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Décisions

CJCE, 5e ch., 1 juillet 1999, n° C-173/98

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sebago (Inc);, Ancienne Maison Dubois et Fils (SA)

Défendeur :

G-B Unic (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Puissochet

Rapporteur :

M. Gulmann

Avocat général :

M. Jacobs

Juges :

MM. Jann, Moitinho de Almeida, Edward

Avocats :

Mes Byl, Strowel

CJCE n° C-173/98

1 juillet 1999

LA COUR (cinquième chambre),

1. Par arrêt du 30 avril 1998, parvenu à la Cour le 11 mai suivant, la Cour d'appel de Bruxelles a posé, en vertu de l'article 234 CE (ex-article 177), des questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 7 de la première directive 89-104-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des Etats membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1, ci-après la " directive "), telle que modifiée par l'accord sur l'Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après " l'accord EEE ").

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant les sociétés Sebago Inc. (ci-après " Sebago ") et Ancienne Maison Dubois et Fils SA (ci-après " Maison Dubois ") à G-B Unic SA (ci-après " G-B Unic ") au sujet de la vente par cette dernière de marchandises revêtues d'une marque dont Sebago est titulaire, sans le consentement de celle-ci.

3. L'article 7 de la directive, intitulé " Épuisement du droit conféré par la marque ", prévoit :

" 1. Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement.

2. Le paragraphe 1 n'est pas applicable lorsque des motifs légitimes justifient que le titulaire s'oppose à la commercialisation ultérieure des produits, notamment lorsque l'état des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce. "

4. Conformément à l'article 65, paragraphe 2, lu en combinaison avec l'annexe XVII, point 4, de l'accord EEE, l'article 7, paragraphe 1, de la directive a été modifié aux fins dudit accord, de sorte que l'expression "dans la Communauté" a été remplacée par les mots "sur le territoire d'une partie contractante".

5. Sebago est une société enregistrée aux Etats-Unis d'Amérique, qui est titulaire de deux marques Benelux sous le nom de "Docksides" et de trois marques Benelux sous le nom de " Sebago ". Ces marques sont notamment enregistrées pour des chaussures. Maison Dubois est le distributeur exclusif pour le Benelux des chaussures portant les marques de Sebago.

6. Dans la dixième édition de 1996 de sa brochure intitulée " La quinzaine Maxi-GB ", annonçant des prix valables du 29 mai au 11 juin 1996, G-B Unic a fait de la publicité pour la vente de chaussures Docksides Sebago dans ses hypermarchés Maxi-GB. Il s'agissait de 2 561 paires de chaussures fabriquées au Salvador et achetées à une société de droit belge spécialisée dans l'importation parallèle. L'intégralité du stock a été vendue au cours de l'été 1996.

7. Sebago et Maison Dubois ne contestent pas que les chaussures vendues par G-B Unic étaient des produits authentiques. Elles prétendent néanmoins que, comme elles n'avaient pas autorisé la vente de ces chaussures dans la Communauté, G-B Unic n'avait pas le droit de procéder à leur vente sur ce territoire.

8. Dans ces circonstances, Sebago et Maison Dubois ont fait valoir devant les juridictions belges que G-B Unic avait enfreint le droit de marque de Sebago en commercialisant ces produits dans la Communauté sans leur consentement. Elles ont invoqué l'article 13, A, point 8, de la loi uniforme Benelux sur les marques, telle que modifiée par le protocole Benelux du 2 décembre 1992 (ci-après la " loi uniforme "), dont les termes sont analogues à ceux de l'article 7, paragraphe 1, de la directive.

9. Dans son arrêt de renvoi, la Cour d'appel de Bruxelles relève que l'interprétation que donnent les parties au principal de l'article 13, A, point 8, de la loi uniforme diffère sur deux points essentiels: l'un porte sur la question de savoir si cette disposition consacre le principe de l'épuisement international (thèse de G-B Unic) ou uniquement celui de l'épuisement communautaire (thèse de Sebago) et l'autre porte sur la question de savoir dans quelles conditions il est possible de présumer que le consentement du titulaire de la marque a été donné.

10. En ce qui concerne le second point, G-B Unic soutient que, pour remplir la condition du consentement prévue à l'article 13, A, point 8, de la loi uniforme, il suffit que des produits similaires de même marque aient déjà été légalement commercialisés dans la Communauté avec le consentement du titulaire de la marque. En revanche, Sebago fait valoir que son consentement doit être obtenu pour chaque lot défini de marchandises, c'est-à-dire pour tout lot importé à un moment donné par un importateur particulier. Elle considère donc que son consentement ne peut être présumé que si G-B Unic parvient à démontrer qu'elle a obtenu les chaussures en question d'un vendeur qui faisait partie du réseau de distribution créé par Sebago dans la Communauté ou d'un revendeur qui, bien que n'appartenant pas à ce réseau, a obtenu ces chaussures légalement dans la Communauté.

11. G-B Unic a également soutenu devant la juridiction nationale qu'il était d'ores et déjà établi que Sebago avait implicitement consenti à la commercialisation des chaussures litigieuses dans la Communauté, en n'interdisant pas à son licencié du Salvador d'exporter ses produits dans la Communauté. Toutefois, la Cour d'appel de Bruxelles a expressément constaté que la preuve d'une concession de licence, dont l'existence était contestée par Sebago, n'était pas rapportée, et que, dans ces conditions, le seul fait que le fabricant salvadorien ait exporté les produits en cause vers la Communauté ne permettait pas de tenir pour établi que Sebago avait consenti à leur commercialisation dans celle-ci.

12. Dans ces circonstances, la Cour d'appel de Bruxelles a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

" Convient-il d'interpréter l'article 7, paragraphe 1, de la première directive 89-104-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, en ce sens que le droit conféré par la marque permet à son titulaire de s'opposer à l'usage de sa marque pour des produits authentiques qui n'ont pas été mis dans le commerce au sein de la Communauté économique européenne (élargie à la Norvège, l'Islande et au Liechtenstein, en vertu de l'accord du 2 mai 1992 instituant l'Espace économique européen), par le titulaire ou avec son consentement, lorsque :

- les produits revêtus de la marque proviennent directement d'un pays extérieur à la Communauté européenne ou de l'Espace économique européen,

- les produits revêtus de la marque proviennent d'un pays de la Communauté européenne ou de l'Espace économique européen où ils se trouvent en transit sans le consentement du titulaire de la marque ou de son représentant,

- si les produits ont été acquis dans un pays de la Communauté européenne ou de l'Espace économique européen où ils ont été mis en vente pour la première fois sans le consentement du titulaire de la marque ou de son représentant,

- soit lorsque des produits revêtus de la marque, identiques aux produits authentiques revêtus de la même marque, mais importés parallèlement en provenance directe ou indirecte de pays extérieurs à la Communauté européenne ou à l'Espace économique européen, sont ou ont déjà été commercialisés au sein de la Communauté ou de l'Espace économique européen, par le titulaire de la marque ou avec son consentement,

- soit lorsque des produits revêtus de la marque, similaires aux produits authentiques revêtus de la même marque, mais importés parallèlement en provenance directe ou indirecte de pays extérieurs à la Communauté européenne ou à l'Espace économique européen, sont ou ont déjà été commercialisés au sein de la Communauté ou de l'Espace économique européen, par le titulaire de la marque ou avec son consentement ? "

13. A titre liminaire, il y a lieu de relever que, dans l'arrêt du 16 juillet 1998, Silhouette International Schmied (C-355-96, Rec. p. I-4799), rendu après le prononcé de l'arrêt de renvoi dans la présente affaire, la Cour a dit pour droit que l'article 7, paragraphe 1, de la directive, telle que modifiée par l'accord EEE, s'oppose à des règles nationales prévoyant l'épuisement du droit conféré par une marque pour des produits mis dans le commerce hors de l'Espace économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement.

14. Les parties au principal ainsi que le Gouvernement français et la Commission considèrent que la Cour a répondu, dans l'arrêt Silhouette International Schmied, précité, aux trois premières questions, de sorte qu'il n'y a lieu de répondre qu'aux deux dernières questions.

15. S'agissant de ces dernières questions, Sebago et Maison Dubois ainsi que le Gouvernement français et la Commission estiment que le consentement du titulaire de la marque à la commercialisation dans l'Espace économique européen (ci-après " l'EEE ") d'un lot de marchandises n'épuise pas les droits conférés par la marque pour la commercialisation d'autres lots de ses produits, même s'ils sont identiques.

16. G-B Unic considère, en revanche, que l'article 7 de la directive n'exige pas que le consentement vise les marchandises concrètement concernées par l'importation parallèle. Elle fonde son argumentation notamment sur la notion de fonction essentielle de la marque qui, selon la jurisprudence de la Cour, consiste à garantir aux consommateurs l'identité d'origine du produit, l'objectif étant de permettre aux consommateurs de distinguer sans confusion possible ce produit de ceux qui ont une autre provenance. Or, selon elle, cette fonction n'implique pas que le titulaire puisse avoir le droit d'interdire l'importation de produits authentiques. Il serait dès lors erroné de prétendre que l'article 7 de la directive ne vise que le consentement du titulaire pour la commercialisation des exemplaires importés de produits originaux. G-B Unic estime donc qu'il y a consentement au sens de l'article 7 de la directive dès que celui-ci porte sur l'espèce des produits en cause.

17. Il convient d'abord de constater que les intervenants dans la présente affaire ont à juste titre relevé que la réponse aux trois premières questions préjudicielles avait déjà été donnée par la Cour dans l'arrêt Silhouette International Schmied, précité. En effet, la Cour a jugé, aux points 18 et 26 de ce dernier arrêt, que, selon le texte même de l'article 7 de la directive, l'épuisement des droits conférés par la marque n'a lieu que si les produits ont été mis dans le commerce dans la Communauté (dans l'EEE depuis l'entrée en vigueur de l'accord EEE) et que la directive ne laisse pas aux Etats membres la possibilité de prévoir dans leur droit national l'épuisement des droits conférés par la marque pour des produits mis dans le commerce dans des pays tiers.

18. Ensuite, il y a lieu de relever que, par ses deux dernières questions, la juridiction nationale demande en substance s'il y a consentement au sens de l'article 7 de la directive lorsque le titulaire de la marque a consenti à la commercialisation dans l'EEE de produits identiques ou similaires à ceux pour lesquels l'épuisement est invoqué ou si, au contraire, le consentement doit porter sur chaque exemplaire du produit pour lequel l'épuisement est invoqué.

19. A cet égard, il convient de constater que, bien que le texte de l'article 7, paragraphe 1, de la directive ne donne pas directement la réponse à cette question, il n'en demeure pas moins que les droits conférés par la marque ne sont épuisés que pour les exemplaires du produit qui ont été mis dans le commerce sur le territoire défini par cette disposition avec le consentement du titulaire. Pour les exemplaires de ce produit qui n'ont pas été mis dans le commerce sur ce territoire avec son consentement, le titulaire peut toujours interdire l'usage de la marque conformément au droit que lui confère la directive.

20. Cette interprétation de l'article 7, paragraphe 1, a déjà été consacrée par la Cour. En effet, cette dernière a déjà constaté que cette disposition vise à rendre possible la commercialisation ultérieure d'un exemplaire d'un produit revêtu d'une marque mis dans le commerce avec le consentement du titulaire sans que celui-ci puisse s'y opposer (voir arrêts du 4 novembre 1997, Parfums Christian Dior, C-337-95, Rec. p. I-6013, points 37 et 38, et du 23 février 1999, BMW, C-63-97, non encore publié au Recueil, point 57). Cette interprétation est au demeurant confirmée par l'article 7, paragraphe 2, de la directive, qui, en ce qu'il fait référence à la " commercialisation ultérieure " des produits, montre que le principe d'épuisement ne concerne que des produits déterminés qui ont fait l'objet d'une première mise dans le commerce avec le consentement du titulaire de la marque.

21. Il convient également de rappeler que, en adoptant l'article 7 de la directive, qui restreint l'épuisement du droit conféré par la marque aux cas où les produits revêtus de la marque ont été mis dans le commerce dans la Communauté (l'EEE depuis l'entrée en vigueur de l'accord EEE), le législateur communautaire a précisé que la mise sur le marché en dehors de ce territoire n'épuise pas le droit du titulaire de s'opposer à l'importation de ces produits effectuée sans son consentement et de contrôler ainsi la première mise dans le commerce dans la Communauté (l'EEE depuis l'entrée en vigueur de l'accord EEE) des produits revêtus de la marque. Or, cette protection serait vidée de sa substance s'il suffisait, pour qu'il y ait épuisement au sens de l'article 7, que le titulaire de la marque ait consenti à la mise sur le marché dans ce territoire de produits identiques ou similaires à ceux pour lesquels l'épuisement est invoqué.

22. Compte tenu de ce qui précède, il convient de répondre aux questions préjudicielles que l'article 7, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens que :

- l'épuisement des droits conférés par la marque n'a lieu que si les produits ont été mis dans le commerce dans la Communauté (dans l'EEE depuis l'entrée en vigueur de l'accord EEE) et qu'il ne laisse pas aux Etats membres la possibilité de prévoir dans leur droit national l'épuisement des droits conférés par la marque pour des produits mis dans le commerce dans des pays tiers ;

- pour qu'il y ait consentement au sens de l'article 7, paragraphe 1, de cette directive, celui-ci doit porter sur chaque exemplaire du produit pour lequel l'épuisement est invoqué.

Sur les dépens

23. Les frais exposés par le Gouvernement français et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par la Cour d'appel de Bruxelles, par arrêt du 30 avril 1998, dit pour droit :

L'article 7, paragraphe 1, de la première directive 89-104-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, telle que modifiée par l'accord sur l'Espace économique européen du 2 mai 1992, doit être interprété en ce sens que :

- l'épuisement des droits conférés par la marque n'a lieu que si les produits ont été mis dans le commerce dans la Communauté (dans l'Espace économique européen depuis l'entrée en vigueur de l'accord sur l'Espace économique européen) et qu'il ne laisse pas aux Etats membres la possibilité de prévoir dans leur droit national l'épuisement des droits conférés par la marque pour des produits mis dans le commerce dans des pays tiers ;

- pour qu'il y ait consentement au sens de l'article 7, paragraphe 1, de cette directive, celui-ci doit porter sur chaque exemplaire du produit pour lequel l'épuisement est invoqué.