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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 1 décembre 1999, n° 98-04041

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Les Courtiers du Val de Loire (SARL)

Défendeur :

Rustica Prograin Génétique France Canada Semences (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Foulon

Conseillers :

MM. Coleno, Charras

Avoués :

SCP Boyer-Lescat-Merle, Me Château

Avocats :

Mes Saint-Criq, Cezanne.

T. com. Toulouse, du 8 juin 1998

8 juin 1998

Par acte d'huissier en date du 27 octobre 1997, la société les Courtiers du Val de Loire (société Les Courtiers) a fait assigner devant le tribunal de commerce de Toulouse, la société Rustica Prograin Génétique France Canada Semences (société Rustica) afin de voir condamner cette dernière à lui payer la somme de 359 489,56 F à titre d'indemnité de résiliation du contrat d'agent commercial qu'elle avait rompu.

Par jugement du 8 juin 1998, le tribunal de commerce a débouté la société Les Courtiers de sa demande au motif que c'était elle qui avait pris l'initiative de la rupture du contrat, le 28 juillet 1997.

Prétentions et moyens de l'appelante :

Pour critiquer cette décision et réclamer le bénéfice de son assignation introductive d'instance, la société Les Courtiers fait valoir que les premiers juges se sont livrés à une appréciation erronée des circonstances de l'espèce et qu'en réalité, c'est la société Rustica qui a pris l'initiative de la rupture en modifiant unilatéralement les termes du contrat qui liait les parties.

Prétentions et moyens de l'intimée :

La société Rustica sollicite la confirmation du jugement et la condamnation de l'appelante à lui payer 25 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en insistant sur le fait qu'elle n'a pas remis en cause le contenu du contrat, mais a simplement fait des propositions de discussions sur l'évolution du contrat.

Sur quoi, LA COUR,

Attendu que le 10 octobre 1992, la société France Canada Semences, département de Rustica Semences (le mandant) a signé avec la SARL Les Courtiers du Val de Loire (l'agent commercial), un contrat d'agent commercial, aux termes duquel le mandant confiait à son agent la mission de le représenter pour la promotion et la vente des semences de grande culture de la gamme France Canada Semences (les produits) ; que ce même contrat prévoit dans son article 1-2, que le mandant se réserve de modifier à tout moment la liste des produits par introduction, substitution ou suppression de produits ;

Attendu que le 22 juillet 1997, la SA Rustica Prograin Génétique dont la qualité de mandant n'est pas discutée, écrivait à la société Les Courtiers pour l'informer de sa décision de reconsidérer sa stratégie et le principe de mise en marché de la gamme France Canada Semences ; que cette même lettre ajoutant que " de ce fait, la distribution de notre gamme France Canada Semences sera confiée à un autre circuit de distribution et qu'en contrepartie ... nous vous proposons de travailler avec notre première marque commerciale Rustica Prograin Génétique, et ceci sur un territoire à débattre ... nous sommes conscients que les modifications ainsi apportées à notre collaboration vont nécessiter un investissement de votre part afin de réorienter votre clientèle sur des produits différents. De ce fait, nous sommes disposés à étudier une indemnité forfaitaire pour vous aider à financer ce nouveau challenge... "

Attendu que les termes clairs de cette lettre montrent que contrairement à ce qu'elle soutient, la société Rustica n'a pas soumis à son agent une proposition de négociation en vue de préparer une modification du contrat, mais qu'elle l'a avisé de sa décision de modifier ledit contrat en confiant la distribution de la gamme France Canada Semences à un autre réseau de distribution(" de ce fait, la distribution ... sera confiée à un autre réseau... ") ; que même si cette décision s'accompagne d'une offre de discussions sur le montant d'une aide financière, cette circonstance n'a pas pour effet de lui confier un caractère hypothétique ;

Attendu sur la modification du contrat, que si effectivement l'article 1-2 de celui-ci prévoit que le mandant a la possibilité de modifier la liste des produits par introduction, suppression ou substitution des produits, le changement annoncé n'a pas la nature des modifications contractuellement envisagées dès lors qu'il affecte l'essence même de la convention, puisqu'il retire à l'agent la totalité des produits qu'il était chargé de commercialiser et ce, non pas en raison de la suppression de ceux-ci, mais pour les confier à un autre réseau;

Attendu que la société Rustica ne s'est pas méprise sur la portée de cette modification, puisqu'elle a reconnu dans sa lettre du 22 juillet 1997 qu'il s'agissait de modification profonde et qu'elle allait avoir des conséquences non-seulement sur la clientèle fidélisée depuis cinq ans qu'il faudrait " réorienter ", mais aussi sur le territoire d'intervention qui pourra être plus large ;

Que la proposition d'aide financière pour " faire face à ce nouveau challenge " montre sans ambiguïté que le mandant avait conscience de remettre en cause l'entière économie du contrat ;

Qu'enfin, le fait que la société Les Courtiers ait occasionnellement commercialisé les Produits Rustica Prograin Génétique concernés par la modification litigieuse, ne permet pas de considérer que celle-ci n'était que l'aboutissement d'un changement déjà consacré ;

Attendu dans ces conditions, que c'est à bon droit que l'agent commercial a considéré que son contrat avait été unilatéralement modifié et qu'il pouvait dès lors prendre acte de sa rupture par le fait du mandant et réclamer le versement d'une indemnité de résiliation, au sens de l'article 12 de la loi du 25 juin 1991;

Attendu, sur le montant de l'indemnité que le calcul proposé par la société appelante, qui se fonde sur la pratique habituelle de référence aux deux dernières années de commissions, n'est pas critiqué par la société Rustica ; que la somme de 359 489 F qui est justifiée par la production des relevés de commissions sera donc retenue ; que les intérêts afférents à cette somme seront dus à compter du 27 octobre 1997 ;

Attendu enfin que l'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du NCPC en faveur de la société Les Courtiers ;

Par ces motifs, Déclare la société Les Courtiers du Val de Loire recevable et bien fondée en son appel ; Réforme le jugement déféré et statuant à nouveau : Condamne la société Rustica Prograin Génétique à payer à la société Les Courtiers du Val de Loire, la somme de 359 489,56 F (trois cent cinquante-neuf mille quatre cent quatre-vingt-neuf francs cinquante-six centimes) avec intérêts au taux légal à compter du 27 octobre 1997, ainsi que celle de 10 000 F (dix mille francs) au titre de l'article 700 du NCPC. Condamne la société Rustica Prograin Génétique aux dépens de toute l'instance et accorde à la SCP d'avoués Boyer Lescat Merle qui le demande le bénéfice de l'article 699 du NPC.