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Décisions

Cass. com., 16 novembre 1999, n° 96-22.770

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Berry Aliments (SA)

Défendeur :

Sanders Aliments (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

M. Métivet

Avocat général :

M. Jobard

Avocats :

Me Foussard, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez.

T. com. Paris, 17e ch., du 20 sept. 1994

20 septembre 1994

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Sanders aliments fabrique des aliments concentrés qu'elle vend à ses filiales et à quelques concessionnaires, destinés à servir de base à la fabrication d'aliments composés pour le bétail ; que son principal concurrent sur ce marché est une filiale de l'Union nationale des coopératives agricoles d'approvisionnement (UNCAA) ; qu'en 1960, elle a conclu, "en considération des qualités personnelles du concessionnaire", avec M. Demay un contrat de concession comportant licence de fabrication et de vente des aliments composés Sanders dans les départements de l'Indre, du Cher et de la Creuse, à partir des aliments concentrés fournis par elle ; que ce contrat a ensuite été renouvelé au bénéfice de la société des Etablissements Demay ; qu'en 1990, cette dernière est passée, avec l'accord de la société Sanders aliments, sous le contrôle de la société coopérative La Paysanne de l'Indre qui a fusionné en 1991 avec une autre société coopérative, devenant la société dite "L'Union 36" ; que, par protocole du 25 septembre 1991, les sociétés Sanders aliments, Etablissements Demay et Union 36 ont convenu de participer, dans le cadre du contrat de concession, à un regroupement de leurs implantations industrielles en vue d'accroître la capacité de production d'aliments composés Sanders ; que "L'Union 36" faisait apport de deux usines à la société des Etablissements Demay et la société Sanders aliment participait à une augmentation de son capital et faisait un apport en compte courant destiné à permettre la mise en œuvre d'un plan de modernisation ; que ce protocole, liant les trois sociétés, comportait une clause d'approvisionnement exclusif au bénéfice de la société Sanders aliments ; que, le 26 juin 1992, "L'Union 36" a, à l'insu de la société Sanders aliments, adhéré à l'union de sociétés coopératives Union du Cher, contrôlée par l'UNCAA ; qu'après avoir vainement tenté d'obtenir des éclaircissements sur la situation ainsi créée, la société Sanders aliments a, par lettre du 8 octobre 1992, constaté la rupture de ses relations avec la société des Etablissements Demay, devenue Berry aliments ; que celle-ci a, le 3 février 1993, assigné la société Sanders aliments en paiement de dommages-intérêts pour résiliation abusive et unilatérale du contrat de concession et pour concurrence déloyale ;

Sur les premier, deuxième et troisième moyens, pris en leurs diverses branches, les moyens étant réunis : - Attendu que la société Berry aliments reproche à l'arrêt d'avoir décidé que la rupture du contrat la liant à la société Sanders aliments lui était imputable et d'avoir rejeté sa demande de dommages-intérêts, alors, selon le pourvoi, premièrement, qu'aux termes de l'article 954 du nouveau Code de procédure civile, le juge d'appel n'est saisi que des moyens invoqués par l'appelant dans ses conclusions d'appel ; que, dans ses conclusions, la société Sanders aliments s'est volontairement bornée à invoquer "l'intuitus personae" affectant la convention de 1960 et les modifications affectant la personne de son cocontractant, en prenant le parti de ne pas se prévaloir de l'inobservation par elle de son obligation de réaliser des investissements ; qu'en se fondant néanmoins sur la méconnaissance de cette obligation pour considérer que la résiliation unilatérale du 8 octobre 1992 était justifiée, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ; alors, deuxièmement, qu'en retenant l'absence d'investissements dans le délai d'un an pour considérer que la décision unilatérale de rupture du 8 octobre 1992 était justifiée, après avoir énoncé que, faute de mise en demeure préalable, l'absence d'investissements dans le délai d'un an ne pouvait être retenue à l'appui de la résiliation, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1146 du Code civil ; alors, troisièmement, que s'il fallait considérer que l'incohérence relevée dans le cadre de la deuxième branche ne procède pas d'une erreur de droit, force serait alors de constater qu'en écartant comme motif de résiliation l'absence d'investissements dans le délai d'un an dans un premier temps, tout en retenant cette circonstance dans un second temps, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs ; alors, quatrièmement, que faute d'avoir constaté pour quelles raisons elle écartait la mise en demeure préalable prévue expressément à l'article XVII de la convention du 1er juin 1960, s'agissant de l'adhésion de "L'Union 36" à L'Union du Cher, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1146 du Code civil ; alors, cinquièmement, que faute d'avoir énoncé un quelconque motif quant aux raisons qui la conduisaient à écarter la mise en demeure s'agissant des autres griefs invoqués par la société Sanders aliments, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1146 du Code civil ; alors, sixièmement, que les juges du fond ne pouvaient lui imputer, comme révélateur d'une faute à sa charge, l'adhésion par "L'Union 36", dont elle était la filiale, à L'Union du Cher ; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé les articles 1137 et 1147 du Code civil ; alors, septièmement, que, dans ses conclusions d'appel, elle faisait valoir que "L'Union 36" était affiliée depuis de nombreuses années à l'UNCAA, dont elle était administrateur, et que cette affiliation, dont la société Sanders aliments avait eu connaissance, n'avait nullement fait obstacle à la poursuite des relations contractuelles ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur cette circonstance, qui était de nature à priver de fondement la résiliation unilatérale du 8 octobre 1992, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1137 et 1147 du Code civil, ensemble au regard de l'article L. 521-1 du Code rural ; alors, huitièmement, que loin d'être dans une relation de dépendance, comme peut l'être une société filiale à l'égard d'une société mère, dans le cadre du droit commun des sociétés, l'adhésion à une coopérative confère au coopérateur le droit de participer à la gestion de la coopérative à laquelle il adhère, sans que corrélativement la coopérative puisse s'immiscer dans la gestion des affaires du coopérateur ; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 1832 du Code civil et, par refus d'application, l'article L. 521-1 du Code rural ; et alors, neuvièmement, que les juges du fond ne pouvaient, sans contradiction, relever qu'ils n'avaient pas connaissance des statuts des unions de coopératives, ce qui ne leur permettait pas d'apprécier le degré de dépendance des adhérents, tout en énonçant que l'adhésion entraînait une dépendance juridique, économique et morale incompatible avec le maintien des relations contractuelles ;

Mais attendu, en premier lieu, que la société Berry aliments, dans ses conclusions d'appel, a soutenu non pas que "L'Union 36" était affiliée depuis de longues années à l'UNCAA, mais que le président de la première était membre du conseil d'administration de la seconde ; que le moyen manque en fait en sa septième branche ;

Attendu, en second lieu, qu'après avoir relevé que la société Berry aliments n'avait produit, au soutien de ses conclusions selon lesquelles l'adhésion de son actionnaire majoritaire "L'Union 36" à L'Union du Cher contrôlée par l'UNCAA n'entraînait aucune obligation d'approvisionnement exclusif ou prioritaire, ni les statuts de ces unions de coopératives permettant d'apprécier le degré de dépendance des adhérents, ni aucun renseignement relatif à l'origine des approvisionnements, l'arrêt constate que l'adhésion de "L'Union 36" à L'Union du Cher s'est aussitôt traduite par le remplacement du directeur de "L'Union 36" par l'un des dirigeants de l'UNCAA, dont dépend le principal concurrent de la société Sanders aliments et dont les propos traduisaient le choix d'une politique portant atteinte, au profit d'une autre société, à l'exclusivité d'approvisionnement auprès de la société Sanders, convenue entre celle-ci, "L'Union 36" et la société des Etablissements Demay, aux termes du protocole du 25 septembre 1991 ; que l'arrêt constate encore que la société Berry aliments, qui n'avait pas procédé aux investissements prévus par ce protocole, s'était abstenue de toute consultation préalable de la société Sanders aliments et s'était refusée à tous éclaircissements ; qu'en l'état de ces énonciations et constatations, c'est sans méconnaître les termes du litige et sans contradiction que la cour d'appel, qui n'a pas dit que la résiliation était justifiée par l'absence d'investissement dans le délai d'un an, a pu, pour rejeter la demande de dommages-intérêts formée par la société Berry aliments, décider, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la troisième branche du troisième moyen, qu'en faisant passer la société Berry aliments dans un réseau soumis à l'influence du principal concurrent de la société Sanders aliments, mettant ainsi un terme aux relations de confiance entre les deux sociétés et compromettant la confidentialité des secrets de fabrication de la société Sanders aliments et son développement économique, l'adhésion de "L'Union 36" à L'Union du Cher avait constitué en elle-même une rupture unilatérale des relations par la société Berry aliments, dont la société Sanders aliments avait pu prendre acte; d'où il suit que le troisième moyen ne peut être accueilli en ses deuxième et troisième branches et n'est pas fondé en ses autres branches, non plus que les premier et deuxième moyens ;

Mais sur le quatrième moyen, pris en sa cinquième branche : - Vu les articles 1382 et 1383 du Code civil ; - Attendu que pour rejeter la demande de la société Berry aliments tendant à la condamnation de la société Sanders aliments à des dommages-intérêts pour concurrence déloyale, l'arrêt retient qu'il n'est justifié d'aucune démarche déloyale de débauchage ;

Attendu qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme l'y invitaient les conclusions de la société Berry aliments, si le départ concomitant de cinq des sept salariés de son service commercial, dont le directeur commercial, du comptable et d'un chauffeur, embauchés par la société Sanders aliments, n'était pas de nature à établir qu'il résultait d'un débauchage organisé par cette dernière et n'avait pas eu pour résultat de désorganiser la société Berry aliments, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le cinquième moyen : casse et annule, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande en paiement de dommages-intérêts formée par la société Berry aliments contre la société Sanders aliments pour concurrence déloyale et l'a condamnée à lui rembourser la somme de 5 000 000 de francs augmentée d'intérêts au taux légal à compter de leur paiement, l'arrêt rendu le 7 novembre 1996, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Reims.