ruymbeke, M. Poumarede
Avoués :
Mes Castres-Colleu & Perot, Bazille & Genicon
Avocats :
Mes Laval, Gast.
EXPOSE DES FAITS-PROCEDURE-OBJET DU RECOURS
Le 21 juillet 1995, la société Catimini (franchiseur), propriétaire de la marque Catimini et l'exploitant à travers un réseau de magasins détaillants (franchisés) ont signé un contrat de franchise relatif à l'exploitation d'un magasin à Rueil Malmaison, le franchisé disposant d'une exclusivité territoriale sur le centre ville.
Le franchisé s'engageait à s'approvisionner exclusivement auprès du franchiseur et des fournisseurs désignés par lui, sauf dérogation exceptionnelle accordée par le franchiseur. Le contrat était conclu pour une durée de 5 ans.
En raison de difficultés liées à l'insuffisance de son chiffre d'affaires, la société Bulle a été placée en redressement judiciaire le 17 juillet 1997. Maître Chavignier, en sa qualité de liquidateur de l a liquidation judiciaire de la société Bulle, et Catherine Lejeune ont fait assigner la société Catimini le 7 octobre 1997 afin d'obtenir l'annulation du contrat de franchise et de l'acte de cautionnement signé le même jour et de se voir accorder d'importants dommages intérêts.
Par jugement rendu le 6 juillet 1998, le tribunal de commerce de Nantes a :
-constaté la validité du contrat de franchise et l'a résilié aux torts de la société Bulle,
-rejeté la demande de dommages intérêts présentée par la société Catimini,
-constaté que la créance de la société Catimini auprès de la liquidation judiciaire de la société Bulle s'élevait à 231.733,88 francs,
-condamné Catherine Lejeune, au titre de son engagement de caution, à payer à la société Catimini 231.733,88 francs,
-condamné solidairement Catherine Lejeune et Maître Chavignier, en sa qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de la société Bulle, à payer à la société Catimini 50.000 francs par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Par acte du 18 août 1998, Me Chavignier, en sa qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de la société Bulle, et Catherine Lejeune ont formé appel de ce jugement.
MOYENS PROPOSES PAR LES PARTIES
A l'appui de leur appel, Me Chavignier, en sa qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de la société Bulle, et Catherine Lejeune font valoir que :
-le contrat est nul, au vu des dispositions de l'article 1129 du Code civil, pour indétermination du prix dans la convention initiale, le franchiseur s'étant réservé la possibilité de modifier unilatéralement le cahier des charges en cours d'exécution du contrat, et en raison du caractère indéterminable de ces obligations modifiables unilatéralement,
-la modification unilatérale des obligations constitue une obligation potestative, aussi le contrat est-il nul,
-l'acte de caution de Catherine Lejeune est également nul puisqu'il trouvait sa cause dans le contrat de franchise qui est lui-même nul,
-l'acte de caution est également inexistant, puisqu'il n'est ni signé ni daté,
-subsidiairement, le contrat de franchise doit être résilié aux torts de la société Catimini, qui n'a exécuté ni ses obligations pré-contractuelles, ni ses obligations contractuelles, puisque le compte prévisionnel était erroné ", et qui a ainsi commis des fautes,
-le franchiseur lui imposait les prix de vente et lui livrait les produits pré étiquetés.
En conséquence, la société Bulle et Catherine Lejeune demandent à la Cour de prononcer l'annulation du contrat de franchise, d'annuler l'acte de cautionnement et, subsidiairement, de prononcer la résolution judiciaire du contrat de franchise aux torts exclusifs du franchiseur. Le liquidateur réclame les dommages intérêts suivants :
-au titre du préjudice commercial, 420.000 francs représentant le différentiel d'exploitation entre le chiffre d'affaires réalisé et le prévisionnel, ainsi que 2.563.757 francs calculés sur la marge brute,
-au titre du préjudice financier, 50.000 francs (remboursement du capital) 170.000 francs (sommes investies), 130.000 francs (pertes provisoirement évaluées).
Catherine Lejeune sollicite quant à elle 325.000 francs (perte de son compte courant) et 396.000 francs (perte de rémunération) de dommages intérêts. Elle demande que la société Catimini soit condamnée à la garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre au titre de son engagement de caution.
Ils réclament enfin 100.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
La société Catimini fait valoir que :
- l'indétermination du prix n'affecte pas la validité de la convention, seul l'abus dans la fixation du prix donnant lieu à résiliation ou indemnisation,
- le contrat de franchise et l'acte de caution sont valables,
- elle n'a commis aucune faute et a apporté toute l'assistance requise sans s'immiscer dans la gestion du commerce franchisé,
- e franchisé fixait ses prix librement, le franchiseur se limitant à conseiller des prix,
- les appelants ne justifient d'aucun préjudice.
Elle conclut à la confirmation de la décision déférée, mais sollicite 500.000 francs à titre de dommages intérêts pour le préjudice subi ainsi que 50.000 francs par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
MOTIFS DE L'ARRET
Les articles 1129 et 1174 du Code civil
Considérant, certes, que le cahier des charges prévoyait la possibilité pour le franchiseur, compte tenu de l'évolution du système et de progrès dans l'élaboration du concept établi par lui, de modifier en cours d'exécution du contrat une ou plusieurs clauses du cahier des charges, que cette clause ne pouvait être utilisée que si "les circonstances du marché" rendaient " les dites modifications nécessaires ", et ce dans l'intérêt " de l'organisation mise en place par lui et de celui de ses membres dont fait partie le signataire " ;
Considérant en premier lieu que, au vu des dispositions de l'article 1129 du Code civil, l'indétermination du prix, dans la convention initiale, générée par des modifications contractuelles ultérieures non définies avec précision, ne peut affecter la validité de la convention, seul l'abus dans la fixation du prix donnant lieu à résiliation ou indemnisation ; qu'en l'espèce, aucune faute n'est établie dans la détermination du prix et dans son évolution dans le temps ;
Considérant en second lieu que, selon l'article 3.2 du cahier des charges, " toutes modifications du cahier des charges ", qui pouvaient porter tant sur les produits que les prix, devaient être " en tout état de cause notifiées au franchisé ", que si des " difficultés légitimes " venaient " à empêcher ou à contrarier l'entrée en vigueur chez le franchisé des modifications au cahier des charges édictées par le franchiseur, les parties " convenaient de se rencontrer " pour trouver des solutions amiables adaptées " ;
Considérant ainsi que cette clause ne faisait pas dépendre les modifications éventuelles, lesquelles devaient être justifiées par des critères extérieurs, de la seule volonté du franchiseur (l'intérêt du réseau et de ces modifications nécessaires) et, en cas de litige, devaient être réglées amiablement par l'accord des parties ; que cette clause n'est pas une clause potestative ; qu'aucun abus n'a été commis tant pour les prix que les produits ;
Considérant en conséquence que la demande d'annulation du contrat fondée sur les articles 1129 et 1174 du Code civil sera rejetée comme dénuée de tout fondement ;
La caution
Considérant que Catherine Lejeune a signé un engagement de caution envers le franchiseur le 21 juillet 1995, soit le jour de la signature du contrat de franchise;
Considérant en premier lieu que l'acte de caution de Catherine Lejeune ne saurait être déclaré nul au motif qu'il trouvait sa cause dans le contrat de franchise,puisque celui-ci n'est pas nul ;
Considérant en second lieu que, contrairement à ce que n'hésite pas à affirmer Catherine Lejeune dans ses écritures, l'acte de caution est daté et a été signé par elle ; qu'elle a également rédigé de sa main les mentions manuscrites requises ; que cet acte de caution a été établi, à titre solidaire, pour un montant de 300.000 francs ;
Considérant ainsi que les demandes, présentées par Catherine Lejeune, tendant à l'annulation et à l'inexistence de son engagement de caution et tendant à ce que la société Catimini soit condamnée à la garantir de toute condamnation, qui pourrait être prononcée à son encontre au titre de son engagement de caution, seront rejetées ;
La résiliation du contrat de franchise
Considérant que, par courrier du 10 octobre 1996, Catherine Lejeune sollicitait une rencontre avec le franchiseur en vue de résoudre des difficultés liées à l'écart entre le compte d'exploitation prévisionnel et " la réalité des choses " ; qu'elle précisait avoir adhéré au réseau en raison du savoir-faire et du professionnalisme du franchiseur ;
Considérant que le compte d'exploitation prévisionnel, établi par le franchiseur, se fondait sur l'hypothèse d'un chiffre d'affaires de 1.650.000 francs ; que deux autres hypothèses étaient étudiées, portant sur un chiffre d'affaires de 1.897.500 francs et de 2.087.250 francs ; que le franchiseur avait également fourni des informations pré-contractuelles conséquentes sur la présentation du franchiseur, le réseau, l'évolution depuis 1982, le marché, la concurrence, le projet de contrat, les dépenses et les investissements, le cahier des charges ;
Considérant que le compte de résultats établi au 31 décembre 1995 (qui correspond aux quatre premiers mois d'activité fait état d'un chiffre d'affaires de 437.265 francs pour une faible perte (6143 francs) ; que l'exercice 1996 qui n'a pas été conduit à son terme, révèle un chiffre d'affaires de 1.018.555 francs pour une perte de 122.023 francs ; que le chiffre d'affaires a été réalisé à hauteur de 80% des prévisions, ce qui est loin d'être négligeable ;
Considérant que dans son courrier du 10 octobre 1996, le franchisé faisait lui-même état d'un chiffre d'affaires s'élevant à environ 1.300.000 francs pour les douze premiers mois d'exploitation, ce qui correspondait à un écart de 350.000 francs avec les prévisions, que d'ailleurs, dans sa réponse du 18 octobre 1996, le franchiseur convenait de la nécessité de se rencontrer et d'analyser les causes de l'écart en procédant notamment à l'examen du compte clients ;
Considérant que, dans ses écritures, le franchiseur reconnaît que le franchisé a connu des difficultés, liées à l'absence d'enseigne extérieure et à la crise du textile, particulièrement aiguë à Rueil Malmaison, où trois magasins de prêt à porter pour enfants ont dû fermer à la fin de l'année 1995, ce qui les a conduits à pratiquer des prix de liquidation très attractifs pour la clientèle ;
Considérant que par courrier du 16 janvier 1997, le franchiseur a effectué deux propositions, soit le rachat du magasin pour le prix de 500.000 francs, soit la location gérance, qu'il restait, aux termes de son courrier, " persuadé " du potentiel du magasin qui avait subi une modification importante de la concurrence et qui avait connu " des problèmes commerciaux " en son sein ;
Considérant que les charges ont été prévues de façon normale, les pertes s'expliquant en raison du chiffre d'affaires qui s'est révélé inférieur à celui escompté à l'origine ;
Considérant que le compte d'exploitation prévisionnel a été établi de façon sérieuse au vu des données connues du marché local lors de son établissement ; qu'il ne consistait cependant qu'en des prévisions, lesquelles, par définition, étaient soumises à des aléas et pouvaient être affectées par des facteurs inhérents à l'exploitation du magasin par le franchisé, qui est un commerçant responsable du bon fonctionnement de son commerce (notamment par le travail et les qualités professionnelles du franchisé), ou par des modifications dans la situation des concurrents ;
Considérant à cet égard que la seule lettre d'un client mécontent n'est pas significative (lettre du 12 octobre 1996), que, cependant, l'absence de signalisation, qui n'est pas contestée par le franchisé qui fait état d'un refus du conseil syndical de l'immeuble par un courrier du 22 février 1996, a nécessairement eu un effet négatif sur les ventes et donc sur l'écart avec les prévisions, même s'il existait un panneau drapeau et un véhicule décoré ;
Considérant que la seule insuffisance avérée du chiffre d'affaires n'est pas probante, puisque l'exploitation s'est poursuivie durant une courte période ;
Considérant que la faiblesse des pertes montre que le commerce était à terme viable (surtout si l'on tient compte d'une évolution concurrentielle plus favorable ultérieurement), même si, en définitive, le franchisé, qui n'a pas persévéré, a déposé son bilan ; que d'ailleurs le franchiseur a effectué une offre de rachat nullement négligeable ;
Les prix de revente
Considérant que les prix de vente n'étaient nullement imposés, mais seulement conseillés, le franchisé restant libre de fixer ses prix, puisque :
- l'article 14.1 du cahier des charges précise que si les prix de vente sont portés sur un catalogue, " ils constituent dans tous les cas un maximum de prix de vente " et " le franchisé est libre de fixer ses prix de vente ",
- si les franchisés du réseau, ainsi que l'a attesté Mme Carrara, gérante de société (franchisée), reçoivent des étiquettes pré imprimées avec le prix conseillé de vente, elles sont séparées et les franchisés sont libres de ne pas les coller et de porter des prix différents,
-d'autres franchisés, comme M. Fischer (Haguenau), Mme Tondeur (Monaco), M. Ismaël (Rennes), Mme Perrot (Chartres), Mme Lasserre (Dommartin), Mme Lescure (La Rochelle) ont attesté qu'ils étaient libres de fixer leurs prix, souvent différents des prix conseillés ;
La gestion du franchisé
Considérant que le franchiseur ne s'est pas immiscé dans la gestion du magasin du franchisé, puisque :
- si le franchisé, aux termes de l'article 9 du cahier des charges, disposait " d'un terminal point de vente et d'un logiciel spécifique créé " pour le franchiseur, ce terminal avait pour vocation de permettre au franchisé de gérer ses stocks, sans qu'il soit établi que le franchiseur ait disposé d'informations comptables sur le franchisé,
- à supposer même que le franchiseur ait pu disposer d'informations sur le stock et sur les ventes du franchisé, ce fait n'est pas contraire aux termes du contrat (le stock étant déterminé par les livraisons des produits par le franchiseur ou les fournisseurs désignés par lui et les ventes, et le franchiseur étant rémunéré par un pourcentage sur le chiffre d'affaires),
- la fourniture d'un tel terminal, par le franchiseur, dans le cadre de l'assistance qu'il apportait à son franchisé, ne caractérise pas un acte d'immixtion dans la gestion,
- aucun acte positif d'immixtion n'est établi ;
L'assistance du franchiseur
Considérant qu'il est paradoxal de constater que Maître Chavignier et Catherine Lejeune se plaignent, de façon contradictoire, à la fois d'une immixtion du franchiseur dans la gestion et de sa carence dans son assistance ;
Considérant que les propositions de rachat ou de location-gérance ne démontrent nullement un défaut d'assistance, mais une volonté du franchiseur de ne pas laisser péricliter le commerce du franchisé, qu'il ne peut lui être reproché un défaut d'assouplissement et de report des échéances, chaque partie devant respecter ses propres obligations contractuelles, que d'ailleurs, dans un courrier du 14 mai 1997, le franchiseur rappelait au franchisé qu'il avait accepté qu'une traite " au 31 mars " de 101.5210 francs ne soit pas honorée et lui proposait un plan de règlement échelonné dans le temps ;
Considérant que le franchiseur n'a suspendu ses livraisons que le 20 juin 1997, face à l'importance de la dette du franchisé, qu'il ne pouvait indéfiniment voir s'accroître (396.978,24 francs) ;
Considérant que le franchiseur a en réalité fourni de nombreuses prestations, telles que la fourniture d'une assistance au cours de l'exécution du contrat ;
Considérant qu'il n'est ainsi nullement établi que le franchiseur ait failli à son devoir de conseil et de renseignements ;qu'il n'a commis aucune faute tant dans la formation et l'exécution du contrat que lors de sa rupture,
Considérant que le franchiseur n'a nullement abusé de ses droits, que les demandes présentées par Maître Chavignier, en sa qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de la société Bulle,et Catherine Lejeune, aux fins d'annulation et de résolution judiciaire du contrat de franchise aux torts exclusifs du franchiseur ne sont pas fondées ; que les demandes de dommages intérêts présentées par eux seront rejetées ; que les premiers juges ont justement prononcé la résiliation du contrat aux torts du franchisé, en raison de sa défaillance ;
Considérant de même que la demande de dommages intérêts présentée par le franchiseur n'est pas davantage fondée, celui-ci ne justifiant d'aucune faute imputable au franchisé ou au liquidateur génératrice pour lui d'un quelconque préjudice, qu'au surplus, l'échec du franchisé tient essentiellement à une insuffisance de chiffre d'affaires due en réalité, ainsi que le franchiseur l'a indiqué dans ses écritures même s'il allègue également d'autres causes, au marché et à la concurrence locale ;
Considérant que les premiers juges ont justement constaté que la créance de la société Catimini auprès de la liquidation judiciaire de la société Bulle s'élevait à 231.733,88 francs ;
Et condamné Catherine Lejeune, au titre de son engagement de caution, à payer à la société Catimini 231.733,88 francs ;
Considérant qu'il convient en conséquence de confirmer la décision déférée ; que Maître Chavignier, en sa qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de la société Bulle, et Catherine Lejeune, qui échouent en leur recours, ne sont pas fondés à réclamer le remboursement de leurs frais irrépétibles et supporteront la totalité des dépens ;
Considérant qu'il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de la société Catimini les nouvelles sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme de 30.000 francs, cette somme s'ajoutant aux frais irrépétibles justement alloués par les premiers juges ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement déféré, Condamne en outre Maître Chavignier, en sa qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de la société Bulle, et Catherine Lejeune à verser à la société Catimini 30.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes, Condamne Maître Chavignier, en sa qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de la société Bulle, et Catherine Lejeune aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.