CA Pau, 1re ch., 24 juin 1999, n° 97-00715
PAU
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Raffestin cartonnages (SA)
Défendeur :
Cordova, Serci (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Larque
Conseillers :
Mmes Massieu, Lacoste
Avoués :
SCP De Ginestet Duale, SCP Longin
Avocats :
Mes Alquie, Colmet.
Attendu que M. Cordova est devenu agent commercial de la société RSA le 15 juin 1993 ; que le 7 avril 1994, il a constitué une SARL dénommée Serci, dont il était le gérant et l'unique associé, et dont l'objet social était une activité d'agent commercial ;
Attendu qu'à compter de juin 1994, les relations entre M. Cordova et la société Serci (factures, paiements) ; que le 30 août 1994, M. Rouyer, " directeur du site ", établissait au nom de la société RSA un certificat aux termes duquel : " M. Cordova (Serci) est notre agent commercial, loi 91-593 du 25 juin 1991, depuis le 15 juin 1993, et ce pour une durée indéterminée " ;
Attendu que le 21 novembre 1994, la société RSA a adressé à la Serci une lettre de résiliation de son mandat d'agent commercial ;
Attendu que le 15 novembre 1995, M. Cordova, personnellement, a assigné la société RSA devant le Tribunal de Commerce de Bayonne, pour avoir paiement de dommages et intérêts à raison de cette rupture qu'il considère comme abusive ;
Attendu que le 9 mai 1996, son avocat, Me Colmet, faisait parvenir au Président du Tribunal, " suite à l'audience du 29 avril " une " note en délibéré " répondant à l'exception d'irrecevabilité soulevée par la société RSA, et dans laquelle il est écrit : " il est clair qu'il n'y a donc plus aucune difficulté comme les lettres de RSA le précisent au début des relations, soit en 1993, c'est M. Cordova en tant que personne physique qui était agent commercial de RSA, lorsque sa société fut créée, c'est celle-ci qui prit sa suite en tant qu'agent commercial également " ;
Attendu que le Tribunal de Commerce a rendu trois jugements dans une instance opposant M. Cordova à la société RSA :
- un jugement du 24 juin 1996, rejetant l'exception d'irrecevabilité au motif " qu'en constituant une société unipersonnelle ayant pour objet social agence commerciale et dont il était l'unique associé, M. Cordova entendait poursuivre lui-même son activité, mais sous une autre forme juridique ", et ordonnant la réouverture des débats,
- un jugement du 30 septembre 1996 ordonnant la " communication du contrat liant la société RSA et M. Cordova, ainsi que tous documents permettant d'apprécier les demandes de M. Cordova ",
- un jugement du 6 janvier 1997 condamnant la société RSA à payer à M. Cordova une somme principale de 256 721,58 F à titre d'indemnité pour rupture abusive ;
Attendu que la société RSA a relevé appel de ces 3 décisions dans des conditions de délai et de forme qui ne sont plus critiquées ;
Vu les conclusions de la société RSA : 23 juin 1997, 30 janvier, 29 avril et 22 octobre 1998,
Vu les conclusions de M ? Cordova : 6 novembre 1997,
Vu les conclusions d'intervention de la société Serci : 6 novembre 1997.
Vu les conclusions communes de M. Cordova et de la société Serci : 27 mars et 8 septembre 1998 ;
1 - Attendu qu'il n'est plus sérieusement discuté devant la Cour que la SARL Serci, est une personne morale dotée d'une personnalité juridique propre, et qu'elle ne peut être confondue avec la personne physique de son gérant et unique associé M. Cordova ;
Que le fait que celui-ci ait décidé, comme il est écrit dans le jugement du 24 juillet 1996, " d'exercer lui-même son activité, mais sous une autre forme juridique ", implique précisément la constitution d'une personne morale ayant un capital, des droits et des obligations propres qui ne sont pas ceux de M. Cordova ;
2 - Attendu quel'article 12 de la loi du 25 juin 1991 dispose que " en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice (§ 1), mais il perd ce droit s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits " (§ 2);
Attendu qu'en l'espèce, la société RSA a notifié sa décision de rupture à la société Serci le 21 novembre 1994, et M. Cordova a assigné la société RSA en paiement de l'indemnité le 15 novembre 1995 ;
Attendu que pour éluder les conséquences de l'application de ce texte à une demande faite en son nom personnel et non en celui de la Serci, M. Cordova invoque l'article 13 c de la même loi, selon lequel l'indemnité n'est pas due si " selon un accord avec le mandant, l'agent commercial cède à un tiers les droits et obligations qu'il détient en vertu du contrat " ; et il soutient que la société RSA ne justifie pas avoir agréé la cession de son mandat d'agent commercial à la société Serci, car il n'y a pas eu cession de la carte d'agent commercial et l'employeur lui-même, dans son certificat du 30 août 1994, considérait toujours être lié à M. Cordova ;
Attendu que ni le contrat d'agent commercial, ni l'accord du mandant à une cession, ne nécessitent un écrit pour être prouvés ;
Attendu qu'en l'espèce, l'extrait K Bis de la société Serci fait état d'un commencement d'exploitation au 1er avril 1994, et tous les documents commerciaux échangés par les parties à compter du mois de juin 1994, y compris la lettre de rupture du 21 novembre 1994 sont établis ou adressés au nom de la société Serci ;
Attendu que c'est donc de manière abusive, que M. Cordova prétend que le certificat du 30 août 1994 émanant de la direction de la RSA constitue la reconnaissance de la poursuite du mandat avec lui-même et personnellement et non avec la Serci dont la dénomination figure pourtant entre parenthèses avec son nom ;
Attendu que ce document atteste au contraire que la société RSA avait pris acte du fait que M. Cordova agissait désormais au nom de la société Serci, ainsi que cela résultait des factures déjà émises depuis le mois de juin précédent ; qu'il faut rappeler encore que M. Cordova, en sa double qualité de gérant et d'unique associé, était la seule personne physique disposant du pouvoir d'agir au nom et pour le compte de la société Serci, ce qui explique le libellé du document ;
Attendu que dans ces circonstances l'accord de la RSA à la cession à la société Serci, du mandat initialement conféré à M. Cordova est démontré ;
Attendu que M. Cordova personnellement n'est donc pas recevable à prétendre au bénéfice de l'indemnité suite à la rupture signifiée à la société Serci après cette cession ;
3 - Attendu que M. Cordova et la société Serci prétendent ensuite que le délai d'action de l'article 12 de la loi du 25 juin 1991 est un délai de prescription, susceptible d'être interrompu par l'une des causes de l'article 2244 du Code Civil, et qu'en l'espèce ce délai a été valablement interrompu par l'assignation du 15 novembre 1996 ;
Or attendu que la société RSA réplique à bon droit que pour que le délai soit valablement interrompu, il importe que l'action soit engagée par le créancier lui-même ;
Or attendu que l'action a été engagée le 15 novembre 1996 par M. Cordova, agissant en son nom personnel ; que la note en délibéré du 9 mai 1996, fait état pour la première fois de sa part de l'existence de la société Serci, mais il n'a pas été demandé au Président de la juridiction de rouvrir les débats pour permettre à l'intéressée d'intervenir ;
Que les jugements mentionnent donc comme parties M. Cordova, demandeur et la société RSA, défendeur, et M. Cordova personnellement ou ès qualités n'a jamais invoqué une erreur matérielle et sollicité l'inscription de la société Serci au nombre des parties à l'action ;
Attendu que cette abstention rend l'intervention de cette société, ni partie, ni représentée en première instance, recevable en cause d'appel conformément à l'article 554 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Attendu qu'il s'en suit aussi qu'avant l'expiration du délai de l'article 12 de la loi du 25 juin 1991, soit avant le 21 novembre 1996, la société Serci n'avait fait aucun acte susceptible d'interrompre valablement le délai au sens de l'article 2244 du Code Civil;
Attendu queson action est donc irrecevable comme prescrite ;
Attendu que la Cour réformera en ce sens les 3 jugements qui lui sont déférés ;
Attendu que la société RSA ne justifie pas du préjudice invoqué au soutien d'une demande en dommages et intérêts pour procédure abusive dont elle doit être déboutée ;
Attendu qu'en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, M. Cordova et la SARL Serci in solidum lui verseront la somme de 10 000 F ;
Par ces motifs LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile, et en dernier ressort, Déclare les appels recevables, Réformant les jugements prononcés les 24 juin 1996, 30 septembre 1996 et 6 janvier 1997 par le Tribunal de Commerce de Bayonne, Déclare recevable l'intervention de la SARL Serci en cause d'appel, Déclare irrecevables les actions de M. Cordova et de la SARL Serci ; Déboute la société RSA de sa demande en dommages et intérêts ; Condamne M. Cordova et la SARL Serci à lui payer in solidum 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Les condamne aux dépens de 1ère instance et d'appel. Autorise, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile, la SCP De Ginestet Duale, avoué, à recouvrer directement contre la partie condamnée, ceux des dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.