CA Paris, 5e ch. C, 3 décembre 1999, n° 1998-04072
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Pizza Thigre (SARL)
Défendeur :
New York Speed Rabbit, Rivière
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Desgrange
Conseillers :
MM. Bouche, Savatier
Avoués :
SCP Roblin-Chaix de Lavarene, SCP Mira-Bettan
Avocats :
Me Bellet, SCP Threard-Leger-Bourgeon-Meresse, Me Carly.
La société Pizza Tighre a conclu avec la société New York SPEED RABBIT- dite NSR -franchiseur le 2 décembre 1994 un contrat de franchise portant sur la fabrication et la livraison à domicile de pizzas sous l'enseigne "Speed Rabbit Pizzas".
La société a rencontré rapidement des difficultés dans la mise en œuvre de l'exploitation du concept NSR et a cru avoir été victime de fausses informations précontractuelles données par Didier Rivière, dirigeant avec Sandrine Vouaux de la société NSR et signataire du contrat.
Le 3 juin 1996, elle a assigné la société NSR et Didier Rivière en nullité du contrat de franchise pour dol, en paiement de dommages-intérêts et en remboursement des droits d'entrée et des redevances.
En cours d'instance les 10 avril et 16 mai 1997 la société Pizza Thigre a notifié au franchiseur qu'elle sortait de son réseau.
Par jugement du 6 janvier 1998 le tribunal de Commerce de Paris a débouté la société Pizza Thigre de ses demandes et l'a condamnée à payer :
à la société NSR :
* 13.306,28F avec intérêts au taux légal à compter du 3 juin 1996 pour redevances publicitaires,
* 35.426,88F, montant de traites impayées, contre remise de ces traites,
* 500.217 F d'indemnité de rupture,
* 100.000F de dommages-intérêts pour violation de la clause contractuelle de non-concurrence,
et 7.000F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Par ailleurs le jugement, tout en rejetant l'exception d'incompétence soulevée par Didier Rivière, a débouté la société demanderesse de son action à son encontre et l'a condamné à lui payer 3.000F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La société Pizza Thigre a fait appel de cette décision.
Elle expose :
- que Didier Rivière, se conformant aux prescriptions de la loi Doubin, lui a remis avant tout engagement des documents d'information sur les activités du franchiseur et de son réseau, ainsi que sur l'expérience professionnelle de Didier Rivière et de la gérante,
- que c'est en considération de ces renseignements que Xavier Dumas a créé la société Pizza Thigre pour exploiter à Paris une franchise et que cette société a signé le 2 décembre 1994 un contrat avec la société NSR représentée par Didier Rivière,
- que la société franchisée a rencontré de sérieuses difficultés dont elle fait l'inventaire dans l'exploitation du concept NSR et a découvert surtout que certaines informations pré-contractuelles étaient fausses,
- qu'elle a appris notamment que Didier Rivière était le gérant de fait de la société NSR, malgré une interdiction judiciaire de gérer du 30 avril 1993 dont il avait connaissance à la suite de la liquidation judiciaire d'une société Cosmoport qu'il dirigeait précédemment.
La société Pizza Thigre conteste les motifs du jugement entrepris en ce qu'il a jugé que Didier Rivière ignorait l'interdiction litigieuse, et soutient qu'elle n'aurait jamais accepté d' être franchisé "NSR" si elle avait connu cette circonstance; au surplus, de nombreuses fausses informations et des fautes du franchiseur ont contribué à la réalisation du dol.
Elle conclut en conséquence à l'infirmation du jugement du 6 janvier 1998, à la nullité du contrat de franchise, et à la condamnation solidaire de la société NSR et de Didier RIVIERE à lui payer:
-75.000F HT en remboursement du droit d'entrée,
-100.000F sauf à parfaire en remboursement des redevances et royalties,
-100.000F de dommages-intérêts en réparation du préjudice commercial, le tout avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation eux-mêmes capitalisés, enfin 50.000F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La société Pizza Thigre demande que soit constaté qu'elle a payé à la société NSR la somme de 35.426,88F, montant des traites dont il est encore réclamé injustement le paiement.
La société New York - NSR - conclut à la confirmation des condamnations prononcées en sa faveur par le jugement déféré, mais à sa réformation afin que soit précisé que le contrat est résilié aux torts du franchisé, et que celui-ci soit condamné à lui payer
- 89.974F en conséquence de la poursuite de la franchise du 1er septembre 1996 au 15 avril 1997,
- 500.000F de dommages-intérêts pour violation de la clause de non-concurrence,
- 300.000F de dommages-intérêts pour violation de la clause de secret,
- 100.000F de dommages-intérêts pour violation des obligations consécutives à la cessation du contrat.
La société intimée réclame enfin 50.000F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Elle fait valoir que le premier magasin exerçant sous son enseigne a ouvert en octobre 1991 et qu'en août 1994 quatorze établissements fonctionnaient dont douze en franchise,
Que moins d'un an après la signature de la franchise du 2 décembre 1994 la société Pizza Thigre était déjà débitrice de 21.540 F,
Que c'est pour profiter seul et sans contrainte de la franchise que Xavier Dumas son gérant a imaginé des problèmes et pris l'initiative de la présente procédure.
Après avoir écarté un à un les griefs faits à son encontre relatifs aux violations de ses obligations en début et en cours de franchise, la société NSR rejette également le reproche de dissimulation d'informations au stade pré-contractuel, notamment de celle concernant l'interdiction de gérer de Didier Rivière, inconnue de ce dernier en décembre 1994 et aujourd'hui effacée par la réhabilitation.
Les demandes reconventionnelles de la société NSR reposent sur les violations par son franchisé de ses obligations contractuelles : dettes, atteinte à l'image de la société NSR et à l'image visuelle de la marque NSR, abandon fautif du réseau, non-respect de l'obligation de non-concurrence et du secret.
Didier Rivière a constitué même avoué que la société NSR.
Motifs de la Cour :
Sur la nullité du contrat de franchise :
Considérant que l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989 dite loi Doubin, oblige toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité à fournir préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties un document donnant des informations sincères qui permettent de s'engager en connaissance de cause ;
Qu'en exécution de cette obligation, la société NSR représentée par Didier Rivière a remis le 20 novembre 1994 à Xavier Dumas, pour la société Thigre en formation un ensemble documentaire où apparaissent l'identité et l'expérience professionnelle des dirigeants : Sandrine Voaux, gérante de la société NSR qui n'est pas en cause, et Didier Rivière, sans précision de qualité ou de fonction dans la société, se disant ancien actionnaire majoritaire et Président Directeur Général de trois sociétés revendues en décembre 1989, notamment la société Cosmosport.
Considérant que la société Pizza Thigre qui s'est rapprochée d'une association de défense des franchisés Speed Rabbit Pizza en 1995, soutient que l'information concernant Didier Rivière n'était pas loyale ni complète ;
Que, tout en gérant en fait la société NSR, il n'en avait pas en effet le droit depuis un jugement par défaut du tribunal de Commerce de Pontoise du 30 avril 1993 qui l'avait interdit de gérer directement ou indirectement toute société ou entreprise commerciale en conséquence de la liquidation judiciaire de la société Cosmosport ;
Que Didier Rivière adopte au contraire les motifs du jugement du 6 septembre 1998 déféré, en ce qu'il a jugé que n'était pas rapportée la preuve d'une connaissance par l'intéressé de cette interdiction ; qu'il ne conteste pas en revanche avoir en fait continué à gérer la société.
Considérant qu'interrogée le 3 août 1995 par l'association des franchisés, la société NSR, sous la signature de son nouveau gérant Augustin Lopez, a répondu en septembre, après avoir écrit le contraire, que Didier Rivière, "initiateur et créateur de la société New York Speed Rabbit Pizza a donné sa démission de gérant après avoir eu connaissance de problèmes personnels qui le concernaient et est devenu salarié de NSR en tant que directeur du réseau de franchise ;
Que la société NSR, dans sa première lettre du 14 septembre 1995, avouait ne pas ignorer la situation de son directeur, puisqu'elle précisait "A titre informatif, nous vous indiquerons qu'un recours est actuellement pendant devant la Cour d'Appel de Versailles" ;
Que ce recours contre un jugement du 6 janvier 1995 rejetant une action en relevé d'interdiction a été rejeté à nouveau par la Cour le 5 octobre suivant ;
Que ces éléments, complétés par un enregistrement de son action au rôle du Tribunal de Commerce de Pontoise sous un numéro de 1994, suffisent à prouver que Didier Rivière connaissait parfaitement en novembre 1994 l'interdiction qui le frappait et qui a justifié sa démission de la gérance statutaire de la société à responsabilité limitée NSR à une date qu'il se garde bien de préciser ;
Que bien évidemment la société NSR n'ignorait pas cette incapacité et a engagé sa responsabilité vis-à-vis du franchisé dès la fourniture des documents pré-contractuels le 20 novembre 1994.
Considérant que la société NSR prétend que cette dissimulation qu'elle persisite à nier ne peut plus être invoquée par sa cocontractante;
Que par un second jugement du 5 avril 1996, le même tribunal de Pontoise a prononcé en effet un relèvement total des interdictions prononcées le 30 avril 1993 à l'encontre de Didier Rivière ; que les articles 133-11 et 133-16 du Code pénal accordent à la réhabilitation les effets de l'amnistie.
Considérant toutefois que le tribunal a assorti cette réhabilitation d'une condition de versement de 100.000 F pour contribuer au passif de la société Cosmosport, condition que Didier Rivière ne dit pas avoir remplie;
Qu'au surplus et en toute hypothèse cette réhabilitation n'a pas pour objet de faire disparaître le caractère délictueux ou frauduleux des agissements, supports de la condamnation; qu'elle fait seulement cesser pour l'avenir toutes les conséquences de celle-ci.
Considérant en conséquence que, Didier Rivière et la société NSR ne peuvent se prévaloir de cette réhabilitation sans effet rétroactif pour échapper à leur responsabilité dans la violation de la loi Doubin en novembre et décembre 1994 ;
Que la société Pizza Thigre est fondée à soutenir que, par sa dissimulation, la société NSR et son responsable ont acquis la confiance de Xavier Dumas et ont failli à leur obligation légale et contractuelle de renseignement; que sans cette déloyauté, véritable manœuvre dolosive, ce dernier n' aurait pas accepté d'entrer dans un réseau où la personnalité de l'animateur et un climat de confiance sont le gage d'une collaboration fructueuse ;
Que le contrat du 2 décembre 1994 est nul par application de l'article 1116 du Code Civil.
Sur les conséquences de la nullité du contrat :
Considérant que les parties doivent revenir en l'état antérieur à la signature du contrat, sans qu'il soit nécessaire de s'attarder sur les difficultés d'exécution du chantier d'aménagement des locaux où devait s'exercer l'activité du franchisé, ou sur les incidents énoncés par les parties dans le déroulement de leurs relations d'affaires et dans le respect des obligations réciproques ;
Qu'est également inopérante la résiliation du contrat signifiée de guerre lasse par la société Pizza Thigre en avril et mai 1997 en cours de procédure; que cette résiliation ne peut valoir renonciation à un droit d'ordre public à la loyauté des rapports contractuels expressément stipulé par la loi Doubin.
Considérant que doit être restitué à la société Pizza Thigre le droit d'entrée de 75.000F HT qu'elle a payé à la société NSR en intégrant son réseau ;
Qu'en revanche la société Pizza Thigre ne fournit aucune explication sur la somme de 100.000F "sauf à parfaire" qu'elle réclame au titre des redevances; que cette carence dans la preuve n'a pas d'autre explication que sa propre carence dans le paiement des redevances que la société NSR demande reconventionnellement; que l'appelante comme l'intimée doit être déboutée de sa prétention à ce titre ;
Qu'enfin, la demande de dommages-intérêts présentée par l'appelante ne saurait prospérer; qu'elle ne dénie pas en effet avoir pris bien des libertés par rapport aux obligations qu'elle avait contractées de non-concurrence et de secret ; Que son préjudice comercial résultant de la nullité du contrat de franchise n'est pas démontré.
Considérant que, dans le cadre du contrat annulé, les partenaires ont eu des relations d'affaires qui se sont concrétisées par des contrats effectifs d'achat et de vente à exécution successive dont les comptes doivent être soldés ;
Qu'ainsi en paiement de traites de 35.426,88 F revenues impayées, la société Pizza Thigre condamnée en référé le 25 octobre 1996 a émis le lendemain un chèque du même monatnat qui, aprés quelques vissicitudes a finalement été encaissé le 17 kjanvier 1997 sur le compte Carpa du conseil de la société NSR ; que la condamnatyion prononcée par le tribunal le 6 janvier 1998 n'avait donc plus lieu de l'être;
Qu'en revanche la condamnation à 13.306,28 F de redevances publicitaires n'est pas contestée, et doit être confirmée.
Considérant que la société NSR et son dirigeant déboutés presqu'intégralement de leurs prétentions doivent être condamnés en équité à indemniser l'appelante de ses frais irrépétibles.
Par ces motifs,
Infirmant le jugement du 6 janvier 1998 et statuant à nouveau;
Déclare nul le contrat de franchise le 2 décembre 1994 ;
Fixe en conséquence la créance de la société Pizza Thigre sur la société New york Speed Rabbit - NSR - et sur Didier Rivière à la somme de 75.000 F ;
Fixe la créance de la société New York Speed Rabbit- NSR- sur la société Pizza Thigre à 13.306,28 F ;
Ordonnant la compensation entre ces créances réciproques,
Condamne solidairement la société New York Speed Rabbit -NSR- et Didier Rivière à payer à la société Pizza Thigre la somme de 61.693,72 F augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 3 juin 1996;
Dit que ces intérêts sont eux-mêmes capitalisés au même taux à compter des premières conclusions du 20 mai 1998 qui en font la demande, dans les conditions définies par l'article 1154 du Code Civil.
Condamne la société New York Speed Rabbit - NSR - et Didier Rivière à payer à la société Pizza Thigre 25.000F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, et à supporter la charge des dépens de première instance et d'appel.
Admet la SCP Roblin Chaix de Lavarenne, avoué, au droit de recouvrement direct dans les conditions prévues par l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile