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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 23 septembre 1999, n° 1997-27320

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Noël & Nodée (SCP)

Défendeur :

France Motors (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq

Conseillers :

M. Faucher, Mme Riffault

Avoués :

SCP Fisselier Chiloux Boulay, Me Olivier

Avocats :

Mes Mihailov, Castel.

T. com. Paris, 16e ch., du 29 sept. 1997

29 septembre 1997

LA COUR,

Considérant que la société civile professionnelle Noël et Nodée en sa qualité de mandataire liquidateur de la société d'exploitation du Garage Schouwer, a fait appel à l'encontre de la société France Motors et de la Banque Populaire de Lorraine d'un jugement contradictoire du 29 septembre 1997 du Tribunal de commerce de Paris qui

- l'a déboutée de ses demandes de condamnation de la société France Motors à lui verser ès qualités des dommages-intérêts égaux au passif social et d'interdiction d'exécution de l'engagement de caution souscrit par la Banque Populaire de Lorraine au profit de la société France Motors,

- a validé l'engagement de caution de la Banque Populaire de Lorraine pour les sommes dues du 1er octobre 1994 au 30 septembre 1995,

- a condamné la SCP Noël et Nodée ès qualité à payer au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile 20 000 F à la société France Motors et 3 000 F à la Banque Populaire de Lorraine et à supporter les dépens ;

Considérant que par ordonnance du 9 janvier 1998 le conseiller de la mise en état a pris acte d'un désistement de l'appel en ce qu'il était dirigé à l'encontre de la Banque Populaire de Lorraine et a constaté que la Cour ne demeurait saisie que du litige opposant la SCP Noël et Nodée à la société France Motors ;

Considérant que par conclusions récapitulatives du 16 avril 1999 Maître Nodée, déclarant agir en qualité de mandataire liquidateur de la société d'exploitation du garage Schouwer, expose :

- que Gérard Schouwer, déjà concessionnaire Mazda à Sarreguemines, a repris le 1er octobre 1990 les actifs du concessionnaire Mazda de Sarrebourg en liquidation judiciaire et a confié à compter du 1er juillet 1991, à la demande de la société France Motors importatrice en France des véhicules de la marque Mazda, la concession Mazda pour les arrondissements de Sarrebourg et de Château Salins à une société d'exploitation du Garage Schouwer qu'il a créée et dont il a pris la gérance,

- que le contrat de concession concernant les arrondissements de Sarrebourg et de Château Salins qui avait été conclu le 31 octobre 1991 pour une durée d'un an, s'est poursuivi à compter du 31 octobre 1992 pour une durée indéterminée, Gérard Schouwer étant parvenu à rétablir l'image de la marque Mazda sur le territoire de la nouvelle concession,

- que la société France Motors a mis en œuvre à partir de 1993, une politique commerciale très agressive à base de campagnes promotionnelles ininterrompues qui a substantiellement réduit la rémunération de ses concessionnaires et opéré à leur détriment un transfert des charges de commercialisation du constructeur,

- que la société d'exploitation du garage Schouwer a protesté en vain contre la réduction, imposée par circulaire du 16 juin 1993, de la remise contractuelle accordée jusque là par la société France Motors, a demandé non moins vainement l'autorisation de représenter en parallèle la marque Daewoo et a dû déposer son bilan ;

Considérant que Maître Nodée reproche à la société France Motors d'avoir abusé de son droit de fixation unilatérale des conditions de vente des véhicules Mazda au mépris de la bonne foi et de l'équité ainsi que des dispositions de l'article 7 du contrat de concession donnant valeur d'engagements contractuels aux circulaires du concédant, en imposant aux concessionnaires dépendants de contribuer aux coûts de commercialisation incombant aux concédants ;

Qu'il conteste que l'évolution à la hausse du cours du yen, pour aussi désavantageuse qu'elle ait été pour la société France Motors, l'ait autorisé à faire supporter par ses concessionnaires les conséquences d'une détérioration de sa marge dont ils n'étaient pas responsables, d'autant que parallèlement la société France Motors acceptait de verser à ses actionnaires des dividendes substantiellement majorés ;

Qu'il prétend que la clause d'exclusivité de représentation liant les parties est contraire à l'article 85 du Traité de Rome et ne répond pas aux conditions de légalité du règlement communautaire d'exemption n° 123-85 parce que des circonstances objectives justifiaient qu'il y soit dérogé ;

Qu'il soutient que la réduction abusivement imposée d'une marge bénéficiaire déjà très faible et le refus de l'alternative salvatrice d'une adjonction d'une seconde marque ont épuisé la trésorerie de la société d'exploitation du Garage Schouwer et en déduit que la société France Motors doit réparer un préjudice qui est égal à l'insuffisance d'actif constatée ;

Qu'il demande à la Cour d'infirmer le jugement déféré et de condamner la société France Motors à lui payer ès qualité 1 600 000 F de dommages-intérêts ainsi que 40 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Considérant que la société France Motors réplique qu'elle n'est que l'importateur exclusif en France des véhicules japonais Mazda et que la résiliation du contrat de concession " exclusif de marque " litigieux procède de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire ; qu'elle ajoute que Jacques Augendre, nommé le 11 janvier 1995 par le Président du Tribunal de commerce de Paris mandataire ad hoc chargé de préciser la nature des difficultés rencontrées par " un nombre important de concessionnaires du réseau français Mazda " et de rechercher les possibilités d'un accord transactionnel, a conclu :

- que la nécessaire adaptation à un changement de conjoncture a contraint la société France Motors à demander à ses concessionnaires de participer à des campagnes nationales de publicité,

- que la crise économique a exacerbé la concurrence entre marques et que ce " changement radical " a été amplifié par une appréciation considérable du yen qui a entraîné une augmentation corrélative des prix en francs à conditions d'usine inchangées,

- que l'impact de l'augmentation de l'ordre de 27 % du cours du yen a été d'autant plus fort pour les véhicules Mazda que ceux-ci n'étaient pas fabriqués en Europe contrairement à ceux des concurrents japonais ;

Qu'elle dément avoir commis la moindre faute dans l'exécution de ses obligations de concédant, soutient que la bonne foi à laquelle elle se reconnaît tenue, doit s'apprécier en tenant principalement compte du but des actes incriminés destinés à maintenir le volume des ventes en dépit de l'effondrement du marché, et se défend de toute pratique discriminatoire à l'égard de la société d'exploitation du Garage Schouwer ;

Qu'elle prétend que les opérations commerciales et publicitaires qu'elle a initiées à partir de 1993, ont été imposées par la nécessité de mettre en place une politique plus interventionniste, et n'étaient contraires ni à ses engagements contractuels ni à l'intérêt de ses concessionnaires qui pouvaient ne pas participer aux conditions de promotion et qui n'ont supporté qu'une partie mineure des frais de publicité ;

Qu'elle soutient qu'elle était en droit de s'opposer à toute violation de l'exclusivité de marque convenue et qu'elle n'est pas responsable du dépôt de bilan de son concessionnaire en cessation de paiement depuis le 11 avril 1994 ; qu'elle observe au surplus que l'appelante n'apporte aucune preuve d'un quelconque engagement du constructeur Daewoo, et reproche subsidiairement à la société d'exploitation du garage Schouwer d'avoir tardé à déposer son bilan ;

Qu'elle conclut à la confirmation du jugement et demande 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Considérant que le concédant peut se réserver la faculté de définir unilatéralement les conditions financières de ses relations avec ses concessionnaires sans s'exposer à la prohibition des clauses potestatives à la double condition que concédant et concessionnaires se soient engagés par contrat conclu sur la base de conditions définies, le fussent-elles par tarif et circulaire, et que le concédant, tenu d'une obligation de loyauté, n'abuse pas à l'avenir de sa position privilégiée et de la faculté qui lui est contractuellement reconnue de faire évoluer ces conditions afin de les adapter à des éléments objectifs qui en justifient la modification ;

Que la société France Motors ne saurait sérieusement contester que la marge bénéficiaire de ses concessionnaires dépend étroitement des prix de revente qu'elle leur impose d'autant plus aisément qu'ils se sont engagés contractuellement à mettre en pratique les méthodes commerciales et les normes de vente du concédant, du pourcentage de marge qu'elle prévoit ainsi que des remises qu'elle accorde à ceux de ses concessionnaires qui réalisent les quotas d'achats prescrits, et des participations aux campagnes publicitaires qu'elle met à la charge de ses concessionnaires ; qu'elle ne peut soutenir de ce fait que la liberté de définition des marges remises et participations aux frais qu'elle revendique, n'autorise pas ses concessionnaires à lui reprocher d'en abuser à leur détriment ;

Considérant qu'il résulte du rapport de Jacques Augendre sur lequel se fonde la défense de la société France Motors, que :

- plus de la moitié des 160 concessionnaires du réseau Mazda en France dont certains avaient protesté dès juin 1993, s'accordaient à dénoncer à la fin de l'année 1994 la fragilisation de leurs entreprises, confrontées à une baisse très importante de leur part de marché, qu'ils imputaient à une modification unilatérale de la part de la société France Motors des conditions contractuelles de leur appartenance au réseau,

- la société France Motors a imposé en 1993 et 1994 à ses concessionnaires qui ne pouvaient de fait y échapper, une baisse temporaire d'un point et demi de marges brutes à peine suffisantes puisque cette mesure unilatérale a mis la moitié au moins du réseau en péril, des participations de 3 à 5 000 F par véhicule aux opérations promotionnelles dites 323 et 626, une généralisation à concurrence de 500 F par véhicule de la participation des concessionnaires aux frais de publicité nationale, une réduction de sa propre participation aux publicités régionales et locales et un versement de 220 F par véhicule pour frais de dossier et frais de marquage ;

- la société France Motors a incité à l'automne 1993 ses concessionnaires à résorber son propre stock de véhicules de gammes 323 et 626 par des achats " ferme " en leur consentant le versement d'une prime de 3 500 F par véhicule dont le bénéfice a été annulé par une baisse ultérieure et d'un montant supérieur des prix de revente imposés,

- une crise économique a provoqué à l'époque un retournement général du marché économique que l'appréciation du yen par rapport au franc a d'autant plus aggravé pour les véhicules Mazda que ceux-ci n'étaient construits qu'hors d'Europe et n'étaient payables par l'importateur qu'en yens,

- les bilans et comptes d'exploitation de la société France Motors révèlent de 1991 à 1994 une augmentation constante du poste " achats " en pourcentage du chiffre d'affaires (67 % en 1991, 88,5 % en 1994) alors que les ventes baissaient de 33 % durant la même période, mais aussi une augmentation considérable des dividendes servis à ses actionnaires au moment même où un effort important était demandé aux concessionnaires,

- la société France Motors a convenu en 1995 qu'il lui fallait réparer les conséquences des modifications qu'elle avait unilatéralement apportées à ses relations financières avec ses concessionnaires, a renoncé à certaines d'entre elles et a proposé des primes de rattrapage jugées insuffisantes ;

Considérant que la société France Motors a certes raison de tirer du rapport de Jacques Augendre et de ses comptes d'exploitation la preuve de la gravité de la crise qui a réduit fortement sa part du marché automobile français et son résultat d'exploitation au point d'engendrer une perte de cent seize millions de francs au 31 décembre 1994 ;

Que les premiers juges ne pouvaient en revanche exonérer la société France Motors de toute responsabilité dans la défaillance de ses concessionnaires et plus particulièrement de la société d'exploitation du garage Schouwer aux motifs qu'il n'était prouvé ni que le concédant ait réservé les efforts à accomplir à ses seuls concessionnaires, ni que l'augmentation de 131 065 201 F du montant des dividendes versés aux actionnaires au titre de l'année 1993 ait eu une incidence sur la dégradation constatée des résultats, ni enfin que le refus de consentir une dérogation à l'exclusivité de représentation convenue ait été à l'origine des difficultés financières qui ont conduit la société d'exploitation du garage Schouwer au dépôt de bilan ;

Que la société France Motors ne reproche aucune faute à ses concessionnaires et ne conteste nullement la précarité financière de nombre d'entre eux relevée par Jacques Augendre qui impliquait que la contribution aux difficultés du réseau qui pouvait leur être demandée, ne pouvait qu'être limitée ;

Que 251 745 205 F de dividendes ont été distribués à ses actionnaires au titre de l'exercice 1993 par prélèvement de cent dix sept millions de francs sur le report à nouveau, ce qui implique que le bénéfice de l'exercice aurait permis à lui seul, s'il n'avait pas été distribué, d'aider à concurrence en moyenne de plus de 800 000 F pour chacun les concessionnaires à surmonter la crise, et que la distribution opérée aurait permis de porter à 1 500 000 F en moyenne cette aide, soit sensiblement l'équivalent de l'insuffisance d'actif accusée par la société d'exploitation du garage Schouwer ;

Que la société France Motors ne pouvait loyalement imposer de façon unilatérale à des concessionnaires qu'elle avait affaiblis par la prolongation d'une crise générale du marché et confrontés indirectement, comme elle l'était directement en tant que partie au contrat la liant au fabricant japonais, à l'incidence néfaste de l'appréciation considérable du yen, des sacrifices mettant en péril leurs entreprises alors qu'elle-même ne tirait pas à l'égard de ses actionnaires les conséquences du désastre qu'elle pressentait ;qu'il lui appartenait, avant d'aggraver les conditions financières dont dépendait la survie de ses concessionnaires, de prendre une part des mesures salvatrices conformes aux moyens dont elle disposait ; que le but poursuivi par le concédant justifiait que des sacrifices soient consentis mais imposait que ceux-ci soient mieux répartis ainsi que la société France Motors l'a admis en 1995, mais trop tard pour la société d'exploitation du garage Schouwer ;

Considérant que Maître Nodée ès qualités dénonce sans être contredit la réduction d'un point et demi de la marge brute ainsi qu'une dizaine de campagnes promotionnelles comportant des obligations abusives de réduction de prix à la charge des concessionnaires, de commandes nouvelles après chaque vente, de commandes par lots ou correspondant à un mois et demi de ventes en fin d'exercice, d'octroi d'avantages unilatéraux aux clients, de participations publicitaires et de prises en charges de suréquipements ;

Qu'il justifie de ce que la société d'exploitation du garage Schouwer dont les ventes étaient constamment supérieures à la moyenne nationale, a pu faire face à ses charges jusqu'en 1993 mais que l'effondrement de ses ventes similaire à celui subi par les autres membres du réseau et la baisse de sa marge commerciale ont substitué à un bénéfice infime des pertes insupportables ;

Qu'il existait ainsi des raison objectives d'accorder à la société d'exploitation du garage Schouwer une dérogation lui permettant de représenter la marque Daewoo dont il n'est pas contesté que la gamme de véhicules n'était pas concurrente de celle de marque Mazda ; que par son refus dont elle n'apporte aucune justification autre que l'engagement d'exclusivité souscrit par le concessionnaire, l'intimée a commis un abus de droit qui a fait perdre à la société d'exploitation du garage Schouwer la chance fort sérieuse qu'elle avait de convenir d'une solution de sauvetage ;

Considérant qu'il n'est ni allégué ni justifié de ce que la société d'exploitation du garage Schouwer se soit trouvée dans une situation la mettant en péril avant même qu'en 1993 la société France Motors impose à ses concessionnaires des modifications substantielles compromettant leur survie alors que le concédant disposait encore des aménagements requis par la détérioration de sa part de marché ;

Que le jugement d'ouverture de la procédure collective du 11 octobre 1995 ne s'explique nullement sur la fixation à dix huit mois en arrière que la Cour qualifie de " pure commodité ", en l'absence de justification, de la date de la cessation des paiements ; qu'il fait en effet état d'un passif évalué à 829 000 F seulement, ce qui cadre mal, eu égard au montant du chiffre d'affaires annuel, avec une cessation des paiements de 1994 dont aucune manifestation n'est citée ;

Qu'il s'en suit que l'insuffisance d'actif d'1 607 230,03 F qui sera constatée, peut être imputée entièrement aux fautes commises par la société France Motors ;

Considérant qu'il serait inéquitable que Maître Nodée ès qualités conserve la charge de ses frais irrépétibles ;

Par ces motifs, Infirme la décision déférée en toutes ses dispositions ; Condamne la société France Motors à verser à Maître Nodée ès qualités 1 600 000 F de dommages-intérêts sauf à parfaire ainsi que cela est demandé, ainsi que 40 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, La condamne en tous les dépens de première instance et d'appel, Admet la SCP Fisselier Chiloux Boulay, avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.