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Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 26 janvier 2001, n° 1999-21776

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Rolex France (SA)

Défendeur :

Milor (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bouche

Conseillers :

MM. Savatier, Faucher

Avoués :

SCP Duboscq-Pellerin, Me Bodin-Casalis

Avocats :

Mes Paquet, De Richoufftz.

T. com. Paris, du 6 oct. 1999

6 octobre 1999

Par contrat du 1er octobre 1978, la société Rolex France, qui commercialise les montres Rolex par un réseau de distribution sélective, a agréé, pour une durée indéterminée, la société Milor pour le point de vente que celle-ci exploite à Lyon.

Le 19 novembre 1996, le Conseil de la concurrence a sanctionné la société Rolex France, notamment pour avoir appliqué de façon discriminatoire le critère défini à l'article III.1.d du contrat qui impose aux distributeurs de disposer d'un " atelier avec un personnel ayant reçu une formation d'horloger spécialiste, garantissant l'exécution dans des conditions convenables et dans les délais fixés de toute prestation éventuelle relative à la garantie et au service après-vente ".

Le 6 mars 1997, la société Rolex France a écrit à la société Milor pour lui rappeler la nécessité de se mettre en conformité avec cette obligation en lui confirmant : " être prête à tester les capacités professionnelles de tout candidat que vous pourriez être à même d'engager ".

Le 9 décembre 1997, la Cour d'appel de Paris, a rejeté les recours formés à l'encontre de la décision précitée, en relevant, notamment, que le rapport d'enquête révèle que pour la période 1989-1992, la société Rolex France a agréé et maintenu dans son réseau un nombre important de distributeurs qui ne remplissaient pas l'exigence précitée. La Cour a retenu que " ce critère qualitatif d'ordre professionnel, est justifié par la haute technicité des montres Rolex et leur qualité, qui leur confèrent leur réputation et leur notoriété, ainsi que par le caractère complexe et délicat des opérations de réparation qui doivent s'effectuer dans des conditions de fiabilité conforme à l'image de marque que l'acheteur attache au produit ", mais que la société Rolex France en avait fait une application discriminatoire.

Le 13 février 1998, la société Rolex France, se référant aux rappels successifs quant au respect de cette exigence, a mis en demeure la société Milor de s'exécuter en lui accordant un " dernier délai qui expirera le 15 juin 1998 ". Elle lui indiquait que : " à défaut de mettre votre établissement en conformité avant cette date, la présente vaudra résiliation [du contrat] qui cessera, en conséquence, de produire ses effets... le 31 décembre 1998 ", compte tenu du préavis de six mois prévu au contrat.

Le 24 juin 1998, la société Rolex France lui a adressé une lettre de résiliation, celle-ci prenant effet le 31 décembre 1998, constatant qu'elle ne remplissait toujours pas les obligations prévues à l'article III. 1.d du contrat, et faisant état des incidents de paiement répétés qu'elle rencontrait. Elle l'avisait, dans cette lettre, de ce qu'elle suspendait toute livraison pendant la période de préavis.

La société Milor a assigné la société Rolex France pour voir juger que " c'est sur la base de motifs fallacieux et de manière fautive, que la société Rolex France a résilié le contrat de distribution la liant à la société Milor ".

Par jugement du 6 octobre 1999, le tribunal de commerce de Paris, faisant droit à cette demande, a condamné la société Rolex France à payer à la société Milor la somme de 4 200 000 F de dommages-intérêts, outre celle de 7 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

A l'appui de l'appel qu'elle a formé contre cette décision, la société Rolex France, dans ses dernières écritures déposées le 21 novembre 2000, auxquelles il est renvoyé, invoquant, pour justifier sa décision de mettre fin au contrat, le non-respect par la société Milor des prescriptions de l'article III. 1. d du contrat, précité, et des articles IV. 5 et IV.6 de celui-ci, qui interdisent la revente des montres hors réseau, ainsi que les incidents de paiements rencontrés, conclut à l'infirmation du jugement et au rejet des prétentions de la société Milor.

La société Rolex France demande, en outre, que la société Milor soit condamnée à lui payer la somme de 100 000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 60 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Milor, dans ses dernières écritures déposées le 21 novembre 2000, auxquelles il est renvoyé prétend que la clause prévue à l'article III. 1. d est nulle, " à raison de son caractère discriminatoire ", de sorte que c'est sur la base d'un motif fallacieux et de manière fautive que la société Rolex France, qui est irrecevable à opposer des incidents de paiement et des ventes hors réseau, a mis un terme au contrat.

Elle demande que la société Rolex France soit condamnée à lui payer :

- 15 000 000 F au titre de la perte de marge brute sur deux années,

- 5 000 000 F au titre du préjudice commerciale,

- 100 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR :

Considérant que la société Rolex France a résilié le contrat au 31 décembre 1998, c'est à dire à la fin de l'année civile en cours au moment de la résiliation, ce dont elle a avisé la société Milor ; qu'elle a ainsi respecté le délai de 6 mois prévu au contrat, et ce, que l'on retienne qu'elle l'a informée de sa décision par sa lettre du 31 février 1998, ou par celle du 24 juin 1998 ;

Considérant que la société Milor ne lui en conteste pas le droit mais prétend que la résiliation est abusive, dès lors que la société Rolex France n'a pas agi de bonne foi et a manqué à la loyauté contractuelle en justifiant sa décision par des motifs fallacieux ; qu'il appartient à la société Milor d'établir ses allégations ;

Considérant qu'elle soutient que la société Rolex France ne pouvait fonder sa décision sur le non-respect de la clause du contrat prévoyant l'existence d'un atelier et d'un personnel horloger compétent, laquelle serait nulle pour contrevenir aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, applicable lorsque le contrat a été souscrit ;

Considérant que la demande tendant à voir prononcer cette nullité est recevable, même formulée pour la première fois en cause d'appel, dès lors qu'elle tend aux mêmes fins que celles soumises aux premiers juges, puisqu'il s'agit d'un moyen qui, s'il était admis, priverait la résiliation d'un des motifs qui sont invoqués pour la justifier ;

Considérant, toutefois, que la société Milor n'explique pas en quoi cette clause contrevient au texte invoqué ; qu'en se bornant à prétendre que la société Rolex France a eu une pratique discriminatoire au regard de ce critère, ce pour quoi elle a été sanctionnée par le Conseil de la concurrence, elle ne caractérise pas l'infraction qu'elle allègue, d'autant que, comme le fait remarquer la société Rolex France, le Conseil de la concurrence, puis la Cour d'appel saisis des recours formés contre sa décision, ont retenu que le critère exigé était justifié au regard des produits concernés ; que la société Milor ne conteste pas autrement la justification de ce critère, dont elle prétend seulement qu'il lui a été appliqué de manière discriminatoire ; que, dès lors, elle n'établit pas la nullité de la clause III. 1. d du contrat ;

Considérant que la société Milor ne rapporte pas la preuve de la pratique discriminatoire dont elle prétend être victime ; que, s'il peut être admis que tous les distributeurs ne respectaient pas cette clause le 15 juin 1998, il faut relever qu'il ressort des pièces produites que cette situation a changé à cette époque puisqu'il résulte des déclarations établies par la société Chorein les 4 juin 1999 et 3 mars 2000, que le nombre de distributeurs de montres Rolex ayant fait appel à elle, en sa qualité d'atelier d'horlogerie agréé, a considérablement diminué, et que les derniers clients qui ont recours à ses services ont déclaré le faire, soit pour pallier l'absence temporaire de leur propre horloger, soit parce que l'intervention sollicitée était la suite d'une précédente réparation effectuée par la société Chorein ;

Que de ces pièces et de la chronologie des faits, il ressort que, condamnée à payer une amende 136 000 F par le Conseil de la Concurrence, notamment à raison de la pratique discriminatoire qui avait été la sienne pour la période de 1989/1992 dans l'exigence du respect par ses distributeurs de l'obligation qu'ils avaient contractée de disposer d'un atelier et de personnel compétent, la société Rolex France a demandé à ceux-ci de satisfaire effectivement à leur engagement ; que, dès lors il n'est pas établi qu'elle ait réservé un sort particulier à la société Milor en lui demandant, en mars 1997, puis, à nouveau, en février 1998, de respecter ses engagements contractuels à cet égard, et, enfin, en sanctionnant son inaction ;

Considérant que la société Milor ne saurait reprocher à la société Rolex France d'avancer d'autres motifs à sa décision de résilier la convention qui les liait, même s'ils n'étaient pas énoncés dans la lettre du 13 février 1998 ; qu'en effet, à supposer que, dès le terme du délai laissé par cette lettre à la société Milor, pour régulariser sa situation au regard de la clause de l'article III. 1. d, la résiliation était acquise, celle-ci n'y ayant pas satisfait, la société Rolex France avait la faculté d'énoncer à son cocontractant les nouveaux griefs qui ont confirmé sa volonté de résilier le contrat conclu pour une durée indéterminée ; que, d'ailleurs, il ne résulte pas de celui-ci, que la partie qui décide de mettre un terme aux relations contractuelles est tenue d'exprimer les motifs de sa décision, de sorte qu'on ne saurait lui reprocher de l'avoir fait postérieurement.

Considérant que la société Milor ne peut soutenir qu'en invoquant des incidents de paiements la société Rolex France a fait dégénérer en abus sa faculté de résilier le contrat ; qu'en effet, contrairement à ce qu'elle affirme, la réalité de ceux-ci est constante ; qu'ils ont donné lieu à des lettres du 6 mars 1996 et du 8 juillet 1997 par lesquelles la société Rolex France a rappelé à son distributeur les modalités de paiement qui s'imposaient contractuellement aux parties, puis à des lettres dénonçant les retards et exigeant le paiement des sommes dues ;

Que la société Milor reconnaît, d'ailleurs, qu'une traite acceptée échue le 28 février 1998, pour un montant de 505 704,74 F, correspondant à une facturation de novembre 1997, a été payée en retard ; qu'au 24 avril 1998, il restait encore dû sur des factures venues à échéances en janvier, février ou mars 1998 la somme de 56 537,57 F alors qu'au 30 avril c'était une somme de 689 776,53 F qui était due laquelle n'a été payée qu'en juin ; qu'au 24 juin 1998 elle restait devoir la somme de 378 335,97 F échue au 31 mai 1998 ;

Que la société Milor a été condamnée à payer cette somme et celle de 267 805,65 F, correspondant à l'échéance du 30 juin 1998, par une ordonnance de référé du 6 août 1998, confirmée par arrêt du 10 mars 1999 ;

Considérant que les manquements ainsi avérés de la société Milor à ses obligations de payer à leurs échéances les sommes dues à son fournisseur suffisent à eux-seuls à justifier la décision de mettre fin au contrat ; qu'ils sont suffisamment importants et répétés pour justifier la décision de la société Rolex France de suspendre ses livraisons jusqu'au terme du préavis, de sorte que la société Milor n'est pas fondée à soutenir n'avoir pas bénéficié du préavis contractuel à raison de la suspension des livraisons ; qu'en effet, jusqu'au 31 décembre 1998, elle bénéficiait de l'agrément l'autorisant à vendre les montres de marque Rolex et que c'est par sa faute que cette suspension est intervenue ; que d'ailleurs, dès le 24 juillet 1998, la société Rolex France a proposé de reprendre ses livraisons, sous réserve de leur paiement comptant, si un paiement partiel des sommes dues intervenait et si, pour le solde, le dirigeant de la société Milor apportait sa garantie personnelle ;

Considérant, enfin, que la société Milor est mal fondée à invoquer ses propres manquements à ses obligations relatives à l'interdiction qui lui était faite de revendre les marchandises livrées en dehors de la communauté européenne, ce qu'elle reconnaît avoir fait ; qu'elle ne rapporte pas la preuve que la société Rolex France savait qu'elle revendait des marchandises à des revendeurs hors réseau établis à Hong Kong, et encore moins qu'elle ait renoncé à se prévaloir de cette interdiction ;

Considérant qu'en conséquence, la société Milor n'apporte pas la preuve de ce que la société Rolex France a commis les fautes qu'elle lui reproche ; qu'elle sera déboutée de toutes ses demandes ; que le jugement sera donc infirmé en toutes ses dispositions ;

Sur la demande reconventionnelle de la société Rolex France :

Considérant que la société Milor a fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice en soutenant que la société Rolex France a commis une faute en résiliant le contrat qui les liait et en soutenant que les motifs étaient fallacieux, dès lors qu'elle-même refusait de remplir son obligation contractuelle de disposer de son propre atelier de réparation et ne respectait plus ses engagements financiers malgré les mises en demeure qui lui avaient été adressées ; que cette faute est également caractérisée par le moment auquel elle a introduit son action, à la veille de l'audience du juge des référés saisi d'une demande de paiement des sommes restant dues, manifestant une volonté dilatoire qui s'est poursuivie tout au long des procédures ayant opposé les parties ;

Considérant que cette attitude fautive a obligé la société Rolex France à organiser sa défense, puis à former appel du jugement rendu, ce qui a nécessairement entraîné pour elle des troubles dans son fonctionnement qui lui ont causé un préjudice qui doit être réparé par des dommages-intérêts qui, au vu des éléments de la cause, peuvent être fixés à la somme de 50 000 F ;

Considérant que l'équité commande de condamner la société Milor à payer à la société Rolex France la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : Infirme en toutes ses dispositions le jugement attaqué, Déboute la société Milor de toutes ses demandes, La condamne à payer à la société Rolex France la somme de 50 000 F de dommages-intérêts, La condamne à lui payer la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, La condamne aux dépens de première instance et d'appel et dit que l'avoué concerné pourra les recouvrer comme il est dit à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.